Parfois les chiffres s’entrechoquent. Jeudi (11/02/2010), Christine Lagarde, la ministre de l’Economie et des Finances, a obtenu l’engagement des grandes banques de dépôt (le Crédit Agricole, la BNP Paribas, la Société Générale, le groupe BPCE, né de la fusion des Banques populaires et de la Caisse d’Epargne, et le Crédit Mutuel), d’apporter 38 Mds€ aux PME et aux très petites entreprises, les TPE, en 2010. 38 Mds€ c’est un peu plus que les 32 Mds€ que les assureurs ne vont plus allouer aux PME et TPE. Au total les assureurs devraient, dans les deux ans à venir, revendre pour 250 Mds€ d’actions cotées ou non. Ils n’ont pas basculé dans le camps des alter-mondialiste, mais ils ont fait leurs comptes. C’est l’histoire d’une négociation européenne mal embarquée par la France depuis deux ans et qui ouvre toute grande les portes de la place de Paris aux fonds de pension anglo-saxons.
Rajouter des flotteurs
Le 22 avril 2009, 93 députés européens adoptent une directive draconienne, Solvabilité II, destinée à garantir la survie des assureurs de l’Union par gros temps. Peu importe qu’aucun d’entre eux n’ait disparu dans la tourmente financière, on va rajouter des flotteurs partout. A chaque fois qu’un assureur consacrera 100€ aux actions cotées, il devra disposer de 45€ de fonds propres. S’il met dans son portefeuille pour 100€ d’actions non cotées, le domaine du “private equity” par opposition au “public equity”, il faudra monter à 60€ de fonds propres. Et la difficulté c’est que ces fonds propres ne rapportent rien, ils coûtent de l’argent. Devant ces nouvelles règles, les assureurs s’étranglent et promettent d’abandonner les actions, cotées ou non cotées. En Grande-Bretagne, Solvabilité II alourdit les coûts de fonctionnement des assureurs comme en France, mais ne pose pas de problèmes insurmontables. Les fonds de pension ont pris l’habitude de financer les entreprises. De l’autre côté du Rhin, les participations croisées entre industriels et les liens de confiance entre la banque et l’industrie paraissent suffisant.
En France, le topo est un peu différent. L’absence de fonds de pension et la défiance quasi congénitale entre banquiers et industriels ont laissé la place aux assureurs. Avec un avantage considérable: quand AXA ou Groupama prennent position dans le capital de la BNP Paribas ou de Bolloré, c’est pour longtemps. Par nature, ils se montrent patients. Mais depuis six mois, les assureurs ont les nerfs à vif… à leur manière. Ils n’abandonnent pas leurs bonnes manières. Quoique. Avec de telles règles de solvabilité ils menacent ouvertement de se retirer de la bourse et du financement des start-up, les entreprises qui doivent assurer l’emploi de demain, ou d’après demain. “A ce tarif là, c’est “sauve-qui-peut“, c’est carton rouge” dit l’un. Avec d’autres mots, AXA, la BNP Paribas via sa filiale Cardif, Groupama, ou le Crédit Agricole, au travers de Predica, regardent vers la sortie.
250 Mds€ et la promesse faite à Sarkozy
“Ils sont dans leur rôle”, tempère un conseiller de Christine Lagarde, qui s’échine à trouver des solutions pour atténuer les effets de cette satanée directive européenne. Aujourd’hui, il y a deux choses à sauver: l’argent, les 250 Mds€, et la promesse faite à Nicolas Sarkozy, en 2004, quand il était à Bercy. Pour les 250 Mds€ on peut penser que les assureurs ne déserteront pas complètement la bourse. En effet, il n’y a pas d’autres investissements qui rapporte près de 6% en moyenne et par an sur une longue période. Il y a les actions et basta. De toute façon, ils ont encore un peu de temps pour réfléchir. La directive adoptée par le Parlement européen de nouvelles discussions s’ouvrent entre ministres, avec la Commission, avec un collège d’experts européens pour définir les règles de mise en œuvre. Le parcours devrait encore durer deux ans. Mais la règle des 45/60 paraît, elle, intouchable.
