Femmes de Cannes

Jour 11# “La Source des femmes” de Radu Mihaileanu (Compétition), “Les Bien-aimés” de Christophe Honoré (Hors compétition, clôture)

Le Festival s’est ouvert avec des enfants, il se termine avec des femmes. Outre Elena, du russe Zviagintsev, en clôture de Un certain regard, construit autour d’un personnage féminin dont la placide opacité mènera au crime selon un schéma dostoïevskien terriblement dépourvu de souffle, le dernier titre en compétition, La Source des femmes, et le film de clôture, Les Bien-aimés, sont tous deux centrés sur des personnages féminins. Là s’arrête le rapprochement.

Réclamant le statut de conte dans un carton en ouverture d’une incroyable désinvolture (« il était une fois dans un pays du Maghreb ou de la péninsule arabique », autant écrire « quelque part chez les arabes, ce grand tas indifférencié de sous-développés »), La Source des femmes de Radu Mihaileanu réussit à accumuler tous les poncifs du politiquement correct et tous les clichés touristico-paternalistes dans une atterrante succession de plans plus académiques les uns que les autres. Véritable triangle des Bermudes où le cinéma disparaît sans retour, cette combinaison de la médiocrité de réalisation, de la bien-pensance sans risque et des visions folkloriques de « populations musulmanes » bariolées et arriérées malgré quelques traces de la 3e République par lesquelles viendra le salut civilisateur aura fourni le seul titre indigne d’une compétition par ailleurs très relevée même si, comme il est souhaitable, nul ne saurait aimer tous les films qui y figurent. Quand aux femmes du titre, elles n’existent pas, pas plus que n’existent les actrices supposées leur donner une présence : pseudo-pamphlet féministe dont le seul effet est de nier les femmes réelles (les comédiennes aussi bien que les hypothétique paysannes arabes), La Source des femmes est de fait aussi une réalisation involontairement mais terriblement misogyne.

On se serait même épargné de mentionner le film, s’il n’offrait un intéressant contrepoint aux Bien-aimés de Christophe Honoré. Car ce sont bien ici deux régimes du faux qui s’opposent. La fausseté de Mihaileanu est ignorance et complaisance. Celle de Honoré est stylisation, recherche d’une vérité d’une autre nature à travers des codes revendiqués et assumés, mis en œuvre ici avec une rare élégance.

Le film n’emporte pas d’emblée l’adhésion, malgré son début enjoué aux côtés d’une vendeuse voleuse de chaussures de luxe, pute réaliste amoureuse d’un toubib tchèque de passage au rythme des twists du milieu des années 60. La géométrie sentimentale des cette histoire d’amour sans scrupule déstabilise d’abord. De l’invasion de Prague par les chars russes à un coup de foudre londonien pour un batteur vétérinaire américain et homo, il faudra du temps et un sacré tonneau de rebondissements pour entrer dans l’univers construit par Christophe Honoré. Deux personnages féminins mais trois actrices sont au cœur de cette tortueuse, rieuse et finalement bouleversante affaire. Madeleine, jeune femme jouée par Ludivine Sagnier puis par Catherine Deneuve, est la mère de Véra, jouée comme de juste par sa fille, Chiara Mastroianni.

Il faudra du temps, jusqu’au 11 septembre et au-delà,  pour que de chansons en trahisons amoureuses, de moments de tendresse à haute intensité en joyeux chassés-croisés entre Paris, Prague, Londres, Reims et Montréal, s’établissent contre conventions ou simplement habitudes la liberté des sentiments, l’affirmation vive qu’il est possible de vivre autrement les relations de désir, d’affection, de connivence et qu’il est possible de les raconter autrement. Puisque le film d’Honoré, qui est peut-être l’accomplissement de ce à quoi il vise depuis son premier film (17 fois Cécile Cassard, à redécouvrir), est déclaration d’indépendance de sa mise en scène tout autant que de la vie sentimentale de ses protagonistes. Et qu’il serait d’ailleurs possible de pousser le parallèle entre la liberté conquise du filmage à l’intérieur des codes d’une tragicomédie musicale, et la liberté conquise de Madeleine à l’intérieur des rituels antinomiques associés à ses deux maris (Michel Delpech et Milos Forman, aussi épatants l’un que l’autre), et celle de Véra au nom d’un choix que rien ni personne n’arrêtera. Ni celui qui l’aime (Louis Garrel, au mieux de lui-même), ni celui qu’elle aime (Paul Schneider).

Les – excellentes – chansons d’Alex Beaupain, la circulation très inspirée entre les époques et les âges des personnages, les assemblages renouvelés de décors très fabriqués et d’inscription dans des lieux réels participent de cette construction vivante. Ils témoignent combien l’artifice peut être une puissance du vrai, lorsque c’est un artiste que le met en œuvre. Et combien ces pures figures de fiction que sont Madeleine et Véra donnent de présence, de richesse, de séduction à trois femmes on ne peut plus réelles, mesdames Sagnier, Deneuve et Mastroianni, qui en retour font rayonner d’une si complexe et émouvante justesse leurs personnages. Heureux mystère de l’incarnation cinématographique.   

2 commentaires pour “Femmes de Cannes”

  1. Bonjour

    Je n’ai pas encore vu ” la source des femmes ” mais je trouve la critique ci-dessus ( dont je ne vois pas l’auteur ) d’une violence
    et d’une méchanceté suspectes . pour ma part ,j’ai vu le concert et d’autres films de R.M. Je les ai trouvé bons et (ou) émouvants.
    J’attends donc de me faire moi -même une opinion.
    Je ne serais pas étonné que l’auteur de cette charge confonde le bien pensant et la générosité.

  2. Je suis complètement d’accord avec le journaliste concernant “la source des femmes”, c’est une aberration d’autant plus que le film use de ces femmes entre parenthèses berbère et non pas arabe pour en faire un film qui ne respecte pas les codes de ces peuples. Il est un prétexte pour construire un “conte”(oui il a le conte dans la tradition orale chez les berbères…incroyable) remplie d’idées préconçues qui ne leur rend aucunement service. C’est un film sur “les femmes berbères” qui sont pour moi incroyable mais qui ne parlent pas d’elles, à moins que la langue parlé durant le film le soit et ce n’est malheureusement pas le cas. Et c’est tellement dommage d’avoir raté ça.

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Les auteurs

Jean-Michel Frodon est critique de cinéma. Ancien responsable de la séquence cinéma du Monde, il a aussi dirigé les Cahiers du Cinéma. Il tient le blog «Projection Publique».

Titiou Lecoq est auteur, journaliste, blogueuse, et parisienne.

Henry Michel est auteur, blogueur, et Cannois.

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