On connaissait déjà le site intitulé “stuff journalists like” qui répertorie les des choses que les journalistes aiment, “Journalist’s toolbox“, la boîte à outils pour journalistes, et “Jol social“, le réseau social des journalistes professionnels. Voici désormais Vizibee, la plate-forme de vidéos réservée aux journalistes. Comme Tout.com, comme Vine, l’application Vizibee, créée à Londres par une équipe dont une partie travaille à la BBC, propose d’enregistrer des séquences de 75 secondes maximum sur l’actualité depuis un téléphone. Interview de Samantha Barry, journaliste et productrice à la BBC, co-fondatrice de Vizibee.
Pourquoi avoir décidé de lancer cette application?
Samantha Barry : Nous avons développé Vizibee après avoir compris qu’il y avait un vrai besoin, le besoin de trouver, au même endroit, des vidéos de multiples sources et, surtout, de qualité. La plupart des plates-formes communautaires regorgent d’une multitude de vidéos, dont certaines sont vraiment inintéressantes. Nous offrons à notre audience des vidéos formidables, déjà triées, faites par des journalistes et des professionnels de la production de contenus. En même temps nous avons constitué une communauté où l’audience se retrouve, dont beaucoup de journalistes, pour partager et commenter ces contenus. Et nous ne laissons pas les diffuseurs de côté. L’application est dotée de fonctionnalités qui permet à chaque média pour lequel le journaliste travaille de récupérer tout le matériel que celui-ci filme. Nous créons le lien entre eux.
Quels producteurs de contenus comptez-vous sur Vizibee? Quel type de vidéos fonctionne le mieux?
Samantha Barry : Nous n’avons encore que quelques mois d’existence (l’application a été mise en service en décembre 2012, ndlr), mais nous pouvons nous targuer de compter déjà, parmi nos utilisateurs, quelques grands noms du journalisme et de la BBC tels que Jon Sopel, Katty Kay à BBC America, Tim Willcox et bien d’autres. La journaliste Mishail Husain a dévoilé les coulisses de son interview avec Sheryl Sandberg, de Facebook. Lyse Doucet, l’une des rares journalistes occidentales à avoir pu pénétrer dans la ville de Qousseir, en Syrie, alors que le gouvernement syrien venait de ravir la cité aux rebelles, a filmé, en live, les événements depuis son mobile et les a partagés sur Vizibee. Ces documents témoignent de la violence de l’assaut et montrent à quel point la ville a été détruite. Parmi les séquences les plus remarquables figure l’exact moment, filmé par une équipe de la BBC à Rome, où la fumée blanche s’échappe de la chapelle Sixtine pour annoncer l’élection du nouveau pape, en mars 2013.
Au delà de la BBC, nous voulons établir des liens auprès des différentes rédactions et – pourquoi pas? – embarquer un groupe de médias ou de journalistes français à bord. Notre objectif est évidemment d’augmenter notre production, l’audience avec, et de devenir la plate-forme référente pour tout le monde lorsqu’il s’agit de regarder des vidéos courtes, de qualité, à la fois sûres et fiables.
Tout.com permet de filmer 15 secondes, Vine 6 secondes. Pourquoi 75 secondes?
Samantha Barry : Nous savons que les gens ont pris l’habitude de regarder leur téléphone lorsqu’ils attendent le train, avant d’aller à une réunion, bref, lorsqu’ils ont quelques minutes devant eux à meubler. Vizibee leur permet de regarder pendant ce temps-là des vidéos intéressantes – coulisses de l’actualité, vidéo “breaking news”, extraits d’interviews, et autres. Vous seriez étonnés de constater à quel point on peut compiler une foule d’informations en 75 secondes – on a même des vidéos pédagogiques, qui expliquent et analysent des événements, avec cette durée!
Comment pouvez-vous rivaliser avec Tout, Capture et Vine, d’autres applications de vidéos sur mobile?
Samantha Barry : Nous sommes différents, pour la simple raison que nous ne proposons que des vidéos de qualité. Ici, nul besoin de perdre du temps à chercher dans tous les sens pour tomber sur du bon contenu. Nous espérons que combiner qualité des vidéos à une durée qui fait sens, proposer une expérience de second écran pertinente et un “hub” pour les médias afin qu’ils gèrent mieux tout ce que les journalistes produisent nous aidera à rivaliser avec nos compétiteurs, qui sont plus axés sur le partage de vidéos.
Quelle est l’implication de la BBC dans ce projet?
Samantha Barry : La BBC est embarquée dans l’expérimentation avec nous. Ce sont des journalistes de la BBC, en Angleterre et à l’étranger, qui ont, les premiers, commencé à utiliser Vizibee. Sans révéler la nature exacte de notre partenariat avec la BBC, je peux vous dire que, à la fois techniquement et éditorialement, Vizibee respecte la même charte et la même politique que la BBC en ce qui concerne les standards journalistiques, et s’est dotée des mêmes droits et devoirs pour informer.
Une rédaction telle que la BBC peut-elle encore innover, en interne, sans recourir à des applications créées à l’extérieur de la maison?
