« Faire une série, ce n’est pas une démocratie, c’est une dictature. »

Ce soir, à 20h45, France 2 lance La Source, sa nouvelle série. Un thriller dans lequel une jeune fille au pair est contrainte par les services secrets d’espionner ses employeurs – Monsieur est numéro 2 d’une grosse boîte de recyclage de produits toxiques aux méthodes peu recommandables. Nathalie Suhard et Laurent Burtin, ses créateurs et scénaristes, étaient présents la semaine dernière au Festival de la fiction télé de La Rochelle. J’ai pu discuter avec eux des contraintes pour faire une série grand public en France, des tensions avec le réalisateur (Xavier Durringer ici), de leurs réussites et de leurs concessions. Honnêtes et lucides, leurs réponses disent les difficultés de l’exercice. Mais avant d’y arriver, laissez-moi vous dire un mot de La Source.

Sur le papier, on pouvait en attendre quelque chose de la teneur des Hommes de l’ombre, le thriller politique de la Deux : un divertissement grand public efficace, rythmé, loin d’être parfait mais accrocheur. Le compte n’y est pas tout à fait. La mise en place de l’intrigue, un peu longuette, souffre surtout d’une interprétation médiocre. Flore Bonaventura, une nouvelle venue, s’en sort très bien dans le rôle principale, mais Christophe Lambert, en père de famille inquiétant, et surtout Edouard Montoute, en chef de l’équipe de la DCRI, plombent l’ambiance, mécaniques, récitants, d’un manque de naturel embarrassant. Une fois le suspense installé, on se laisse aller, notamment grâce à un bon troisième épisode, jusqu’au sixième et dernier volet – la qualité de l’interprétation s’améliore d’ailleurs elle aussi avec le temps. Pas honteux, divertissant, réussissant à dessiner quelques personnages complexes (dont celui de Lambert, qui aurait pu être plus fort encore, le potentiel était là), le résultat est au final un bel effort de France 2. Peut mieux faire, comme disait ma prof de maths…

Place à l’interview, comme promis.

La Source, c’est votre projet, vous en êtes les créateurs, n’est-ce pas ?
Nathalie Suhard et Laurent Burtin : oui.

Pourtant, sur le dossier de presse, dans les bonus qui ont été envoyés avec, on ne parle que du réalisateur, Xavier Durringer…
N.S : En France, le système veut que ce soit le réalisateur qui fait le film. Ça pose des problèmes, pas seulement parce qu’on ne fait pas attention à nous dans la presse, mais parce qu’on a travaillé deux ans sur le projet, et qu’au final notre vision des choses ne demeure pas complètement. Nous voulions faire un film de genre, d’espionnage, mais avec une baby-sitter à la place de James Bond et des agents pleins de problèmes intimes. Xavier Durringer voyait les choses à sa façon, et la transition a été très douloureuse.

Il faut abandonner sa série ?
N.S : Oui…
L.B : C’est plus compliqué que ça. Ça faisait un bail qu’on voulait travailler tranquillement, dans notre coin, faire notre propre série, cesser de faire tout le temps la même chose, s’affranchir des codes classiques de la télévision. Quand le projet est devenu une grosse machine qui nous a un peu dépassée, on a été obligé de faire des concessions. On faisait de l’espionnage… mais quasiment sans espions, ce qui était peut-être un problème pour la série, et pour le diffuseur.

Vous l’avez écrit sans diffuseur ?
L.B : Si, en fait. D’ailleurs nous n’avons jamais vendu un projet aussi vite. C’était plié en un mois, alors que ça prend d’habitude plusieurs mois rien que pour être lu…

C’était donc un projet vendeur, avant même d’être revu…
L.B : C’est peut-être justement parce qu’il était vendeur que des personnalités se sont greffées dessus. Après, un rapport de force naturel se met en place…

Comment ça « naturel » ? Demandez à un scénariste américain son ordre « naturel », il verra les choses différemment…
L.B et N.S : En France les choses sont différentes.

Qui a été à l’origine de ce « rapport de force » ? France 2 ?
N.S : Non, au contraire, le diffuseur a compris notre ambition dès le début. Ils avaient exactement la même vision que nous, ils ont été derrière nous. On voulait faire quelque chose à la John Le Carré, et France 2 nous a accompagné, comme les producteurs d’ailleurs…

Bon, alors, ce que les téléspectateurs vont voir, c’est ce que vous avez écrit, ou autre chose ?
N.S : C’est autre chose.

C’est quand le réalisateur arrive qu’il reprend la série à son compte ?
N.S : Oui, mais à un moment donné, quelqu’un doit prendre la main. On ne tient pas la caméra, on n’est pas aux commandes, et il faut savoir lâcher…

Vous n’étiez quand même pas en vacances pendant qu’ils tournaient ?
L.B : Non, on était là. D’ailleurs, c’était le moment le plus réjouissant de cette collaboration. La leçon que j’ai retenue, au final, c’est que monter une série, ce n’est pas une démocratie, c’est une dictature. On assume ces films, on les aime, mais ils ont eu leur vie propre après nous.

