Rencontre avec une voix

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Le 2 février dernier, j’ouvre Facebook. Dans ma boîte mail, quelques mots d’une certaine Hélène Chanson. Je ne la connais pas. J’ouvre, curieux. « Bonsoir, je m’appelle Hélène Chanson et je prête ma voix à Julianna Margulies. Je souhaitais susciter votre intérêt pour le doublage de la série The Good Wife. » Je n’ai pas encore de photo de la dame – sur son profil Facebook, le vent rabat ses cheveux sur son visage – mais j’entends alors distinctement sa voix, le timbre légèrement éraillé, si familier depuis Urgences, Hartley Cœurs à Vifs (Anita, c’était elle !) et Stargate (la voix d’Amanda Tapping, c’est aussi elle). A force d’écrire et de dire à qui veut l’entendre que je n’aime pas la VF, je me méfie d’un guet-apens, mais l’invitation est originale, je l’accepte donc. Hier, en fin d’après-midi, j’ai bu un verre à la terrasse d’un café parisien en compagnie de Carol, Alicia, Anita, Samantha… et Hélène Chanson.

Quand j’arrive, légèrement à la bourre, elle a déjà fini son café, et fume une cigarette cachée derrière ses lunettes de soleil. Il me faut un temps qui savoir que c’est elle. Le temps qu’elle m’adresse la parole. Elle est souriante. Elle ne cherche pas à m’étrangler. Au contraire. « Je voulais vous dire que j’adore le travail qu’on fait sur The Good Wife, lâche-t-elle. C’est ce que j’ai toujours voulu faire. » Me voilà emmerdé. Je cherchais une bagarre, on m’invite à danser. Hélène Chanson, la cinquantaine, a 23 ans de tournage derrière elle, dont une plâtrée de séries et de films avec Julianna Margulies, son rôle fétiche. Elle en parle la voix chargée de respect. Elle ne l’a jamais rencontré. « Je suis trop timide, je n’y arriverais pas ! », s’amuse-t-elle. Elle double en ce moment la saison deux de The good Wife. Je l’écoute me parler de son travail…

« On ne dit pas doubleuse ou doubleur, mais comédien de doublage », précise-t-elle pour commencer. D’ailleurs, elle préfère dire qu’elle « prête sa voix. » « Mon but, c’est de restituer l’énergie de la VO, poursuit-elle. Ce n’est pas un travail de perroquet. Il y a une musicalité de l’anglais qu’on ne peut pas reproduire. Pour faire un bon doublage, il ne faut pas jouer, il faut entrer dans la respiration de celle qu’on double. Le jeu théâtral à la française ne se prête pas à cet exercice. Il faut plutôt suivre les enseignements de Stanislavski (qui a inspiré la méthode actor studio, ndlr): être le plus naturel possible, éviter le psychodrame, être soi, ne jamais mettre le geste au-delà de l’humeur. »

Sur The Good Wife, elle enregistre par sessions de deux épisodes, en deux jours, scène par scène. Elle écoute d’abord la VO, pour saisir le rythme de Margulies, puis double. « Quand je double, je regarde le visage de Julianna, son masque, c’est ce qui dicte mon émotion. Il faut que je sois littéralement dans son émotion. » Le doublage est un exercice qui demande de l’humilité. Il faut toujours « être derrière le personnage », répète Hélène Chanson, visiblement passionnée par son boulot. Alors tout va bien ? Non, tout ne va pas bien. Le marché du doublage s’est mieux porté. De plus en plus de voix sont enregistrées en Belgique, où les comédiens sont moins payés – « environ 250 euros la mâtinée, quand nous sommes parfois payés jusqu’à 800 euros. » Les Belges cassent les prix, et les Québécois nous piquent aussi des marchés. Hélène Chanson n’est ainsi pas la voix d’Amanda Tapping dans Sanctuary.

Mes réflexions en faveur de la V.O, elle les a lu. Elle comprend. Certains doublages, avoue-t-elle, sont à pleurer. Mais d’autres sont fait par des passionnés, qui font tout pour que cet exercice, « un mal nécessaire », soit le plus soigné possible. On ne la contredira pas. Car si le sériephile évite soigneusement les VF, il ne peut nier que certaines voix françaises, comme celles de Carol Hathaway ou d’Anita Scheppers, ont marqué, à leur façon, son expérience sérielle…


Images de Une : Julianna Margulies et Hélène Chanson, The Good Wife (CBS/M6). Montage du blog doublagefrancais.skyrock.com.

