Nathalie Baye et le triste bazar des Hommes de l’ombre

Hier, on apprenait que Nathalie Baye, candidate à la présidentielle dans la saison 1 des Hommes de l’ombre, sur France 2 l’an passé, ne rempilerait pas pour la saison 2. Une décision annoncée tardivement à la presse, mais visiblement prise de longue date, qui met un sacré bazar dans les plans de la chaîne publique, forcée de décaler le tournage, et de faire réécrire le scénario en quatrième vitesse. Un imprévu pas si imprévu, dont je voudrais dire un mot ici en m’appuyant sur la réponse du scénariste Dan Franck à Télé 2 Semaines. Pour expliquer pourquoi Baye ne reviendrait pas, il commence : « Ce n’est pas une surprise. Nathalie Baye n’est pas une actrice télé. Elle avait toujours dit qu’elle ne ferait pas la saison 2 […] » D’où deux questions : si ce n’est « pas une surprise », alors pourquoi avoir écrit les scénarios ? Et : c’est quoi « une actrice de télé » ?

Commençons par la « surprise. » Je ne suis pas dans les coulisses de France 2, je n’ai à l’heure actuelle aucun détail sur cette affaire (si vous en avez, je les prends avec plaisir), mais je crains qu’elle ne soit symptomatique d’un accablant manque d’organisation dans la préparation de la série — révélateur, je le crains, d’un manque d’organisation plus global. Je ne demande qu’à ce qu’on m’explique pourquoi l’écriture de cette saison 2 a été lancée avec pour héroïne un personnage incarné par une actrice qui, visiblement, ne voulait pas revenir. Dan Franck semble avoir été laissé… dans l’ombre des envies de Nathalie Baye. Il déclare d’abord « elle avait toujours dit qu’elle ne ferait pas la saison 2 », puis enchaine « à la fin 2012, quand Nathalie Baye a assuré qu’elle ne ferait pas la saison 2 […] » Alors, elle l’a « toujours » dit, ou elle s’est décidé « fin 2012 » ? Il faudrait savoir.

Quatre possibilités : 1. Baye n’a jamais voulu revenir, et Franck ne le savait pas – ce qui serait un comble et en dirait long sur le traitement des scénaristes par la télé française. 2. Baye n’a jamais voulu revenir, Franck le savait, et a fait l’autruche – ce qui serait un peu con, et donc semble improbable. 3. Baye s’est bien décidée au dernier moment, ce qui serait une belle preuve de mépris envers la série — mais on ignore peut-être des raisons plus intimes. 4. Tout ça à la fois, personne n’y comprend rien, pas plus ici que chez France 2, et on admire aujourd’hui les conséquences d’une organisation bordélique, qui risque de nuire à une série qui, loin d’être parfaite, était en tout cas rythmée, efficace et appréciée du public (4,8 millions de téléspectateurs, soit 17,8% de part d’audience, pour les six épisodes).

Quoi qu’il en soit, il y a dans la décision de Nathalie Baye, qu’elle ait été prise en décembre ou dès la saison 1, l’illustration du gouffre qui sépare une partie de nos comédiens – sans doute ceux d’une certaine génération pour qui les séries télé reste une forme artistique mineure – de leurs confrères Américains et surtout Britanniques. A quoi bon s’engager pour une saison 1 si c’est pour déclarer d’entrée de jeu qu’on ne fera pas la 2 ? Tolérerait-on d’un footballeur (par exemple) qu’il ne joue que les matchs de poule, ou que la finale d’un tournoi ? Une série, ce n’est pas cela. Une série, c’est un engagement sur la durée. C’est d’ailleurs ce qui fait la force du genre, pour le téléspectateur comme pour les comédiens : pouvoir développer les personnages. Nathalie Baye ne voulait faire qu’une saison ? Soit. C’est dommage pour la série, et pour l’actrice, mais c’est un droit. Dans ce cas, pourquoi avoir conservé le personnage ? La fin de la saison 1, floue (on ne sait pas trop qui a gagné, même si on s’en doute), était-elle faite uniquement pour s’adapter à l’avis possiblement changeant de l’actrice ? Dans ce cas, c’est le téléspectateur qu’on a pris pour une buse…

Bref. Dans tout ça, ce qui m’agace presque le plus, ce sont ces mots de Dan Franck : « Nathalie Baye n’est pas une actrice télé. » C’est à dire ? Nathalie Baye est trop bonne pour la télé ? Nathalie Baye n’aime pas la télé ? Nathalie Baye (à dire avec la bouche en cul de poule) est une actrice de cinéma qui honore de sa présence la télé ? Ou alors, (ton ironique) Nathalie Baye est vraiment trop nulle, elle ne sait pas faire de la télé, du coup au-delà de la saison 1, elle craquerait ? Quoi qu’il en soit, que cette appellation signifie l’incompatibilité entre acteur « de cinéma » et acteur « de télé », ou qu’elle souligne que Nathalie Baye (une bonne actrice, qu’on ne me fasse pas dire le contraire) n’était pas au mieux de sa forme dans la saison 1 – ce que je pense, mais qui ne me semble pas être l’avis exprimé par Dan Franck ici – elle incarne un décalage qui doit disparaître de notre vocabulaire, et qui n’est plus chez nos cousins anglophones. Je ne prêche sans doute que des convaincus sur ce blog, mais un acteur est un acteur, pas « de télé » ou « de cinéma. » Les meilleures actrices et les meilleurs acteurs « de télé » n’ont souvent pas grand-chose à envier aux meilleurs acteurs « de cinéma. » Demandez au casting des Revenants. Clotilde Hesme, Grégory Gadebois, Samir Guesmi, Céline Sallette, Guillaume Gouix et consorts sont à la fois les meilleurs du cinéma et de la télé. Et jusqu’à preuve du contraire, ils reviendront pour la saison 2.

Ce ne sont que quelques mots, mais ils sont lourds de sens. Comme quand un responsable d’une série télé française parle de son « film. » Suis-je tatillon ? Sans doute. Reste que le jour où plus personne ne fera ce genre de distinction, scénariste, producteur, réalisateur ou acteur, le jour où comme en Grande-Bretagne il sera aussi prestigieux de jouer sur France 2 qu’à la Comédie Française ou chez Audiard, alors on pourra espérer que les séries sont respectées de tous. Quelle que soit la réalité de ce bazar des Hommes de l’ombre (n’appelons pas ça une « affaire »), quelles que soient les responsabilités, ça ne peut qu’attrister les fans de séries.

MAJ : Emmanuel Daucé, le producteur de la série, a répondu à mes questions pour Télérama.

Image de Une : Nathalie Baye dans Les Hommes de l’Ombre, France 2/Tetra Media Fiction/Macondo