Yeolshimhee (열심히)

On dit souvent que l’expression qui caractérise le plus la Corée est “Palli palli (빨리 빨리)” qui signifie “vite, vite”. Et il est vrai que les Coréens ont souvent cette expression à la bouche tant leur société avance à 100km/h et leur tempérament est impatient. Mais s’il ne fallait choisir qu’un mot pour caractériser la Corée, un choix encore plus pertinent serait “Yeolshimhee (열심히)”, qui signifie avec ardeur, d’arrache-pied. Ce terme est peut-être plus difficile à distinguer pour un non coréanophone que le simple “palli palli”, mais en tendant l’oreille, on découvre que “yeolshimhee” se retrouve constamment dans la conversation des Coréens, le plus souvent associé à “Il (일)” qui signifie le travail, et “Noryeok (노력)” qui signifie l’effort.

“Yeolshimhee” est plus qu’une expression couramment usitée. C’est une valeur centrale, peut-être même celle qui se place au-dessus de toutes les autres dans l’échelle des valeurs des Coréens. Parce que s’il fallait résumer les raisons de la réussite de la Corée en un seul mot, “Yeolshimhee” serait celui-ci. Si pour les étrangers la transformation en 40 ans d’un pays exsangue en 13ème puissance économique mondiale est un miracle économique, pour les Coréens ce développement prodigieux n’a rien de miraculeux. Il est dû à deux générations sacrifiées au travail, au travail et encore au travail. Et les Coréens aiment à se rappeler cette sortie de la misère à la sueur de leur front: “notre pays était détruit, nous n’avions aucune ressource, nous ne mangions pas à notre faim, mais nous avons retroussé nos manches et travaillé dur, d’arrache-pied, sans craindre l’effort”. C’est un peu de cet héritage fier que porte le terme “yeolshimhee”, à chaque fois qu’il est employé par les Coréens.

Si bien qu’ici, être dur à la tâche, ne pas ménager son effort, bref travailler “yeolshimhee” est un culte. La connotation péjorative contenue dans un qualificatif comme “besogneux” n’a pas d’équivalent en Coréen, car travailler encore et toujours, jusqu’à l’acharnement est la condition personnelle du succès comme il l’a été pour le pays. Et même dans les disciplines où le talent, l’inspiration ou l’excellence devraient primer, c’est d’abord l’effort qui est mis en avant: le footballeur de Manchester United Park Ji-sung? On l’aime parce qu’il a trimé dur pour en arriver là et qu’il ne se ménage pas sur le terrain. L’acteur à succès Lee Byoung-hun? Bien sûr qu’il est beau gosse et qu’il joue bien. Mais on le préfère à d’autres parce qu’il travaille dur et que malgré son succès, il arrivera avant tout le monde sur le lieu du tournage pour se préparer. D’ailleurs ces personnalités publiques l’ont bien compris qui concluent systématiquement leurs prises de parole publique par “je travaillerai encore plus “yeolshimhee” à l’avenir.”

lire le billet

Travailler moins pour embaucher plus?

Baisser la durée légale du travail pour créer plus d’emplois: en France, un tel programme ferait l’objet des attaques les plus virulentes d’une droite vaccinée par le passage aux 35heures. En Corée, c’est l’hypothèse très sérieuse émise par un gouvernement de droite. Il faut dire que des pays de l’OCDE, la Corée est le pays où la durée du travail est la plus longue; 2193 heures de travail annuel en Corée, contre 1554 heures en France.

Pourtant la durée hebdomadaire légale de travail n’a rien de choquant: elle est de 40heures, ce qui revient grosso-modo aux mêmes journées de travail qu’un salarié français modulo RTT. Mais il faut y ajouter 12 heures d’heures supplémentaires hebdomadaires légales et surtout, les weekends travaillés qui ne sont pas comptabilisés dans les heures travaillées. Or une proportion significative d’entreprises, notamment les PME, pratiquent encore les 6 jours de travail hebdomadaire, du lundi au samedi inclus. Ajoutez à cela les temps de transport dépassant en moyenne 2 heures par jour, surtout dans l’agglomération de Séoul où se concentre l’activité économique, et l’on comprend mieux pourquoi la journée typique d’un salarié coréen commence vers 6h du matin pour se terminer vers 22heures le soir, samedis inclus.

