Emmy Awards 2012 : Homeland explose, Mad Men va se rhabiller

Alors, heureux ? Oui et non. Ces 64e Emmy Awards ont couronné quelques belles séries, fait souffler un léger vent frais… aussitôt éteint par d’autres frilosités et une tendance, fâcheuse, à récompenser les gros contre les petits, à préférer les champions du « buzz » contre les indépendants, bref, à confirmer qu’ils sont une cérémonie influençable, politiquement relativement correcte et ouverte à tous les lobbyings. Ce qui ne veut pas dire que ses choix sont toujours mauvais, bien au contraire. Parlons-en, justement…

Et commençons par ceux qui n’ont même pas eu leur chance de jouer. L’absence de Boss des nominations pour le meilleur drame et le meilleur acteur est tout simplement honteuse. Particulièrement celle de Kelsey Grammer. Quelle que soit la raison de son éviction, le comédien – qui clame que ce sont ses positions politiques, à droite, qui lui ont coûté sa place – est immense dans la série de Starz, et méritait un fauteuil dans la compétition, et, si ça ne tenait qu’à moi, la statuette. Absente aussi des débats, Community, pourtant une des chouchoutes de la critique. Dommage. Louis C.K aurait mérité que sa série Louie, la meilleure comédie du moment, soit nominée — il n’a été “que” nominé pour l’acteur et le scénario. Enfin, Fringe, qui s’apprête à disparaître, aurait pu sauver l’honneur des networks dans la catégorie meilleur drame.

Il n’était point besoin des Emmys pour le remarquer, mais les drames de grandes chaînes vont en effet très mal. 14 des 16 statuettes liées au genre dramatique remisent hier soir à Los Angeles l’ont été à des séries du câble. Seuls le second rôle féminin – Maggie Smith dans Downton Abbey, même pas une série originale américaine mais une diffusion anglaise de PBS – et l’invitée dans un drame – Martha Plimpton pour The Good Wife sur CBS – on été donné à des grandes chaînes. Le reste est dévoré par le câble, preuve qu’aucun grand network n’a plus le courage ni l’inventivité de lancer des séries novatrices, osées, qui offrent de beaux rôles aux comédiens… et des Emmy Awards.

Restait donc dans la bataille des drames trois méga favorites, Mad Men, quadruple tenante du titre, 17 fois nominée, Breaking Bad, triple détentrice de l’Emmy du meilleur acteur dramatique avec Bryan Cranston, 13 fois nominée, et la petite dernière, Homeland, 9 fois nominée. On sentait le coup venir, mais peut-être pas si fort. Meilleur drame, meilleure actrice (Claire Danes), meilleur acteur (Damian Lewis) – et aussi meilleur scénario pour le pilote – Homeland a écrasé la concurrence. Prévisible, sans doute, mais bienvenu, la série méritant une belle salve d’applaudissements. Don Draper et consorts sont donc allé se rhabiller. Aucune statuette. Rien. Nada. Nothing. La saison 5 de Mad Men n’a pas convaincu tout le monde. Les votants se sont peut-être lassés. Pas grand-chose pour Breaking Bad non plus, tout juste un Emmy (le deuxième) pour le second rôle dramatique à l’excellent Aaron Paul. Ce sera tout pour AMC, qui finit loin derrière Showtime (4 Emmys) et HBO (6 Emmys).

HBO la fameuse, parlons-en. Ecartée du podium de la série dramatique – un Emmy pour la réalisation par le grand Tim Van Patten de Boardwalk Empire – la chaîne câblée est allé écraser les miniséries et téléfilms en guise de consolation. Game Change, son unitaire sur la campagne des primaires de Sarah Palin, casse la baraque, emporte la statuette de l’œuvre, de l’actrice (Julianne Moore), de l’écriture et de la réalisation. Il ne reste de place que pour ces messieurs, et la très virile (et chiante) Hatfields & McCoys s’y cale, Kevin Costner (premier rôle) et Tom Berenger (second) soulevant chacun un prix, sans doute plus pour célébrer les score astronomique de la minisérie de la chaîne History que sa qualité.

HBO, enfin, parvient à se placer dans la catégorie comédie, là où sa concurrente principale dans le secteur, Showtime, échoue – une revanche logique, sachant que Showtime se tourne de plus en plus vers le drame et HBO de plus en plus vers la comédie. Julia Louis-Dreyfus décroche en effet le troisième Emmy de sa carrière pour son rôle dans Veep. Mis à part un Emmy presque symbolique pour Louis C.K, au scénario de comédie – pourquoi pas la meilleure comédie tout court ? – la comédie reste, un an de plus, la chasse gardée des networks. Modern Family est pour la troisième fois meilleure comédie, et ses acteurs Julie Bowen et Eric Stonestreet ramassent les seconds rôles. C’est John Cryer, longtemps sous-fifre de Charlie Sheen dans Mon Oncle Charlie, qui repart avec la statuette du meilleur acteur.

