Dernière adoubée dans le cercle très fermé de la haute couture, Yiqing Yin a célébré son intronisation par une magnifique collection. Sur le thème Blooming Ashes, un peu mélancolique, l’ornement jaillit, flamboyant, resplendissant. La parure a droit de cité. Le travail sur les plissés, les drapés est magistral.
La créatrice n’hésite pas à citer Deleuze et son ouvrage sur le baroque : « Le problème n’est pas comment faire un pli mais comment le continuer, lui faire traverser le plafond, le porter à l’infini ». Référence au Bernin, le vêtement sert de modèle à la sculpture pour lui donner sa complexité. « Si le baroque se définit par le pli qui va à l’infini, à quoi se reconnaît-il au plus simple ? Il se reconnaît d’abord au modèle textile tel que le suggère la matière vêtue : il faut déjà que le tissu, le vêtement, libère ses propres plis de leur habituelle subordination au corps fini ». Les robes chez Yiqing Yin donnent à ses mannequins une allure sculpturale dans leur somptuosité, mais ils demeurent aussi simplement des vêtements.
Une touche d’asymétrie vient redessiner de nouvelles amazones qui pourraient aussi jouer les Galatée. Maille arachnéenne, entrelacs, robes tressées.
Gamme de couleurs sourdes : bordeaux, ocre, vert. Un poil de fourrure.
Une touche d’ultra contemporanéité avec une robe semée de LED et de cordes de piano (avec le sculpteur Bastien Carré).
Une collection puissante et exquise, fragile et guerrière. Coup de coeur absolu.
Photos Shoji Fujii
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Jet lag annonce l’invitation au défilé des On aura tout vu. Décor de panneaux d’affichage, salle en partance pour une collection printemps été prête à prendre son envol. Un état de flottement, comme en décalage horaire, se pose entre réalité et imaginaire. Conception immaculée de passages blancs tout en volume, légèreté de la plume en duvet vaporeux sur les mini-jupes ou les grands jupons.
Sur les épaules aux volumes exacerbés de micro pistes de décollage pour drones en accessoires, flottant dans le ciel du défilé.
La collection passe au noir, effets gothiques, corbeaux pailletés, jeux de transparences sensuelles.
Body chair redessiné de broderies ou de dentelles.
Un zeste de fantaisie avec une apparition d’or vêtue, golden girl de plumes et cape.
Quelques tenues spectaculaires mènent la revue tandis qu’une traîne noire ondule sur le podium.
Costumes structurés, allure robotique de quelques modèles entre poésie et futurisme, mêlant broderies et rhodoïd. Au final une mariée prête pour l’envol (dans la vraie vie ?) accompagnée de drones (forme avions) qui soulèvent ses voiles.
Un très beau travail du duo formé par Livia Stoaianova et Yassen Samouilov. Une vraie collection couture.
Photos Backstage Emmanuel Sarnin
Drones-Center.
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Forêt mystérieuse peuplée de ronces, le décor du défilé de Dice Kayek est planté, onirique. S’y déploie une collection dans le droit-fil du style de la créatrice : architecture, structure, rigueur et perfection des coupes. Des silhouettes en majesté, presque hiératiques, donnent le ton. La belle épure est bousculée par des volumes imposants, des manches qui semblent sans fin, des détails exacerbés (poches).
Les manches osent le bouffant démesuré.
De longs manteaux semblent s’ancrer dans la terre et caresser le sol.
La palette de couleurs est sobre, délicate, beige, taupe, marine, vert, bleu ciel… Une touche très légère de broderies apporte un zeste d’éclat tandis que passent des oiseaux.
Un final robe de mariée de conte de fée, Cendrillon ou Belle au bois dormant dans des superpositions de mousselines aériennes, vaporeuses.
Le petit côté sombre du conte de fée est accentué par un maquillage où l’oeil ajoute, en noir, une trace d’épine de rose. « Woven tales » tisse le fil entre création couture et une inspiration de contes de fée, oscillant joliment entre clair et obscur.
Photos Dominique Maitre
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Exquise collection à déguster chez Schiaparelli où Bertrand Guyon a mitonné le festin d’Elsa. Autour du thème « Un dîner de Gala ou les plaisirs du goût » s’invite le souvenir de l’ouvrage de Dali consacré à la cuisine (Les dîners de Gala) : spoutniks astiqués d’asticots statistiques, les cannibalismes de l’automne, friands aux grenouilles, viandes sodomisées,…
Moins provocatrice que les audaces du maître surréaliste, la collection compose son menu avec légèreté. Fantaisie d’une tea party pour Alice au pays des merveilles, ode joyeuse à l’alimentaire, le défilé s’inscrit dans les paroles d’Elsa Schiaparelli : « Bien manger confère à la vie une joie spectaculaire… ».
