Han

Pour comprendre les Coréens, il faut comprendre le Han. Pas le Han qui désigne l’ethnie majoritaire de Chine, ni le Han de “Hankook” qui signifie Corée pour les Sud-Coréens. Mais le Han qui habite l’esprit de tous les Coréens.

Malgré mes presque deux ans de vie en Corée et la proximité avec ma famille coréenne, je ne suis pas sûr d’avoir entièrement compris ce qu’est le Han. Justement parce qu’il n’y a rien à comprendre mais à ressentir: le Han est un sentiment qui mêle mélancolie, douleur, amertume, et injustice. Mais ne croyez pas avoir détecté une manifestation de ce Han chez la mine déprimée d’un Coréen ou dans ses yeux humides pour cause de chagrin passager. Ce qui fait la particularité du Han c’est qu’il habite au plus profond de l’âme des Coréens: une mélancolie toujours présente au fond de soi et qui au quotidien incite au silence plutôt qu’aux lamentations passagères.

Difficile de dire d’où vient ce sentiment et pourquoi il est partagé par l’ensemble des Coréens: est-ce l’histoire du pays, petite péninsule coincée entre de puissants voisins; ayant vécu l’invasion des Mongols, des Chinois, des Japonais, et qui aujourd’hui est encore séparée en deux du fait d’enjeux géopolitiques qui la dépasse? Est-ce dû à la société coréenne longtemps marquée par un féodalisme archaïque permettant l’opulence de quelques-uns grâce à la misère de beaucoup? Aujourd’hui encore la société coréenne souffre de disparités et d’un contexte hyper concurrentiel qui font que les enfants et adolescents coréens sont les moins heureux des pays de l’OCDE. C’est sûrement un peu toutes ces raisons qui au final créent le sentiment d’un bonheur impossible du fait de forces supérieures: une fatalité vécue pour sa propre destinée mais également pour celle son pays.

Mais fatalité n’est pas le terme le mieux choisi car ce Han comporte également une part de résilience face au poids du destin. Car si le Han s’installe dans le coeur des Coréens au fur et à mesure qu’ils subissent les affres de leur destin, c’est de ce même Han que naît la volonté de s’en libérer. Le Han est ainsi une sensibilité d’où naît une force de l’esprit qui permet de déjouer celle du destin pour in fine s’en sortir. Le Han s’incruste (Han-i maechida, 한이 맺히다) mais l’on peut dénouer le Han (Han-eul poolda, 한을 풀다). Est-ce pour cela que la Corée, pays sans ressource particulière et ruiné par la guerre est devenue la 11ème puissance économique mondiale en un demi-siècle?

Et pour ceux qui trépassent sans avoir pu dénouer leur Han, une danseuse chamane intercédera pour laver leurs âmes des mauvais esprits afin qu’ils puissent passer en paix dans l’au delà. Transition qui me permet de terminer en danse et musique, car au même titre qu’on ne peut comprendre le “Feeling blue” sans écouter BB King, ou le Spleen sans lire les Fleurs du mal, le Han n’a peut-être pas besoin de toutes ces explications, juste d’une illustration artistique:

lire le billet

Faire / ne pas faire

Dans la série des choses à faire ou à ne pas faire en Corée et qui sont complètement contre intuitifs pour un Français:

Ne pas faire: saluer les voisins dans l’ascenseur

Vous prenez l’ascenseur de votre immeuble avec l’un de vos voisins: ne le saluez surtout pas d’un bonjour – au revoir. Ici, il est normal, voire recommandé de s’ignorer royalement, même entre voisins. Ne me demandez pas pourquoi, c’est comme ça. Le seul commencement d’explication que l’on m’ait donné est lié au quotidien difficile des Coréens. Je veux bien admettre que ce quotidien soit difficile, mais il faudra qu’on m’explique en quoi il l’est au point de ne pouvoir saluer son prochain. Toujours est-il que pour même pour le Parigot que je suis, il n’est pas naturel du tout de retenir une formule de salutation quelle qu’elle soit au moment où je me retrouve nez à nez avec mon voisin dans l’ascenseur. Si bien que parfois, lorsque je n’y fais pas attention, un “bonjour” spontané s’échappe de ma bouche. Le voisin se retourne alors vers moi un peu surpris. Il arrive qu’il me salue en retour d’un air amusé; il arrive également qu’il détourne le regard et s’éloigne le plus possible de moi le temps du trajet d’ascenseur, de peur que je sois dragueur fou, ou fou tout court.

