Pour un homme ? Pas seulement. La magnifique création de Caron, composée en 1934, a tout d’un masculin qui peut plaire aux femmes.
Masculin / féminin, la distinction doit beaucoup à la parfumerie moderne et s’est progressivement installée à partir de la fin du XIXè siècle. Aux femmes, les fleurs (difficiles de les séparer !) ; aux hommes, les cuirs, les bois… et la lavande.
Avec une odeur de propre associée aux lavandières (des légendaires du Portugal au cinéma à la truculente mère Denis) et aux petits sachets de grands-mères posés dans les placards, la lavande des marchés de Provence ensoleille le linge de son odeur si particulière.
Avec sa fraîcheur vive, aromatique, la lavande est devenue un pilier de la parfumerie masculine. Elle constitue aussi l’ingrédient majeur de cette famille dénommée « fougère », depuis la création de la Fougère royale d’Houbigant (1882 ou 1884) avec lavande, géranium, coumarine et mousse de chêne…, très aromatique.
Avec Pour un homme composé en 1934 par Ernest Daltroff, Caron a utilisé une base de lavande, mais avec sophistication, élégance, chic. Une lavande des Alpes de Haute Provence, une douceur veloutée suggérée par la vanille, l’ambre, la fève tonka.
Droit, épuré et massif, le flacon, avec effet de triptyque rend hommage à une idée de puissance imposée par la carrure (du flacon).
Et si Sébastien Chabal a marqué l’essai de Pour un homme, il demeure un des grands masculins de l’histoire de la parfumerie.
Naissance : 1934
Papa : Ernest Daltroff
Famille : Fougère ?
Genre : Masculin
Le 11 decembre
Le parfum de Yam à 13 ans.
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Bizarre, curieux, inquiétante étrangeté, Sables peut sembler âpre, difficile à apprécier tant il est loin des codes d’une parfumerie charmante et plaisante. Et pourtant, Sables me plaît infiniment ; je le considère comme une grande création et d’une originalité folle.
Le nez dans le parfum, j’eus juste la chance de croiser Annick Goutal lors du lancement de son dernier opus (Petite chérie, je crois)… et de découvrir la belle personne à l’origine de la magnifique Eau d’Hadrien (tellement plus beau avec le H de l’empereur et avec les Mémoires de Marguerite Y.).
La marque, que l’on qualifierait aujourd’hui de niche, est continuée avec brio par sa fille Camille et le parfumeur Isabelle Doyen qui a travaillé des années avec Annick Goutal.
Chez Goutal, il y a des flacons pour les féminins, d’autres pour les masculins (je préfère la géométrie de ces derniers au classique papillon, trop gentil pour moi). Au départ Sables était disponible dans les deux versions ; aujourd’hui, il semble ne s’afficher que masculin.
Au coeur de ce parfum, une fleur curieuse, dans sa version séchée : l’immortelle. Probable souvenir de l’île de Ré, les immortelles sauvages ont enchanté Annick Goutal qui en a composé un bouquet pour son mari, le violoncelliste Alain Meunier. Loin des tropiques, s’imagine une plage mélancolique semée de petits bouquets de fleurs séchées au vent. Et sur la plage, ces petits grains qui jouent la passerelle entre mer et terre : Sables. Pour entourer cette fleur (immortelles corses), des odeurs fortes, comme le thé noir, un effet cuir, la vanille et la douceur de l’ambre, des épices (poivre).
Isabelle Doyen explique que Sables est le parfum qui contient le plus d’immortelle sur le marché. “Avec une grande rasade de patchouli, de poivre et d’ambre… Un parfum taillé à la serpe”.
A découvrir, absolument, et à aimer.
Naissance : 1985
Maman : Annick Goutal
Famille : Oriental boisé
Genre : Aujourd’hui masculin, mais plutôt no sex
Un des parfums de Serge G., ami de mon cher Daniel J.
Le 10 décembre
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Velouté, puissant, cuiré, Cuir améthyste incarne, avec sa sulfureuse violette, un alter ego parfumé. C’est celui dont je pense avoir bu (enfin consommé) des litres.
Né après mon rêve d’anosmie, Cuir améthyste n’y figurait pas encore, mais je suis sûre qu’aujourd’hui, il s’inscrirait en tête.
