Le retour des archives royales

Quand il s’agit de la France, deux sujets suscitent l’incompréhension, voire agacent les Coréens: Brigitte Bardot qui peste contre le goût des Coréens pour la viande de chien (j’essaie de leur expliquer alors que Brigitte Bardot, n’est pas représentative des Français, mais la tâche n’est pas si aisée), et l’affaire des archives royales coréennes.

Tout commença en 1866, avec la mort de neuf missionnaires français au Royaume de Joseon, ancêtre des deux Corée. L’amiral Roze entreprit alors une expédition punitive à la tête de 7 bâtiments qui débarquèrent sur l’île de Kanghwa, à l’entrée du fleuve Han qui, une cinquantaine de kilomètre plus à l’est, traverse Seoul. Un mois et quelques affrontements plus tard opposant fusiliers marins français et élites de l’armée de Joseon, Roze décida de se retirer en n’oubliant pas de détruire tout ce qui pouvait l’être, et d’emporter tous les objets de valeur qui pouvaient l’être. Inclus dans le butin: 300 volumes de manuscrits détaillant avec minutie et illustrations à l’appui, les protocoles et rites de cérémonie à la Cour du Roi de Joseon. A leur arrivée en France, ces manuscrits furent confiés à la Bibliothèque nationale de France, et l’on en entendit plus parler.

Jusqu’en 1975, où un historien coréen effectuant des recherches à la BNF tombe sur ces archives royales. Une quinzaine d’années s’écoulent encore avant que le gouvernement coréen demande officiellement en 1991 au gouvernement français la rétrocession de ces manuscrits et que s’ouvre le dossier qui empoisonnera pendant 20 longues années les relations par ailleurs bonnes entre la France et la Corée du Sud.

Tout ou presque fut tenté pour trouver une solution à cet épineux problème: dès 1993, Mitterrand lors d’un voyage officiel à Seoul, signe avec son homologue coréen un accord de principe pour le prêt par la France à la Corée des manuscrits. Pour prouver la bonne volonté de la France à une période où la Corée désireuse de s’équiper d’un train à grande vitesse hésite entre le TGV et ses concurrents allemand et japonais, le Président Français ramène même un volume de ces manuscrits dans ses valises.

Mais au delà de ces manifestations ponctuelles de bonne volonté, il reste deux positions pratiquement irréconciliables: la Corée se sent la légitimité de réclamer le retour d’une partie de son patrimoine historique et culturel injustement confisqué, tandis que la France invoque elle aussi son patrimoine. Car de fait, ces manuscrits coréens conservés à la BNF depuis plus d’un siècle font partie intégrante du patrimoine culturel inaliénable de la France. Et puis le cas coréen pourrait provoquer un précédent et donner suite à des réclamations similaires de nombreux autres prétendants au retour de trésors culturels spoliés.

On tente alors la solution du prêt: la Corée souhaiterait au moins que ce prêt soit permanent, mais cette solution semble inacceptable pour la partie française, qui souhaite de son côté appliquer le principe de réciprocité par un échange de collections de valeur équivalente. Cette solution à son tour rejetée par la partie coréenne, dont l’opinion publique et certaines associations militantes se font de plus en plus virulentes, allant même jusqu’à acheter une pleine page du quotidien le Monde en 2007 pour sensibiliser l’opinion française.

Il faut attendre fin 2010 pour aboutir à un accord: poussés par l’élan que provoque le sommet du G20 à Seoul, dont la France prend la présidence à la suite de la Corée, Paris et Séoul se mettent d’accord pour un retour des manuscrits sous la forme d’un prêt de 5 ans renouvelables. Bien sûr l’accord ne satisfait entièrement ni les uns, ni les autres, et en France 300 conservateurs et personnalités signeront une pétition contre le retour des manuscrits. Mais il met fin à 20 années de casse-tête diplomatique et de disputes sur l’un des rares contentieux historiques entre la France et la Corée.

Et c’est aujourd’hui vers 14h qu’une première partie des manuscrits retrouvaient leur terre d’origine, après 145 années de séjour en France.

2 commentaires pour “Le retour des archives royales”

  1. […] Un trés bon article sur le sujet ici. […]

  2. Très bon article sur le sujet.

    http://www.archivesenlignes.com

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