Borgia contre Borgias

Cette semaine, Canal+ a enfin laissé filer quelques images des Borgia (voir notamment l’Hebdo Séries). On a longtemps cru que cette grosse coproduction internationale, annoncée de longue date,ne verrait jamais le jour. Confirmée, mise en doute, à nouveau confirmée, elle sera diffusée l’an prochain… sans doute à peu près au même moment où la chaîne câblée américaine Showtime proposera The Borgias, sur le même sujet. Un affrontement inédit, qui représentera bien plus que les visions sans doute différentes de deux scénaristes et de leurs équipes.

Canal+ et ses partenaires, essentiellement européens, pensaient tenir, mi-2009, le concept qui allait succéder au Tudors, champions du drame en costumes pendant quatre saisons. Ce serait l’histoire de la famille Borgia, une dynastie politico-religieuse sanglante à souhait, parfaite pour amener des sujets aussi historiques que contemporains, une bonne dose de violence, de passion et de sexe. Coup de maître pour la chaîne cryptée, ce serait Tom Fontana, créateur de Oz et passionné d’Histoire, qui prendrait les manettes de l’aventure. Ne manquaient plus que des sources de financement supplémentaires et, espérait-t-on à l’époque, une chaîne américaine. Patatra. A la rentrée 2009, Showtime, la chaîne des Tudors en personne (et de Dexter, Weeds et quelques autres) annonce qu’elle prépare un projet sur le même thèmes précisément. C’est Michael Hirst, le scénariste des Tudors, qui est sur le coup, et Neil Jordan (Entretien avec un vampire) est embauché à la réalisation.

On ne peut qu’imaginer la stupéfaction chez Canal+ et ses alliés, car peu d’infos filtrent alors. Rencontré au MIPCOM l’an passé, Fontana était déjà fataliste, et lâchait “s’il doit y avoir deux Borgia, ainsi soit-il !” Le souci, c’est qu’en un temps record, Showtime annonce son casting, porté par Jeremy Irons, puis diffuse une vidéo promotionnelle (ci-dessous), sorte de making of tellement cheap qu’on se doute qu’il a pour mission de décourager la concurrence. Qui fait profil bas. On croit Canal+ résignée. Il n’en n’est rien. Par bruits de couloir d’abord, puis concrètement à la rentrée, la chaîne cryptée confirme son projet. Jusqu’à envoyer à certaines rédactions un dossier de presse cette semaine.

Outre deux visions vraisemblablement différentes (sans aucun chauvinisme, on sent mieux celle de l’excellent Fontana que celle de l’ouvrier Hirst, dont on n’aime guère les Tudors) et deux castings (la star Jeremy Irons s’oppose au peu connu mais brillant John Doman — The Wire, Damages), ce sont deux méthodes de production qui vont s’opposer ici. D’un côté, une production “à l’américaine”, pour une chaîne du câble, donc a priori ce qui se fait de mieux à la télévision aujourd’hui. De l’autre côté, une coproduction européenne, reposant sur un équilibre financier et artistique composite, modèle encore un peu tendre, mais qui représente pour beaucoup, dont Tom Fontana, l’avenir de la fiction télé. Le succès ou l’échec de Borgia (le titre de Canal+) aurait eu quoi qu’il en soit un impact majeur sur le développement de ce genre de coproductions sans les Etats-Unis (pour l’instant, l’entente HBO – BBC — Rome, House of Saddam — avait soulignée l’importance de collaborations transatlantique). Sa réussite face à The Borgias (le titre de Showtime), un projet similaire lancé par une chaîne américaine, sera d’autant plus symbolique. Résultat de cette bataille… historique, courant 2011.

Image de Une : Bernard Benant / CANAL+