Fin juin à Triel sur Seine, à une trentaine de kilomètres de Paris. Au bord de l’eau, sur un vaste espace vert, une petite centaine de figurants apprêtés tourne autour d’un buffet copieusement garni. Les hommes sont en costumes, les femmes en robe, mais quelque chose sonne faux. Trop de verts. Trop de couleurs pastel. Trop de froufrous. Trop de coupes de cheveux impossibles. Nous sommes en 1983, et c’est le ballet des vieilles Mercedes et autres Porsche vintage devant les pelouses. Antoine « Tony » Roucas (Simon Abkarian), bandit, truand craint et respecté, va se marier. C’est le grand jour, et toute la « famille » défile, jusqu’au clan concurrent, venu refroidir l’atmosphère. Démarré au mois de mars, le tournage des Beaux Mecs, pour France 2, entame sa dernière ligne droite.
Choc des générations.
Le titre ne restera pas. « Ça fait trop penser aux Beaux Gosses, le film de Riad Sattouf, et puis les gens ne savent pas ce qu’est un beau mec », explique Virginie Brac, la créatrice de la série. Un « beau mec », c’est un bandit à la française, un truand classe, qui a des principes, « quelqu’un qui s’est fait seul, un gars élégant, droit, qui tient ses promesses », précise Simon Abkarian en parlant de son personnage. Les Beaux Mecs – appelons-les comme ça en attendant – racontent la cavale de deux prisonniers, un beau mec, Tony Roucas, la cinquantaine, et un malfrat des cités, Kenz – Soufiane Guerra. Une cohabitation forcée, une opposition de style, « un choc des générations », explique Gilles Bannier, qui réalise les huit épisodes de la série. « Les caïds d’aujourd’hui font n’importe quoi, poursuit Virginie Brac, alors que les anciens incarnent un certain romantisme. Pour autant, on ne voulait pas tomber dans le « c’était mieux avant ». »
Huit flashbacks.
Pourquoi parler des « caïds d’aujourd’hui » si on est en 1983 ? Parce que Les Beaux Mecs reposent sur une structure en flashbacks, « qui racontent comment Antoine est devenu Tony, et qui nourrissent le personnage », précise Virginie Brac. Huit flashbacks, un par épisode, pour revenir sur les grandes dates de la vie d’un personnage qui tire son nom de… Tony Soprano. « J’ai revu Les Soprano, Scarface, Le Parrain, explique-t-elle. Pour la structure narrative, en revanche, j’ai plutôt potassé mon Lost et mon Damages. Les Américains osent, il faut que nous osions aussi. » Pas question néanmoins de tomber dans la caricature. « Les flashbacks ne sont pas ici des flashs, précise Bannier. Ce sont des moitiés d’épisode. »
L’histoire d’un homme, pas d’un pays.
Au départ, il était question de retracer « cinquante ans de grand banditisme » à travers ces flashbacks. Impossible selon Brac. C’est donc l’histoire d’un homme, pas celle de la France, qui défilera sous nos yeux, surtout ses rencontres avec les femmes qui ont marqué sa vie. Un personnage que Simon Abkarian compare aux « hommes de sa famille, des gens qui avait le sens de l’honneur, des gars virils mais pas machos », sans être non plus des gangsters. Tony Soprano, il ne connaît pas. Et n’essayez surtout pas de lui faire dire qu’il enchaîne les rôles de truands, après Nadir dans Pigalle, la nuit. « Ça n’a rien à voir, coupe-t-il court. Nadir, il vent des sexe toys. Tony, lui, porte un flingue. » Pourtant, la production a longtemps hésité à lui proposer le rôle. « On avait peur que les gens soient trop marqués par Pigalle », avoue Gilles Bannier.
Des airs de Canal.
Reste que la comparaison avec les séries de Canal+ ne se limite pas à ce hasard de casting. Virginie Brac, Gilles Bannier et Eric de Barahir, lui aussi de l’aventure, ont tous travaillés sur Engrenages. Bannier a aussi bossé sur Reporters. « France Télé nous a laissé bosser, reconnaît Virginie Brac. On n’a jamais été emmerdés. » Vincent Meslet, le directeur de la fiction du groupe, préfère lui prévenir : « je respecte le travail de Canal+, mais on ne veut pas leur ressembler. Quand on veut faire du Canal, on se plante. » Quant à l’inscription des Beaux Mecs dans la ligne éditoriale de France 2, il reste vague, expliquant qu’il « faut alterner, faire un peu de tout. Il y a des locomotives, des programmes sûrs, et des prises de risques. Ici, ça reste très romanesque, mais c’est un terrain inconnu… » Filmés caméra à l’épaule (la marque de Bannier) sur un mode « évidence, simplicité, réalité », parfois violents mais pas trop, Les Beaux Mecs se veulent « une saga, pas une série », selon Virginie Brac. Pour saisir la subtilité, rendez-vous début 2011, sur France 2.
Photos : France 2 – Lincoln TV – Thibaut Grabherr