Inutile d’aller chercher bien loin. La télé française a trouvé son eldorado. Il était juste de l’autre côté du couloir, chez vos voisins – et chez les voisins de vos voisins, vous. Scènes de Ménages, Nos Chers Voisins, bientôt En Famille, les programmes courts de début de soirée de M6 et TF1 veulent nous faire rire, gentiment, du quotidien d’une certaine France, la plus moyenne possible, la plus générale, la plus statistiquement proche de l’audience. Une télé qui se regarde les doigts de pieds, pas toujours ratée, parfois même drôle, aussi rassurante et confortable qu’une pastille de Du Côté de chez Vous.
On va encore me traiter de rabat-joie. Il y a quelques temps, je disais pourtant tout le bien – relatif – que je pense de Scènes de ménages. A voir débouler coup sur coup, sur TF1 hier Nos Chers Voisins, et sur M6 à la fin du mois – en remplacement de Scènes de ménages – En Famille, je ne pouvais pas ignorer cette tendance casanière. Une tendance qui, sous des dessous parfois amusants – oui, j’ai souri devant Scènes de ménages – trahit malheureusement le manque d’ambition de TF1 et d’M6, qui ne demandent qu’à plaire à un large public, et qui font ce qu’il faut pour. C’est à dire :
1. Elles mettent leurs téléspectateurs à l’abri.
Ces séries sont des capsules dépressurisées contre l’angoisse du Monde qui va mal. Diffusées à l’heure du JT de 20h – ou juste après pour Nos Chers Voisins – elles mettent en scène un univers réconfortant. On s’y engueule joyeusement mais on s’y réconcilie toujours, on y partage des souvenirs, on s’y retrouve en famille ou entre amis dans de confortables salons, pas toujours luxueux mais toujours sympathiques. Pas de bombes, pas de violence, pas de dure réalité. Huis clos, elles font mieux que protéger les téléspectateurs : elles les enferment dans le coton rassurant de leurs immeubles et de leurs maisons. Enfermés dans son salon, enfermés dans leurs télés, enfermés dans le salon dans leurs télés, les téléspectateurs sont protégés. Œuvres Xanax, ces séries sont à l’opposé absolu des séries anxiogènes – parce que capable d’appuyer là où ça fait mal – qui manquent cruellement – sans ironie – dans le paysage audiovisuel français. Le « feel good », c’est fait. A quand le « feel something interesting » ?
2. Elles fédèrent, elles ne segmentent pas.
Ça fait belle lurette qu’on sait ça : les séries françaises pensent souvent qu’un produit réussit doit “fédérer.” Autrement dit, que mamie, papa, la fille, le fiston et le nourrisson doivent tous aimer. Diffusées à une heure de grande écoute, ces séries peuvent difficilement lâcher une blague sur l’avortement ou le Dépeceur de Montréal. S’il y avait ça à 22h30 ailleurs que chez Canal+ – je défends ici WorkinGirls – on ne se plaindrait pas. Mais il n’y a pas d’alternative. Pour plaire à tout le monde, on fait des frites, pas des plats subtils. C’est pas dégueulasse, les frites. Mais et à force de ne manger que des frites, on grossit, et on finit vautré sur le canapé à regarder tout ce qui passe sans discernement – désolé pour cette métaphore culinaire un peu bourrative. Fédérer mène forcément à uniformiser, à s’autocensurer, à faire sourire petit quand on voudrait se tenir les cotes. Tout le monde le sait, même ma grand-mère : l’impertinence et le culot sont hilarants, pas la blague gentille.
3. Elles prennent des pincettes.
Pas question de choquer, d’oser, de tenter. Tout le monde il est beau, tout le monde il y est gentil. Ou presque. Les deux vieux de Scènes de ménages, savoureux, disons-le même souvent drôles, se traitent tendrement de ce qu’ils sont, des vieux cons ? Deux pédopsychiatres, quatre pères fouettards et trois ménagères crient à la mise en danger de l’éducation de nos têtes blondes…
4. Elles flattent l’égocentrisme télévisuel.
Télé, oh ma télé, dis-moi qui est le plus beau ? Séries judas – pour voir chez les voisins — et séries miroirs – pour se voir planté sur le canapé – ces programmes construisent toutes leurs blagues sur l’observation de notre quotidien. C’est un genre de comique tout à fait respectable, qui fonctionne très bien quand il est capable de souligner la bêtise de certaines de nos habitudes, nos mauvaises fois, nos aigreurs. Malheureusement, impossible de ne faire que se moquer des téléspectateurs, qui en auraient marre qu’on les prennent pour des cons. Du coup, il faut titiller les bons souvenirs et la nostalgie à plus ou moins long terme des téléspectateurs. Et ainsi risquer de noyer toute inspiration ironique ou absurde dans un bain de bons sentiments et un joyeux égocentrisme.
Faut-il jeter Scènes de ménages, En Famille et Chers Voisins dans les orties ou pire, les pousser du haut des marches ? Certainement pas. Dans le genre grand public, elles sont nettement moins accablantes que Camping Paradis et consorts. Reste qu’elles dégagent cette impression de repli télévisuel, de peur de choquer, d’envie de rire avec le téléspectateur quand il faudrait plus souvent rire de lui. La télé française est trop gentille. A l’image du couple de vieux de Scènes de ménages, elle devrait apprendre à dire merde. Elle n’en deviendrait que plus attachante.
Image de Une : Nos Chers Voisins, TF1
L’article ressemble à l’horoscope du jour : on dit tout, nuancé rapidement par son contraire. Au final, vous trouvez ça drôle et nul, divertissant mais pas assez “in your face”.