Dans le même esprit, beaucoup de gestes élémentaires de courtoisie pour un Français tels que tenir la porte à quelqu’un, le laisser sortir avant soi de l’ascenseur (décidément…), ou s’excuser pour l’avoir bousculé, sont considérés comme superflus ici.

 

Faire: offrir du shampoing, du dentifrice, des côtes de boeuf ou des conserves de thon pour les fêtes

Imaginez-vous la tête de votre belle-mère si vous lui offriez le dernier Palmolive anti-pellicules et son poids en bavette de boeuf pour Noël. Si votre belle-mère était coréenne, elle serait ravie. Car ici on n’apprécie pas un cadeau pour son caractère original, recherché, symbolique; on ne loue pas tous les efforts et l’attention fournis pour trouver le cadeau idéal en fonction des goûts et de la personnalité de son destinataire. Ici on privilégie avant tout le pragmatisme et l’utilité du cadeau offert. Et il faut dire que de ce point de vue, on aura toujours besoin de shampoing ou de dentifrice, tandis que la côte de boeuf, elle est non seulement hors de prix en Corée, mais elle entre dans la composition obligatoire du banquet préparé pour honorer les ancêtres lors des fêtes de fin d’année.

 

Faire: s’incruster à un mariage, mal habillé

C’est ce qu’a fait mon collègue vendredi dernier, suite à un coup de fil de l’un de ses amis en fin d’après-midi, qui lui proposait de dîner ensemble et papoter un peu au mariage auquel il devait se rendre. Lorsque je fis remarquer à mon collègue qu’il était en jeans et t-shirt, celui-ci me répondit: “bof c’est pas très grave, c’est pas comme si j’allais saluer les mariés et leurs familles.” Et lorsque je lui demandai de quel mariage il s’agissait, il me dit: “Je ne sais pas parce que mon ami ne connait pas les mariés pas non plus. C’est son patron qui lui a demandé de s’y rendre à sa place pour signer le livre d’or et laisser de l’argent. J’y vais juste pour lui tenir compagnie.” Parce que pour beaucoup de mariages en Corée, l’objectif n’est pas de célébrer un événement heureux en compagnie des proches, mais d’annoncer l’union de deux familles au plus grand nombre lors d’une cérémonie hors de prix qu’il faut amortir grâce à l’argent laissé par les invités.

 

Ne pas faire: attacher son pull autour de sa taille ou de ses épaules

Ne cherchez pas pourquoi, c’est has been,  complètement dépassé. “Ca fait personnage de feuilleton coréen des années 80” m’a-t-on dit poliment mais d’un ton visiblement amusé, alors que j’avais mon pull sur mes épaules pour aller déjeuner… Quand les mystères de la mode s’ajoutent aux mystère d’une culture éloignée…

lire le billet

Ne pas poser trop de question

J’ai beau avoir l’apparence d’un Coréen, parler écrire et lire en Coréen, il existe tant de différences culturelles et dans la façon de penser que je préfère annoncer rapidement aux gens autour de moi que je suis un simple “occidental”, afin qu’ils ne soient pas vexés par mes éventuelles maladresses, dont je vous livre un exemple récent.

