Awake : après le réveil

Avec un peu de retard, j’ai fini hier soir la première et unique saison de Awake. Parce que j’attendais la nouvelle série de Kyle Killen (Lone Star) comme un des événements de l’année, et parce que j’avais déjà pas mal discuté de l’impact que son succès ou de son échec aurait sur les séries grand public – en tout cas, les séries diffusées sur les networks – je me suis dit qu’il serait bien de faire un bilan post mortem, avant que la rentrée n’arrive et ne submerge tout sous son flot de nouveautés.

ATTENTION, MIEUX VAUT AVOIR VU TOUT AWAKE POUR LIRE CE POST. Sinon, vous allez vous faire méchamment spoiler.

Face à l’échec de Awake, le premier réflexe du supporter de Killen et du critique agacé de voir la qualité des séries de grandes chaînes chuter, c’est d’accuser la bêtise des téléspectateurs. C’est en effet inquiétant de voir qu’à chaque fois qu’une série ose sortir des schémas traditionnels, qu’elle prend un risque, qu’elle essaye d’éveiller la curiosité, qu’elle fait appel à la réflexion… elle se ramasse. Avant d’être l’échec d’NBC, l’échec de Awake est pourtant celui de la série elle même, qui n’a pas su plaire. Trop compliquée, trop cérébrale. Comme pour Lone Star, dès le pilote, on s’est demandé pourquoi c’est NBC et pas Showtime ou FX qui la diffusait. Awake est pour autant loin d’être une série parfaite, et on peut y trouver de quoi faire chuter l’audience… si audience il y avait eu dès le pilote. J’y viendrai dans ce post, mais je veux d’abord rappeler ce qui fait de Awake une des plus belles séries de la saison passée.

Une bonne idée de départ.
Le « pitch » de Awake est finalement assez simple, mais intriguant, et a suffi à ce qu’on attende la série avec impatience : un flic, Michael Britten, coincé entre deux mondes après un accident de voiture : un où sa femme est en vie et son fils mort, l’autre ou c’est l’inverse. Lequel est la réalité ? Lequel est un rêve ? Est-il mort ? Est-il dans le coma ? Est-il doué d’un superpouvoir ? Les possibilités étaient multiples.

Une superbe réalisation.
Explicités à l’écran par l’utilisation de deux filtres, un orangé et un bleuté, les deux mondes étaient aussi mis en scène avec classe, la caméra accompagnant les pérégrinations plus ou moins éveillées de Michael Britten. Rien de révolutionnaire, mais une très belle photo, des effets toujours modérés, et une ambiance originale. Ce qui est déjà beaucoup pour une série de network.

Une ambition narrative.
La vie, la mort, le deuil, la culpabilité, Awake offrait une belle matière à réflexion. Il s’en dégageait une envie d’ausculter l’esprit de son héros (et le notre) face à la tragédie et, au-delà, la toujours captivante frontière entre rêve et réalité, outil unique où se mélange réalisme et fantastique, où une série peu glisser du pur polar à l’expérience métaphysique ou plus ludique. Pensez à Lost, par exemple, ou plus encore à Twin Peaks.

Un grand acteur.
Jason Isaacs est impeccable de bout en bout. Un superbe acteur, à la voix et au visage captivants. On n’aurait pas mieux casté le rôle de Britten. Évidemment, le scénario lui donne assez rarement l’occasion de prouver son talent comique, mais dans le registre dramatique, il est remarquable. On croise les doigts pour qu’un rôle de cette trempe lui soit à nouveau proposé, si possible dans une série qui dure.

Voilà pour les qualités, qui se sont toutes manifestées dans le pilote, et qui je pense n’ont jamais été démenties. Mais Awake n’a pour autant pas tenu toutes ses promesses…

Un pilote trompeur.
Le pilote de Awake est formidable. Captivant. Subtil. Fort. Intriguant. Du coup, il ment un poil sur la marchandise. Car Awake est avant tout un polar (voir ci-dessous) a priori accessible au grand public, avec quelques saillies existentialistes qui ne devraient pas faire fuir l’audience. Le souci, c’est que « l’excellence » du pilote a certainement rebuté les téléspectateurs passifs, ceux qui ne voulaient pas d’une « prise de tête » mais d’un bon vieux polar — et ils sont nombreux. Il aurait peut-être fallu attaquer en douceur, puis faire monter les enjeux narratifs.

Le format de son polar a ses limites.
Donc, rapidement, dès le second épisode, il a fallu se rendre à l’évidence : Awake ne serait pas un feuilleton planant concentré sur la seule expérience de son héros. Cette situation étonnante devient rapidement le prétexte à un double polar, avec deux enquêtes menées parallèlement dans les deux mondes, des indices trouvés dans un monde aidant à résoudre l’affaire menée dans l’autre monde… Amusant, mais limité, et surtout un peu facile et systématique. On attendait une série vraiment originale, on découvre un « procedural »… Certes un bon procedural, mais pas mieux.