9 commentaires pour “Rencontre avec une voix”

  1. Mes respects a Madame Chanson. Rien que l’évocation des personnages qu’elle a doublé m’ont remis immédiatement en tête sa voix 🙂

  2. super sympa cette interview.
    souvent, on tape sur les comediens de doublage. mais peut être que le problème vient des gens qui “traduisent” ou réécrivent les scénarios.
    respect pour les comediens de doublage car j’ai l’impression qu’un acteur américain doublé par un français, ça donne mieux qu’un acteur français dans un film français… 😀

  3. Bonjour,

    Ben oui la VF c’est souvent (forcément ?) naze..
    C’est donc à propos sur ce post, que j’aimerai souligner la performance de Féodor Atkine (voix de Hugh Laurie) même si la synchro laisse parfois à désirer.

    bonne journée

  4. Hélène Chanson double très bien Julianna Margulies. On a même du mal à l’imaginer avec sa propre voix. Par contre j’ai l’impression que la doublure du mari n’est pas vraiment réussie et le rend encore plus antipathique qu’il ne l’est.
    Ce n’est pas qu’on soit contre le doublage mais on perd parfois une partie du personnage même lorsque l’acteur est bien doublé. Bryan Cranston est bien doublé mais l’acteur est si bon qu’on y perd forcément.
    Don Draper n’est pas si mal doublé que ça. J’ai vu les 3 premières saisons en VF. Mais c’est après avoir vu la quatrième en VO que j’ai enfin compris ce qui faisait de Don un personnage au charme irresistible auquel succombent toutes les femmes.

  5. Pour moi le problème ne vient pas de qualité des doublages (qui ne pourront toujours êtres qu’imparfaits), ni des comédiens, mais bien du fait qu’on nous impose ces voix françaises.
    Vu qu’un sous-titre ne coute quasiment rien, je ne comprends pas pourquoi les chaines ne proposent pas plus de séries en VOST, même reléguées en milieu de nuit. Si quelqu’un a la réponse…

  6. Il est vrai qu’en la VO (ST) et la VF, une fois qu’on y a goûté on ne peut plus entendre autre chose sans avoir très mal !
    L’article m’a attirée pour une raison simple, ayant découvert Stargate très jeune, je connais fort bien la voix d’Hélène Chanson via Sam Carter.
    J’ai commencé à regarder TGW en VO sans accroché du tout durant les premiers épisodes. Ne trouvant rien sur nos jolies petites chaines un soir, j’ai regardé les épisodes diffusés actuellement et ô surprise, la série m’a plus.
    Sauf que, je ne peux pas écouter Alica Florick sans voir Samantha Carter !!
    Côté positif, je suis revenue à la VO 🙂

  7. Ps : la journée de travail fut longue et mon commentaire truffé de fautes, je m’excuse 🙁

  8. Super idée cette interview !! Une bonne idée à renouveler, à mon avis, genre une interview mensuelle. Le doublage est vraiment un exercice intéressant.
    Nous sommes d’accord, la VF dénature forcément la VO et le travail de l’acteur. J’ai même parfois l’impression que ça casse le rythme des scènes, surtout dans les Sitcoms, la langue française étant plus extensible que la langue anglaise. Un simple exemple : “Google it” va se transformer en “Vérifie sur Google” ou “Cherche sur Google”.
    Je pense que la qualité du doublage est liée à plusieurs facteurs comme la traduction, la qualité intrinsèque du comédien de doublage, l’adéquation entre la voix de l’acteur et celle du comédien de doublage, la direction des comédiens, etc., mais également la série qui est doublée. J’ai l’impression que les sitcoms sont beaucoup plus massacrées que les autres séries (je pense à Friends, How I Met Your Mother, Seinfeld, etc.). Non, mais sans déconner, la voix fluette de gringalet ne correspond pas du tout à la voix puissante de Marshall Eriksen.
    Après, certaines voix collent bien au personnages : le doubleur de Michael J. Fox est vraiment excellent !!

  9. Il y a de mauvais comédiens de doublage, comme il y a de mauvais cuisiniers. Il y a des VF qui sont très bien faîtes et d’autres moins bonnes. Mais je ne pense pas qu’il faille rejetter la version française en bloc comme si c’était quelque chose d’horribles pour tous les puristes. Car sans le doublage, une grande partie du public ne connaitrait pas certaines séries et leur popularité vient aussi de ces gens travaillant dans l’ombre et souvent dans de mauvaises conditions. Dans l’interview, on dit que la comédienne regarde la scène en VO avant de la doubler, mais ce n’est pas toujours le cas dû à un manque de temps. La VF est parfois réalisée très peu de temps avant la diffusion donc il peut y avoir un timing très serré qui entraine parfois un travail baclé. non par manque de talent, mais de temps.
    Et puis, il y a aussi toutes ces voix liés à notre enfance. Bob là dit, comment imaginez Retour vers le futur sans les voix VF des personnages ? Ou Buffy sans la voix de “Susan Myers” de Desperate housewives ?

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