Oxymore dit Yiqing Yin pour définir sa collection. En jeux de mots, les contraires s‘épousent dans une gamme de couleurs sourdes où le gris sourit.
Après plusieurs saisons où la créatrice plongeait dans un monde onirique peuplé de créatures imaginaires avec des vêtements complexes, très retravaillés, elle choisit cette saison d’effectuer un virage, mais en douceur. Le corps est mis au centre de la création et le vêtement s’articule autour, l’enveloppe, l’enrobe. Des plis précis, des drapés flous, mais maîtrisés. Soie liquide, soie lavée, fluidité des matières. Mais aussi tissus plus bruts où l’esprit du tailleur masculin est déconstruit, bousculé, chaviré. La féminité partout se dessine, s’impose. Dans un modèle seconde peau au tatouage tribal le noir le dispute à la transparence.
Tissus dévorés, drapés subtils. Èlégance, féminité, une très belle collection.
Autour des créations des costumes de Casse-Noisette réalisés pour le chorégraphe Jeroen Verbruggen, le duo On aura tout vu fait danser sa collection couture. Jeu de matières où le néoprène peut se frotter au vison. Parures de cristal, broderies, transparences, dentelles. Tête de hérisson pour piqué dansé de Drosselmeyer.
Incroyable costume à imprimé écorché pour le Prince de Noix, le souvenir de Vésale danse un solo superbe en coeur de défilé.
La planche d’anatomie se mue, rougeoyante en fleurs vénéneuses.
Blanc, rouge, noir. Queue de pie au masculin, pas de deux avec exquise esquisse de mille feuilles de tulle.
Effets de miroir en éclats.
Baroque, flamboyance, humour et fantaisie, le duo On aura tout vu (Maison fondée au XXe siècle) apporte toujours à la couture du panache.
Photos Jean Louis Coulombel
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Créateur canadien, Rad Hourani imagine une mode couture unisexe. Dans sa présentation se côtoient des modèles masculin-féminin. L’un est l’autre dans un style architecturé aux découpes géométriques par « plans ». Également artiste, Rad Hourani a choisi de confronter ses pièces de vêtements à des oeuvres d’art notamment de son compatriote David Altmejd, mais aussi d’Anselm Kiefer, Ugo Rondinone, Giuseppe Penone…
Un travail de construction, de pliage origami contemporain où le corps donne vie à la structure. Plastique et nylon, matières moins nobles que celles utilisées dans la couture traditionnelle, ont été privilégiés. Abstraction de panneaux géométriques, assemblage de couleurs vives : bleu turquoise, violet, noir, gris. Architecture.
Pour Dice Kayek “Dollhouse” ne s’inspire pas de sages baigneurs en plastique, mais plonge dans les méandres de la création tortueuse d’artistes comme Louis Bourgeois, Annette Messager ou Hans Bellmer. Une inspiration de poupées sexuées, torturées, déformées, (sus)pendues, tricotées, customisées, mais qui se révèlent élégantes et sages sous la coupe architecturée et construite de la créatrice. Une forte dose d’asymétrie (mais discrète) casse la rigueur des volumes et donne toute sa richesse aux modèles.
Jeux de constructions, patchworks monochromes de morceaux de tissus dans une gamme de couleurs sobres : blanc, noir en majeur sans oublier une touche de rose (chair !), poudre et bleu.
Effets de cape, manches boules et un impressionnant patchwork de pierreries d’esprit quasi byzantin (souvenir stambouliot ?).
Une jolie maison close où les sages poupées déambulent sous (dé)couvert d’une mode élégamment architecturée.
Collection hommage au souvenir de la créatrice, « Les reflets d’Elsa » s’inspire de l’esprit de la maison et de son patrimoine. L’accent est mis sur la fantaisie des imprimés dans une veine autant surréaliste que pop avant l’heure (des objets du quotidien qui se découvrent une nouvelle noblesse).
Dans un décor de « boîte » rose (la couleur shocking de Schiap) les fenêtres intérieures de l’immeuble sont habitées de silhouettes. La mise en scène est signée en collaboration avec Jean Paul Goude et l’on retrouve l’esprit de l’étonnante campagne pour Égoïste. Ici les fenêtres ne claquent pas, mais se prêtent à une revisitation musiscale du Boléro de Ravel hypnotique et entêtant, psalmodié par la chorale « Les Chérubins » (Guadeloupe).
Coeurs transpercés, étoiles, cadenas, rubans, épingles reviennent, leitmotive très prégnants sur les silhouettes fluides de robes longues, drapées. Motifs peints à la main et jeux de mots : Bataille d’épingles.
