La question n’est pas de moi, mais d’une amie, qui s’étonnait l’autre soir que tous ses potes aiment Girls. Une question qui a l’air un peu conne, voire légèrement sexiste, mais qui n’est pas sans intérêt. Il est d’ailleurs bon de la poser comme ça, un peu bêtement, pour mieux y répondre. Donc, partons d’un a priori simpliste, et tâchons d’y répondre intelligemment : comment expliquer qu’une séries sur des filles, écrite par une fille, objectivement centrée sur des personnages féminins, plaise autant aux hommes ? Mon psy n’ayant pas voulu m’aider dans cette tâche hautement psychanalytique, j’irai seul au charbon — le but n’étant pas ici de donner les raisons purement critiques de la réussite de la série, elles sont nombreuses. Messieurs, votre aide en commentaire sera précieuse. Mesdames, attendez la dernière ligne de ce post avant de m’en vouloir. Les hommes aiment Girls parce que… (Attention je spoile un peu)
1. Parce que la crise n’a pas de sexe.
Portrait de quatre jeunes femmes, Girls est surtout une série générationnelle. La phrase clef de la série, presque sa devise, est lâchée dans le pilote par Hannah : « je crois être la voix de ma génération… ou au moins une voix d’une génération. » Cette génération, c’est celle du chômage, de la débrouille, du doute, de la mouise joyeuse – ou pas. Les filles galèrent, et nous aussi. Les enjeux liés au boulot, aux appartements, à la relation aux parents, à l’argent, même à cette angoisse de l’engagement qui tiraille la génération des 20-30 ans d’aujourd’hui, tout ça n’a pas de sexe.
2. Parce l’homme est une femme qui s’ignore.
Pour poursuivre sur une même idée d’universalité, les états d’âmes de jeunes femmes ne sont pas totalement étrangers aux états d’âmes de jeunes hommes. Nous aussi, on se prend la tête sur nos histoires de couples et de sexe, nous aussi on passe trop de temps sur Facebook à « tomber » sur des photos de nos ex, nous aussi on se demande si on trouvera « la bonne », nous aussi on se console entre potes – ou avec des copines. Évidemment, il y a aussi des différences…
3. Parce qu’on prend des notes.
Pas littéralement, mais disons que, vues de l’extérieur – du point de vue masculin, j’entends – les aventures de Hannah et consorts, surtout leurs débats et discussions, peuvent non seulement être drôles, mais un brin instructives, nous éclairer sur nos erreurs, nos lâchetés, nous offrir de quoi nous rassurer sur celles de nos compagnes et amies. Ce qui ne veut pas dire qu’on prend un malin plaisir à jubiler devant les galères des girls. Loin de là, parce que…
4. Parce qu’on doit être un peu maso.
Si les filles n’ont pas la vie facile dans la série, les quelques personnages masculins ne sont pas épargnés, loin de là. Adam, le plus important d’entre eux, est un peu taré sur les bords, limite flippant quand il s’y met. Ray est vaguement louche. Matt, la « date » de Shoshanna dans l’épisode 4, est un vrai goujat. Le plus gentil serait Charlie, tout de même accusé d’avoir tourné la page de sa relation avec Marnie un peu vite. Reste que la valse hésitation entre les girls et ces guys est savoureuse, et qu’on ressent finalement la même tendresse un peu vacharde de Lena Dunham pour les personnages masculins et féminins.
5. Parce que Lena Dunham n’est pas de mauvaise fois.
On vient de le dire. Dunham ne condamne personne définitivement, rachète même Adam après son dérapage de l’épisode de la semaine dernière (le 108), reconnaît que ses personnages, hommes ou femmes, sont imparfaits. Elle reconnaît les torts possibles de ses héroïnes, notamment ceux de Marnie, qui n’a peut-être pas su apprécier l’amour de Charlie. Bref, elle ne joue pas que pour son équipe, et sait être généreuse en amour comme en moquerie.
6. Parce que nous aussi, on regardait Sex & the City.
Il faudra un jour cesser de comparer Girls et Sex & the City, et se dire que oui, c’est une sorte d’anti-aventures de Carrie et consorts. Le sexe y est souvent minable, les lofts et les diners chics sont à des kilomètres, la hantise du mariage et des enfants encore plus loin. Reste que, comme disait Lena Dunham dans Time, « ce n’est pas seulement une série qui parle de Sex & the City : ses héroïnes n’existeraient pas sans Sex & the City. » Autrement dit, Girls a un côté « méta » concentré sur SATC, une série que les hommes ont aussi aimé, pour certaines des raisons que vous retrouverez dans ce post.
7. Parce qu’on aime les girls, toutes les girls.
Si on aime regarder Girls, c’est aussi parce que ses héroïnes sont toutes belles, complexes, touchantes, subtilement agaçantes, et qu’elles nous réconfortent dans notre amour des femmes. Hannah, Marnie, Jessa et Shoshanna sont bourrées des qualités et des défauts qui font qu’on les aime, elles sont humaines, simples, jolies comme des actrices de télévision – surtout Marnie et Jessa – mais on ne leur en veut pas parce qu’elles sont à la télé, mais au-delà des apparences, elles sont ces « voix d’une génération », ces voix féminines dans lesquelles toutes les jeunes femmes – en tout cas, beaucoup d’entre elles – se reconnaissent. Et où nous aussi on aime les reconnaître pour reconnaître les aimer.