Né dans la belle famille d’Armani privé, il ne fit pas partie des quatre premiers enfants dont l’exquis Bois d’encens à l’origine de la collection. Avec Armani privé, le couturier put partir sur des sentiers plus personnels, échapper aux autoroutes de la parfumerie. Bois d’encens rend hommage à la grand-mère de Giorgio Armani qu’enfant, il accompagnait dans les églises où se respiraient des vapeurs d’encens. L’interviewant à Milan au moment du lancement de la ligne, Giorgio Armani racontait cette histoire. Pour le flacon, le couturier parlait d’un objet japonais, mais je ne pus le voir… Réalisé en pourtour avec un bloc de bois de kotibé (proche de l’acajou), le flacon est surmonté de l’équivalent d’une pierre de couleur, caillou semi précieux en « résine ». Référence pourrait être faite à Brancusi. Peu importe, le résultat est très beau dans sa version bois, mais pas en verre. Le flacon se rattache au primitivisme, à une sculpture ethnique non figurative, il oublie les codes traditionnels de flacons presque toujours en verre.
Pour « mon » Cuir améthyste, le bouchon s’est habillé de mauve et ressemble à la pierre de référence. Giorgio Armani dit : « J’aime la symbolique de cette gemme, qui depuis l’Antiquité est associée à la sagesse, l’humilité et qui est censée avoir créativité et méditation ».
De la fragrance, il dit : C’est un hommage à cette seconde peau, à cette matière infiniment sensuelle qu’est le cuir s’adressant autant à la femme qu’à l’homme. Le cuir vit, vibre, s’échauffe et s’assouplit quand on le porte, se patine avec le temps, il est la matière charnelle par excellence. »
Pour cette impression de cuir, la parfumerie utilise souvent et c’est le cas ici le bouleau de Russie (des parfums de la première moitié du siècle ont porté ce nom chez Chanel, L.T. Piver…), joué ici avec patchouli d’Indonésie et violette, cette fausse discrète que j’apprécie infiniment. Serait-ce une trace du souvenir de la Violette de Berdoues (1936) que portait grand-maman Dollinger et sans doute le premier parfum que j’ai identifié. S’ajoutent coriandre, rose, bergamote de Calabre, benjoin du Laos, labdanum d’Espagne et vanille Bourbon. Un sillage chaud, enveloppant, velouté, doux et puissant à la fois.
Signée Michel Almairac, cette composition toujours me touche et, sur la route des parfums qui me plaisent, souvent figure sa signature.
Naissance : 2005
Papa : Michel Almairac
Famille : Cuir boisé ? Chypré floral ?
Genre : No sex
Que soient ici remerciés quelques remarquables pourvoyeurs de fonds : Tamil E. M., Joséphine V. Et aussi Michel Almairac.
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Une profusion d’épices, une fragrance intrigante…
Quand en 1994 Comme des garçons se met au parfum, je n’imaginais pas que, quelques années plus tard, existerait sous ce nom un univers de parfums avec des thématiques, des familles et de l’audace, toujours de l’audace.
Ce premier parfum, je l’attendais avec impatience (NDLR un intérêt et une passion assumée pour la mode radicale de Rei Kawakubo expliquent cette expectative).
J’imaginais un parfum noir dans un flacon asymétrique. Il fut plus simplement jaune, mais dans un flacon à poser à plat ; galet de verre au bouchon décentré, enfermé dans une pochette en plastique façon sous vide. Très simple, l’étui en carton blanc mettait en avant les mentions qui d’habitude jouent la discrétion.
Le dossier de presse aussi était original, présentant le parfum comme une addiction, des photos d’insectes (?), un grand format et le découpage non fini avec les marques pour passage au massicot. La revendication allait loin : « Un parfum dont on ne pourrait plus se passer comme une drogue ».
Je me souviens du lancement à Paris, autour de la piscine du Ritz, couverte je crois, avec en pourtour des sacs en plastique remplis d’un liquide de la couleur du jus.
Pour Cosmetique News à l’époque je réalisai à Tokyo une interview de Rei Kawakubo (texte à rechercher…) et où je demandais : « Et s’il marchait ? ». Fusante et radicale à l’image de la créatrice, la réponse fut : « J’en ferai un autre »… Ne pas être rattrapé par l’air du temps.
Le premier brief pour les parfumeurs ne mentionnait, parait-il, pas la marque et avait quelques indications de mots dont noir, épices…
Création de Marc Buxton, le premier Comme des garçons est un festival de notes épicées : cardamome, cannelle, poivre noir, noix de muscade, clou de girofle, sur fond encens, bois de santal, labdanum, styrax d’Iran, bois de cèdre du Maroc.