Voilà, pour les sous. Après, il y a “la” promesse. En 1984, le ministre de l’Economie de l’époque, Nicolas Sarkozy, reçoit une lettre de la Fédération Française des sociétés d’assurance (FFSA) par laquelle les assureurs s’engagent à consacrer 2% des fonds investis aux TPE et au domaine du “private equity”. Impossible de leur imposer un tel quota sans violer les règles de Bercy, elles y consentent donc. L’an passé, 2% de 1600 Mds€ d’actifs investis cela fait 32 Mds€ consacrés aux TPE et aux PME, directement ou indirectement via les couveuses de start-up du capital développement.
Comment sauvegarder les 250 Mds€ et la promesse? “On y travaille”, nous lâchait récemment un conseiller de Christine Lagarde. “Londres se range à notre constat aujourd’hui. Nous ne sommes plus isolé”, assure-t-il comme requinqué. “Arrêtons de discuter, on va l’appliquer, mais il faut se mettre tout de suite sur Solvabilité III…” s’agace un assureur dépité, sur le point de perdre son calme. La prochaine il faudra que Bercy et les assureurs soient un peu plus attentifs à ce qui se passe à Bruxelles et à Strasbourg.
PhDx
lire le billetLes assureurs ont-ils basculé dans l’extrême-gauche? Oui. En tout cas, ils vont retirer 250 milliards d’euros de la bourse (1) quand 900 milliards s’échangent au cours d’une journée à Paris. Tous les assureurs présents en Europe faisant de même c’est un immense trou d’airqui va se produire.
Costumes immanquablement gris, cravate rouge pour les audacieux, ils n’agissent pas par haine du capitalisme, mais par obligation. Le 22 avril dernier, 93 députés européens, contre 80, adoptaient une nouvelle règlementation pour les assurances, baptisée Solvabilité II. Il y a des mots comme ça qui incitent à la sieste : Europe, directive, assurance. L’ennui, c’est certain, est au bout de ces lignes. Vous risquez pourtant de louper quelque-chose dans les prochains mois, un maesltrom politico-financier à 300 milliards d’euros et colère de Nicolas Sarkozy. Le 22 avril dernier, 93 députés européens adoptent une directive, baptisée Solvabilité II, 80 votent contre. On sort de l’hiver et personne en France n’a vu le coup venir.
A priori l’idée séduit, il s’agit d’imposer les mêmes règles aux assureurs de l’Union européenne. La mécanique est la suivante : les assurés payent des primes, l’assureur placer cette épargne pour faire face aux remboursements futurs. C’est dans le placement que tout se joue. Si l’assureur achète des appartements, de l’or, des actions, des bons du Trésor, il prend le risque… que ça baisse. Les autorités lui demandent donc d’avoir assez de fonds propres, de l’argent bien à lui, pour faire face à un effondrement de la valeur de ses placements.
C’est toute l’idée de Solvabilité II, la même règle de prudence pour l’Europe entière. Au départ, il y a trois ans, tout le monde trouvait ça bien, on allait fixer dans la concertation les mêmes règles du jeu. En plus, une démarche comparable avait permis aux banques (Bâles II) d’économiser en des milliards de fonds propres. Mais tout le monde, assureurs compris, allait sombrer dans la léthargie, pendant que des experts, des fonctionnaires européens pas particulièrement mal intentionnés et des gens du métier, définissaient le nouveau code de bonne conduite. Pas de danger en vue.