Dressé en robe, un tissu nappe ou « torchon » à carreaux se couvre de motifs d’assiettes, verres, bouteilles, bougeoirs… pour pique-nique de gala. Farandole de légumes, de fruits en imprimés, en accessoires. Les crustacés ne sont pas en reste avec le motif du homard, clin d’oeil aux créations de Dali pour Elsa.
L’oeuf de mille ans voit sa coquille de néoprène (en cape) se fissurer tandis qu’en dessous la blouse se dessine dans un délicat ton jaune d’oeuf.
Ustensiles de cuisine, couverts, terrines,… la batterie est flambant neuf. Jeu de couleurs pour marchande de légumes des quatre saisons avec salsifis, pâtisson, rhubarbe, mais aussi gourmandises avec teintes nougat, crème fouettée…
Invitée incongrue, l’araignée se découvre en dos, tissant sa toile avec le souvenir de Louise Bourgeois. Planche botanique en broderies, poches « terrines », motifs amuse-gueules « endimanchés ».
Sur un fond bleu Wedgwood s’invitent des tasses en porcelaine de Meissen.
Café de paris ? « Robe de taffetas cinétique encre de seiche et margarine ».
Une collection à savourer avec humour et fantaisie.
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Né au Japon, Masanori Morikawa a choisi pour sa création le nom de Christian Dada en hommage au mouvement artistique atypique né en 1916. Ancien assistant de Charles Anastase, le designer japonais a développé un rejet pour la perfection qui finalement rejoint un bel aspect de l’esthétique japonaise, la perfection de l’imperfection.
Sa collection pour l’automne hiver 2016 s’intitule Love on the left Eye et se réfère directement au travail de Nobuyoshi Araki. L’univers d’Araki a inspiré les modèles où se retrouvent des sangles, des cordes, mais aussi dans un registre plus poétique des motifs de fleurs (= sexe féminin) qui constituent également une partie du travail du photographe même s’il est davantage cité pour ses clichés autour du bondage.
Le titre de la collection est le miroir d’un problème physique intervenu dans la vie du photographe qui ne voit presque plus de l’oeil droit et a réalisé des photos dont la partie droite est masquée, effacée, noircie au marker.
Pour poser les photos d’Araki sur le vêtement, Christian Dada a utilisé une technique de tissage jacquard, impression textile et broderie numérique. En 1997 déjà Araki s’était plié au jeu de la mode avec quelques photos (autoportrait, portrait de femme, fleurs) dans la art serie N°2 des Pleats Please d’Issey Miyake.
Riche hybride entre Orient et Occident, la collection utilise des techniques traditionnelles japonaises comme le yokoburi (type de broderie) et yuzen (impression aux cinq couleurs pour kimonos).
Sous des auspices nippons, une rencontre art et mode flamboyante.
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Guerlain et l’art, une longue histoire, une belle union… Cette année, cap sur une explosion de couleurs signée JonOne pour le flacon aux abeilles. Impériales, les 69 abeilles butinent le flacon désormais iconique. Né en 1853 pour une Eau de Cologne impériale à l’occasion du mariage de Napoléon III avec Eugénie de Montijo, le flacon aux abeilles est, au fil du temps, devenu un classique Guerlain, une signature.
D’origine dominicaine, JonOne est né John Andrew Perello à New York où il a grandi et a maculé ses premiers murs. Il « tague » et affectionne la ligne A du métro (ce « musée qui traverse la ville »). Il s’intéresse à l’art du passé ainsi Matisse ou Kandinsky. Aux États-Unis, il apprécie les expressionnistes abstraits, Pollock, Motherwell,… artistes libres dans la gestuelle. Quand il arrive à Paris en 1987, il participe à l’aventure de l’Hôpital éphémère. De la rue, il passe à la toile, du graffiti à la peinture. En 2009 il peint un Thalys. Il expose dans des galeries. Jets de couleurs, exubérance, écriture automatique, gestuelle puissante… JonOne se joue des styles, parfois très abstrait, parfois plus graphique, mais toujours sous le signe de la couleur. Pour Guerlain, en écho à trois fragrances, il a défini trois univers de couleurs. Shalimar voit la vie en bleu, La petite robe noire pétille dans le rose et Rose barbare passe à l’orange. Camaïeux, dégradés, coulures de couleurs enrobent les flacons, tous pièces uniques et en série limitée (34, 32 et 32 pièces).
Et pour découvrir l’univers de JonOne, exposition chez Guerlain (68 Champs Elysées) jusqu’au 28 février.
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Immense artiste, David Bowie a aussi joué avec la mode pour démultiplier les apparences excentriques et originales jusqu’à devenir, avec un sens inné de l’élégance, un des hommes les mieux habillés de son époque (BBC History Magazine). Itinérante, l’exposition mise en scène par le V& A a eu accès à de nombreuses archives pour mettre en perspective les relations entre la mode, le style et l’artiste.