Aujourd’hui les parfums Comme des garçons continuent de me surprendre ; d’autres figureront dans mon « calendrier ».
Vers cet étonnant sillage, certains matins je me tourne encore.
Naissance : 1994
Papa : Marc Buxton
Famille : épicé.
Genre : No sex ?
Le 8 décembre
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Bizarre, intrigant, puissant, épicé, Habanita au nom exotique d’un fumeur ou plutôt d’une petite fumeuse de havane demeure un des historiques piliers de la parfumerie.
Mon intérêt pour Habanita remonte à mes années japonaises, mais sans aucun souvenir précis, si ce n’est que je trouvais le flacon vieillot et le « jus » impressionnant. Création de Molinard en 1921, Habanita s’inscrit dans les années vingt à une époque dite d’émancipation de la femme (elle fume, elle s’habille avec moins de contraintes,…). Un des modèles de l’époque s’incarne dans le roman de Victor Margueritte : La garçonne, portait d’une femme trompée se muant en femme libre et libérée. Amusant de lire qu’aujourd’hui Habanita serait un parfum de cougar !
Lancé en 1921, d’abord comme « parfum pour cigarette », il sera qualifié de « parfum le plus tenace du monde » en 1924 et possède encore aujourd’hui un sillage remarquable et remarqué. La légende dit qu’il serait né fruit d’une erreur de formulation avec un mélange pas prévu au départ… Son auteur chez Molinard est un parfumeur du nom de Boucanier.
Dans la composition de nombreuses matières : géranium, lentisque, petit grain, ylang-ylang, vétiver, héliotrope, jasmin noix de muscade (Java), mimosa, rose centifolia, cèdre, vanille, ambre, musc, patchouli, mousse de chêne, santal de Mysore. Au final un côté tabac, cuir vanillé, le tout en puissance !
Dans les années 30, Habanita devint un tango populaire (une version filmée assez allumée de 1937 figure sur You Tube), mais ce serait plutôt une rumba chantée par Adam Aston sur des paroles de Jerzy Jurandot (aussi sur you tube, mais inaudible).
Fleuron de la maison Molinard fondée en 1849, Habanita en est considéré comme le diamant noir. Son flacon, créé par Lalique avec une frise de ronde de femmes en pourtour, a été revisité, mais conserve ce motif originel, art déco figuratif. Au coeur de cette sarabande de femmes, le parfum a toujours sa part de mystère.
Naissance ; 1921 (1924)
Papa : Boucanier
Famille : oriental boisé
Genre : Plutôt féminin ?
Le 7 décembre
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Love at first sight. Il y a des parfums que l’on aime à la première respiration, d’autres prendront du temps, de la patience. Géranium pour monsieur appartient à mes coups de coeur immédiats.
Vif, le départ se rafraîchit d’une menthe « frappée » (absolu de menthe, peppermint ?), une touche d’anis, des épices : clou de girofle, cannelle. L’imposant géranium se dessine en coeur avec un surdosage de rhodinol (« un produit fantastique extrait du géranium de Chine dont il ne garde que les notes fraîches » dit Frédéric Malle). Le fond mêle santal, muscs blancs, mais aussi encens, benjoin.
Éditeur du parfum, Frédéric Malle avait imaginé en point de départ la redécouverte de notes de géranium. La création de Dominique Ropion s’est concrétisée en ce magnifique Géranium pour monsieur. La composition utilise des notes naturelles et la sophistication de la technologie ainsi une cannelle extraite par C02 et une « absolue menthe distillation moléculaire » (LMR).
Parfumeur Senior IFF (International Flavors & Fragrances), Dominique Ropion a notamment composé le séduisant Amarige (Givenchy), l’étonnant Jungle (Kenzo),… et dernièrement le joli Catch Me (Cacharel). Pour Frédéric Malle, il a écrit plusieurs parfums dont Une fleur de cassie, Portrait of a lady… Aux défilés de la jeune Yqing Yin, il est souvent présent par ses parfums imaginés pour la créatrice. En décembre 2012, il me fit l’amitié de composer une fragrance pour une chanson de Lewis Furey : Hustler’s Tango, une création diffusée lors du concert au Théâtre du Rond-Point à Paris.
Si dans le nom du parfum est mentionné le terme « monsieur », je ne lui vois pas vraiment de sexe à ce géranium qui infiniment me plait. Une menthe frappée, vive fraîche, pétillante et puis s’impose ce curieux géranium et… je me souviens des pots en fer forgé de ma grand-mère avec ce géranium dont je trouvais, enfant, que l’odeur n’était absolument pas celle d’une fleur.