Dans ce contexte, la proposition de mesure du gouvernement n’a rien de révolutionnaire: il souhaite simplement assimiler les weekends travaillés à des heures supplémentaires pour les comptabiliser dans les 12 heures hebdomadaires légales. Une telle mesure serait bien évidemment catastrophique pour le patronat local pour qui une “telle réduction drastique du temps de travail au mépris de la réalité économique aura des conséquences graves sur les secteurs d’activité du pays”.

Mais le gouvernement soucieux de soigner son image à l’approche d’élections nationales semble vouloir mettre en oeuvre cette mesure. Les bénéfices espérés sont non seulement la création d’emplois et l’augmentation de la qualité de vie, mais également l’amélioration de la productivité très basse ici. Il suffit d’avoir fait une expérience en entreprise pour s’apercevoir qu’entre les moments où il dort en position assise devant son écran sans attirer l’attention de son supérieur et les moments où il tue le temps en attendant que son supérieur rentre chez lui en fin de journée, le temps de travail effectif d’un salarié coréen ne doit finalement pas être loin des 35heures hebdomadaires…

 

lire le billet

Nouvel an lunaire

Le nouvel an lunaire en Corée, c’est un peu comme Noël en France: une fête avant tout familiale. C’est également l’une des rares périodes de l’année où les Coréens s’accordent plusieurs jours de congés d’affilée; 4 jours cette année, durant lesquelles toutefois, l’on ne chôme pas.

Il faut d’abord rejoindre sa région natale et ceci n’est pas une mince affaire alors que c’est le pays tout entier qui se déverse le même jour sur les réseaux ferrés et les autoroutes et ce, dès 5heures du matin. Quelques heures de sommeil en moins: c’est le premier prix à payer pour les Coréens qui en manquent déjà cruellement, afin de passer quelques instants précieux en famille.

Lorsqu’on parle de famille, il s’agit bien évidemment de celle du père de famille dans un pays à forte tradition patriarcale. Ici la femme coupe officiellement les ponts avec sa famille biologique dès lors qu’elle se marie, pour intégrer celle de son époux. Et dans un pays où les titres honorifiques comptent, il n’est pas étonnant qu’une épouse se doive d’appeler ses beaux-parents “mère” et “père”. Si son mari se trouve être le fils aîné de sa famille, c’est à elle que revient la lourde tâche d’accueillir toute la belle famille et d’organiser les préparatifs pour honorer les ancêtres de sa belle famille lors du nouvel an lunaire.

La tâche n’est pas mince. Les préparatifs consistent en la confection d’un festin en l’honneur des ancêtres: un banquet traditionnel respectant des règles strictes dans la composition des plats et leur disposition sur le banquet. Et si c’est aux hommes de la famille que revient la tâche de bien disposer les plats sur le banquet, selon des règles encore obscures pour l’auteur de ces lignes, c’est bien évidemment aux femmes que revient la tâche de cuisiner tous les plats; activité qui monopolise généralement toute la semaine précédent la cérémonie.  On comprend mieux pourquoi pourquoi un nombre croissant de femmes coréennes refusent le mariage ici.

La cérémonie elle-même suit un protocole strict: tôt le matin du nouvel an, on ouvre la porte d’entrée du foyer pour que les esprits des ancêtres puissent s’inviter au banquet disposé dans la chambre principale. L’ainé de la famille entouré de ses frères, des enfants, mais traditionnellement pas des femmes, se prosternent à plusieurs reprises devant le banquet. Entre chaque prosternation, les hommes se relaieront pour vider puis re-remplir les verres d’alcool de riz coréen, et pour changer l’emplacement des couverts, afin que les ancêtres puissent goûter à tout.

Ce rituel où se mélangent chamanisme et confucianisme peut être assimilé à l’adoration d’idoles pour les religions monothéistes, et notamment pour un nombre croissant de Coréens chrétiens qui refusent de se livrer à cette cérémonie traditionnelle. Si bien que l’appartenance religieuse, notamment celle de la femme qui serait amenée à suer aux fourneaux, est un critère crucial au moment du mariage.

Bonne année du dragon.

lire le billet

Crise? Quelle crise?

Chez Samsung on ne connait pas la crise, ou plutôt on profite de la crise pour écraser la concurrence dans les nombreux secteurs d’activité où ce conglomérat tentaculaire est présent.

Le groupe a ainsi annoncé un plan d’investissement record de près de 33 milliards d’Euro pour l’année 2012, ce qui représente une hausse de 12% par rapport à  l’année précédente. De ce montant record, 20 milliards environ seront consacrés à la construction d’équipements et installations, 8 milliards à la recherche et développement, le solde, 5 milliards d’Euro tout de même, étant dévoué à des investissements en capital. Pas étonnant dans ce contexte que la filiale du groupe Samsung Electronics soit associée à pratiquement toutes les rumeurs de rachats  dans le secteur électronique, qu’il s’agisse d’Olympus, ou de RIM le fabricant des smartphones Blackberry.

