Stephen Graham, Britannique de Manchester, n’a pas naturellement l’accent italo-américain d’Al Capone. Le comédien, aperçu notamment dans This is England et Gangs of New York, incarne pourtant le célèbre mafieux dans Boardwalk Empire, série sur l’essor de la pègre pendant la prohibition, signée Terence Winter et produite par Martin Scorsese (qui réalise le pilote). A l’occasion de la diffusion de la série sur Orange Cinémax, dimanche soir, j’ai pu m’entretenir avec lui, parler de l’Amérique des années 20, de Capone, et bien entendu de Scorsese, qu’il appelle “Marty.”
Vous incarnez Al Capone, un personnage célébrissime, dont on découvre ici les premiers faits d’armes…
Quand il apparaît dans la série, il n’est qu’un jeune gars d’une vingtaine d’années qui cherche à se faire une place dans le monde des gangsters. Son job, c’est de collecter les sommes que les commerçants « doivent » à la mafia. Il n’est guère plus qu’un chauffeur. J’ai lu pas mal de biographie d’Al Capone. C’est un gars qui vient d’une très grande famille, d’un milieu défavorisé… Nous sommes habitué à l’icône, à la star, à une image immense, puissante de Capone, cet archétype du gangster, alors c’est formidable de pouvoir l’incarner dans sa jeunesse, à ses débuts, au moment il se tenait tout au bas de l’échelle.
C’est un des thèmes centraux de Boardwalk Empire, raconter l’histoire de petites frappes qui sont devenus des légendes…
Tout à fait. Pendant la prohibition, cette période un peu dingue de l’histoire des Etats-Unis, tout le monde pouvait faire fortune en vendant de l’alcool. Les gangsters et les malfrats ont tout de suite compris qu’il y avait là une immense opportunité.
L’histoire rattrape la fiction, non ?
Si ce n’était pas vrai, historique, vous n’y croiriez pas un instant ! Ces types étaient comme des stars du rock, des vedettes de cinéma, ou des footballeurs pour nous les Anglais… ils n’avaient pas de noms, pas de titre de noblesse, et ils sont devenus des légendes, des demi-dieux. Tout le monde voulait leur ressembler.
Qu’est-ce que cette histoire dit de l’Amérique contemporaine ?
C’est une version pervertie du rêve américain. Normalement, il est dit que si vous attendez, si vous travaillez dur, vous obtiendrez ce que vous voulez. Al Capone, lui, a attrapé son rêve américain sans rien demander à personne, et s’est barré avec en courant ! Au-delà de ça, Boardwalk Empire reflète des problèmes toujours d’actualité : la corruption, le mensonge, etc. Quand je vois les manifs en France ou en Grande-Bretagne, les étudiants en colère, quand les gens n’en peuvent plus et se révoltent… et bien ça me fait penser à la série.
Euh… vous comparez les mafieux de la prohibition et les manifestants contre le projet de loi sur les retraites ?
Disons l’Amérique de ces années là et ce qui se passe en France ou en Angleterre… A l’époque, les gens ont réagi à une privation, celle de l’alcool. Au contrôle de leur liberté de boire. Un abus du pouvoir politique. Ils se sont rebellés contre cette prise de décision qu’ils jugeaient abusive. C’est une sorte de révolution.
Comment jouer une légende comme Al Capone ?
J’ai essayé d’inventer mon propre Capone, à partir des indications des producteurs et des réalisateurs. Je ne suis qu’une couleur sur la palette de ces gens-là. Al Capone a été incarné des dizaines de fois, notamment par De Niro dans Les Incorruptibles. Marty… Monsieur Scorsese m’a demandé de ne pas revoir ces films, de le jouer à ma façon. Il a voulu créer quelque chose de neuf, une version inventive du personnage. Je suis un grand fan de foot, et je vois un peu les choses comme ça : Platini était un joueur majestueux, magnifique, gracieux. Thierry Henry est lui aussi un joueur majestueux, magnifique, gracieux, mais à sa façon à lui. Quand Henry joue, je vous parie qu’il ne pense pas à Tigana ou à Platini. Il joue à sa façon. C’est un peu ce que j’essaye de faire…
Ce n’est pas votre premier rôle de malfrat ou de mafieux. Vous étiez notamment dans Gangs of New York et This is England. Vous avez la tête de l’emploi ?
(Rires). Je ne sais pas. Vous savez, je suis un père de famille et un mari aimant… Je prends mon métier un peu comme mon fils se rêve en Buzz l’éclair en courant à travers la cuisine. Je joue avec les yeux d’un enfant, je crois en ce que je fais comme mon fils croit qu’il est son héros. Et puis, les méchants sont fascinants à jouer si vous parvenez à les rendre humain et complexes.
Boardwalk Empire fait partie de ces séries qu’on dit « cinématographiques », qui n’auraient rien à envier au cinéma. Partagez-vous ce point de vue ?
Le snobisme du cinéma envers la télévision, c’est du passé. La preuve, de grands acteurs comme Steve Buscemi font de la télé. Peu importe le médium tant qu’il y a une bonne histoire, bien écrite et bien mise en scène. La frontière entre la télé de qualité et le cinéma est vraiment de plus en plus mince. Marty a filmé Gangs of New York ou Boardwalk Empire de la même façon : il prend son temps, son implication et sa passion est identique sur le petit et sur le grand écran. Les décorateurs, les maquilleurs, les costumières, tout le monde fait son maximum, et la passion de Marty déteint sur l’ensemble de ceux qui travaillent avec lui. Si je peux reprendre ma comparaison footballistique, c’est un excellent coach : il sait choisir les meilleurs joueurs et les pousser à tout donner pour son projet, pour son équipe.
Boardwalk Empire, le dimanche à 20h40 dès le 19 décembre, sur Orange Cinemax.
Image de Une : Boardwalk Empire, HBO.
[…] Ce billet était mentionné sur Twitter par MrSeries, Xavier Eutrope. Xavier Eutrope a dit: http://tinyurl.com/2bhvg4m Interview avec le Al Capone de Boardwalk Empire [Slate.fr][Têtes de Séries]. […]