Naissance : 2009
Papa : Dominique Ropion
Famille : aromatique
Genre : Masculin ?
6 décembre
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Incandescente violette dans son flacon rouge sombre, Fahrenheit enveloppe de son envoûtant sillage cuiré.
Le lancement de Fahrenheit a été un des premiers événements auquel j’ai assisté en tant que journaliste. Dans la suite d’un grand hôtel à Tokyo, la sobre présentation Dior fut éclipsée par la rencontre avec un parfum que j’allais porter plusieurs années.
Annoncé masculin, Fahrenheit se révélait furieusement floral et composé de notes qui allaient me toucher ainsi la violette et le « cuir ».
L’audace de ce parfum atypique, très floral pour un masculin (même si déjà Grey Flannel surfait sur une même vague) était signée Jean-Louis Sieuzac. Composition magnifique, elle est aussi due au choix de Maurice Roger qui a marqué de son empreinte l’histoire des parfums Christian Dior. À l’origine, un accord floral vert de jasmin et de chèvrefeuille et une violette puissante (fausse discrète !) surdosée (au départ via l’octylcarbonate de méthyle), le tout s’épanouissant sur un fond boisé (patchouli) et cuiré.
La phrase d’accroche en communication se révéla efficace et participa à la légende : L’homme infiniment. Dans le film de Ridley Scott : un ponton, un homme, une marche vers la mer, l’océan et, en bout de course (marche), tout s’inverse, l’homme se retrouve vers l’étendue de sable… Magnifique. La musique de Pat Metheny et Lyle Mays accompagne en fragments le film. Dans As Falls Wichita, So Falls Wichita Falls, un morceau de 20 minutes, s’égrènent des nombres, succession énigmatique : thirty-eight, forty-two et surtout fifty-five et three repris dans le film.
David Lynch, quelques années plus tard, partit en voyage avec Fahrenheit, un ascenseur mystérieux, des chiffres qui annoncent la montée et ces fameux fifty-five et three qui, ici, pourrait s’écrire free dans le sens de liberté avec le passager découvrant, en lieu de ciel, une étendue de nuages rougeoyants à perte d’océan. Récemment, c’est un paysage volcanique de terres éruptives, de falaises et de mer qui servit d’écrin à cet homme infiniment et à la nouvelle Aqua Fahrenheit.
Rouge sombre incandescent, le flacon brûle de couleurs incendiaires. Il serait peut-être inspiré d’une oeuvre de James Rosenquist, Fahrenheit 1982 degrees (datant de 1982 et aujourd’hui au Whitney Museum). Tableau haut en couleurs vives, rougeoyantes, il est résolument pop et très cosmétique avec rouges à lèvres au raisin en fusion et ongle en forme de plume de stylo laqué d’un vinyle carmin.
Succès colossal à l’époque de son lancement (plus d’un million de flacons vendus en trois mois), Fahrenheit est aujourd’hui entouré de deux variantes, une Aqua, plus fraîche, plus estivale avec une note pamplemousse d’Italie. L’Absolute se révèle plus intense avec des notes de fond accentuées : myrrhe, encens et bois de oud. Des compositions de François Demachy, parfumeur maison, qui souligne la signature florale des masculins chez Dior.
Le nom s’inspire du physicien allemand qui a créé une échelle de température qu’utilisent encore quelques pays dont les Etats-Unis. À 32° l’eau se glace et à 212° elle bout. Fahrenheit renvoie aussi au film de Truffaut inspiré de la nouvelle de Ray Bradbury. À 451°, température où le papier brûle, se profile un univers où les livres sont condamnés à disparaître ; mais là, il s’agit d’un sombre futur…
Fahrenheit, le parfum, demeure à la bonne température et incarne un des grands piliers de la parfumerie masculine.
Naissance ; 1988
Papa : Jean–Louis Sieuzac
Famille : Boisé floral cuiré
Genre : Masculin
Désormais le parfum de Pascal A.
Le 5 décembre
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Fracas ? Un choc, une fracture. La découverte tonitruante de la tubéreuse, sulfureuse à l’odeur puissante, entêtante, enivrante s’est incarnée en Fracas (Robert Piguet). Presque soliflore, Fracas est étourdissant, envahissant, il réussit la mise en bouteille de cette fleur incroyable. Avec Fracas, je m’imagine dans un ascenseur, seule, ayant fait fuir les autres passagers, incommodés par ce parfum terrible.