Aussi impressionnant que son plan d’investissement, voire plus vu de contrées à fort taux de chômage: le plan d’embauche du groupe pour cette année qui prévoit une augmentation de plus de 10% de ses effectifs grâce au recrutement de quelques 26 000 nouveaux salariés, dont 9000 jeunes diplômés et 9000 niveau bac.

La raison de tout ce branle-bas de combat ? Détecter et investir maintenant dans les leviers de croissances de demain, tout en contribuant au soutien de l’économie coréenne en ces temps de crise. Un discours qui me rappelle une discussion avec un Vice-Président d’une branche de Samsung qui me racontait qu’il avait sous ses ordres 2000 collaborateurs, deux fois plus en comptant ceux de ses sous-traitants, et qu’en rajoutant l’ensemble de leurs familles, c’était 200 000 personnes qu’il faisait vivre. “Un mauvais choix de ma part, et c’est 200 000 personnes qui peuvent se retrouver au chômage, c’est pourquoi je ne m’accorde que deux demi-journées de repos par mois.”

Ce monsieur a dû oublier que personne n’est irremplaçable, surtout dans un grand groupe comme Samsung. Je ne suis pas certain non plus que les millions que ce VP gagne ne soient en rien dans sa motivation au travail. Surtout, son argumentaire, comme celui du groupe pour annoncer son plan d’investissement massif, sont des exemples typiques de la communication corporate de Samsung: ce qui est bon pour Samsung est bon pour la Corée tout entière. Un message qui se veut socialement responsable, qui s’appuie sur une réalité économique, le Groupe Samsung représente 20% du PIB de la Corée, mais qui peut également représenter une forme de dissuasion contre toute critique du groupe. Car les motifs pour se plaindre de ce groupe existent largement. Samsung est ainsi l’une des six entreprises nominées pour être la pire de l’année en matière de responsabilité sociale par l’ONG Public Eye, au motif que le groupe aurait utilisé des produits toxiques sans en informer ses salariés, entraînant cancers et décès de plusieurs d’entre eux.

lire le billet

Design et beauté

Crédit photo cc: Nuyos

Le design est l’objet de toutes les attentions en Corée. Comme souvent, cette attention résulte d’un diagnostic économique: coincée entre la Chine plus compétitive en matière de prix et le Japon supérieur en matière de technologie, le salut de la Corée passe par la création d’un avantage concurrentiel distinctif qui rendrait les produits “made in Korea” attractifs aux consommateurs du monde entier. La différenciation par le design est l’une des réponses du gouvernement. Mais la force de la Corée ne réside pas tant dans la définition de cette priorité que dans sa capacité à la mettre en application. Et comme à la fin des années 90 où tous les acteurs politiques économiques et sociaux du pays s’étaient mis en ordre de bataille pour faire du pays l’un des leaders en matière de technologie numérique, ce sont ces mêmes acteurs qui 10 ans plus tard oeuvrent de concert pour faire de la Corée un leader en matière de design.

La ville de Seoul a ainsi été élue World design capital en 2010, et a détruit son vieux stade de baseball de Dongdaemun pour mettre en chantier la construction du plus grand “Design hub” au monde, le Seoul design plaza, qui ouvrira ses portes en avril 2013. Les Chaebols investissent également massivement dans cette discipline: au sein de la Samsung Art and Design Institute des professeurs mondialement reconnus dans leurs domaines prodiguent leur savoir aux meilleurs étudiants du pays et de l’étranger. Dans le secteur académique, la Hongik University a déjà établi une réputation d’excellence en matière de design, et quelques-uns de ses étudiants remportaient la Ferrari World Design Contest en 2011.

Le résultat de ces efforts commence à se faire sentir. Les portables Samsung ou LG sont appréciés pour leur design, même si on peut parfois leur reprocher une similitude avec certains produits concurrents de Californie. Dans le secteur automobile, les derniers modèles de Hyundai ou Kia commencent à acquérir une identité propre.