En cherchant un peu, on peut être satisfait du petit air politique de ces récompenses, Homeland, Game Change et Veep y plongeant franchement, quand Modern Family est une œuvre résolument progressiste (à défaut d’être un manifeste de gauche). Reste pourtant cette inconfortable impression que, si le drame est considéré comme un genre mature, complexe, où l’on peut élire des séries pointues aux audiences relativement modestes – câble oblige – la comédie peine un peu à sortir de son image grand public, et ses prix à préférer la sympathie à l’audace — on ne peut visiblement pas rire de tout, et encore moins avec tout le monde. Qu’on ne me fasse pas dire que Modern Family est une mauvaise série, mais j’attends avec impatience le jour où Louie, Bored to Death (annulée, mais qui sert ici d’exemple), voire Community, pourront confirmer la plus banale des affirmations critiques, même si on s’en attriste et qu’on espère un sursaut des grandes chaînes : le câble, c’est vachement mieux que les networks.

Photo: AFP

11 commentaires pour “Emmy Awards 2012 : Homeland explose, Mad Men va se rhabiller”

  1. De plus en plus les Golden Globes ressemblent à une répétition de ce qui se passe ensuite aux Emmy. Mais assez d’accord avec vous : les networks n’ont rien à nous mettre de croustillant sous la dent et il est vraiment regrettable/dommage que Boss ne soit pas récompensée. Kelsey Grammer est impérial.

  2. Je continue de penser que Community est surévalué sur ce blog (tellement moins bon que Cougar Town 😉 ), et Louie CK a quand même gagné l’Emmie… quand à Modern Family, elle mérite son succès !

    En fait, il ne faut pas oublier que parfois, si une série n’a pas un succès public, c’est qu’elle n’est pas si bonne (vrai pour community et cougar town…), et donc ne mérite pas de récompense.

    Pareil pour les drames. Boss est peut-être splendide, mais elle aussi très chiante, comme série, et ne rencontrera au mieux qu’un succès d’estime (IMHO comme dirait Angela). Rien d’illogique donc à ce qu’elle ne soit pas nominée.

    Mad men a profité d’un boulevard avec une absence de concurrence forte, mais n’aurait pas été primée si les Sopranos avaient été en face. breaking bad était trop “méchante” pour être facilement primée, Boss est un mélange des deux… (méchante ET chiante/lente).

    Pour voir la qualité récompensée, la WGA sera certainement plus intéressante que les Emmy.

    Et bravo à Louie CK pour sa fin de saison proprement fantastique. J’ai A-DO-RE ! (et ça m’a rappelé Studio 60 🙂 )

  3. Effectivement c’est la grande soirée de HBO (Veep, The Game Change, Breaking Bad) et de Showtime (Homeland) qui ont raflé le plus de statuettes. Il faut revoir tes comptes les grands network ont certes moins de Emmy depuis 5 ans mais cette année ABC en a 6 avec Modern Family (4) et Dancing with the Star, 64th Primetime Tony Award. CBS en compte au moins 4 avec Jon Cryer et Martha Plimpton (The Good Wife), Kathy Bates (2 and Half men) et the Amazing Race. NBC a été distingué par le guest staring de Jimmy Kimmel dans SNL. C’est pas grand chose mais c’est déjà ça. Dans les grands networks les grands absents sont Fox et The CW. The CW n’a avait même pas une seule nomination et côté Fox nominé pour The New Girl, So You Think You Cand dance …ils n’ont rien eu.

  4. Avec les prix techniques voici la mise à jour par network:
    HBO … 23
    CBS … 16
    PBS … 12
    ABC … 9
    Discovery Channe1 … 6
    Showtime … 6
    FX Networks … 5
    HISTORY … 5
    NBC … 5
    Cartoon Network … 4
    Comedy Central …3
    AMC …2
    Disney Channel … 2
    FOX …2

    et par show :
    Game Of Thrones … 6
    Homeland … 6
    Game Change … 5
    Hatfields & McCoys … 5
    Modern Family … 5
    65th Annual Tony Awards … 4
    Boardwalk Empire … 4
    Frozen Planet … 4
    Great Expectations (Masterpiece) … 4
    Saturday Night Live … 4
    Downton Abbey … 3
    Two And A Half Men … 3
    American Horror Story … 2
    Dancing With The Stars … 2
    Deadliest Catch … 2
    George Harrison: Living In The Material World … 2
    Hemingway & Gellhorn … 2
    Secret Mountain Fort Awesome … 2
    The 54th Annual Grammy Awards … 2
    The Daily Show With Jon Stewart … 2
    The Kennedy Center Honors … 2

  5. “Le reste est dévoré par le câble, preuve qu’aucun grand network n’a plus le courage ni l’inventivité de lancer des séries novatrices, osées, qui offrent de beaux rôles aux comédiens… et des Emmy Awards.”

    La principale raison est peut-être les moyens mis en oeuvre pour produire de telles séries : une chaine à péages aura toujours plus de facilités qu’une chaine “gratuite”, financée par la pub (en France le parallèle Canal+ vs TF1 ou M6 est flagrant…)

  6. Deux améliorations il me semble se devraient de voir le jour à ces Emmys:
    – pas plus de 2 prix par série, ça en devient ridicule…
    – et une sorte de prix “espoir” car de plus en plus d’enfants comédiens mériteraient de recevoir un prix autant si ce n’est plus que leurs aînés: Games of Thrones ou Modern Family pour ne pas les nommer!

