En cette rentrée 2010-2011, on a beaucoup parlé de l’annulation brutale de Lone Star, qui aurait pu devenir, si il avait vécu, le meilleur drama de cette fragile livraison. J’ai récemment eu l’occasion de me replonger dans une autre de ces séries trop rapidement annulées, Kings, qui connaitra une diffusion bâclée mais bienvenue sur Série Club à partir du 20 décembre. Maltraitée* par NBC l’an dernier, cette relecture de l’histoire du roi David (celui de la bible et de Goliath) n’avait sans doute rien à faire sur une chaîne grand public (comme Lone Star d’ailleurs), et faisait preuve d’une originalité et d’une ambition sans doute trop extrêmes pour convaincre le plus grand nombre. Imparfaite, elle reste une des œuvres télévisuelles les plus étonnantes de ces dernières saisons, le parfait exemple de ce qu’on aimerait voir sur des networks à l’inspiration morte.
A l’heure où les Bruckheimer et autres Zuiker pondent au kilo leurs projets de séries formatées, histoires milles fois vues, séries vite vues vite digérées par un public assoupi, une œuvre comme Kings prend déjà des airs d’antiquité. Pour qu’elle arrive sur NBC, il aura fallu qu’un responsable de la fiction vicieux veuille faire une mauvaise blague à ses patrons. Ou que la chaîne ai voulu s’offrir une caution qualité auprès de scénaristes fatigués qu’on leur commande des polars. NBC n’est pas la plus frileuse des networks. C’est peut-être même celle qui prend le plus de risques, tente des formats, évite les classiques. Et se ramasse lamentablement. Dans le genre gamelle, Kings aura fait très fort. Mais quelle belle gamelle !
Je suis agnostique les bons jours, athée quand je perds à l’Euromillions. Le pitch de Kings n’avait rien pour me plaire. Une reprise de la Bible ? Peu pour moi. En général, les séries religieuses finissent au mieux en réflexion désabusée sur l’existence du Tout Puissant, au pire en prêchi-prêcha. Non seulement on nous promettait de la religion, mais aussi un roi et tout ce qui va avec. Or, moi, quand j’entends « roi », je pense Tudors, et je zappe bien vite – Les Tudors me gonflent, je n’ai pas honte de le dire. Je n’étais donc vraiment pas le bon client pour ce Kings boursouflé. Et boursouflé il fut. Magistralement boursouflé.
Kings est plus précisément un soap royal moderne inspiré par la bible. Chaque mot a son importance dans ce projet dont la définition elle-même est une promesse inédite. Nous voilà projeté dans le royaume de Gilboa, dans un monde contemporain au notre – l’habit et la technologie nous laisse du moins le penser – dont la géopolitique est dominée par une interminable guerre entre Gilboa et son ennemie Gath, un pays voisin. A la tête de Gilboa, le roi Silas, charismatique mais fragile (et donc dangereux) souverain, dont les coffres sont remplis par l’or de son beau-frère, industriel sans scrupules. Un jour, sur le front, un jeune mécanicien de campagne, David Shepherd (« le berger », en anglais) sauve la vie du Prince, et détruit un Goliath, tank invincible de l’armée de Gath. Le voilà héros d’une nation, et bientôt soupirant de la Princesse…
En anglais dans le texte, l’expression « WTF ? » serait parfaitement adaptée. En critique dans le texte, j’opterais pour « quelle drôle d’idée, voyons voir ce que ça donne. » J’ai vu, et je n’ai pas été déçu, car Kings assume crânement ses idées, réussissant la modernisation d’un schéma classique. Les costumes et les décors – une version remodelée de New York – sont parfaits. Modernes, mais avec une pointe d’uniformité, de rigueur très royale (on porte beaucoup le costard ou l’habit militaire). L’équilibre entre classicisme et modernité est tenu dans tous les détails, à l’image du palais royal, imposant bâtiment à l’architecture traditionnelle (romaine ou britannique selon les dépendances) voisines d’immenses tours de verre. Même effort du côté de la langue, très verbeuse, très poétique – les dialoguistes ont fait un remarquable travail – mais suffisamment contemporaine pour ne pas tomber dans la pure théâtralité.
Il y a évidemment dans Kings une part importante de théâtralité, des élans tragiques de toute beauté, portés par un mysticisme omniprésent. Un souffle poétique grandiloquent fait régulièrement décoller le récit, osant des plans métaphoriques qui ailleurs eurent été ridicules – un vol de pigeons pour augure… De bout en bout, la série exploite son concept, pourtant dangereusement instable, de soap politico-romanesque, où les ambitions, les colères et les aveuglements des héros les mènent irrémédiablement vers leur chute (toutes comparaison avec la politique contemporaine n’est d’ailleurs pas complètement fortuite, quoi que casse-gueule, mais l’impact des lobby pro-guerre sur les décisions de Silas ont un petit air de déjà-vu). On a beau se dire que les ficelles qui maintiennent cette histoire sont artificielles, la sauce prend, grâce à la virtuosité de la réalisation – là encore brillamment grandiloquente – aux textes – très au-dessus de la moyenne, répétons-le – et à l’interprétation.
Finissons là-dessus, même si c’est sans doute ce qui séduit le plus immédiatement dans Kings. Le vrai héros de cette histoire n’est pas David. Le quasi inconnu Christopher Egan, sorte de croisement entre Matt Damon et Ryan Philippe, est pourtant très bien, beau, gentil, lisse comme héros. La Princesse Michelle, beauté « pure » et idéaliste, est à l’avenant, tout comme le Prince Jack, noceur lisse à l’extérieur, détruit à l’intérieur, personnage déjà un peu plus intéressant quoi qu’un poil convenu. Non, le vrai héros de Kings, et celui qui d’ailleurs est le plus présent à l’image, c’est le roi Silas, incarné par le grand Ian McShane. Touchant, violent, effrayant, attendrissant, poignant, drôle, il compose un personnage d’une rare complexité et d’une rare ambigüité, qui mérite à lui seul qu’on jette un coup d’œil à Kings.
Kings, le lundi 20/12 dès 20h40, puis le lundi 27/12 dès 20h40 et le jeudi 30/12 dès 20h40. Sur Série Club.
Image de Une : Kings, NBC.
* Diffusée le dimanche, puis le samedi, Kings n’aura pas bénéficié d’une campagne de pub à la hauteur de son coût (10 millions pour le double pilote, puis 4 millions par épisode), et fait un bide retentissant, démarrant à 6 millions (une misère) pour finir à moins de 2 millions de téléspectateurs.
[…] Ce billet était mentionné sur Twitter par MrSeries et Michael Baeyens, Breaking News. Breaking News a dit: RT @MrSeries: Un petit hommage à Kings, ma série annulée favorite du moment http://bit.ly/dVBbUZ […]
Tout à fait d’accord avec toi Pierre, malgré quelques petits défauts, c’est une ambiance assez unique. Pas besoin d’être croyant pour l’apprécier, les références religieuses sont là mais pas envahissantes. Et quels acteurs!