KIA K5, lauréate de la Reddot design "Best of the Best" award 2011 (flickr cc: rentacon)

Et pourtant le chemin à parcourir avant de prétendre à un leadership en matière de design est encore loin, selon la patronne d’une agence de design avec qui je m’entretenais récemment. Pour elle aucune comparaison possible encore entre ce qui se fait en Corée et en pays d’Europe par exemple. “Il s’agit du contexte local”, m’explique-t-elle: “prenez un jeune designer à Seoul et demandez lui de dessiner un objet fait de belles courbes, il en sera incapable parce qu’il aura grandi dans un environnement laid et rectiligne, rempli de barres de béton et de gratte-ciel en acier, entouré d’objets dont la fonction première est la création de richesse économique au mépris de la beauté. Comment peut-il rivaliser avec quelqu’un qui aurait vécu dans une ville où tout est beauté? Prenez Paris: le moindre lampadaire est une oeuvre d’art, la ville elle-même regorge de sources d’inspiration pour qui voudrait tracer une belle courbe.”

Elle a sûrement dû forcer le trait, sachant mes origines parisiennes, mais en fin de journée sur le chemin du retour je scrutais cette ville, Séoul, à la recherche de beauté esthétique, en vain.

lire le billet

Démographie

Vu d’Europe, la Corée du Sud est un petit bout de terre coincé entre des puissances démographiques telles que La Chine, le Japon ou la Russie. Du coup, on a tendance à oublier que le pays compte 48,5 millions d’habitants, ce qui en ferait le 5ème pays le plus peuplé de l’Union Européenne devant l’Espagne.

La moitié de cette population est amassée à Seoul et sa banlieue, ce qui fait de cette région la zone métropolitaine la plus densément peuplée de l’OCDE. Seoul intra-muros compte 17 211 habitants au km2, soit une densité deux fois supérieure à New York. C’est surtout le matin dans le métro que l’on s’en rend compte:

lire le billet

Le service à la coréenne

En une photo se trouve résumée la différence entre les approches coréenne et française du service. Car qui a assisté au spectacle offert par le poseur d’affiches dans le métro parisien peut constater une différence flagrante entre sa manière de travailler et celle de ses homologues du métro de Séoul: là où une seule personne est généralement préposée à la tâche à Paris, ils sont 7 à Séoul.

Comment deux prestataires d’un même service, habités par le même souci de rationalité économique peuvent-ils en arriver à un tel écart de ressources humaines ? L’écart dans la flexibilité du marché du travail et le coût de la main d’oeuvre procurent une grande partie de l’explication. Si la Corée ne compte que 3,7% de chômeurs alors que la France en compte 10%, c’est certes grâce à la croissance économique soutenue que connait la Corée, mais c’est également parce que l’activité économique du pays regorge de petits boulots précaires dédiées à des fonctions mineures qui ne pourraient exister avec le coût du travail en France.

Mais pas seulement à cause du coût du travail. De nombreux petits boulots seraient simplement perçus comme superflus, voire agaçants en France. Il faut par exemple voir le ballet auquel se livre le personnel d’un grand magasin pour vous accueillir lorsque vous y arrivez en voiture: aux abords de l’entrée au magasin, deux ou trois personnes en uniforme feront office d’agents de circulation afin de faciliter les entrées et sorties de véhicules. Puis une personne vous guidera vers l’entrée du parking souterrain jusqu’à la barrière mécanique où une hôtesse sera en poste pour vous saluer et appuyer à votre place sur le bouton d’impression de votre ticket de parking. Enfin des dizaines de personnes seront à disposition des conducteurs à chaque niveau afin de les guider vers des emplacements disponibles.

Et les exemples similaires sont nombreux: à la station essence, deux personnes en moyenne vous prennent en charge, l’un s’occupant de vous faire le plein et l’autre s’occupant de vous encaisser puis de vous donner des bouteilles d’eau ou paquets de mouchoir gratuits sans que vous ayez à descendre de votre voiture. C’est comme ça que le consommateur coréen trop gâté par rapport à son homologue français conçoit un service-clients digne de ce nom: une armée de petites mains, en uniforme si possible, s’affairant pour vous débarrasser de tous petits tracas susceptibles de parasiter votre acte de consommation.

 

lire le billet

Kim Jong-il ce héros?

Alors que le gouvernement sud-coréen tente de trouver le bon ton face à la mort de Kim Jong-il – il a finalement présenté ses condoléances au peuple nord-coréen, puis envoyé une délégation privée aux obsèques du tyran – on sent l’opinion publique également quelque peu hésitante face au bilan du défunt.