De mon point de vue, ce genre de programmes courts a une fonction bien précise (et leur heure de diffusion ne vous aura pas échappé) : la télé à 20h est surtout triste, trash, violente (entre terrorisme, cannibalisme, dictatures et crise financière, nous sommes servis). Les programmes courts légers, sans risques, casaniers comme vous dites, c’est aussi se rappeler que faire de la télé ce n’est pas seulement bousculer les gens à tout-va mais c’est aussi les détendre, les faire sourire et leur accorder quelquefois des instants de répis faciles, simples.
Je ne me fais pas l’avocat du diable mais au fond, cet article c’est comme se plaindre que le bacon a le gout du bacon. Y’a-t-il un programme court, dans ce format, qui trouve grâce à vos yeux (en France ou ailleurs) ? Car si l’idée est de les comparer à Dexter, MadMen, Big Bang Theory, Weeds ou Shameless, effectivement on est à des années lumières…
Les premiers programmes cours de ce genre étaient réellement drôles… Je pense à Camera Café, Kaamelott (qui avais l’avantage de se passer ailleurs que dans notre quotidien). Désormais ce concept est usé jusqu’à la corde… Et pour les indigents comme moi qui n’ont pas accès à canal+, point de salut…
Et bien justement, je pense qu’on en a bien besoin, le soir, après une journée de boulot pas toujours facile, d’un peu de détente avec des visages connus et quelques répliques humoristiques.
Toute l’intelligence de Scènes de Ménages est d’être un dessin animé pour les grands. Des séries d’enquêtes gores, on en a déjà assez, merci. Même le JT s’y met. Alors à l’heure du repas, vous voulez voir quoi à part des pubs et des meurtres ?
Certes, ces programmes courts n’osent rien. Mais est-ce la question?
Le problème en France, c’est que “oser“ est toujours synonyme de “provocation gratuite“ comme on l’a vu récemment dans la série “Clash“. Alors là, pour “cliver“, on clive… mais quel est l’intérêt, franchement?
L’audace, telle qu’elle est pratiquée dans les séries américaines est une audace de personnage, incluse dans sa trajectoire, sa logique (ou son manque de logique). Ce qui s’en dégage, c’est une vision du monde complexe où “chacun a ses raisons“. Mais pour y parvenir, il faut bosser les cocos! En d’autres termes: rien n’est jamais gratuit et les auteurs sont toujours “avec“, ils comprennent, ils aiment, il s’investissent dans leurs créatures… Il y aurait beaucoup à dire sur le dédain avec lequel les auteurs français de télévision abordent leur propre profession…
Beaucoup à dire également sur leur méconnaissance crasse des procédés les plus élémentaires de la dramaturgie. On pourrait en dire autant des journalistes (sans doute pas l’hôte de ce blog, je ne sais pas, je ne suis pas un habitué).
On en arrive à une lapalissade: la question d’une série, ce n’est pas tellement de savoir si elle “ose“ ou pas… mais si elle est bien écrite ou pas!
EN TOUT CAS, merci de consacrer un papier à une fiction hexagonale populaire, en essayant d’en faire une véritable analyse car ce travail critique sur les séries “grand public“ est un des éléments qui fera bouger les choses. La télévision est un art populaire. Et c’est tant mieux!
Entièrement d’accord avec kwajilori sur l’absence de culture du travail en matière d’écriture (qu’elle soit audiovisuelle ou littéraire d’ailleurs).
Après, je me demande s’il n’y a pas non plus un problème de modèle économique, au sens où, en France, on n’a pas d’argent pour le développement de nouvelles séries (les producteurs ont besoin des chaînes, qui ne donnent qu’à des projets qui remplissent un cahier des charges bien précis). Je n’ai, malheureusement, pas la moindre idée de ce qui se passe dans les autres pays européens (pour garder une échelle de comparaison valable).
Ensuite, il y a sans doute un aspect culturel lié aux attentes du public français, et là, je rejoins entièrement Pierre Langlais (qui, pour être une lectrice régulière, a le grand mérite de faire de la place aux séries françaises — et de ne pas se cantonner, de manière générale, aux séries US) sur le côté casanier de ce qui lui est proposé… et de ce qui lui plaît apparemment. Les chaînes reproduisent à l’envi ce qui marche, et du coup on n’en sort pas trop, à part très ponctuellement.
Le manque d’audace et d’imagination pour les access prime time de TF1 ou de M6 me parait flagrant… (ah comme je regrette le bon temps de Kaamelott !)
Des programmes intelligents et originaux existent. Vestiaires sur France 2 est un programme qui sort de l’ordinaire, qui est drôle et qui est programmé n’importe comment… Working girls est aussi un bon exemple d’un programme qui ose, même si c’est une adaptation et que c’est sur Canal. Idem pour les programmes originaux d’Arte, qui ne sont pas encore diffusés je crois : La Minute Vieille a un concept fort étonnant (même si l’épisode projeté à Séries Mania ne m’a pas vraiment ni fait rire, ni choquée) où des vieilles dames tranquillement assises dans leurs fauteuils nous racontent des histoires drôles/salaces. Et Silex and the City, un animé qui m’a bien fait marrer, nous emporte dans une vie des hommes des cavernes bourrée d’anachronismes réjouissants.
Ces programmes là sont originaux, drôles et savent être divertissants sans être glauques avant les infos de 20h pour éviter aux français d’augmenter leur dose de Xanax, si c’est ça le problème…mais ils ont le mérite d’être intelligent et d’apporter une vision décalée de nos vies, plutôt que l’éternel miroir de nos petits défauts.
Ce qui est décevant c’est que TF1 et M6, fidèles aux valeurs de la création de cerveaux disponibles, préfèrent éviter ce genre de programme.