Je suis invité à dîner par des amis et suis placé à côté du grand-père paternel de la famille, à qui je dois évidemment la plus grande déférence. Celui-ci, est vivement intrigué par ce pays si lointain qu’est la France, et je passe une grande partie de mon dîner à répondre à ses questions sur la vie là-bas. Naturellement tout le monde se tait lorsque le grand-père parle et toute la table se retrouve à écouter avec attention notre conversation sur la vie en France. Les questions tournent autour de la vie de tous les jours et il en vient à me demander si les Français dorment aussi sur un matelas chauffant les nuits d’hiver.

Sur le coup, je ne comprends pas sa question parce que le terme “matelas chauffant” (전기 장판, “jeongi jangpan”) ne fait pas partie de mon vocabulaire de Coréen. Je lui demande naturellement ce que signifie “jeongi jangpan”… Et les convives émettent tous un rire gêné, dont je ne comprends pas tout à fait la raison aujourd’hui encore.

Il s’avère que par cette seule question de vocabulaire, mon attitude aurait été insolente, car on ne met pas dans l’embarras une personne à qui l’on doit le respect en lui posant une question inattendue. D’ailleurs, il est généralement malvenu pour une personne de poser une  question à une personne d’un statut très supérieur (souvent c’est l’âge qui détermine ce positionnement), car poser une question est une obligation qu’on impose à son interlocuteur de répondre.

Comment aurais-je donc dû réagir? D’après mes amis, un Coréen se serait contenté de répondre oui ou non à la question du grand-père, même sans savoir de quoi il s’agissait, pour changer rapidement de sujet. Puis, une fois le dîner terminé et le grand-père alité,  il se serait renseigné sur la signification de ce mot, au plus proche des convives de ce dîner.

C’est incroyable comment l’attitude la plus naturelle pour les uns, peut paraître la plus saugrenue chez les autres…

lire le billet

Dialogues des Carmélites version franco-coréenne

Je dois avouer que lorsqu’on m’a proposé d’assister à une représentation des Dialogues des Carmélites à Séoul, interprétés pour la plupart par des Coréens, j’ai été un peu effrayé.  Par mon appréhension de l’opéra d’abord, cet art qui s’apprécie d’autant plus qu’on en prend le temps, ce qui n’a pas été mon cas jusqu’ici. Egalement par ma méconnaissance de cet opéra en particulier qui n’a pas la chance de faire partie des trop rares opéras que j’ai appris à découvrir et apprécier au fil des années. Bref, c’est un peu perplexe que je dégageai un après-midi pour me rendre au Seoul Arts Center.

La musique classique se porte très bien en Corée, où elle n’est pas victime de l’image quelque peu poussiéreuse dont elle souffre parfois en France. Bien au contraire: savoir apprécier la musique classique est une marque d’élitisme, de bonne éducation, et d’ouverture à l’Occident, donc un signe de modernité. L’art lyrique est particulièrement apprécié des Coréens tant le chant fait partie de la culture coréenne, voire de son quotidien. Il suffit de voir le nombre de Karaokés à chaque coin de rue, où de dîner dans un restaurant à côté d’un groupe de cadres supérieurs venus fêter  la signature de leur dernier contrat: viendra un moment, après quelques culs-secs, où chacun se lèvera pour chanter a capella. Les opéras rencontrent donc l’engouement d’un public coréen amateur, d’autant plus que contrairement à ses voisins japonais ou chinois, ils n’ont pas l’alternative d’un opéra traditionnel coréen, car il n’en existe tout simplement pas.

Bref, les Coréens savent apprécier la musique classique, mais jusqu’ici, celle-ci rime surtout avec composition allemande ou bel canto italien, tandis que le répertoire français reste limité à quelques avertis. D’où le double challenge de cette représentation de faire découvrir une oeuvre majeure de l’art lyrique Français auprès du public coréen, mais également d’en assurer la représentation par une majorité de chanteurs coréens, peu habitués à la déclamation française, alors que les paroles ont une importance majeure dans cette oeuvre de Poulenc.