Image de Une : @Chad Batka for The New York Times
Et peut-être aussi parce qu’elles n’ont pas froids aux yeux et s’envoient en l’air comme une lettre à la poste … 😉
Etant un vingt-cinquenaire et un mec – enfin, l’un de nous deux l’est – je suis profondément attiré par Girls pour les raisons énumérés ci-dessus même si je ne suis pas d’accord sur toutes. Lorsqu’Hannah lache sa phrase sur la génération, elle a partiellement raison : Lena Dunham narre les péripéties de jeunes étudiants fauchés issus d’une classe moyenne aisée ou d’une petite bourgeoisie qui vivent leur rêve dans une grande ville. Faisant partie de cette génération et surtout de cette classe sociale, je comprends. Je ne suis pas sur que le message soit genérationel, je pense qu’il est social. Girls parle au 20/30 ans qui ne sont pas vraiment fauchés mais qui rencontrent les épreuves inhérentes à leur condition sociale : beuveries, amour, sexualités plurielles, interrogation sur l’avenir qu’il soit professionnel ou sentimental et, enfin, le rapport à l’autre. L’argent on en a on en a pas, on se démerde, le but est de trouver un sens à sa vie, car c’est là le vrai questionnement de cette première saison de Girls : les personnages cherchent ce qu’ils veulent car ils ne le savent pas vraiment. La dimension générationnelle réside dans ce problème mais il faut enlever les couches de déformation du spectre social pour la trouver. C’est pour cela que Girls touche aussi les hommes, enfin ceux qui appartiennent aux réalités présentes dans Girls, ceux qui peuvent s’y rattacher : dans cet univers les hommes et les femmes sont beaucoup plus similaire que dans d’autres catégories sociales où les préoccupation sont autres.
Belle déclaration d’amour !
A quand une série de Boys dans le même ton?
(un anti Entourage, (hors How to Make it également))
Que la pirouette finale est adroite, et jolie!
Comme Capu, je me dis que les girls aimeraient sans doute une série de Boys pour les mêmes raisons… si elle était aussi réussie que celle-ci.
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Et pour la minute maîtresse d’école (ça doit être un truc de fille, faut me pardonner;-), j’ai remarqué que vous écriviez “mauvaise foi” comme “il était une fois” et c’est la troisième fois (ha ha!), même si pour la deuxième (dans l’article sur La Télé casanière, je vous laisse le bénéfice du doute, puisque vous l’avez mis au pluriel… malin!)
J’ajouterais : parce que les personnages masculins, qui sont les second rôles, sont tout aussi chouettes et bien écrits que les “Girls” en question.
Je pense aussi que dans la generation visée (la mienne) la relation amical homme-femme a changé et que les femmes sont des potes comme les autres, et que certain sujet qui aurait pus paraître mystérieux au hommes quelque années auparavant ne sont plus du tout tabou car les filles ont appris a inclure les mecs dans leur “problème de filles” et que les mecs en ont plus peurs, ce qui aident beaucoup a rentré dans l’histoire. C’est une analyse très ego-centrée mais je pense qu’elle s’applique a une grosse partie de la population masculine qui regarde le show.
Sans doute parce qu’on les voit sans arrêt à poil
J’aime “Girls” alors que je ne suis pas une fille.
Mais j’aime aussi “Don’t trust the B…” alors que je ne suis pas une B…
J’aime “Episodes” alors que je ne suis ni scénariste ni anglais.
J’aime “Boss” sans être maire de Chicago.
J’aime “Sherlock” et je ne suis pas détective…
Je pourrais en faire beaucoup d’autres comme ça. Si les mecs aiment “Girls”, c’est peut-être juste que c’est une bonne série, bien écrite, et qui, contrairement à SATC, s’adresse tout autant aux guys qu’aux girls.
Je n’aime pas Girls. Ni aucun mec que je connais. C’est a peu pres aussi representatif que votre estimation. J’adore les gens qui ecrivent des analyses generales en se basant sur leurs 5 copains qui, par definition, sont du meme milieu, pensent pareil etc…
Commencons donc par la chose la plus evidente: 99% des gens en France, hommes et femmes, n’ont jamais entendu parler de “Girls”. Ca limite quand meme pas mal votre analyse.
@Ben : pas faux pour la proportion de français
C est sans doute d ailleurs beaucoup moins…
Ce qui serait en revanche intéressant de voir c est combien de français entre 15 et 25 connaissent la série alors qu elle n est pas diffusée en France
Par curiosité j’ai regardé le pilote et la première chose qui me vient en tête c’est : elle peut pas se trouver un job la Hannah? Non parce que faire une série sur une fille qui fait un caprice à ses parents pour 1100 dollars par mois, ça me parait un peu déplacé. Personnellement je n’aurais jamais pu faire faire ça (et pas uniquement parce que mes parents n’auraient pas pu financièrement). Après il y a d’autres messages c’est sur, mais on dirait que ce problème d’argent est au centre de tout. Finalement c’est un peu comme How to make it dans laquelle Ben et son pote son censé pas avoir d’argent, sauf que quand on voit leur train de vie…
Bref, je vais regarder l’épisode 2 pour voir si il y a pas quelque chose d’autre à retirer de cette série mais je dois dire que pour une fois HBO me déçoit…
@Matth :
Le train de vie dans les deux cas, c’est un mix de débrouille, d’économie/aide des parents-famille/etc.
Et c’est aussi souvent comme ça en France…
How to make it était une bonne série IMHO. Mais elle manquait de profondeur, ce dont Girls ne manque pas.
La série n’est pas parfaite, mais dans ce format (30mn), elle est pour moi la meilleure en ce moment.