La réflexion ne date pas d’hier, mais en pleines vacances, au moment où l’on enchaîne les « top 10 » et autres « bilans », elle revient sur la table : pourquoi diable les Américains considèrent-ils les émissions de télé réalité comme des séries, et pas nous ? Chez eux, on ne parle d’ailleurs pas tant de « reality TV », mais de « unscripted series », c’est à dire de « séries sans scénarios », ce qui, avouons-le, est un peu plus près de la réalité – votre quotidien ressemble à Secret Story, vous ? Même s’il faut être un poil naïf pour se dire qu’il n’y a pas de scénario dans une émission de téléréalité, ça ne change pas la question de départ : Koh-Lanta, L’Île de la tentation, Secret Story et consorts – mettons de côté la Nouvelle Star, qui est un télé-crochet, par une téléréalité – sont-elles oui ou non des séries télé ?
Inutile de faire durer le suspens, la réponse sera oui. Chacune de ces émissions est composée de plusieurs saisons, divisées en épisodes, avec ses personnages récurrents – l’animateur, la voix-off, parfois même certains concurrents – et ses décors familiers. Plus fort encore, la téléréalité repose sur les mêmes ressorts dramatiques que beaucoup de séries : des «héros » aux personnalités « fortes » (notez les guillemets…), des enjeux chaque semaines – jeux, défis et, bien entendu, éliminations – et d’autres (ce qu’on appelle les « arcs » dans les séries) étalés sur plusieurs émissions – les relations entre personnages, les mystères que cachent chaque héros, etc. Elle reprend aussi certains des effets de styles des séries : flashbacks, flashforwards, répétitions (ici poussées à outrance) et bien entendu, les fameux cliffhangers, qui permettent de faire revenir le téléspectateur en seconde semaine.
Les émissions de téléréalité sont donc fort judicieusement considérées comme une forme de série par les Américains, au même titre que les dessins animés, par exemple. Alors pourquoi cette classification ne fonctionne-t-elle pas chez nous ? D’abord sans doute parce qu’elles sont diffusées dans des formats variables, de résumés de fin d’après-midi en interminables prime times, loin de la quadrature des diffusions sérielles. Ensuite, peut-être, parce qu’elle ont été marketées par leurs créateurs et les chaînes concernées (TF1 et M6, en gros) comme des produits de divertissement type jeux. Enfin, explication la moins rationnelle mais la plus réconfortante, parce qu’elles frôlent le niveau zéro de la comédie, qu’elles sont misent en scène comme la vidéo surveillance d’un parking souterrain ou d’une prison et que ses acteurs sont aussi peu intéressants qu’ils sonnent faux.
Au final, on peut détester la téléréalité, mais on en revient au même constat : formellement, Koh-Lanta ou Secret Story sont des séries. De mauvaises séries, mais des séries. Il suffit de voir à quel point Secret Story semble aimer faire référence au Prisonnier (voyez le jeu d’échec géant qui trône dans le loft…) ou Koh-Lanta et Lost semblent se répondre pour se faire une raison – Sans parler du cas Dead Set, série où des zombies s’en prennent à un loft de téléréalité… Ne reste plus qu’à attendre une « unscripted serie » où les candidats auraient 24 heures pour désamorcer une bombe placée quelque part dans Los Angeles ou Washington. A coup sûr, ça ferait carton…
Image de Une : Koh-Lanta, TF1.