Santa Maradona, priez pour lui

Maradona

PippoAvatar-copyTeddyBertinAvatar Diego Armando Maradona, ou la défaite du romantisme face au foot standardisé et théorisé. Pourquoi l’un des rares génies qu’ait connu le foot, qui a entre ses mains d’entraîneur le gamin le plus doué de la décennie à venir, a-t-il autant de mal à envoyer l’Argentine au prochain Mondial?

L’histoire était pourtant belle. Le déluge sur le Monumental, la résurrection d’El Loco Martin Palermo, absent de la sélection argentine depuis dix ans, et la glissade d’otarie de Diego. En gagnant dans les derniers instants contre le Pérou samedi, l’Argentine a peut-être fait le plus dur pour la qualification au Mondial sud-africain. On aurait envie d’y croire, se dire que cette équipe pourra aller chercher un titre en juin prochain. Mais non. Pour beaucoup, le foot à la fois romantique et tout en tripes de Maradona, c’est has been. Aujourd’hui, l’heure est aux savants calculs, aux préparations physiques calibrées, personnalisées. A la communication verrouillée, façon bunker austro-suisse.

Qu’on est loin de l’Écosse et de l’arrivée triomphale du petit gros à la tête de la Seleccion, en octobre 2008. En sept matchs de qualification avec El Pibe de Oro à sa tête, l’Argentine a gagné trois rencontres, en a perdu quatre. A la veille du dernier match de cette phase pré-Mondial, l'”Albiceleste” peut encore être éliminée.

* Scénario un, la qualification directe: elle gagne ou fait match nul en Uruguay (et que l’Equateur ne gagne pas 5-0 au Chili)

* Scénario deux, les barrages: si l’Argentine perd et que l’Équateur ne s’impose pas au Chili, la bande à Maradona devra se farcir un match aller-retour éliminatoire. L’adversaire sera probablement le Honduras. Un pays sans président. L’affaire ne semble pas insurmontable, même s’il ne faut jurer de rien avec une équipe qui a réussi à perdre 6-1 contre la Bolivie.

* Scénario trois, la honte: l’Argentine perd, l’Equateur gagne. Maradona démissionne et sombre dans la démence, Messi est crucifié au centre de la Plaza de Mayo.

Maradona était encore joueur lorsque les doubles champions du monde (1978, 1986) avaient pour la dernière fois dû passer par la petite porte du repêchage. C’était en 1993, et l’Albiceleste avait difficilement dominé l’Australie (1-1/1-0). Pour éviter cette nouvelle épreuve, l’Argentine doit donc rapporter au moins un point d’Uruguay. A Buenos Aires, on prie déjà pour que l’Argentin Marcelo Bielsa, entraîneur du Chili (3ème et déjà qualifié), joue le jeu contre l’Equateur.

Tandem boiteux

Alfio Basile démissionnaire, entre le choix de raison, Carlos Bianchi, et celui du cœur, la décision est vite prise à l’automne 2008: ce sera Diego, la seule vraie idole. Lui aussi a été à l’image des années 90 de l’Argentine, trop gros, au bord de la mort plusieurs fois. Les Argentins se disent: «il a galéré, nous aussi, il s’en sort, nous aussi, autant s’unir pour le seul truc qui compte vraiment: le football». Ensemble, tout devient possible. A l’unisson – et parce qu’ils n’ont pas trop le choix – les joueurs chantent alors les louanges de Maradona. Arrivé comme un dieu dans une équipe en manque de repères, l’ancien 10 doit redonner confiance à ses niños.

Pas totalement inconsciente, et parce qu’elle se souvenait des piètres performances de l’ami Diego en tant qu’entraîneur (au Deportivo Mandiyú et au Racing Club dans les années 90), la fédération argentine prend ses précautions. Elle lui met dans les pattes Carlos Bilardo, nommé secrétaire technique. Il avait mené Maradona joueur au titre mondial en 1986, pourquoi le tandem ne fonctionnerait-il pas une deuxième fois ? Sauf que les deux ne s’entendent pas. Déjà déçu de n’avoir pu choisir ses adjoints, Maradona reproche à Bilardo d’avoir effectué une sélection derrière son dos. D’où le coup de gueule de la semaine dernière: «Après les éliminatoires, je parlerai avec Julio (Grondona, le président de la Fédération argentine de football, ndlr). Je verrai si je continue, et ce sera à mes conditions. Quand Julio m’a offert ce poste, j’étais l’homme le plus heureux au monde, mais depuis, il y a des choses qui ne m’ont pas plu.»