Au final, le succès est au rendez-vous: les Coréens sont venus en nombre pour les 4 représentations programmées de cet opéra qui raconte le destin de Soeurs Carmélites pendant la Révolution Française, dont Blanche de Force qui entre sous les ordres lors de l’Acte I. Confrontée à la suppression de leur congrégation imposée par la Terreur, celles-ci s’y opposent et meurent finalement, y compris Blanche qui un temps échappée du joug des révolutionnaires, rejoint finalement les membres de sa congrégation qui meurent une à une sous le couperet de la guillotine lors d’un impressionnant tableau final dont la vidéo ci-dessous. La dimension religieuse de cette oeuvre n’est pas étrangère au succès des représentations dans un pays ou le christianisme se porte à merveille. D’ailleurs une partie non négligeable du public était composé de religieuses.

Ce succès aura été le fruit d’un projet de réelle co-production artistique franco-coréenne au travers de l’Institut Français, établissement qui dépend du Ministère des affaires étrangères et dont le but est de promouvoir la culture française à l’étranger, et l’Opéra National de Corée. Un projet ambitieux porté par Jean-Louis Gavatorta, responsable musique classique et contemporaine au sein de l’Institut Français et la directrice de l’Opéra Nationale de Corée Mme Lee.

Ambitieux car il s’agit en quelques mois de sélectionner la plupart des interprètes en Corée qui certes possèdent un vivier de chanteurs de grand talent, mais qu’il faut ensuite familiariser à l’oeuvre et former à la prononciation française. Dès janvier, le pianiste Antoine Palloc et la soprano Mireille Delunsch se déplacèrent donc à Seoul pour y organiser des ateliers en compagnie des chanteurs coréens sélectionnés. Sans parler de toutes les autres composantes qui font la réussite ou non d’un opéra: l’orchestre, dirigé Daniel Kawka, la  mise en scène, et les costumes, crées et montés ad-hoc et qui furent une jolie réussite de sobriété jouant sur les trois couleurs bleu blanc rouge du drapeau national.

Un travail significatif en amont qui porte ses fruits sur scène: certes la prononciation des chanteurs coréens n’est pas parfaite, mais quelle importance pour un public coréen qui peut suivre les dialogues grâce aux sous-titres qui s’affichent sur un panneau électronique placé en haut de la scène. Le jeu de scène par contre apparaît très naturel, tandis que la complicité entre Français et Coréens paraît flagrante, notamment lorsque  la Première Prieure interprétée par Sylvie Brunet rend son dernier souffle dans les bras d’une Blanche de Force en larmes interprétée par la soprano coréenne Park Hyun-ju.

Ces Dialogues des Carmélites sont le premier projet musical d’envergure mené à bien par l’Institut Français dans le cadre d’un modèle de coopération innovant et pertinent  pour l’Asie. Dans une région du monde où lorsqu’il est question d’échanges, on pense plus volontiers aux risques de transferts technologiques et de concurrence féroce, voilà peut-être un domaine où au contraire, les échanges et le transfert sont pour le bénéfice de tous, notamment pour un pays comme la France qui peut se prévaloir d’un héritage culturel et historique riche: un argument qui parle aux Coréens qui vantent eux-même l’histoire longue de 5000 ans de leur propre pays.

lire le billet

Taekwondo

Le Taekwondo est au gamin coréen ce que le Kendo est au gamin japonais, ou dans une moindre mesure, ce que le Judo est au gamin français: rares sont ceux qui y échappent après l’école. Et pour ceux qui passeraient au travers des mailles du filet, le service militaire prévoit de toute façon le passage obligatoire de la 1ère dan pour tous les appelés.

Le Taekwondo, c’est la fusion moderne d’arts martiaux coréens ancestraux et d’influences extérieures, notamment du karaté, que nombre de Coréens ont pratiqué sous l’occupation japonaise. Créée en 1955 par Choi Hong-hi, un général de l’armée sud-coréenne ayant longuement étudié les arts martiaux coréens traditionnels ainsi que le Karaté, le Taekwondo est une discipline complète si ce n’est qu’elle n’enseigne que le combat et la self défense à pieds et mains nus (“tae” = pied, “kwon” = “main”, “do” = voie).