Après des débuts so british et classiques dans le style mod, petit costume et cravate fine, David Bowie a rapidement imaginé le jeu des métamorphoses.
Ambiguïté sur le genre avec The Man who sold the world où il pose en robe pour la pochette de l’album.
Avec Ziggy Stardust naît en 1972 son personnage le plus excentrique. Créé par Freddie Buretti, le costume combinaison près du corps est porté avec un visage très maquillé et traversé d’un éclair. Un style vestimentaire en lien avec les Droogs d’Orange mécanique. Dans la foulée, les cheveux passent au rouge. Mais l’alter ego de Bowie devient encombrant et il l’élimine avec Alladin Sane. C’est à ce moment qu’il choisit le Japonais Kansaï Yamamoto dont les créations hautes en couleurs sont souvent inspirées d’une imagerie liée au kabuki des estampes. L’incroyable combinaison stylisant des sillons de disque créée pour Bowie avait été pensée par le designer comme un modèle féminin.
Halloween Jack, félin, pirate parfois au look borgne est aussi Diamond dog, une peinture de Guy Pellaert, sphinx hybride, homme chien de 1974.
Avec le jeune Alexander Mac Queen il imagine un costume à l’effigie de l’Union Jack mais version un brin destroy porté en 1996 (Earthling Tour).
Mais dès 1976, avec The Thin White Duke s’est posé le personnage de dandy élégantissime qu’était David Bowie.
C Archives Bowie
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Dans les années 60 André Courrèges marque de son empreinte la mode. Visionnaire, il imagine un futur aux couleurs de l’odyssée de l‘espace qui se profilait. En 2016 l’homme en blanc disparaît. Si son nom demeure ancré dans l’histoire de son époque, sa marque est aujourd’hui à nouveau dans l’actualité de la création en France.
Associé à la mini-jupe (« inventée » en parallèle au Royaume Uni par Mary Quant), André Courrèges est aussi l’homme de tenues de « cosmonautes », moonboots, lunettes « eskimos » (opaques avec une fente), pantalons au féminin, combinaisons, pantacourts, combishorts, pulls chaussettes,… autant de modèles qu’il a travaillés. Ses gammes de couleurs ont mis le blanc immaculé en vedette, mais aussi des tons pastels, de rose et de bleu ou encore un orange éclatant, des éclats vif argent ou métalliques. Les matières ont joué la carte de leur époque avec des dérivés du plastique, notamment le vinyle.
Dès ses débuts en couture (ancien assistant de Balenciaga) en 1961, il choisit le futur. En 1964 sa collection évoque la conquête de l’espace avec sa Moon Girl. Dans la logique d’une nouvelle évolution de la mode, il se dirige vers le prêt-à-porter d’abord avec Couture future en 1968 encore très luxe et puis avec la création des lignes Hyperbole en 1970 et Prototype en 1972. André Courrèges a imposé des formes simples, droites (gommant la taille) ou très géométriques (robe trapèze) dans un style éminemment reconnaissable, une vraie signature de mode. Peu de motifs figurent dans ses créations si ce n’est une fleur très stylisée souvent jouée en application (parfois en hublot !). Des bottes plates complètent et signent la silhouette d’une femme conquérante.
L’influence de Courrèges ne s’est pas limitée à la mode. Ses parfums ont rendu hommage à son époque ainsi Empreinte pour le pas du premier homme sur la lune et ses couleurs fétiches.
Moins connues, mais étonnantes, ses voitures étaient aussi à la recherche d’une avant-garde utopique.
Mais les années 60 n’ont pas redessiné de façon pérenne le futur. La science-fiction aux couleurs de l’espace a cédé le pas à des seventies baba bobo avec des looks hippies en jupes longues et foulards à fleurs.
S’il existe une véritable signature Courrèges, elle avait peu évolué ces dernières décennies (période « japonaise », essai de renouveau avec Jean-Charles de Castelbajac…). Le rachat récent de la maison et la nomination de deux jeunes designers : Arnaud Vaillant et Sébastien Meyer a remis le nom sous le feu de l’actualité depuis une première collection pour le printemps 2016.
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Sur la route des Indes, des tissus merveilleux et une riche histoire à découvrir. Le V & A retrace les techniques, la fabrication, le tissage, les teintures… des étoffes en Inde du IIIe siècle à aujourd’hui. Vêtement signature du pays, le sari est une pièce rectangulaire d‘environ 6 mètres de long qui s’attache et s’enroule autour du corps avec une symbolique selon les usages, les castes.
