Il y a 3 ans déjà, j’écrivais un article pour Slate intitulé « La Fracture Sérielle », où j’expliquais que le fossé créatif entre TF1 et M6 d’une part, et Arte et Canal+ d’autre part, atteignait des sommets. Les deux premières n’avaient guère d’autre ambition que l’audience, les deux secondes visaient au contraire la prise de risque et la qualité. Je laissais dans les mains de France Télévisions l’avenir d’une série grand public de qualité. Je reviens du Festival de la fiction télé de La Rochelle, rendez-vous annuel de la fiction hexagonale, où l’on peut entendre les différents décideurs exposer leurs projets et dire, plus ou moins directement, leurs ambitions. Et je dois, à contrecœur, le dire : la fracture semble devoir devenir un canyon.
En l’espace de 24 heures, j’ai pu notamment assister aux présentations de rentrée du groupe TF1, et à celle d’Arte. Vous me voyez venir, et vous voudriez me dire que les besoins financiers, les nécessités d’audimat, le public, l’histoire de ces deux groupes n’ont fichtrement rien à voir. Certes, mais TF1 et Arte ont un point commun : l’avenir de nos séries dépend de leurs choix, comme de ceux des autres chaînes françaises, à une heure où on cherche encore la solution pour se tenir fier et droit devant nos voisins anglais, danois, suédois… Leur regard sur la fiction, leur considération des téléspectateurs, leur envie de mieux faire, leur appétit déterminera le visage des séries de demain. Et vous voudriez me dire que TF1 n’est pas là pour faire de l’art et essai, qu’il en faut pour tout le monde, que Falco n’est pas ce qu’on a vu de pire (mais que Jo, en revanche…), qu’il y a plein de gens qui aiment Camping Paradis, et qui considèrent que Profilage est une belle réussite – la preuve, elle a été élue meilleure série au terme du festival. Tant mieux pour eux.
Non, les séries ne doivent pas être obligatoirement des créations complexes, difficiles à saisir, pointues, exigeantes. Oui, elles peuvent être divertissantes, amusantes, légères. Ce qui ne veut pas dire complaisantes, formatées, calibrées pour emmener brouter les téléspectateurs.
J’en reviens à mes moutons, justement. J’ai donc assisté aux présentations de TF1 et d’Arte. A la première, voici à peu près le langage qu’on me tint, comme dirait l’autre : il faut un produit fédérateur, facile à repérer, identifiable, une marque qui soit performante, et puisse aider à rationaliser la grille. Une heure durant, j’ai eu cette drôle d’impression d’assister à une conférence commerciale, avant toute chose. Il fallait calculer, viser, prévoir, rentabiliser. Plaire. Surtout plaire. A toutes, à tous. Là encore, vous me direz que ce n’est pas nouveau, et vous aurez raison. Mais ça fait du mal de le redire, donc ça fait du bien de le redire. J’ai beau avoir tendu l’oreille, je ne crois pas avoir entendu le mot « œuvre » ou le mot « artistique » ce matin-là.
Les prochains gros projets de TF1 en séries ? Interventions, une série sur un chirurgien obstétricien au sale caractère et à la vie personnelle compliquée (ce ne serait pas Grégory, son prénom ?), avec Anthony Delon dans le premier rôle – autrement dit, mieux qu’un pensionnaire de la Comédie Française. Puis, Taxi Brooklyn, déclinaison des films d’auteur de Luc Besson, mais à Brooklyn – Marseille n’est plus fréquentable. Derrière la caméra, Olivier Megaton, réalisateur de Taken 2. Autrement dit, un poète. Et Taxi Brooklyn de devenir un très sérieux candidat, sur le papier, pour faire de la concurrence au Transporteur pour le titre de meilleure série franco-quelque chose de tous les temps. Tout juste peut-on se réjouir de Résistance, projet de minisérie signée Dan Franck (Les Hommes de l’Ombre), pour les 70 ans de la libération de la France l’an prochain.