Pour la frange ultra conservatrice de la population et ce qui reste des générations ayant connu la guerre de Corée, Kim restera toujours l’ennemi juré, l’héritier de celui par qui la guerre de Corée et ses 3 millions de morts et ses milliers de familles séparées est arrivée. Mais pour d’autres, en particulier la jeune génération qui n’a rien connu des drames de la guerre et de la misère, le regard est quelque peu différent. Bien sûr, personne ne nie que Kim Jong-il ait été l’un des despotes les plus sanguinaires et la plus grande menace pour la stabilité et la prospérité du Sud. Mais les Coréens du Sud vivent avec cette menace depuis toujours, si bien qu’elle n’est plus ressentie concrètement dans leurs quotidiens.

Quelque part, le personnage de Kim Jong-il fascine même: non pas qu’il attire de la sympathie, mais les jeunes Sud-coréens lui reconnaissent au moins le mérite d’avoir su tenir tête à la Chine, au Japon, à la Russie et surtout aux Etats-Unis, les quatre puissances dont les rivalités historiques ont toujours fait de la Corée une victime. Ce sentiment n’est pas exclusif aux jeunes d’ailleurs, mon voisin de table chirurgien esthétique, la cinquantaine et amateur de bon vin me faisait remarquer avec une pointe d’admiration que la Corée du Nord avait réussi à cacher au monde entier la mort de Kim pendant deux journée entière, alors que partout ailleurs, les “US sont capables de surveiller les mouvements de la moindre fourmi”.

 

lire le billet

Le camarade Kim est mort, vive le camarade Kim!

La nouvelle s’est répandue comme une trainée de poudre à Séoul où les gens vivent avec un smartphone greffé à la main. Kim Jong-Il est donc mort, lui qui était considéré comme l’ennemi juré par le gouvernement de Seoul; lui qui tyrannisait la moitié de cette péninsule, et qui il y a un an encore, bombardait une île sud-coréenne faisant des victimes civiles.

Et pourtant personne ou presque ne se réjouit ici de la disparition de ce tyran. La nouvelle a été plutôt reçue avec stupeur et inquiétude par une population pourtant habituée aux coups d’éclats de son voisin du Nord. C’est que généralement, ces coups d’éclats sont prémédités par le Nord, alors que cette fois-ci, l’événement touche avant tout à la stabilité du régime de Pyongyang. Or c’est ce que redoutent le plus les Sud-coréens: une remise en cause de la stabilité précaire qui règne tant bien que mal sur la péninsule depuis plus d’un demi siècle, et qui a permis au Sud de se concentrer sur son obsession: sortir de la pauvreté. Cette année encore le pays devrait connaître une croissance économique supérieure à 4%, renforçant un peu plus cette société de l’affluence chèrement acquise à la sueur de générations entières de travailleurs acharnés.

Si bien que lorsqu’on interroge les Sud-coréens, nombreux sont ceux qui en arrivent à espérer que la transition du pouvoir dynastique réussisse. “Kim Jong-un, est si jeune et il n’a eu qu’un an de préparation au pouvoir, alors que son père y avait été préparé pendant 20 ans…” entend-on dire ici et là sur le ton de l’inquiétude. De la bouche de la ménagère de 50ans, le ton est presque maternel, avec un sous-entendu que personne n’ose vraiment expliciter: “Espérons qu’il sera à la hauteur et que le régime tiendra!”

Pour le moment donc, point de réjouissance face à l’hypothétique chute du frère ennemi, voire à une réunification. Le pragmatisme l’emporte et l’on craint la chute du régime. On craint également un dérapage irréversible d’un côté comme de l’autre car à ce niveau de tension, un coup de feu est si vite parti. Pour le Coréen du Sud, la menace du Nord n’est pas liée qu’à l’évolution réelle ou supposée d’un programme nucléaire. Séoul et sa conurbation, qui concentrent la moitié de la population de la Corée du Sud, ne sont situées qu’à 70 kilomètres de la frontière, où s’amasse la quasi-totalité de la puissance de feu de la Corée du Nord: un simple tir d’artillerie lourde et c’est l’assurance de dégâts considérables pour Séoul.