Différents types de tissus ont été utilisés : coton, soie, laine. Diverses teintures comme l’indigo pour le bleu ou la grenade pour le rouge ont joué la carte de la nature. Réalisées au moyen de bois à motifs gravés, les impressions ont largement participé à l’essor des étoffes en Inde. Les textiles indiens traversèrent le monde, la France les appelait les Indiennes et en interdit l’importation par protectionnisme.
Les Européens se mirent aussi à fabriquer des imitations pour les concurrencer. La résistance de l’Europe conduira l’Inde à résister et le vêtement jouera un rôle majeur dans le développement de l’identité nationale du pays avec le Swadeshi (Own country) pour que les Indiens cessent d’acheter des produits d’importation et se tournent vers leur propre production.
Au XXe s. le vêtement est aussi un symbole de résistance face aux Anglais. Le Mahatma Gandhi exhorte la population à tisser et à faire ses propres vêtements avec le mouvement Khadi qui remet à l’honneur les productions locales.
Parmi les tissus présentés, des bannières de cérémonies religieuses où figurent les nombreux dieux ainsi les avatars de Vishnu. Mais aussi des vers du coran ou encore des interprétations du christianisme pour une église arménienne. Du côté profane, une majestueuse tente réalisée pour le Sultan Tipu dit le tigre de Mysore, farouche opposant à la présence britannique au XVIIIe siècle.
Depuis les années 50, l’artisanat est protégé et a sa place dans l’économie. Le cinéma, les mariages sont aujourd’hui de nouveaux débouchés pour les textiles.
La dernière section de l’exposition montre les créations de designers contemporains : Abraham and Thalkore, Rahul Mishra, Rajesh Pratap a Singh et celui qui défile désormais à Paris, Manish Arora.
Tissu mural Gujarat
Saris
Tissu mural Coton appliqué Gujara pour le marché européen.
Tissu de sol. Côtes de Coromandel.
Veste d’enfant Rabari
Ajrakh inspirée par veste Rajesh Pratap Singh, impression digitale
Abraham & Thakore. Double soie ikat, Hyderabad.
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Sur la pointe des pieds, une exposition de chaussures retrace 2 000 ans d’histoires entre « plaisir » et « souffrance » sans oublier la case « confort ». Depuis une sandale de l’Égypte antique jusqu’au modèle Nova imaginé par Zaha Hadid, vingt siècles d’histoire de la chaussure avec les créations contemporaines en majeur au V&A à Londres.
Si les collections même du musée sont riches, l’exposition a aussi emprunté et a sacrifié à la peoplemania avec des modèles portés par Marilyn Monroe, la reine Victoria, Sarah Jessica Parker, Lady Gaga…
Parmi les souliers les plus intéressants, les mythiques chaussons rouges portés dans le film du même nom par Moira Shearer incarnant Victoria Page.
Le modèle le plus ancien est une sandale égyptienne, peut-être datant d’avant J.-C. en papyrus et cuir.
La paire de chaussures à semelles compensées de Vivienne Westwood remet en mémoire la chute de Naomi Campbell sur le podium du défilé.
Trois thèmes définissent le choix de la commissaire d’exposition Helen Persson.
1° Transformation. De la petite histoire de Cendrillon (une chaussure peut changer une vie !) à d’autres contes où le rôle de la chaussure transforme l’existence, pour le meilleur ou …
2° Statut. Le choix de la chaussure, signe de richesse, indiquait dans le passé l’appartenance à une caste, à une élite. Si le tempo de la mode fut donné par les différentes cours, aujourd’hui ce sont les designers qui mènent le bal.
3°. Séduction. Le pouvoir de séduction que recèle une chaussure peut aller jusqu’au fétichisme. Getas japonaises, très hautes, talons vertigineux, pieds contraints, laçages érotiques… Dans la collection du V & A, chaussures lotus pour pieds bandés en Chine (XIXe s.) avec mesure idéale autour de 7,5cm.
Mais les chaussures sont aussi faites pour marcher et courir avec le sport et les baskets de ville.
Pour la partie contemporaine, des créations des plus grands designers : Blahnik, Louboutin, Ferragamo…
Et une touche de futur avec la Nova de Zaha Hadid pour United Nude, vertigineuse et architecturée avec 16cm de hauteur sans support. En fibre de verre et cuir, Andreia Chaves avec Invisible Naked propose un modèle conçu et créé avec des techniques d’impression 3D
C
American Vogue C Helmut Newton
Chaussures du soir 1958-60 Roger Vivier pour Christian Dior.
Chaussons rouge pour Victoria Page (Moira Shearer) dans Les Chaussons rouge (1948)
Sandale égyptienne en cuir et papyrus. Egypte (c–30-300)
Chaussures de mariage Inde
Blahnik Rendola sandale
Andreia Chaves Invisible Naked 2011
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