Côté Arte, autre son de cloche. Pas de produits, pas de marques, aucun désir de fédérer, bien au contraire, ou alors autour d’une ambition clairement artistique. Les polars, quand il y en a, sont étranges ou sociétaux – P’tit Quinquin, minisérie nordique de chez nous, signée Bruno Dumont – et les pitchs des séries en projets feraient trépasser la ménagère : Cannabis suivra ceux qui cultivent et ceux qui consomment l’herbe qui rend joyeux – et merdeux, riche ou miséreux – du Maroc à Paris, Trepalium imaginera une France pas si improbable où 80% de la population est au chômage, Un Echo, hommage à Philip K. Dick, aura pour héros un pianiste victime d’étranges acouphènes. Que des idées étonnantes, risquées, parfois violentes ou dérangeantes. Et, dans la voix de ceux qui les annoncent – en l’occurrence, essentiellement Judith Louis, la directrice de la fiction d’Arte — un mélange d’envie, d’incertitude et de modestie, parce qu’on sait qu’on ne fera pas 7 millions de téléspectateurs avec des séries comme ça, mais qu’on sera peut-être fier de faire fonctionner leurs neurones de quelques milliers de curieux et, qui sait, de faire avancer la qualité de la fiction hexagonale.
Voici deux mondes qui s’opposent. Il faut de tout, me direz-vous. Ou pas.
Et France Télévisions dans tout ça ? Pourra-t-elle jouer son rôle d’entre-deux, élever les séries grand public et empêcher que l’audience ne soit irrémédiablement aspirée vers les marques et les produits, laissant aux « intellos » les séries d’Arte ? J’ai pu voir La Source, La Famille Katz et Cherif, trois des futures séries de France 2. Le bilan est mitigé. Certes, ce n’est pas du TF1, c’est moins systématique, mais on est loin de l’ambition des défuntes Signatures et Les Oubliés (France 3), ou même d’Un Village Français. France Télévisions tâtonne encore. Fais pas ci fais pas ça a trouvé son équilibre, mais ne pourra pas durer éternellement. Les Hommes de l’Ombre est efficace mais bourrée de défauts – le départ de Nathalie Baye, médiocre en saison 1, me fait espérer une bonne saison 2. On est encore loin du compte.
Quand la séduction calculée de la “ménagère” semble diriger les choix de TF1, quand la prise de risque pourrait définir ceux d’Arte, la peur semble encore trop présente chez France Télévisions. Lundi, à la présentation de rentrée de France 2, Thierry Sorel, le directeur de la fiction de la chaîne, parlait d’ « exigence artistique », de « logique de montrée en gamme », jurait qu’il tenait « le plateau le plus brillant de la fiction française » en sortant une liste de « grands noms » côté comédiens – ce qui ne fait pas une bonne série. Puis, quand on lui demandait s’il comptait prendre des risques, faire des séries pour des publics plus réduits, peut-être plus dures, même si elles étaient diffusées tard le soir, il se cachait derrière un décevant « nous avons notre public, nous sommes une chaîne grand public », puis rappelait que la chaîne à ses « cases. »
La morale de cette histoire, c’est que, si j’ai bien compris, le grand public ne veut pas qu’on le secoue. Il veut qu’on lui serve des choses au pire mauvaises, au mieux agréables et familières. Vous allez encore me dire que c’est partout comme ça, qu’aux États-Unis les networks font de la bouillie pour tous quand le câble fait du pointu pour quelques-uns. Ce n’est pas complètement faux, mais le jour où TF1 sortira Hannibal et où France 2 diffusera The Good Wife – enfin, des séries hexagonales de cette ambition – on en reparlera.