Mais non, Leo !

Maradona a-t-il cru qu’il suffisait de venir et de voir pour vaincre ? Son souffle devait tout emporter et donner la gnack aux joueurs. Un peu comme en 1994, quand il tenta de porter une équipe d’Argentine en fin de cycle, avant de tomber pour dopage. La fameuse opération commando chère aux footeux, ça s’est déjà vu. Pas plus tard qu’en 2006, avec le retour de Zinédine Zidane aux affaires. Mais lui était sur le terrain. Si Maradona a été un grand joueur, ses qualités de technicien restent énigmatiques. Dur de comprendre que tout le monde n’est pas aussi bon qu’on l’a été et que certains ont besoin d’être encadrés pour être performants.

En face, les adversaires ne sont pas si mauvais. Évidemment, le Brésil répond présent. Il bétonne, ne fait rêver personne mais s’est qualifié très facilement. La focalisation médiatique sur l’Albiceste lui permet presque de gérer ses propres problèmes (Ronaldinho, Ronaldo…) sereinement. Ce soir, pour l’Uruguay, il y aura Forlan, l’autre attaquant de l’Atlético Madrid. Celui qui marque des buts et a fini pichichi de la Liga en 2009, pas comme l’autre, le beau-fils de Diégo, Kun Agüero. Formés dans les championnats brésilien ou argentin (comme Forlan qui a été formé et a joué quatre ans pour Independiente), les joueurs sud-américains connaissent leur adversaire argentin par cœur. Guère impressionnés, ils jouent sans le frein (pas comme l’équipe de France au Vélodrome en février dernier).

Il faut aussi avouer que le Pibe de Oro n’a pas été verni. Confronté à de multiples blessures, il a testé pas moins de 78 joueurs depuis son arrivée à la tête de l’équipe. Entre la défaite au Paraguay il y a un mois et la victoire contre le Pérou samedi, il a changé sept joueurs et peine à dégager une quelconque équipe référence. La valeur même des joueurs, ensuite, est âprement discutée. De joueurs de valeur mondiale, on ne voit guère que Mascherano, le demi-défensif de Liverpool, Messi, et Higuain, à la limite, qui vient enfin d’être sélectionné pour la première fois. Les autres grands noms (Aimar,  Saviola, Ortega (sic !) ) ne sont plus que l’ombre de ce qu’ils furent un jour dans la réalité (peut-être) ou dans les simulations de foot (plus sûrement).

Maradona continue de les appeler, donnant parfois l’impression qu’il est resté bloqué à la version de l’Entraîneur 2001. Quant à Gabi Heinze, on a beau l’aimer énormément en France, on se rend compte ces dernières semaines que même contre Valenciennes, il est à la limite. On retrouve chez l’entraîneur argentin le syndrome Domenech pré-retour des héros (2006), qui nous avait donnés des sueurs froides: dans la même position, il essaye tous les joueurs possibles. Le seul ancien dont l’Argentine aurait vraiment besoin serait Riquelme, mais il n’aime pas Maradona et refuse de jouer pour la sélection. L’homme, sans doute l’Argentin le plus doué depuis Diego et avant Messi, est ombrageux et, lui aussi, difficile à cerner parfois.

Reste le cas Messi. La presse argentine ne prend plus de gants pour le dézinguer. Des rumeurs disent que lui et Maradona ne se parlent plus. Pour El Periodico, il serait tout simplement un étranger en Argentine. Vivant à Barcelone depuis ses 13 ans, le nain aux grandes oreilles se serait embourgeoisé en Espagne, aux côtés des Henry, Xavi ou Iniesta. «Dans un pays aux âmes très volatiles, où l’on peut passer de la gloire à l’échafaud en un battement de cils, Messi, le Messie, en ces heures de malaise généralisé, est la cible de toutes les railleries et de la déception», note El Periodico. Perfide, le magazine Perfil relaie les commentaires de la presse sportive espagnole, qui se désole de voir son génie, si flamboyant en Europe – au point d’être le favori du prochain Ballon d’Or – se transformer en Mr Hyde sous le maillot de l’Albiceleste.

