Le “pound”, le nouveau pèse-contenu de Buzzfeed

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Comment savoir si un article fait le tour du Web? Comment suivre son parcours et mesurer son effet sur l’audience? Pour répondre à ces questions, Buzzfeed vient de dégainer un outil de mesure, baptisé “pound“, l’acronyme de Process for Optimizing and Understanding Network Diffusion – processus d’optimisation et de compréhension de la diffusion en ligne, en VF.

“Le pound est une nouvelle technologie développée par Buzzfeed qui va nous permettre de suivre l’itinéraire d’un article partout”, m’explique Cécile Dehesdin, rédactrice en chef de Buzzfeed France. “Supposons que nous publions un article, que quelqu’un partage ensuite sur Facebook. Vous le voyez, vous likez, vous vous dites “j’ai envie d’écrire un truc dessus”, vous faites un post de blog à ce sujet, quelqu’un le voit, tweete l’article…”

L’itinéraire d’un contenu

Toutes les “propagations” d’un contenu vont ainsi être mesurées, y compris l’échange de liens dans les messageries instantanées et les emails.


Et c’est bigrement complexe. Car ces propagations ne sont pas linéaires. Elles suivent des chemins sinueux, qui ressemblent à des “forêts” sur le Web, décrit Dao Nguyen, la directrice de publication de Buzzfeed. L’itinéraire de chaque contenu est ainsi représenté par une forêt composée d’arbres de toutes formes et de toutes tailles – ils peuvent être grands, petits, gros, fins, etc. “La structure de la forêt et de ses arbres nous apprend de façon très détaillée comment chaque contenu se diffuse en ligne”.

Crédit: Buzzfeed

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Bien sûr, le pound correspond aux spécificités de l’audience de Buzzfeed, dont 75% du trafic provient des réseaux sociaux. Mais cet indice a surtout deux intérêts :

1. en analysant la radiation des contenus en ligne, les équipes vont engranger de l’expertise pour savoir comment toucher des cercles au-delà du cercle des “premiers lecteurs évidents”, sourit Cécile Dehesdin. Et donc déployer une toile encore plus étendue d’influence.

2. les statistiques recueillies vont aussi servir aux annonceurs, très preneurs de données de diffusion de leurs campagnes publicitaires, et de données sur la façon dont les utilisateurs consomment les contenus, notamment dans le cadre du “native advertising”.

Bref, pas de données, pas de chocolat. “Un média sans données pour les publicités ciblées n’a aucune chance de survie”, prévient Jeff Sonderman, le directeur adjoint de l’American Press Institute.

Le nouvel or noir des annonceurs

Autant dire que le visiteur unique, ce mètre étalon qui comptabilise les individus ayant cliqué au moins une fois sur le contenu d’un site sur une durée d’un mois, a du plomb dans l’aile. Pour les contenus publicitaires, “les clics ne sont pas très utiles”, confirme Jay Lauf, le directeur de publication de Quartz, un pure-player dont j’ai déjà parlé ici et qui fait appel à 15 collaborateurs pour produire des contenus sponsorisés. “Les marques cherchent d’autres moyens de mesurer leur impact”.

C’est vrai aux Etats-Unis mais aussi en France. Si L’Express et La Croix se dotent de leurs propres plates-formes d’analyse des données (DMP, Data management platform), toutes deux financées en partie par le fonds Google de l’innovation pour la presse, c’est pour se créer des “opportunités” commerciales, non seulement pour la publicité mais aussi pour des abonnements.

A terme, le risque est de voir cohabiter deux catégories de médias en ligne: les gros poissons, qui ont la technologie pour développer leurs propres indices de suivi de l’audience, comme le fait Buzzfeed, et les petits calibres qui devront se contenter des indices déjà existants et moins ciblés.

La mesure de l’impact

Outre Atlantique, ce type de journalisme porte même un nom, le “journalisme d’impact”. Un concept plus large que la simple mesure d’audience et du trafic, précise Dick Tofel, le président de Pro Publica, car elle recoupe aussi la notion d’engagement des lecteurs et la capacité, via l’écriture de contenus journalistiques, à susciter le changement dans la société.

C’est ce qu’a expérimenté, à son échelle, un étudiant en journalisme de CUNY (City University of New York), après avoir écrit un article sur Pedro Rivera, 48 ans, à la fois père et grand père, habitant dans le Missouri, qui risquait d’être renvoyé dans son pays d’origine, le Mexique, par les autorités américaines.