Laissons le temps au temps. Voyons ce que les plus petits, OCS – qui a de l’ambition mais tâtonne – et la TNT – qui n’en a pas beaucoup pour l’instant – ont à proposer. Peut-être la fracture sérielle finira-t-elle par se refermer. J’écris ça à l’heure où certains vont à prier à l’église…
Enfin, je dois être un intello fermé d’esprit, puisqu’ils ne seront que quelques milliers à être d’accord avec moi, et des millions à ignorer ma complainte, quand les nouvelles séries de TF1 et d’Arte seront diffusées…
Pas mieux…
Je suis bien d’accord. TF1 atteint des sommets en conneries, que ce soit émissions ou séries, quand Arte propose des programmes culturels dans lesquels on picore ce qui nous intéresse.
Canal+ a de bons programmes et de très bonnes séries mais coûte trop cher (prêt de 50 euros par mois)!
Et France Télévision devrait faire l’entre-deux: après tout si on paye une redevance ce n’est pas pour retrouver les mêmes choses que sur TF1 ou M6 !
Et pendant ce temps là, la fréquentation des sites de Streaming explose. Toutes mes condoléances, TF1.
Voici un long et très intéressant article expliquant ce qu’est l’ Ochlocratie.
bof qui paye?
ça reste le problème d’arte.
Un petit ouvrier via ses impôts paye pour l’opéra, des films, et des pièces de théâtre et pour ARTE qu’il ne verra ou ne regarder pas..et ça ne vous pose pas de problème?
Qualité? C’est à dire?
Non ce que vous appelez qualité n’est que la contenance d’un coté subversif mais élitiste et par conséquent toujours minoritaire..
Navré d’être un affreux terre à terre matérialiste, TF1 ne me pose aucun problème: je ne la regarde pas et j’évite de la financer en évitant les marques. Je regarde parfois ARTE mais cela me pose question quant à l’allocation des ressources publiques. eh oui un sou pour arte d’argent public c’est un sou en moins pour l’école la santé etc..
ET je connais des gens que je juge arrogant et prétentieux regardant arte, et je connais des gens très bien regardant TF1…Ce que vous appelez culture qui n’est en fait qu’une certaine culture celle de l’élite éduquée ne rend absolument pas les gens meilleurs.
A vrai dire elle ne sert qu’à justifier comme vous le fait l’existence de la dite élite…c’est votre sang bleu.
ET franchement si on fait la liste de ce “vous” ( un autre vous , mais si semblable) disiez il y a 50 ans..les films de audiard sont beauf, la bd est une sous culture etc…ça fait sourire…
La “sous” culture de TF1 vous la diffuserez dans 30 ans je présume ..bah….
Ne vous inquiétez pas…je ne méprise pas ARTE ni vous mais je méprise votre mépris.
@Lemiere ..;
… c’est plutôt votre mépris des individus qui est méprisable, au même titre que celui de TF1. Le problème ne vient pas des séries diffusées : Dr House vaut certainement The Wire … (enfin, Dr House en VOSTFR). Ce qui ressort de l’article, c’est la différence de discours et de prise de risques.
TF1 pourrait se permettre de prendre des risques, vu les centaines de millions d’euros qu’ils brassent – ils pourraient tenter d’utiliser leur puissance d’audience pour faire découvrir autre chose.
S’il y a un fossé entre ARTE que vous cognez en tant que receptacle de subsides publiques et ARTE, si l’élitisme existe, c’est parce que chacun s’enferme dans son monde, et surtout les plus puissants enferment les autres dans leur monde. Si TF1 se permettait d’ouvrir un peu les portes, alors ARTE ouvrirait peut être aussi la porte de sa niche “artistique” et soit disant élitiste… (que ce soit via des programmes comme Tracks, Xenius, Dessous des cartes, etc. on est vraiment loin de l’élitisme)
De ce que j’ai vu,sur F2, La famille Katz est une vraie réussite (l’accueil du public a été excellent) alors que La Source une catastrophe dont F2 ne semble pas avoir conscience (énormément de gens ont quitté la salle après le 1er épisode)
Parmi les autres réussites si l’on en croit les réactions enthousiastes de la salle, Nom de Code Rose. (TF1)
Ne demandons ni à F2, ni à TF1 de faire du Arte: tout le monde n’a pas envie de voir Les Déferlantes (ok, c’est un unitaire !)