    Merci pour votre critique enrichissante de ces Emmys qui me déçoivent beaucoup.

  7. @petitmarmotin
    L’argument de l’argent n’est pas complètement faux, mais un peu facile à mon avis. Je dis à mon avis parce que ça dépend aussi du style de série qu’on aime.

    La série Louie de Louis CK est, pour moi, une merveille à petit prix. Tandis que Terra Nova, un gouffre financier, ne tient pas ses promesses.

    En dehors de l’argent, une autre différence existe entre les séries du câble et des networks : les premières sont moins directement dépendantes des audiences (et de la pub). Les networks très dépendantes, elles, favorisent les valeurs sûres divertissantes mais sans grande originalité pour pouvoir plaire au plus grand nombre. La logique est complètement cohérente mais permet peu de produire des shows à récompense.

    Heureusement il ne s’agit ici que d’une grossière généralité et les chaines gratuites arrivent aussi à nous sortir de leur chapeau des séries originales, comme Awake. 🙂

  8. Il y a une question de moyens mais aussi de ce que les networks ont le droit ou non de faire/dire. Et la pression de l’audimat, il faut faire du “mainstream” et en plus sur la bonne tranche d’âge (voir le cas d’Harry’s Law annulée alors que d’autres séries moins performantes ne l’ont pas été, parce qu’Harry’s Law avait une audience, mais trop vieille, inintéressante pour la pub).
    Et sur les networks The Good Wife qui reste de bonne facture.

    Côté comédie, je suis presque d’accord (notamment sur Modern Family qui est loin d’avoir brillé d’originalité et de renouveau cette année) sauf que je pense que les 2 plus gros absents dans la catégorie principale sont Parks & Recreation (qui joue aussi sur la politique mais en local) et Louie, Community a eu de très bons épisodes mais n’a pas été constante sur toute la saison. Et Amy Poehler aurait dû gagner, même si JLD est excellente (d’ailleurs la victoire de cette dernière était l’un des meilleurs moments de la soirée – http://www.buzzfeed.com/mjs538/amy-poehler-steals-the-show-again).

  9. Quand on pense que NBC a mis à l’antenne The West Wing, l’argument comme quoi les chaines cablées ont plus de facilité que les networks me parait un peu faible. De plus, Community est réellement au dessus de la moyenne de toutes les comédies à l’antenne pour le moment.
    Boss n’est pas une série chiante, elle demande de la patience de la part du public, (et le récompense largement pour ceux ayant au moins suivit la première saison, les rebondissements sont magistraux) malheureusement, les chaines baissent le niveau général de la qualité de leur programmation. Et habituent le public (non cablé) à des séries plutôt moyennes (hormis The Good Wife, qui, dans la constance, est un très bon drame porté par une actrice formidable, julianna margulies, et son jeu dans la retenue). Dommage. Et dommage pour Lena Dunham qui repart sans statuette pour Girls.

  10. Personnellement, la seule chose que suscite les Emmy en moi c’est du ras le bol. Chaque année on les regarde, chaque année on est en boule face à leur conformisme et leur conservatisme. Cette année ce qui a changé c’est la célébration d’une nouvelle série Homeland. Est-ce réellement un changement ? Pas vraiment, la série ressemble a un bon vieux Die Hard avec une victimisation de la société américaine en plus : “on sombre dans l’hyperparanoia, nos soldats sont convertis mais c’est pas notre faute”. Célébrer Homeland, c’est célébrer le stigmate du 11 septembre, c’est passer de la justification à la guerre anti-terrorisme- chasse gardée de la série 24H – à la victimisation face à ce conflit. Il est étrange qu’une série comme Treme qui dénonce l’irresponsabilité du gouvernement Bush face à Katrina, dont la qualité supplante de bien loin Homeland, ne soit pas récompensée : de là à dire que les américains ne sont pas prêt à regarder leur erreurs en face, il n’y a qu’un pas.
    Quant à la non nomination de Kelsey Grammer et je dirais même Connies Nielsen, je ne préfère pas en parler.

  11. petitmarmotin: La principale raison est peut-être les moyens mis en oeuvre pour produire de telles séries : une chaine à péages aura toujours plus de facilités qu’une chaine “gratuite”, financée par la pub (en France le parallèle Canal+ vs TF1 ou M6 est flagrant…)

    réponse: Je ne pense pas que ce soit les moyens la bonne raison mais pluôt l’audace, une chaine gratuite va favorisé la quantité (de télespectateurs!) à la qualité!
    De plus, du fait que les chaînes cablées sont moins regardées, elles peuvent plus se permettre d’avoir des partis pris, plus d’audace et de repousser les limites du politiquement correct. Il ne suffit pas d’avoir beaucoup de moyens pour faire une bonne série, on a bien vu ce que cela a donné avec Spielberg et sa “Terra Nova”!

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