Esquisse d’une colonne vertébrale ajoutée en volume.
Jeux de trompe-l’oeil, bibis (Stephen Jones) plantés sur la tête. Sans oublier les broderies qu’utilisait souvent la créatrice dans les années 30. Le zip qu’Elsa posait de façon visible et assumée est aussi présent haut en couleurs et parfois traversant un dos en oblique. Plumasserie superbe avec une veste en grain de poudre laine et soie havane sur une jupe à franges de plumes multicolores.
Une collection très Schiap, transition avant l’arrivée d’un nouveau directeur artistique ?
Exception culturelle française, la Haute Couture maintient le flambeau d’une mode au savoir-faire extraordinaire même si l’air du temps peut la rendre anachronique tandis que sa finalité se pose souvent sur tapis rouge.
Quatorze maisons figurent cette année dans la liste des membres permanents établie par le Ministre en charge de l’Industrie, mais toutes ne défilent pas chaque saison.
Les maisons Chanel, Dior et Jean Paul Gaultier constituent les temps forts de la saison. Parmi les membres les plus récents : Giambattista Valli, Alexis Mabille, Bouchra Jarrar et Alexandre Vauthier.
Cette saison Maison Martin Margiela s’est singularisé par une présentation hors calendrier à Londres autour de l’arrivée de John Galliano à la direction artistique.
Des membres correspondants illustrent une autre facette de la création en couture avec plusieurs maisons italiennes : Atelier Versace, Giorgio Armani, Valentino, mais aussi sous d’autres cieux : Azzedine Alaïa, Elie Saab et Viktor & Rolf.
Parmi les membres invités cette saison : Schiaparelli, Dice Kayek, Rad Hourani, Yiqing Yin, Julien Fournié, Stéphanie Coudert, Serkan Cura, Zuhair Murad et Ralph& Russo.
Une série de défilés off vient également pimenter le calendrier avec cette année le duo des On aura tout vu.
À partir de jeudi, la joaillerie met de l’éclat sur les collections avec Boucheron, Chanel, Chopard.
Satellites de la couture, des maisons organisent des présentations de leur savoir-faire comme les chapeaux de la Maison Michel (dans le giron Paraffection de Chanel).
Si la Haute couture n’est plus prescriptrice de la mode comme elle l’a été jusque dans les années 60, elle maintient vaillamment le flambeau d’un artisanat rare et permet à un vivier de jeunes créateurs de s’exprimer dans un calendrier où les expérimentations sont davantage possibles. Des créateurs comme Yiqing Yin, Iris van Herpen ou Serkan Cura ont pu y faire découvrir leur grand talent.
Hors du temps une mode luxueuse (le temps consacré aux créations) entre nostalgie des robes du soir et avant-garde d’une jeune création en marche.
C’est l’été ? Pas encore, mais un printemps pop fleurit sur la nouvelle collection de Naco Paris, outsider émérite de la fashion week. Dans le droit fil des présentations atypiques et originales du créateur, New Exoticism est une collection unisexe dans un esprit joyeux et positif.
Seule couleur qui n‘a pas d’interprétation négative, l’orange est mis avec également la pacifique référence à Hare Krishna et au port du ton safran. Mais l’orange ici est pop, joyeux, découpé en fleurs, « power flower » au programme, sauce Mary Quant revisité psychédélique.
Pour Naco, les années 70 télescopent les années 90 pour composer sa collection. La rayure oblitère les silhouettes, imposante, balnéaire plus que carcérale. Elle plonge dans la riche histoire d’un motif conté par Michel Pastoureau dans L’étoffe du diable. Bleu et blanc, grand air, espace entre ciel et mer. Orange et blanc pour pétiller.
Et une touche de pois, danse de polka dots.
Pour la partie « arty » que Naco toujours affectionne, la création d’imprimés exclusifs avec deux collaborations : Neila Serrano, peintre et Sébastien Mathieu, artiste en tatouage et illustrateur. Sans oublier un motif créé par sa nièce de 5 ans et ses graffitis enfantins.
Photos Natyred
Model Sara
Make up / Hair Karine Marsac pour Shu Uemura
De Worth à Issey Miyake. De Balenciaga à Martin Margiela. Les couturiers et créateurs du monde entier participent à l’histoire de la mode en France tout en conservant souvent un territoire inspiré de leurs origines.
