A Londres avec Louis C.K

On ne s’attendait pas aux 12 pèlerins du Comedy Cellar, mais tout de même. L’O2 Arena de Londres, en ce mercredi 20 mars, est quasi plein à craquer. 12.000 personnes, autant de bières, et en bas, là, à ma gauche, une scène vide. À peine deux tabourets et un micro. Deux rangées de spots, le strict minimum. Et Louis C.K. Polo noir, jean, sale tronche, bouc et cheveux hirsutes. « Cette salle est ridicule. Vous êtes venus dans ce trou de Londres pour me regarder à la télé ? » Il n’a pas tort, Louis, je vais passer pas loin de deux heures la tête tournée vers un des écrans géants de ce Bercy londonien, histoire de voir un peu sa poire. Parce que de là-haut, je vois bien ma maison, mais le petit Louis s’agite en bas, loin. Enfin, j’aurais tort de me plaindre, je suis pour de vrai au spectacle de Louis C.K.

Je n’ai pas eu l’idée tout seul. J’enrageais de ne pas le voir passer par Paris (il reste en Europe du Nord, et passera par la Norvège et la Suède), quand la collègue Charlotte Blum (celle-la même qui ose se payer la tête de Jack Bauer) m’a suggéré de monter dans l’Eurostar et d’aller voir si on sait rigoler chez Sa Majesté. Challenge accepted. Le type devant nous à la douane, Gare du Nord, n’est pas un inconnu. C’est Kyan Khojandi, de Bref, avec deux potes à lui (dont Baptiste Lecaplain (à droite sur la photo)). Coup de pot, il me remet – on a fait une émission au Mouv’ – et je n’ai même pas besoin de lui demander ce qu’il fait là. « Ce type a changé ma vie, m’explique-t-il. Je l’ai découvert à l’époque de Lucky Louis, sur HBO. Sa façon de parler de la vie intime, des petites choses du quotidien, avec autant de liberté, m’a énormément influencé. » Khojandi est incollable sur C.K. Candide, j’espère que son spectacle sera 100% inédit. Il me rassure, « tous les ans, il en sort un nouveau », avant de rejoindre son wagon.

Je vous épargne notre après-midi londonienne, mais pas mon passage chez Urban Outfitters, et le superbe t-shirt que j’y ai dégoté (ben oui, c’est aussi ça, un blog).

Dans les couloirs du métro, il y a des affiches pour le spectacle. « C’est une vedette américaine », me lâchait Khojandi plus tôt quand je m’étonnais de la taille de l’O2. Ça en a tout l’air, et son service de presse, ferme, ne m’a pas laissé le plaisir de lui en parler de vive voix. Je fais donc ma midinette (oui, je sais, je fais une drôle de tête quand je suis midinette…).

Le spectacle commence à 20h, et Louis C.K est ponctuel. À 20h15, les lumières s’éteignent. On nous a parlé d’une première partie. En effet, un type s’avance sur la scène une trompette à la main. Il joue « Un jour mon prince viendra », deux minutes, et s’en va. Silence dans l’arène. Et C.K déboule, sous les hourras. « Je cherchais un trompettiste (on ne saura jamais pourquoi, mais on se doute qu’il faut prendre cette première partie au 32e degré), et on m’a dit que celui de Van Morrison était disponible. J’ai dit oui tout de suite. Et puis j’ai appelé un pote qui m’a dit que le trompettiste de Van Morrison est un pédophile. Angoisse. Je googlise le type dans tous les sens, je tape « trompette + pédophile. » Rien. Je vous promets que ce trompettiste n’est pas pédophile. » Ça commence bien.

Je ne vais pas vous faire tout le spectacle, d’autant que je n’ai pas pris de notes… Ça commence par un sketch sur ses voisins, dans un immeuble riche de New York, et sa voisine et son chien incontinent, vieille voisine dont les jambes sont tellement pourries que « j’ai vu un type cul-de-jatte passer en fauteuil roulant en jurant qu’il préférait largement ne pas avoir de jambes. » Ça continue avec un long passage sur les animaux, du poisson rouge qu’on peut balancer dans les chiottes parce qu’on s’en fout, qu’il n’a aucune conscience et qu’il n’a jamais pu ressentir le moindre sentiment pour sa petite fille – qui lui refait le coup de son sketch « Why ? » Ces débuts sont timides, la salle rit gentiment, mais nos côtes ne sont pas trop malmenées. Ça s’arrange quand Louis imite le requin, ce con, qui croit depuis la naissance de son espèce que personne ne le voit venir, alors que son aileron dépasse. Le con.