Deux fois moins de temps.
C’est un des principaux écueils de Awake : il faut résoudre deux fois plus d’enjeux narratifs et policiers, puisqu’il y a deux mondes. Du coup, tout doit aller deux fois plus vite. Or, les polars de networks, où l’affaire est résolue en 45 minutes, sont déjà souvent trop faciles, trop rapides. En deux fois moins de temps, les choses s’aggravent. On aurait pu croire que cette démultiplication aurait pu séduire le public, mais il arrive du coup régulièrement que le suspens n’ai pas le temps de prendre…

Des personnages qui peinent à s’épaissir.
Michael Britten vit entre deux mondes. Du coup, tous ceux qu’il fréquente ne sont là que la moitié du temps. Pas si simple de construire un personnage quand il disparaît la moitié du temps. Britten est solide, complexe. Les seconds rôles sont plus indéfinis. Son épouse, incarnée par Laura Allen, est sans doute celle qui bénéficie du meilleur traitement, devant son fils, un poil caricatural. Ses partenaires sont des ombres de flics, classiques, sans véritable personnalité. Ses psys, pourtant excellemment incarnés par BD Wong et Cherry Jones, sont de simples porte-paroles des scénaristes, une sorte de voix-off servant à expliciter les réflexions complexes de Britten. Enfin, deux personnages apparaissent irrégulièrement dans l’histoire, celui de la chef incarnée par Laura Innes, étrangement absente d’une moitié de la série, et celle de la prof de tennis du fils, qui semble avoir été lancée là pour ouvrir une possibilité romantique à Britten… avant de disparaître, les scénaristes ayant changé d’avis.

Une intrigue centrale bancale.
Dès l’épisode 2, on réalise que Britten détient un grand secret, un pouvoir, quelque chose qui ne plait guère à sa chef, jouée par Laura Innes, et à d’autres personnages malveillants. On espère un élément fantastique. On réalisera qu’il s’agit en fait d’une simple histoire de vol de drogue par des flics pourris, qui a mené à l’assassinat de la femme et du fils de Britten dans un accident de voiture qui n’était pas un accident mais un acte délibéré de la part des méchants de l’histoire… Bref, cet élément, comme le personnage de Innes, n’est pas bien amené, de manière trop diffuse. De même, la détermination de Britten à continuer de vivre entre les deux mondes l’entraine à ne pas avancer dans ce qui semblait être le plus captivant : l’explicitation de ces deux mondes, la compréhension de ce qui est réel ou rêvé, etc.

Une fin foireuse ?
Un mot enfin de la fin de Awake. J’ai bien aimé l’apparition du personnage incarné par l’ancien d’Alias Kevin Weisman, d’abord hallucination de Britten – comme le manchot aperçu plus tôt dans la saison – puis incarnation de la sale affaire qui a amené à la mort de sa femme et de son fils. J’ai apprécié la séquence hallucinée de la résolution des intrigues, clairement fantasmagorique… mais qui du coup tombe un peu à plat dans une narration qui avait plus souvent opté pour le réalisme. Que dire de l’ultime scène ? Si on la prend au premier degré, c’est un immense foutage de gueule. Tout n’était qu’un rêve, tout va bien, personne n’est mort ? Nul. Tellement prévisible que ça en devient presque surprenant… J’aime penser que Killen, qui a du boucler son histoire rapido après l’annulation, nous balance ça à la poire comme à celle des dirigeants de NBC, en disant : « voilà, vous avez une fin. Elle est à chier, mais vous n’auriez pas du ruiner et annuler ma série. » Reste une option, que je crois peu probable, mais qui me plait bien plus : l’ultime scène, censée être un réveil heureux, est une nouvelle expression de la souffrance et de l’impossible deuil de Britten, qui en arrive à voir, dans un ultime délire, sa femme et son fils, morts tous les deux, encore en vie.

Kyle Killen a certainement d’excellentes excuses, NBC ayant trappé sa série, le forçant à accélérer sa conclusion. Il s’est sans doute fait massacrer son projet, contraint de pondre un polar presque convenu quand il voulait certainement jouer bien plus sur l’esprit tortueux de son héros – le pilote et le finale tendent à le prouver. Malgré ses défauts, ou peut-être grâce à ses défauts, Awake reste donc un cas d’école pour illustrer l’incapacité des grandes chaînes à proposer des séries osées, novatrices, qui poussent leur concept jusqu’au bout. Un belle série avec pas mal de ratés. Un beau raté, donc.

Image de Une : Awake (NBC)

3 commentaires pour “Awake : après le réveil”

  1. “Le fils, un poil caricatural”, c’est le moins que l’on puisse dire. Et malgré les nombreux défauts de la série, c’est pour moi le plus gros point noir. Les personnages sont si transparents et prévisibles, qu’il est presque impossible d’éprouver quelque sentiment que ce soit pour eux. Tout se joue finalement sur l’incroyable Britten, qui heureusement illumine chaque épisode.

    Concernant la fin, c’est drôle mais il me semble que je n’avais compris aucune des deux possibilités que tu explicite dans l’article !

    Sinon je suis assez d’accord avec le reste, bon article !

  2. tout à fait d’accord : le pilote et la séquence de la résolution de l’affaire avec son partenaire pingouin sont très bon…
    le reste est banal et Britten ne cherche effectivement pas à comprendre ce qui lui arrive mais juste à résoudre son affaire.

    pareil pour la fin qui nous dit “oh je n’ai plus de bracelet ,oh je rêvais et tout le monde va bien” vraiment nul pour être poli.

    @Cynthia : compris autre chose ??

  3. Tout d’abord : merci, j’ai regardé la série suite à un de tes posts de début de saison.

    Je suis globalement d’accord avec tout ce que tu écris. Un point qui me semble important (et trop rare) : la chaîne en arrêtant la série, nous as permis de voir une série QUI SE TERMINE !!! Pas de pas en avant puis en arrière sempiternels comme dans x-files ou lost ou de resucée interminable du même truc comme dans sliders ! Et avec une fin ouverte qui est quand même plutôt maline : soit bien gangnan foireuse tout va bien, soit un autre fantasme pour échapper à la réalité. Fais ton choix !

    Pour moi ça restera malgré ses défauts une grande série, avec un acteur que j’espère revoir !

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