L’exposition Fashion Mix présentée au musée de l’Histoire de l’immigration (le choix du partenariat hors les murs n’est pas anodin) rassemble de nombreux talents d’hier et d’aujourd’hui qui ont constitué et constituent la richesse de la mode dans sa globalité. Le prisme parisien de la capitale de la mode où certains sont installés et où d’autres simplement y défilent joue aussi un rôle dans cette création.
Si Worth est l’Anglais qui a initié la haute couture et a choisi de mettre des étiquettes à son nom, c’est un saut dans le temps qui conduit d’abord à Vivienne Westwood, remarquable exemple d’une excentricité sauce anglaise passant de la provocation punk au goût d’une tradition so british plongeant dans un passé pictural qui a remis au goût du jour les faux culs. La jeune génération britannique est le reflet de la réussite de l’école Saint Martin’s qui a permis à de grands talents d’éclore tout en conservant leur personnalité. Le remarquable John Galliano de son travail sur le biais à ses somptueux défilés chez Dior en attendant Maison Martin Margiela. Alexander Mac Queen et sa folie baroque. Hussein Chalayan et son style architecturé. Et aussi Phoebe Philo, Stella Mac Cartney.
De l’Est, la fusion entre art et mode est particulièrement bien incarnée par Sonia Delaunay, née en Ukraine et qui a transposé ses recherches sur la couleur dans sa mode.
L’Italie est multi-facettes. L’élégance sophistiquée et raffinée de Fortuny (d’origine espagnole, mais installé à Paris et à Venise où existe son musée) conduit ses recherches vers un plissé hommage à la Grèce antique (robe Delphos). Viennent les années surréalistes où s’épanouit le talent d’Elsa Schiaparelli et son humour fabuleux : chapeaux côtelette, chaussure, cerveau… et ses collaborations avec Cocteau, Dali, Léonor Fini… Dans les années 80, la fantaisiste Popy Moreni et ses collerettes. L’humour pop de Moschino. L’esprit couture classique d’un Valentino et ses robes rouges. La créativité raffinée de Maurizio Galante. Sans oublier le talent baroque et poétique de Roméo Gigli. Autant de diversités pour une seule péninsule.
L’Espagne. Balenciaga et l’architecture, entre un esprit baroque et une forme d’austérité à la Zurbaran ( ?) pour arriver à la fantaisie poétique de Sybilla en passant par le futurisme de Paco Rabanne et l’utilisation des matières les plus extravagantes : métal, rhodoïd…
La mode japonaise a joué un rôle majeur dans l’histoire de la mode contemporaine. D’abord Kenzo avec Jungle a imaginé des métissages d’influence, un style d’un nouveau « folklore ». Issey Miyake, un des grands du travail sur le textile, a inventé le plissé permanent et a conduit la mode sur de nouveaux territoires de création. L’arrivée dans les années 80 de la déstructure, de l’asymétrie, du noir, du non fini… avec Yohji Yamamoto et Comme des garçons a révolutionné la scène de la mode et a réussi à imposer le noir en majeur. S’ajoute aussi souvent un concept de distance entre le corps et son enveloppe, venant sans doute du principe même du kimono et à l’opposé des codes occidentaux qui, en général, suivent les courbes du corps.
Enfin les Belges. Dans le droit fil d’une révolution japonaise, ils se sont imposés d’abord avec le groupe des six d’Anvers en ajoutant en D’Artagnan, Martin Margiela. Maison martin Margiela incarne sans doute la dernière grande (r)évolution dans la mode contemporaine avec son goût de la récup, son travail unisexe, une forme d’anonymat (les étiquettes vierges, les numéros). L’exubérance tonitruante d’un Walter Van Beirendonck s’inscrit elle dans une truculence belge ( à rapprocher de Bruegel ?). La poésie de Dries van Noten, magicien des couleurs, a dessiné un style poétique souvent « ethnique » et artistique.
Sans oublier les cas à part comme Azzedine Alaïa d’origine tunisienne, ovni de la perfection en couture.
L’exposition se termine avec de nouveaux créateurs en train d’émerger ou de s’imposer sur la scène parisienne. Parmi les nouveaux talents venus d’ailleurs Rick Owens, Haider Ackermann, Gareth Pugh, Iris van Herpen…
Mode d’ici, créateurs d’ailleurs. Un parcours de mode au Musée de l’histoire de l’immigration en partenariat avec Le Palais Galliera et Olivier Saillard en commissaire d’exposition. Jusqu’au 31 ma
Worth & Bobergh C Roger-Viollet
Mariano Fortuny C Roger-Viollet
Schiaparelli C Roger-Viollet
V Westwood Robe Fragonard C Roger-Viollet
Issey Miyake C Roger-Viollet
Margiela C Spassky Fischer