L’ascension du Taekwondo est à l’image de celle de la Corée: fulgurante. Jusqu’à la fin des années 80, peu de gens connaissaient l’existence même de cet art martial coréen. D’ailleurs, le Taekwondo était alors surtout connu sous son surnom de “Karaté volant” du fait de la mise en valeur par cette discipline des coups de pieds sautés.

Puis, il y a vingt ans, le monde commençait à découvrir cet art martial coréen, notamment grâce à la cérémonie d’ouverture des Jeux Olympiques de Seoul en 1988.

Depuis, le Taekwondo n’a cessé de gagner en notoriété et en nombre de licenciés à travers le monde. Consécration ultime: il est devenu en 2000 le seul représentant des arts martiaux aux côtés du Judo à figurer parmi les compétitions officielles des jeux olympiques. Le tout au nez et à la barbe d’autres prétendants japonais ou chinois plus connus, et qui a priori partaient avec plus d’avantages.

Ca n’est pas par hasard si le Taekwondo se retrouve aujourd’hui sur l’une des plus hautes marches des arts martiaux et autres sports de combats, alors qu’il était pratiquement inconnu il y a 20 ans. Dès la fin des années 60, le gouvernement sud-coréen voit dans cette discipline un moyen d’améliorer l’image du pays à travers le monde, à l’image du Judo pour le Japon ou du Kung-fu pour la Chine. Au départ entre les mains de son créateur le général Choi, la Corée du Sud s’empare rapidement de cet art martial pour en faire un instrument de politique extérieure. Au point que lorsque Choi tente de porter l’influence du Taekwondo de l’autre côté du rideau de fer, il sera marginalisé, provoquant ainsi la création de deux écoles du Taekwondo: celle d’un art martial authentique promu par Choi dans le cadre de sa fédération: l’International Taekwondo Federation (ITF), et celle d’une discipline plus sportive au service d’un agenda plus politique: la promotion de l’image de la Corée du Sud sur la scène internationale.

En 1973 est créée la World Taekwondo Federation (WTF), symbole des ambitions de plus en plus planétaires de cette discipline, et pour qui l’accès aux Jeux Olympique serait une consécration majeure. Face à ses redoutables concurrents, le Taekwondo a deux atouts principaux: il se présente plus uni. Certes il existe deux fédérations concurrentes, mais cet inconvénient reste négligeable face au Karaté par exemple, au sein duquel co-existent de nombreuses écoles qui sont de facto autant de disciplines et fédérations différentes. Surtout, il bénéficie de l’appui inconditionnel du gouvernement sud-coréen. Le président fondateur de la WTF, Kim Un-yong est d’ailleurs un ancien diplomate, membre du cabinet du président Park à la fin des années 60. Au milieu des années 80, il deviendra membre du CIO, puis Vice-Président. Autant dire que le devenir du Taekwondo au sein de la famille olympique était entre de bonnes mains.

Aujourd’hui, le Taekwondo est devenu un sport réellement planétaire. Plus de 170 pays étaient représentés lors des derniers championnats du monde qui se sont achevés la semaine dernière à Gyeongju en Corée du Sud. Et comble pour le pays organisateur habitué à rafler les plus hautes marches du podium: c’est l’Iran qui a terminé en tête du classement des médailles. Un échec qui paradoxalement est révélateur de la réussite des Coréens à imposer le Taekwondo comme discipline universelle.

La France elle, a fait pratiquement aussi bien que la Corée, en remportant deux médailles d’or grâce à Gwladys Epangue (-73kg) et Anne-Caroline Graff (+73kg), chacune battant en finale… une Coréenne.

lire le billet

Le retour des archives royales

Quand il s’agit de la France, deux sujets suscitent l’incompréhension, voire agacent les Coréens: Brigitte Bardot qui peste contre le goût des Coréens pour la viande de chien (j’essaie de leur expliquer alors que Brigitte Bardot, n’est pas représentative des Français, mais la tâche n’est pas si aisée), et l’affaire des archives royales coréennes.