“Avant”, confie cet apprenti journaliste, “je mesurais le succès de mon travail en fonction du nombre de partages que j’obtenais sur les réseaux sociaux, du nombre de célébrités qui tweetaient mon article, et du trafic que cela drainait (…) J’ai découvert que l’on pouvait obtenir un bien meilleur résultat, un résultat qui n’a rien à voir avec les statistiques”. En l’occurrence, les services d’immigration américains ont décidé de laisser Pedro Rivera tranquille, sans doute parce que son histoire, publiée sur Quartz avec le titre “Obama avait promis d’expulser les traîtres, pas les familles – ce n’est pas ce qu’il se passe”, a été lue. Et entendue.

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Alice Antheaume

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Attractions rédactionnelles

A New York, les grands médias sont des attractions touristiques. L’exemple le plus abouti en la matière concerne le groupe audiovisuel NBC. En plein centre de New York, à quelques mètres de la célèbre patinoire de la place Rockfeller, se trouve une boutique appelée «NBC Experience Store». A l’intérieur, c’est un supermarché d’objets à la gloire des héros des séries qui font ou ont fait le succès de la chaîne américaine NBC. Tasses à l’effigie du Dr House, des tee-shirts aux couleurs des personnages de Friends, cirés jaunes avec le logo de The Weather Channel, autre chaîne du groupe, ou encore le café MSNBC, la chaîne câblée de NBC.

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Clubs de foot et médias, même combat

En clair, NBC a la même stratégie commerciale que les clubs de foot français du PSG et de l’OM, lesquels ont, pour rappel, ouvert des magasins à la façade clinquante sur les Champs-Elysées, à Paris.

Mais ce n’est pas tout. NBC propose aussi aux touristes une visite de ses studios. Notamment ceux qui servent à tourner les émissions Saturday Night Live et The Today show. A condition que les visiteurs ne décident pas d’y aller aux heures où les dites émissions sont tournées. «N’oubliez pas que la visibilité des studios n’est pas garantie, indique la brochure. Vous ne pourrez voir que les studios qui ne sont pas utilisés au moment où vous ferez le NBC studio tour».

Coût de la visite: 19,25 dollars (14,25 euros). Pour ce prix, NBC a aussi pensé à mettre en place des activités incroyablement profitables. Par exemple, donner aux visiteurs la possibilité d’être les M. ou Mme Météo pendant quelques secondes, ou de lire les titres pour les infos devant une caméra. Les séquences ne sont évidemment pas diffusées. Plus gadget encore, les touristes peuvent se faire photographier en glissant leur tête à la place de celle des personnages de la série Heroes.

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Hall de musée

Que penser de cette stratégie de produits dérivés? Est-ce inquiétant? Certainement pas pour NBC, qui organise son «NBC studio tour» depuis… 1933. Ni pour les autres médias américains. «L’année dernière (pire moment de la crise pour les journaux américains, ndlr), on a réfléchi à de nouvelles idées, m’a confié un journaliste du New York Times. J’ai proposé qu’on fasse payer la visite de la rédaction. Mais l’idée n’a pas été retenue…» De fait, si les étages de la rédaction ne sont accessibles qu’aux salariés du quotidien ou aux invités, le hall de l’immeuble du New York Times est, lui, visible gratuitement.

S’y trouve d’ailleurs une installation artistique, «Moveable type», créée en 2007 par Ben Rubin et Mark Hansen, qui indexe des «dizaines de millions de mots qui ont été publiées dans le quotidien depuis sa création, en 1851, et qui continuent d’apparaître sur le site Web». Sur les dizaines d’écrans accrochés au mur défilent ainsi des citations, des commentaires d’internautes, des chiffres, des nécrologies, des extraits de lettres envoyées aux éditeurs, etc. En outre, les visiteurs de l’entrée trouveront un livret en beau papier cartonné sur l’architecture du New York Times building, élaborée par Renzo Piano.

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Le cas Bloomberg, à part

Pour faire sa promotion, Bloomberg fait plus simple. Pas de visite organisée pour le grand public, mais des cartes postales imprimées à la gloire de leur savoir-faire. «Fast is as slow as we go», est-il écrit sur celle-ci. Ou «we’re not some start-up with exciting ideas, we’re Bloomberg with exciting ideas», sur celle-là. Des slogans sans fioriture qui martèlent l’idée que Bloomberg ne joue pas dans la même cour que les autres médias. Les cartes postales, elles, sont gratuites.

Aimeriez-vous visiter les rédactions françaises au cours d’un voyage touristique? Qu’en pensez-vous?

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