De cette fleur, on raconte qu’il était plus prudent de faire, à la nuit tombante, rentrer les jeunes filles pour ne pas affoler leurs sens avec l’air des champs de tubéreuses.
Vénéneuse, tonitruante tubéreuse. Zola imagine sa fin dans Nana : « Quand les tubéreuses se décomposent, elles ont une odeur humaine. » Colette aussi la raconte : « …alors ma rivale ineffable n’a qu’à paraître, et tout gardénia que je suis je faiblis, je me prosterne devant la tubéreuse. Elle ne m’en a pas gratitude. Sa fraîcheur, qui est celle d’un jeune bout de sein, dure plus que la mienne. »
Capiteuse, elle se dessine, sensuelle, animale, un brin camphrée, doucement lactée…
Si la tubéreuse je l’ai connue dans le noir flacon de Fracas, je l’ai redécouverte dans un texte de Kawabata (Récits de la paume de la main) et m’obstinais à la faire filmer, fraîche et odoriférante (mais sans odorama), pour le documentaire Kawabata, le maître des funérailles (Les écrivains du siècle pour France 3).
Les mots de Kawabata m’enchantent : « Les fleurs d’un pays de rêve… Comme les fleurs d’un mirage blanc… »… « Les fleurs s’ouvrent comme caressées par la brise, elles s’épanouissent comme des fleurs de lotus. »… « Les grandes corolles immaculées, fleuries au bout de gros pédoncules surgissant entre des feuilles longilignes, se balançaient imperceptiblement au souffle de la brise. C’étaient des fleurs étranges, complètement différentes des chrysanthèmes blancs, ou des dahlias blancs aux pétales effilés. On eût dit des fleurs flottant dans un rêve… La plante appartenant à l’espèce des cactus, des feuilles surgissaient d’autres feuilles. Les pistils étaient longs. »… « Un parfum suave enveloppa Sumiko : l’odeur était plus sucrée et moins insistante que celle du lys ».
La tubéreuse appartient aux agavacées et est originaire du Mexique avant d’être introduite en Europe au XVIè siècle. A partir du XVIIè s., Grasse la cultiva longtemps pour la parfumerie.
Dans mon esprit, filmer la tubéreuse rendait hommage à Fracas. Kidnappant les belles (achetées chez Moulié) après le tournage, elles embaumèrent la bibliothèque où mon filleul Antonin T. les découvrit et s’en inspira, motif blanc sur tee-shirt noir.
Audacieux et puissant, Fracas est le chef d’oeuvre d’une femme, parfumeur de talent et de tempérament : Germaine Cellier. Dans la composition au final très soliflore, des senteurs subtiles néanmoins : bergamote, mandarine, jacinthe et un bouquet de fleurs blanches avec la présence écrasante de la tubéreuse sur des notes de jasmin, mais aussi rose et iris sur fond bois de santal, vétiver et muscs.
Avec le temps Fracas a changé de main et a aussi évolué. À une époque, il ne se trouvait qu’à New York et puis il est revenu en France notamment au Bon marché qui, pour ses 160 ans, a imaginé une édition limitée dans un flacon de Pierre Dinand. 800 exemplaires avec les initiales I H d’Isabelle Huppert, devenue l’égérie de ce parfum inoubliable.
Le bonheur exquis de cette tubéreuse, je l‘ai aussi retrouvé dans d’autres parfums, mais trois se distinguent. Imposante dans le premier Poison de Dior, elle s’incarne maléfique dans son flacon pomme tentateur. Serge Lutens l’a imaginée Criminelle, et lui a donné un côté un peu pharmaceutique intrigant, troublant. Dominique Ropion, aux éditions de Frédéric Malle, a imaginé une Carnal Flower, un peu verte au départ puis sensuelle, subtile.
Naissance : 1948
Maman : Germaine Cellier
Famille : Florale (« soliflore »)
Genre : Féminin
Disponible notamment Au Bon marché et chez Jovoy.
Le 4 decembre
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S’il y a un troisième jalon avant que le parfum ne s’insinue professionnellement dans mon existence, c’est le N°19 (Chanel).
Le nom n’en n’est pas un, juste un sacré numéro ! J’ai une passion pour les chiffres, les nombres, le calcul, les mathématiques, le sudoku, le bridge… Nombre premier, le 19, associant le premier chiffre au dernier, devait me plaire (j’aime le chiffre 5 et j’admire le N°5, mais il n‘a jamais été « mon » parfum).