Bien vu, Yorgat. J’ajouterai que la soi-disant sous-culture réservée aux prolos et autres ménagères est un délire inventé et imposé dans les bureaux de ces messieurs aux pouvoirs insupportables des média importants. Même si le monde est rempli d’abrutis, on est pas forcément abruti parce qu’on est pauvre (ou pas vraiment riche) ni forcément intelligent parce qu’on est riche (voire même très riche). Mais si les média importants (qui n’ont que des concessions, rappelons-le) assumaient leurs rôles pédagogiques, on ne boufferait plus de leurs saloperies et le monde irait sans doute mieux. Mais est-ce leur intérêt ? A qui profite la médiocrité générale ? Par ailleurs, si vous consultez le site acrimed, vous découvrirez que le virage mercantile de France 3, dans les années 90, est loin d’être une réussite commerciale, c’est même un échec du point de vue de l’audimat. Mais je crains que pour garder le pouvoir il faille aujourd’hui courir après la médiocrité – pour ne pas déplaire aux médiocres.
Rien de nouveau.
Tellement nul qu’il y a encore des millions de personnes vautrées devant ces chaines… Alors soit ces millions de personnes aiment ça (et là, il n’y a plus rien à faire), soit elles ne savent pas où trouver mieux.
Personnellement, je connais mieux les griles d’AMC, HBO, FX, CBS et consorts que les grilles françaises (et rien ne m’empêchera de continuer).
Le pire étant que les “bonnes” séries françaises ne marchent pas à l’international parce que rien n’est fait pour les y aider !
Même quand TF1 et M6 “tombent” sur de très bonnes séries, elles sont complètement maltraitées ou matraquées au point de devenir parfois indigestes. Ex : TF1 qui commence à diffuser House par l’épisode NUMERO 2 (oui oui ils n’ont jamais diffusé le n°1) ou M6 qui nous balance 6 ou 7 épisodes de NCIS issus de 3 saisons différentes dans la même soirée. Ceci dit, parce qu’il ne faut pas voir que le négatif, il faut souligner leurs efforts pour proposer de la VOST, de plus en plus souvent disponible sur ma freebox TV, sur arte et TF1 notamment.
Mais enfin, TFI n’en a rien à faire de la qualité artistique de ce qui est produit … de l’aveu même de sa haute direction, et depuis longtemps ! Les émissions de TF1 ne servent qu’à gérer le “temps de cerveau disponible” pour les tranches de pub qui suivent, donc oui, il est bien question de “marques”
http://lexpansion.lexpress.fr/entreprise/patrick-le-lay-president-directeur-general-de-tf1_105361.html
voir le très bon documentaire passé sur Infra-rouge (France Télévisions) conduit par Bernard Stiegler
http://www.youtube.com/watch?v=-BZzirTcF6w
et la saison 3 de Börgen , c’est pour quand ? parce que là franchement on s’impatiente ..
@shinka27 : très prochainement, en octobre ou novembre, je crois !
@Shinka : le 3 octobre sur Arte 🙂
A part “Les revenants”, je n’ai rien vu ces dernières années sur les chaînes françaises qui puisse rivaliser avec les productions us, uk et scandinaves les plus ambitieuses. Et encore, cette série présente quelques défauts – notamment l’ultime épisode de la saison 1. Mais je chipote…
Au rayon pure et honnête distraction, “Les petits meurtres d’Agatha Christie” est très bien – du moins les saisons avec le fils Coluche.
Côté classique, “Chez Maupassant” est une grande réussite. Elle s’inscrit dans la belle tradition de la télé française qui consiste à adapter soigneusement des oeuvres littéraires.