Pas touche à Diego!

Mais elle reste plus prudente avec Maradona, tout de même icône nationale (admirer ici ses buts de légende). «Un peu d’humilité. Dans ces pages, nous développons des opinions sur le foot, nous l’intellectualisons, mais nous savons très bien qu’au final, plus que certaines données basiques, il y a beaucoup de mystère et de magie», résume la Nacion. En attendant, c’est sur un mode ironique («Diego, voici des infos sur tes adversaires, prends en note»), qu’elle raille le sélectionneur. Le problème, avec Maradona et avec les Argentins, ce serait l’excès d’affect: «Au fond, le problème c’est que Maradona connaît très bien le foot, mais dans sa vision, ce sont les sentiments qui dominent. L’excès d’émotions est dangereux dans le foot», note La Nacion. Le Guardian résume l’affaire à sa façon: «C’est un peu comme quand 72% des Argentins trouvaient que Domingo Cavallo était un bon choix pour mener la politique financière de la nation en mars 2001, avant que ces mêmes 72% descendent dans la rue pour demander sa tête». «Si l’Argentine est un contresens avec un pays riche et un peuple pauvre, notre football, à travers le sélectionneur, est le paradoxe de l’inutile», appuie El Periodico.

Nonobstant, depuis le départ, tout était prévu, écrit. Maradona est plus un personnage de théâtre qu’un personnage réel: «Diego Maradona, c’est sublime, mais ce n’est pas du football», juge le rédacteur en chef du service sport du Guardian, un brin agacé. C’est une rock star, le mec qui a des chansons à son nom des “Souris parano” (Los ratones paranoicos), de la Mano Negra ou d’autres, qui a son documentaire idolâtre par Kusturica et même son culte religieux. Le seul footballeur à avoir réussi à devenir durablement une icône pop mondiale (désolé Cantona ou Beckham), à l’image de certains politiques, et qui se fait hacker son site perso. L’important n’est pas que cela finisse bien ou mal mais que cela finisse avec des émotions, du spectacle, du drame ou de la joie. Ensuite les ménestrels chanteront des ballades en son honneur.

Je me souviens m’être dit, le jour de sa nomination: «Pourvu que l’Argentine perde en finale ou en demi de manière injuste, contre l’Angleterre par exemple, cela deviendrait mythique». Si elle échoue ce soir contre l’Uruguay, le drame aura juste quelques mois d’avance, mais laisserait un goût amer, trop tôt. L’Argentine est à Maradona ce que Titus est à Bérénice dans Racine. Elle l’aime profondément, mais elle sait que, à terme, pour l’avenir du pays et de l’équipe nationale, ils ne peuvent plus être ensemble, même s’ils en ont le cœur brisé. Les évolutions économico-tactiques du football, les vagues de fond de l’histoire comme dirait l’historien Fernand Braudel, sont trop fortes. «Hélas!»

Quentin Girard et la rédac de Plat du Pied

Photo Marcos Brindicci / Reuters : Maradona pendant le match contre le Ghana le 01/10/2009

http://www.youtube.com/watch?v=ipzhH9-Afl0

4 commentaires pour “Santa Maradona, priez pour lui”

  1. Veron, Saviola, Ortega (sic !) ) ne sont plus que l’ombre de ce qu’ils furent un jour dans la réalité (peut-être) ou dans les simulations de foot (plus sûrement).

    j’adore cette phrase.

    en complément sur le foot en argentine

    http://www.liberation.fr/sports/0101586851-l-etat-argentin-s-offre-les-droits-du-foot

  2. Bravo pour ce super blog ! 🙂

  3. C’était pas à la Bombonera le déluge, c’était au Monumental de River Plate.
    Alfio Basile n’a pas été viré, il a démissioné.
    Veron est redevenu le grand joueur qu’il était à Parme et à la Lazio, élu meilleur joueur d’Amérique du sud en 2008, vainqueur de la Copa Libertadores 2009, compétition dans laquelle il a été fabuleux.

  4. @ François. Merci, c’est corrigé. Pour Veron, qui a adoré châtie bien… Et il est quand même de plus en plus lent, le syndrome Edouard Cissé.

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