L’épure de l’étui noir et blanc, la simplicité chic du flacon dans le droit fil du N°5 ajoutèrent à son charme.
Et puis surtout s’imposa le parfum, une composition de Henri Robert. Après une éclipse de près de 40 ans en parfumerie, Gabrielle Chanel réussit à imposer le lancement d’un nouveau parfum qu’elle songea un moment baptiser Coco. Mais elle choisit de reprendre un numéro et de privilégier sa date de naissance au mois d’août, le 19.
S’il y avait déjà eu quelques parfums « verts » avec une bonne dose de galbanum (Vent vert de Germaine Cellier), des créations d’Henri Robert s’étaient elles intéressées au muguet. Mais le N°19 a une signature particulière ; s’il a aussi des notes vertes avec le galbanum, des accents de néroli, de jacinthe, sa signature majeure est la présence d’un bel iris de Florence. S’ajoutent rose de mai, muguet et sillage boisé (cèdre, vétiver…).
Si l’eau de toilette est née en 1970, l’eau de parfum a été ajoutée en 1988 avec en tête davantage de jacinthe et de l’ylang-ylang en coeur, une version plus capiteuse. En 2011 Jacques Polge imagine un N°19 Poudré, moins vert, mais très iris, il se termine dans la douceur délicate des muscs et mérite son joli nom de poudré.
L’iris me parle, l’iris me plaît. Au Japon, je me découvris un goût immodéré pour cette fleur dont j’apprécie les espèces les plus simples, pas tarabiscotées. Ma préférée (je rêverai de trouver des bulbes) est une variété japonaise d’une simplicité absolue ; seul un trait violet, presque calligraphique, laisse imaginer la fleur tandis que ses feuilles enserrent la trace des pétales dans une prison, « gangue » verte. Son nom aussi m’enchante : oreille de lapin (usagi no mimi) de la variété des Iris Laevigata.
Entre nature et poésie, un haiku de Matsu Bashô (XVIIè s.) :
« I will bind iris blossoms round my feet cords of my sandals. »
Si le bel iris n’a pas vraiment d’odeur, c’est son rhizome qui livre à la parfumerie une de ses plus belles matières (et une des plus onéreuses).
Naissance : 1970
Papa : Guy Robert
Famille : Fleuri boisé vert
Genre : Féminin
Toujours disponible en parfumerie
3 décembre
= Le parfum de Claire
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A la fin des années 60, Yves Saint Laurent imagina Rive gauche, emblématique du changement vécu par la mode. La ligne écrivit l’histoire et s’inscrivit dans le nouveau territoire du prêt-à-porter.
Né en 1971, après la mode, le parfum éponyme reprend l’esprit frondeur de la femme Rive gauche, s’affirmant résolument dans son époque.
Je reçus le parfum quelques années plus tard (un cadeau de mon « fiancé » avant le premier grand départ pour le Japon) dans une très jolie version « extrait » en forme de petite flasque plate.
Le slogan reste vif dans mes souvenirs : « Rive gauche n‘est pas un parfum pour les femmes effacées ». L’héroïne, à la terrasse d’un café, s’identifiait à une working woman, mais éminemment séductrice. Flamboyante, la chevelure rousse se rattache à la typologie d’une femme chère au couturier et qui se réincarne aujourd’hui avec la belle Jessica Chastain, héroïne du nouveau féminin maison : Manifesto.
Rive gauche eut sa part de scandale avec un flacon dessiné comme une bombe de laque (atelier Dinand) oubliant volontairement les codes du luxe, mais avec des couleurs chics : bleu canard, argent et noir.
La fraîcheur en tête (bergamote) est traversée d’un éclat vif, métallique d’aldéhydes. Des fleurs : ylang-ylang, freesia… sur un coeur rose, jasmin et fond vétiver, musc, mousse de chêne, myrrhe.
Revisité au moment du lancement de Rive gauche pour homme en 2003 par Daniela Andrier, le féminin a conservé l’esprit de la fragrance originelle après avoir été remis aux nouvelles normes (la mousse de chêne notamment devait être « remplacée »).
Si, aujourd’hui, je l’ai oublié, il demeure le parfum de mes « vingt » ans.
Le ressentir fut un délice, jolie plongée dans le passé.
Naissance : 1971
Papa : Michel Hy / Jacques Polge
Maman en 2003 : Daniela Andrier
Famille : Floral aldéhydé
Genre : Féminin
2 décembre
Toujours disponible en parfumerie.
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