On attend le Louis C.K pur jus. Il arrive. Il parle de son anus, qui se dilate et l’envoie aux toilettes toutes les 20 minutes. De ses litres de sueur. De son grand âge (il a 45 ans), et mine de rien vise juste. « Si vous passez devant une pâtisserie et que vous faites euuuhhhhhh (bruit inimitable, langue pendante), achetez le gâteau. Et un autre gâteau. Et un autre. Oui, vous allez grossir, mais vous suivrez votre instinct, votre nature, ce que vous êtes au fond. J’appelle ça mûrir, grandir, devenir adulte. Ensuite, il vous faudra trouver une femme qui veut niquer ÇA. Et cette femme-là sera parfaite pour vous. » « Combien d’entre-vous ont plus de 40 ans ? » interroge-t-il. 20 personnes se manifestent. Hilarité. « Combien ont moins de 40 ans ? » Explosion d’applaudissements et de cris. « Mais c’est dingue de crier de joie juste parce qu’on a moins de 40 ans, rebondit C.K. C’est comme débouler dans une réunion de cancéreux et lever les bras au ciel en gueulant « moi je l’ai pas, moi je l’ai pas ». » 12.000 types s’étouffent de rire – quand je dis « types », il y a aussi des femmes, mais un bon 2/3 d’hommes.

Le reste du spectacle est bon. Louis s’en prend encore à ses gosses, fantasme une hilarante vision du monde où le meurtres serait juste un petit délit – et où on trouverait des sacs pour mettre nos enfants morts à chaque coin de rue, « avec un petit dessin pour éviter que les enfants vivants ne s’étouffent avec les sacs, quoi que s’ils s’étouffent, il suffit juste de les laisser dans le sac. » Il finit sur une double attaque sur la connerie des gens au volant – classique mais sympa – et sur les smartphones, notamment la manie qu’ont les parents de filmer les spectacles de leurs enfants et à les poster sur Facebook, vidéos que personne ne regardera jamais. « Faites une expérience, suggère-t-il. Postez une vidéo où la première seconde, ce sont vos enfants faisant un spectacle, et les 20 minutes suivantes, votre trou du cul en gros plan. Je vous parie que vous aurez au moins 5 commentaires du genre « adooooorables » ou « clairement une future star », une pensée quelque peu dérangeante. »

Son dernier sketch est un summum de politiquement incorrect. Expliquant qu’il fait de son mieux pour être un type bien, il avoue avoir une part de lui qui n’est pas si flatteuse. « Of Course », attaque-t-il, « but maybe », chute-t-il. À chaque fois, il aggrave la situation, son « of course » nous laisse imaginer le pire dans le « but maybe. » Exemple : « Bien sûr il faut faire attention aux enfants qui sont allergiques aux cacahuètes… mais peut-être que si vous crevez au contact d’une cacahuète, c’est que vous n’étiez pas destiné à vivre. » Et quand il attaque « Bien sûr, l’esclavage est une chose affreuse », la salle éclate de rire et retient son souffle. « mais peut-être faut-il admettre que les travaux les plus impressionnants de notre Histoire ont été fait grâce à l’esclavage. Les pyramides, la ligne de chemin de fer à travers les États-Unis… » Et de revenir à son smartphone, « fabriqué dans des usines tellement pourries en Chine que les mecs se jettent du toit. » Et c’est sur ce smartphone que nous iront nous énerver et insulter les autres internautes, sur Youtube, le cul posé sur nos chiottes.

Après un rappel inégal, où il fera tout de même très justement remarquer que la pire insulte, en anglais, motherfucker, est l’équivalent de papa, Louis C.K laisse 12.000 personnes satisfaites. Of course, c’était une excellente idée d’aller le voir à Londres. But maybe, ce serait bien qu’il vienne à Paris un de ces quatre…

Photos : Charlotte Blum et moi (avec nos téléphones, on fait ce qu’on peut)

5 commentaires pour “A Londres avec Louis C.K”

  1. “Kyan Khojandi, de Bref, avec deux potes à lui.” L’un des deux potes étant Baptiste Lecaplain (à droite sur la photo), a.k.a le coloc de Khojandi dans “Bref” et petit prodige de la scène humoristique française.

  2. Merci @Marine pour la précision ! Cette rencontre a été très brève 😉

  3. Tu oublies que dans le rappel il parlait aussi du bébé dans l’anus d’un homosexuel. Le meilleur spectacle que j’ai vu de ma vie, en espérant comme toi que la prochaine fois ce soit à Paris.

  4. Oui, mais ça ne m’a pas fait rire tant que ça, ce passage…

  5. Je dois être plus stupide que toi, autant quand il a dit le truc sur Usain Bolt je souriais à ,peine mais ça j’étais à deux doigts de m’évanouir tellement c’était stupide. Par contre j’étais un peu déçu qu’il finisse par le skit qu’il avait fait au SNL. Bonne review au passage, je suis content de pas être le seul à avoir perdu un bras (ça valait quand même le coup) dans ce voyage.

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