Inquiétude donc et impuissance également, tant les Sud-coréens sont persuadés que face à ce frère ennemi, ni leur puissance économique, ni leur diplomatie, encore moins leurs capacités militaires n’a de pouvoir. On s’interroge d’ailleurs sur les compétences de la NIS, les services secrets locaux, apparemment pris de court et découvrant la nouvelle avec le grand public lors de l’annonce officielle du Nord: le 17 décembre, jour du décès de Kim, le Président Sud-coréen Lee Myung-bak était en visite officielle au Japon, puis est rentré tranquillement en Corée le 18 pour ne rien changer à son emploi du temps officiel. Aujourd’hui, il aurait été sur le point de fêter son anniversaire en petit comité quand il aurait appris la nouvelle. Lorsque je demande à mon collègue si vraiment la NIS pouvait ne pas être au courant, celui-ci me répondit: “Bien sûr, ce sont tous des incapables au pouvoir, les seuls en Corée du Sud susceptibles d’avoir été au courant c’est l’état major de Samsung…”

Comme toujours, les Coréens du Sud sentent que les clés du problème nord-coréens sont détenus par leurs puissants voisins: les Etats-Unis bien sûr, dont la présence militaire sur le sol sud-coréen sont une dissuasion de taille contre toute initiatives du Nord, mais de plus en plus les regards se tournent vers la Chine, le grand-frère historique et protecteur qui peu à peu retrouve ce rôle dans la région. Au 7ème siècle, le Royaume de Shilla s’allia avec la Chine pour envahir les deux royaumes de Goguryeo et Baekche et unifier la péninsule coréenne. La blague du moment raconte que Kim Jong-nam, le fils aîné de feu-Kim Jong-il exilé à Macao et sous protection chinoise (Kim Jong-un voyant en lui un concurrent lui chercherait des crosses), pourrait prendre le pouvoir à Pyongyang avec l’aide des Chinois pour réunifier la Corée, comme au bon vieux temps.

lire le billet

Femmes de réconfort

Cet euphémisme pudique cache un épisode sombres de la Seconde Guerre Mondiale : l’exploitation par l’armée impériale japonaise d’environ 200 000 femmes, en majorité chinoises et coréennes, comme esclaves sexuelles dans des bordels militaires répartis dans les zones occupées.

En Corée, ce drame fut longtemps passé sous silence, d’autant qu’en 1965 fut signé un accord bilatéral avec le Japon soldant tous dédommagements auxquels la Corée prétendait pour les quelques 40 ans d’occupation. Puis au début des années 90, avec la démocratisation du pays et une certaines libération des moeurs, ces “femmes de réconfort” commencent à se manifester au grand jour et demander des comptes à leurs anciens tortionnaires.

Car le gouvernement Japonais a depuis le début une attitude ambigue face à cet épisode, tantôt minimisant l’échelle de cette traite d’esclaves du sexe, tantôt la mettant sur le compte d’initiatives locales. En 1995, le gouvernement japonais présente publiquement ses excuses, mais dans des termes savamment choisis qui n’engagent pas la responsabilité de l’Etat japonais. Il propose également une offre d’indemnisation d’un milliard de dollars constitués de dons privés. Cette offre sera refusée par les femmes de réconfort qui cherchent avant tout la reconnaissance par le gouvernement japonais de ses crimes et le jugement de leurs auteurs.

Récemment, le combat pour la reconnaissance des femmes de réconfort semble même reculer au Japon. En 2007, le gouvernement conservateur d’Abe ira même jusqu’à nier l’enrôlement de force des femmes de réconfort. Dans la foulée, un autre ultra-conservateur du PLD osera prétendre publiquement que ces femmes de réconfort devraient être fier de leur rôle dans la guerre, pour avoir atténué la brutalité du quotidien des soldats de l’Empereur sur les champs de bataille. Ce courant révisionniste réussira à ôter les passages concernant ces crimes de certains manuels scolaires japonais.

Le chemin vers la reconnaissance par le Japon de sa responsabilité dans ces crimes est donc encore long pour les femmes de réconfort. Depuis 1992, elles se rassemblent une fois par semaine devant l’ambassade du Japon à Seoul pour protester. Cette semaine marquait leur 1000ème rassemblement, à l’occasion duquel une statue de la paix a été inaugurée représentant une jeune coréenne vêtue d’un hanbok traditionnel fixant avec dignité et détermination la représentation japonaise à deux pas de là. Car pour les femmes de réconfort, seule la reconnaissance par le Japon de ses crimes peut conduire au pardon, puis à la paix. Et le Japon a beau qualifier cet acte d'”extrêmement regrettable”, quelques jours avant la rencontre au sommet entre les dirigeants des deux pays, ces protestations n’entameront pas la détermination des femmes de réconfort pour obtenir justice. Du moins pour celle d’entre elles qui seront toujours vivantes car elles étaient près de 250 au début de leur combat, mais vingt ans ont passé et elles ne sont plus que 63.

 

lire le billet