L’Autorité des marchés financiers est une Autorité sans autorité

De deux choses l’une. Ou bien les acteurs du monde des affaires ont été beaucoup sages ou ils ont été beaucoup plus discrets. Ou l’Autorité des marchés financiers (AMF) a découragé les acteurs de commettre des infractions, ou elle est décourageante et n’a rien vu. En 2009, l’AMF a publié 23 sanctions concernant 17 personnes physiques et 23 personnes morales (16 dossiers ont été transmis au Parquet dont la moitiés concerne des délits d’initiés). Un an plus tôt 34 décisions avait sanctionné 72 personnes physiques ou morales (20 dossiers transmis au Parquet, dont 14 délits d’initiés). Pour connaître les noms des sanctionnés l’AMF n’en tient aucun compte et renvoie à la compilation de ses décisions. Cela nous prendra un peu de temps, mais nous devrions y arriver.

La bonne question est donc : l’Autorité des marchés financiers a-t-elle de l’autorité? Pour le dire brutalement, elle n’en a aucune. L’autorité suppose d’exercer la surveillance des marchés et de pouvoir sanctionner les acteurs financiers. L’AMF surveille mais ne sanctionne pas. Montrée du doigt, ici même, après la non-sanction des dirigeants d’EADS qui avaient vendu leurs actions au plus haut juste après avoir appris que des retards importants allaient affecter la sortie de l’A380, n’était en rien fautive.

Le législateur a même mis en place une drôle de mécanique qui débouche sur la mise à l’écart de l’AMF quand il s’agit de prendre des sanctions. Le secrétaire général de l’AMF, Jean-Pierre Jouyet aujourd’hui, peut ouvrir des enquêtes, mais pas les refermer. Les enquêteurs désignés par l’AMF se mettent au travail et rendent un rapport écrit au Collège de l’AMF. Si le gendarme de la bourse décide que des poursuites doivent être engagées elle adresse des “notifications de griefs” aux personnes concernées et transmet le rapport d’enquête à la Commission des sanctions.

A partir de ce moment l’AMF ne va plus jouer qu’un rôle de télégraphiste. Elle publiera des décisions qui lui échappent. En effet, la Commission des sanctions (Faits et chiffres 2008, p.15) est composée de douze membres. Quatre, dont l’actuel président Daniel Labetoulle, sont désignés par le Conseil d’Etat et la Cour de Cassation. Six sont installés par le ministre de l’Economie et des Finances. Deux représentent les salariés des sociétés gestionnaires, des entreprises de marché, mais sont désignés par Bercy. Enfin, un représentant du Trésor, qui fait office de Commissaire du gouvernement, est présent sans avoir de voix délibérative. Il peut tout de même demander une seconde délibération. Le pouvoir de sanctionner appartient donc à Bercy et pas à l’AMF.

La Commission des sanctions va ensuite désigner un rapporteur, Antoine Courteault, représentant le ministère de l’Economie, dans l’affaire EADS, chargé de lui faire des recommandations après avoir entendu tous les intéressés. Enfin, au cours d’une séance tenue à huis clos, les parties prenantes sont entendues et la décision arrêtée. Depuis la loi de modernisation de l’économie du 4 août 2008, la Commission peut prononcer des sanctions pécuniaires dont le montant ne peut excéder 10 millions d’euros.

Bon, dans l’affaire EADS la Commission des sanctions, rejetant la recommandation de son rapporteur, estimait qu’aucune sanction ne devait être prononcée. Personne n’a fait appel et le Commissaire du gouvernement a indiqué “ne pas avoir d’observations à formuler”. Ni pendant la séance tenue entre le 23 et le 27 novembre 2009 ni après. C’était donc fortuitement que Noël Forgeard, alors co-président d’EADS, réalisait “une plus-value de 4,34 millions d’euros, en cédant un paquet de 360 000 actions entre le 8 et le 24 mars 2006, soit juste après le Conseil d’administration d’EADS du 7 mars annonçant que les résultats ne seraient pas atteints… Le cours d’EADS venait alors atteint son plus haut historique de 35 euros.” comme le remarquait le Nouvel Obs.

La Commission des sanctions blanchissait donc tout le monde et l’AMF se devait de publier la décision. Elle l’agrémentait tout de même d’un commentaire plein d’amertume : “L’AMF, en tant qu’autorité de poursuite, souhaiterait également que la loi lui donne la possibilité de former un recours à l’encontre des décisions de la Commission des sanctions. Possibilité qui, pour l’heure, n’est réservée qu’aux personnes sanctionnées.” Il s’agirait de donner de l’autorité à l’Autorité…

PhDx

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