Depuis, ils ont pris un coup terrible derrière la tête. Quelque-chose n’a pas fonctionné dans leur lobbying, puisqu’ils se sont retrouvés avec un rapport fonds propres sur placement parfois intenable et notamment pour les actions. Pour 100€ d’actions en portefeuille il faudra à l’avenir 45€ de fonds propres. Résultat, à 45% c’est “sauve-qui-peut” et tout le monde se retire du marché des actions. En langage clair cela donne : “c’est un carton rouge, on ne discute pas on sort du marché des actions. Nous avons actuellement 12 milliards d’euros investis en action, nous en avons vendu 1 milliard, nous vendrons les 11 milliards restant dans les 3 ans à venir”, lâche Helman Le Pas de Sécheval, le directeur financier de Groupama. En langage feutré, tout en assurance, cela donne chez Axa : “nous avons largement anticipé la mise en place de cette nouvelle réglementation, et au 30 juin 2009, les actions cotées ne représentaient plus que 4% de l’actif général du groupe (et les actions non cotées environ 1%). (…) Ce point spécifique sur les actions peut effectivement interpeller les pouvoirs publics, car il pose le problème du financement des entreprises en Europe, sachant qu’historiquement, les assureurs font partie des grands investisseurs à long terme.” Le porte parole d’Axa ne veut heurté personne, mais il y a un problème. Le patron du secteur assurance de la BNP Paribas, Eric Lombard, indique également la sortie quand il parle entre professionnels.
Les comptes sont vite fait : les assureurs en France représentent 1400 milliards d’actifs investis. Sur ce montant entre 250 milliards d’euros sont placés en actions, et pour longtemps. On peut leur reprocher beaucoup de chose, pas de jouer à saute monton avec les entreprises. Ils restent. Pas par philanthropie mais parce que sur 20 ans, les actions cotées rapporteront 5,6% par an. Et des investisseurs comme ça en France il n’y en pas deux. Dans le monde anglo-saxon il y a les fonds de pension pour les retraite. Chez nous il n’y a, paradoxalement, que les fonctionnaires pour avoir un fonds de pension (Préfonds retraite).
Pour prendre la place des assureurs français il y a évidemment du monde, mais plutôt d’une autre nationalité. Ce n’est pas le Fonds stratégique d’investissement et ses 20 milliards de fonds propres qui sera à la hauteur. Nicolas Sarkozy qui ne voulait pas céder T & D, la filiale d’Areva, spécialisée dans le transport et la distribution d’électricité aux étranger, au Japonais Toshiba ou à l’Américain General Eldectric, risque d’avoir une attaque.
Pour éviter cet inconvénient, Christine Lagarde s’agite beaucoup en ce moment. En effet, une directive votée par le parlement est une chose, mais ensuite, il faut écrire les modalités d’application avant une entrée en vigueur de la circulaire prévue en 2011. La ministre de l’Economie peut donc espérer sauver les meubles. Mais l’essentiel ne bougera pas et notamment pas la règle des 45% de fonds propres pour les actions. Et elle aura bien du mal à sauvegarder une mesure “Sarkozy”. Alors ministre des Finances, en 2004, le président de la République avait obtenus des assureurs qu’il consacrent 2% de leurs actifs à des participations dans PME, le hors marché. Il ne pouvait le leur imposer, mais un échange de lettre avait acté la bonne volonté de la profession qui allaient par la suite respecter son engagement en consacrant autour de 6 milliards aux PME et au “Private equity”, un anglicisme qui désigne des investrisseurs dont la vocation est de financer des entreprises de la naissance à l’adolescence. Avec la nouvelle règlementation ce ne sera pas 2%, mais 0.
Accessoirement, les primes des assurés risque bien d’augmenter. A moins que ce ne soit les salariés qui trinquent. Réponse dans les deux ans à venir.
PhDx
(1) A 31 décembre 2008, les entreprises françaises d’assurances avait 1409 milliards d’euros investis, dont 480 milliartds en obligations d’entreprise et 252 milliards en actions, à Paris ou sur les autres places boursières.
Ils en ont parlé : Les Echos
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