Le week-end dernier, je me suis rendu à Lyon, aux 5e Assises Internationales du Roman. Qu’est-ce qu’un spécialiste des séries pouvait-il bien faire sur un tel événement ? Une table ronde était organisée sur les séries américaines, et leur lien avec la littérature. Trois personnalités y étaient conviées, Sarah Treem, scénariste de In Treatment et dramaturge, Richard Russo, romancier et scénariste, et Eric Overmyer, co-créateur de Treme et pilier des 2 dernières saisons de The Wire — la principale raison de ma visite lyonnaise (son interview complète sera diffusée sur Le Mouv’ à 17h ce soir). Voici trois verbatim (le premier issu de mon interview, les deux autres de la table ronde) sur les liens entre littérature (et théâtre) et séries.
Eric Overmyer, co-créateur de Treme et dramaturge.
« Les séries sont des œuvres bien trop collaboratives, qui n’ont pas la voix unique, celle de l’auteur, indispensable à la définition d’une œuvre de littérature. Une série n’aura jamais la vie intérieure qu’un roman peut avoir. Vous pouvez indiquer les émotions, les pensées des personnages, mais vous ne pouvez jamais être explicite à ce propos. Quand vous regardez une série, vous voyez un récit divisée en chapitres, avec des histoires complexes et qui a sans doute des points communs avec un roman, mais l’engagement mental que cette série vous demande n’est pas comparable à l’effort qu’un livre exigera : une série est littérale, elle n’a qu’une interprétation possible, celle qu’on vous donne, vous êtes un réceptacle passif devant votre écran. Ce n’est pas non plus comme une pièce de théâtre, qui peut être mise en scène de mille façons différentes. C’est un produit fini, bouclé, définitif. C’est ce que c’est ! Les Soprano et Sur Ecoute sont de supers séries, mais ce n’est pas de la littérature et je m’oppose à cette comparaison… même si c’est un débat complexe.
La littérature populaire a toujours été une source d’inspiration pour Hollywood, côté cinéma comme côté télé. D’ailleurs, c’est un truisme que de dire que les romans de qualité médiocre sont les plus à même de devenir des séries réussies. True Blood, qui est un roman de genre, est bien plus simple à adapter qu’un ouvrage reposant sur des idées ou un langage complexe ! Le langage voyage mal vers le film. C’est impossible d’adapter Faulkner, mais True Blood, vous pouvez. »
Sarah Treem, scénariste sur In Treatment et dramaturge.
« Selon les formes qu’elle prend, l’écriture dramatique fait appel à des ressorts différents, mais elle s’inscrit généralement dans une dialectique action/personnages. Dans l’écriture pour le théâtre, l’évolution des personnages est primordiale […] Dans l’écriture scénaristique, le rapport tend à s’inverser […] On a donc affaire à deux formes d’art radicalement différentes, même si elles sont réunies sous l’appellation « écriture dramatique. » J’ai toujours eu le sentiment que l’écriture scénaristique s’apparentait davantage à l’écriture de romans qu’à celle de pièces de théâtre… » (1)
Richard Russo, romancier et scénariste de Empire Falls (sur HBO en 2005).
« Si, comme moi, vous êtes un romancier qui exerce également le métier de scénariste, il est fort probable que vous travaillez pour des séries […] Le roman du XIXe siècle avait compris les règles de la physique que les séries télé essayent sans cesse, pour des raisons économiques, de contrarier. Pourtant, comme ces grands romans victoriens étaient riches, ambitieux et enrichissants quand ils savaient ne pas s’imposer trop longtemps ! Et, comparées à la plupart des longs métrages d’aujourd’hui, comme les meilleures séries télé paraissent riches, ambitieuses et enrichissantes ! » (2)
(1) Traduction de Lucie Perineau.
(2) Traduction de Jean Hesch.
Sarah Treem et Eric Overmyer sont deux écrivains que j’apprécie particulièrement, “The Wire”, “Treme” et “In Treatment” comptant parmi les oeuvres télévisées les plus originales de ces dernières années. Pourtant, il me semble n’être d’accord ici qu’avec le troisième intervenant, Richard Russo, qui n’essaye pas au fond de savoir si l’écriture scénaristique télévisée pourrait s’apparenter à une écriture romancée et littéraire mais préfère transposer le problème en indiquant que sérié-télé et romans ont cela de commun qu’ils profitent de leur format pour essayer d’être plus ambitieux et “riches” face aux autres médias.
Overmyer indique que la série “n’a qu’une interprétation possible”; vous conviendrez que c’est faux. Il suffit de constater le nombre d’interprétations possible de certains épisodes de “Six Feet Under”, “Mad Men”, “Twin Peaks”, ou encore “The Sopranos” (et principalement de son final). Quoi qu’il pense, un roman est aussi “un produit fini” une fois édité et imprimé (p.s. : Faulkner a déjà été adapté au cinéma à plusieurs reprises).
Enfin, Treem explique que l’écriture théâtrale sied mal à l’écriture scénaristique, “radicalement différentes”. Pourtant, on ne compte plus le nombre de pièces de théâtre adaptées à la télévision et au cinéma. Et indiquer que l’évolution des personnages est importante au théâtre mais ne l’est pas tellement dans les série-télés est une méprise certaine; si c’est une remarque recevable pour la plupart des séries de networks américains, énormément de séries américaines voient leurs personnages opérer une parfaite révolution au cours du déroulement narratif de l’intrigue.
Alors soit, le fait est que l’écriture de romans et l’écriture scénaristique n’ont effectivement strictement rien à voir, puisqu’il s’agit avant tout d’un travail d’équipe avec d’autres scénaristes et de nombreux techniciens. Mais les arguments énoncés sont, je trouve, plutôt erronés.
L’un des points communs entre la littérature et les séries (disons le roman en général), c’est le traitement du temps, très différent de la façon dont il est traité au cinéma.
Je suis également d’un avis partagé par rapport au propos d’Overmyer. Les séries ont des points communs avec la littérature comme le chapitrage, le temps de narration, le nombre de personnages, leurs histoires, etc. L’effort demandé par un livre n’est en effet pas comparable à celui demandé par une série. Et juste en cela la série ne sera jamais du roman. Mais, il n’y a pas qu’une interprétation possible à une série. La profondeur de son propos peut également amener à diverses interprétations.
Bizarre qu’un scénariste de séries haut de gamme manque à ce point de lucidité sur l’art pour lequel il travaille.
En même temps, la question posée ouvrant la réflexion est des plus bidons : oui, il y a des différences et des points communs entre la littérature romanesque et les séries TV. Tout comme il peut y avoir des points communs entre cinéma et théâtre, ou cinéma et littérature, etc… Et après ?… On est bien avancés, une fois qu’on a dressé une petite liste de ces différences et points communs. Et pour aboutir à ?…
@Ralph McReiss : au XIXème siècle, on avait dans les journaux des romans-feuilletons, tout comme on peut avoir une histoire à suivre dans les séries-feuilletons. Voilà déjà un point commun, on ne peut donc plus dire qu’ “elles n’ont strictement rien à voir “.