Excusez-moi de chercher la petite bête, mais vous parlez tout le temps de « films. » Vous voulez dire « épisodes » ?
N.S : Quand on parle de série, on parle de scénarios, à l’écrit, et de films qui sont tournés. Or, ce qu’on voit ici, c’est que ce qui prévaut, ce sont les « films. » Laurent et moi, on a imaginé le même film, et donc écrit le même scénario, avec les mêmes volontés. Quand Xavier Durringer est arrivé, il a apporté des choses qui sont extrêmement présentes à l’écran, très visuelles, qui participent à créer ces films-là. Mais, du coup, il a changé des choses. Par exemple, la DCRI avait moitié moins d’importance dans notre scénario. Quand on doit pitcher notre série, on parle de l’histoire d’une jeune femme qui cherche une famille idéale, qui la trouve chez ses employeurs… mais qui va devoir la trahir, et réaliser que la famille idéale n’existe pas.

Et vous avez l’impression que c’est devenu quoi ?
L.B : Nous voulions éviter de faire de l’espionnage. Nous voulions parler de famille et de vie, et peut-être qu’au final La Source est plus habituelle et conventionnelle que ce que nous voulions faire. On y voit par exemple des méchants, un peu mafieux, que Xavier sait très bien mettre en scène, mais qui incarnent tout ce qu’on ne voulait pas faire. Ça a été un bras de fer entre lui et nous pour trouver un équilibre entre ce qu’il voulait et ce que nous défendions.
N.S : Nos méchants, pour nous, existaient déjà. Ils étaient dans la famille, dans les personnages principaux.

Pour vendre une série de prime comme La Source à une grande chaîne comme France 2, il faut absolument avoir des Christophe Lambert et des Clotilde Courau au casting ?
N.S : On nous le demande de plus en plus souvent. C’est sans doute nécessaire d’avoir des noms pour que l’on puisse être regardé, au début. Ça fait partie du système. On adore ce qu’on fait, mais il faut savoir s’inscrire dans le système. Il nous faut un diffuseur, et le diffuseur a besoin de têtes d’affiche.

Vous avez eu votre mot à dire dans le choix des acteurs ?
L.B : On a eu un avis consultatif.

Votre héroïne, Flore Bonaventura, n’est pas une vedette pour le coup…
L.B : Oui, mais ça on s’en doutait. Il n’y a pas beaucoup de star de 20 ans en France. C’est plutôt un rôle pour devenir une vedette, ce qui est tout à fait possible pour Flore d’ailleurs.
N.S : Je dirais même que c’était important que ce premier rôle ne soit pas tenu par une vedette.

Une fois qu’on sait que la série va se faire sur France 2, est-ce que ça veut dire qu’il faut se plier à certains codes ?
N.S : En fait, pas tant que ça. Sans l’avoir calculé, on était en plein dans la cible : la famille. On a pas essayé de faire rentrer un rond dans un carré, d’autant que la chaîne a soutenu notre envie de faire des personnages complexes. Si on parle de famille, ce n’est pas du tout pour attirer le grand public. Au contraire, La Source met à mal l’image d’une famille idéale, en la déglinguant au fur et à mesure !
L.B : Si c’était à refaire, on choisirait à nouveau France 2. Si on voulait travailler avec Canal+, on ferait une autre série. C’est important de faire du divertissement populaire.
N.S : C’est une ambition capitale, même si on peut y laisser des plumes. On a dépensé beaucoup d’énergie là-dedans, mais il a fallu laisser des choses sur le bas-côté, supprimer des idées – nous avions par exemple des scènes de rêves – mais, à un moment donné, il faut choisir une forme. Et ça, c’est Xavier Durringer qui l’a donné. Sa vision, c’était la paranoïa et la surveillance, qu’il a mis en forme. Il a su s’y retrouver dans notre histoire, ce qui n’était pas évident, sa lumière est super jolie, ce qui n’est pas souvent le cas à la télé. C’est un type qui sait ce qu’il veut. Une série, au final, c’est la rencontre de deux sortes de despotes : celui qui a inventé l’histoire, et celui qui la met en forme.

Image de Une : La Source (France 2)

Un commentaire pour “« Faire une série, ce n’est pas une démocratie, c’est une dictature. »”

  1. J’ai vu aujourd’hui même une vidéo dans laquelle Jon Hamm et Bryan Cranston répondent sur le fait de réaliser une série par un simple “be a good guest”. Ça en dit long sur la mentalité diamétralement opposée quant à l’importance du réalisateur sur une série, aux USA il est clairement là pour se mettre au service de ceux qui racontent l’histoire.

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