Les coquelicots de la discorde

“Salut, tu veux voir mon coquelicot ?”

Avec la dernière polémique en date dans les tabloïds anglais, il n’est question ni de cul, ni de racisme, ni d’alcool, mais bien de guerre mondiale et de coquelicots.
La presse britannique a retrouvé l’une de ses cibles préférées: la FIFA. La Fédération internationale était déjà dans le collimateur depuis que l’Angleterre a été snobée pour l’organisation de la Coupe du monde 2018, mais voilà que le crime de lèse-majesté prend une nouvelle dimension avec l’affaire des coquelicots.

Cette fleur est en effet le symbole des victimes alliées de la Grande Guerre depuis 1921. Elle se porte à la boutonnière dans les pays du Commonwealth au moment du 11 novembre, pour saluer la mémoire de ceux tombés lors de la boucherie la plus stupide de l’histoire. A l’occasion du match amical contre l’Espagne samedi, la Fédération anglaise avait décidé de faire enfiler à ses joueurs, pour la première fois, un maillot spécial orné d’un coquelicot.

Entre en jeu la FIFA qui refuse par deux fois de voir le coquelicot sur le maillot anglais, comme sur celui des Gallois, qui s’étaient associés à l’idée en vue de leur amical contre la Norvège. La raison: il ne faut pas atteindre à la neutralité du football. “Cette initiative ouvrirait la porte à d’autres initiatives partout dans le monde“, a estimé l’organisation dans un communiqué. La FIFA avait déjà rappelé à maintes reprises que les équipements des joueurs ne devaient comporter aucun message à caractère politique, religieux ou commercial. Il s’agit bien sûr d’éviter toute dérive, même si l’idée de voir l’Autriche jouer avec un croissant sur le torse contre la Turquie est franchement drôle.

Anglais et Gallois devront donc se contenter d’arborer le coquelicot à l’échauffement et de respecter une minute de silence s’ils le veulent, malgré la lettre de soutien du ministre britannique des sports, s’échinant à défendre un symbole “absolument pas politique”. Le monde du rugby n’est pas si prude, et les All Blacks arborent à chaque automne un coquelicot sur leur manche lors des test-matches (comme ici face à la France en 2006). La Nouvelle-Zélande est en effet le pays qui a subit les pertes humaines les plus lourdes, proportionnellement à sa population, et plusieurs internationaux sont morts dans les champs de patates du nord de la France et de la Belgique, à 20.000 bornes de leurs prairies à moutons.

Maquiller l’affaire Terry

Le débat est depuis vif du côté d’Albion. Les tabloïds accusent les gérontes du Lac Léman d’anti-britannisme primaire et d’insulter la mémoire des victimes, faisant valoir que même les Allemands, qui “ne seraient finalement pas si diaboliques que cela” selon le Daily Mail, ne s’opposent pas à l’initiative. Pour eux, la logique du football hors sol a encore remporté une bataille (rappelez-vous l’affaire Lemoine dans notre chère Ligue 1). Le sujet est si grave que le Premier Ministre David Cameron a dénoncé “une absurdité“. N’ayant pas l’euro à sauver, il a un peu de temps libre: “Cela me paraît scandaleux. Il est absurde de considérer comme un geste politique le fait de porter un coquelicot en souvenir de ceux qui ont donné leur vie pour notre liberté”.

D’autres blogs ont en revanche dénoncé la tentative d’exploitation de l’affaire des coquelicots par une Football Association empêtrée dans le dernier Terrygate (le capitaine de Chelsea est accusé d’avoir tenu des propos racistes). “La FA n’a pas perdu de temps pour se faire une publicité cynique, dénonce le blog Early Doors, elle savait que la seconde demande allait échouer mais l’a déposé quand même parce que des titres sur la FIFA anti-anglaise valent mieux que des titres sur John Terry”. Le même blog s’interroge sur la récupération de la fleur du souvenir par la presse et le gouvernement pour enterrer les mauvaises nouvelles. Surtout lorsqu’on apprend que le principal fabriquant des coquelicots en papier ou en cristal vendus dans toutes les boutiques du royaume sur le thème “faites un don“, a admis ne reverser que 10% des sommes perçues aux bonnes œuvres de l’armée britannique.

François Mazet

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Photo: Des vétérans de guerre à Londres en 2006, REUTERS/Eddie Keogh

Un commentaire pour “Les coquelicots de la discorde”

  1. Les commémorations sont toujours des évènements de politique intérieure et utilisés comme tels et ne doivent, selon moi, en aucun cas se retrouver sur un terrain de football, surtout pas dans des rencontres internationales.
    On commémore n’importe quoi et pour des raisons profondément obscures. Si le sport doit se faire l’écho (comme c’est parfois le cas lors des “minutes de silence) de ces calculs, on se prépare de jolis combats de t-shirts entre anciens empires et anciennes colonies.

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