Tout commença en 1866, avec la mort de neuf missionnaires français au Royaume de Joseon, ancêtre des deux Corée. L’amiral Roze entreprit alors une expédition punitive à la tête de 7 bâtiments qui débarquèrent sur l’île de Kanghwa, à l’entrée du fleuve Han qui, une cinquantaine de kilomètre plus à l’est, traverse Seoul. Un mois et quelques affrontements plus tard opposant fusiliers marins français et élites de l’armée de Joseon, Roze décida de se retirer en n’oubliant pas de détruire tout ce qui pouvait l’être, et d’emporter tous les objets de valeur qui pouvaient l’être. Inclus dans le butin: 300 volumes de manuscrits détaillant avec minutie et illustrations à l’appui, les protocoles et rites de cérémonie à la Cour du Roi de Joseon. A leur arrivée en France, ces manuscrits furent confiés à la Bibliothèque nationale de France, et l’on en entendit plus parler.

Jusqu’en 1975, où un historien coréen effectuant des recherches à la BNF tombe sur ces archives royales. Une quinzaine d’années s’écoulent encore avant que le gouvernement coréen demande officiellement en 1991 au gouvernement français la rétrocession de ces manuscrits et que s’ouvre le dossier qui empoisonnera pendant 20 longues années les relations par ailleurs bonnes entre la France et la Corée du Sud.

Tout ou presque fut tenté pour trouver une solution à cet épineux problème: dès 1993, Mitterrand lors d’un voyage officiel à Seoul, signe avec son homologue coréen un accord de principe pour le prêt par la France à la Corée des manuscrits. Pour prouver la bonne volonté de la France à une période où la Corée désireuse de s’équiper d’un train à grande vitesse hésite entre le TGV et ses concurrents allemand et japonais, le Président Français ramène même un volume de ces manuscrits dans ses valises.

Mais au delà de ces manifestations ponctuelles de bonne volonté, il reste deux positions pratiquement irréconciliables: la Corée se sent la légitimité de réclamer le retour d’une partie de son patrimoine historique et culturel injustement confisqué, tandis que la France invoque elle aussi son patrimoine. Car de fait, ces manuscrits coréens conservés à la BNF depuis plus d’un siècle font partie intégrante du patrimoine culturel inaliénable de la France. Et puis le cas coréen pourrait provoquer un précédent et donner suite à des réclamations similaires de nombreux autres prétendants au retour de trésors culturels spoliés.

On tente alors la solution du prêt: la Corée souhaiterait au moins que ce prêt soit permanent, mais cette solution semble inacceptable pour la partie française, qui souhaite de son côté appliquer le principe de réciprocité par un échange de collections de valeur équivalente. Cette solution à son tour rejetée par la partie coréenne, dont l’opinion publique et certaines associations militantes se font de plus en plus virulentes, allant même jusqu’à acheter une pleine page du quotidien le Monde en 2007 pour sensibiliser l’opinion française.

Il faut attendre fin 2010 pour aboutir à un accord: poussés par l’élan que provoque le sommet du G20 à Seoul, dont la France prend la présidence à la suite de la Corée, Paris et Séoul se mettent d’accord pour un retour des manuscrits sous la forme d’un prêt de 5 ans renouvelables. Bien sûr l’accord ne satisfait entièrement ni les uns, ni les autres, et en France 300 conservateurs et personnalités signeront une pétition contre le retour des manuscrits. Mais il met fin à 20 années de casse-tête diplomatique et de disputes sur l’un des rares contentieux historiques entre la France et la Corée.

Et c’est aujourd’hui vers 14h qu’une première partie des manuscrits retrouvaient leur terre d’origine, après 145 années de séjour en France.

lire le billet