Samantha Barry : Honnêtement, et à mon avis, la BBC, tout comme n’importe quelle autre rédaction, doit innover à la fois en mobilisant ses troupes en interne et en recourant à des ressources extérieures pour partager ses contenus à plus grande échelle et auprès d’une audience un peu différente de celle qui la suit habituellement. Nous vivons dans un monde connecté où on utilise tous une grande variété d’applications, de sites d’informations, et même de façons de s’informer. Les rédactions doivent recourir au plus grand nombre d’applications et de plates-formes possible pour diffuser leurs contenus, comme les vrais gens dans la vraie vie !
Propos recueillis par Alice Antheaume
lire le billetSur le front des vidéos en ligne, “c’est la guerre”, déclare Clémence Lemaistre, rédactrice en chef du site de BFMTV.com. C’est une “jungle où chacun fait ce qu’il veut”, ajoute Célia Meriguet, rédactrice en chef de France TV Info.
Alors que les sites d’information cherchent la formule des vidéos qui ne soit pas de la télévision à la papa, certains acteurs se livrent à une bataille sans merci du “qui-a-rippé-quoi”. Ripper, dans le jargon, cela veut dire subtiliser une vidéo produite par un autre pour l’intégrer dans son lecteur. Pour ce faire, il suffit d’enregistrer le flux d’une chaîne de télévision, ou une simple émission, afin de stocker la matière dans laquelle puiser, puis d’y découper un extrait – plus ou moins long -, insérer un générique de début et de fin aux couleurs et au logo du “fauteur”, l’encoder dans son lecteur et le publier. A ce jeu-là, Full HD ready, un ancien de feu Lepost.fr, a été l’un des pionniers.
Ce qu’il y a dans la loi
De “l’encodage sauvage” et illégal, juge Marc Lloyd, responsable de la distribution vidéo à BFM TV. C’est vrai. Même si la législation française en la matière est élusive, il est écrit dans le code de propriété intellectuelle qu’un média a le droit de reproduire la vidéo (ou un extrait de cette vidéo) d’un concurrent à condition que :
Or les points 3 et 4 sont flous.
Ambiance Far West
En réalité, de telles ambiguïtés en arrangent plus d’un. Dans ce Far West, le site de Jean-Marc Morandini a une rubrique intitulée le Morandini Zap, avec un extrait provenant ici du JT de France 2, là d’une émission de M6, à chaque fois précédés d’une séquence publicitaire et d’un générique fait maison. “Vous avez déjà vu, vous, un zapping avec un unique extrait? Il ne faut pas se moquer du monde!”, tempête Marc Lloyd. “Je suis désolé, mais un zapping digne de ce nom devrait comporter un vrai travail éditorial” de sélection, de hiérarchisation et de montage.
D’autres éditeurs arguent qu’ils s’autorisent à piquer la vidéo quand le diffuseur traîne à la mettre en ligne. Un argument qui n’est pas recevable au regard de la loi (cf le point 1 ci-dessus). “L’idée, c’est d’être le plus rapide, c’est clair”, m’explique Julien Mielcarek, passé par le site PureMédias, devenu en janvier dernier chef du service vidéos du Figaro.fr. Et cela se joue à dix minutes près. “On enregistre tous les flux des émissions politiques des chaînes de télévisions, des matinales des radios, pour que les extraits intéressants soient le plus vite possible en ligne sur lefigaro.fr”, continue-t-il.
Un phénomène qui rappelle la lutte, en 2008, entre les sites d’informations pour éviter les copiés-collés de leurs articles au profit, là encore, d’une “courte citation” suivie d’un lien vers la source originelle…
L’appât publicitaire
“Leur logique n’est pas d’avoir l’info”, décrypte Célia Meriguet, “mais d’avoir la vidéo dans leur lecteur” pour y bénéficier de 100% des revenus provenant d’un pre-roll publicitaire. Insérer le lecteur vidéo “embedabble” d’un autre dans ses pages n’est pas intéressant de ce point de vue, car dans un “embed” il y a certes le contenu vidéo mais aussi… la publicité de la source qui en empoche les revenus.
Tel est donc le nerf de la guerre: l’appât publicitaire. “C’est un problème industriel”, regrette Clémence Lemaistre. “Il suffit de comparer les revenus générés par les pre-roll dans les vidéos (environ 15 euros) et ceux des displays (les bannières disposées sur les sites d’infos, ndlr), très inférieurs (entre 1 et 6 euros, ndlr), pour comprendre…”
Parce qu’il y a une audience friande du format vidéo (jusqu’à 10 millions de consommateurs de vidéos quotidiens, selon Médiamétrie), parce que le CPM (coût de la pub pour mille affichages) y est plus élevé que sur les formats publicitaires classiques, et parce que le nouvel indicateur sur lequel louchent annonceurs et éditeurs se compte en vidéo vue – plutôt qu’en visiteur unique -, tous les grands médias en ligne ont mis le cap sur le format vidéo.
Lemonde.fr poste sur Instagram des photos de son studio “tout neuf” dans lequel sont réalisées des séquences “éclairages” avec des journalistes maison. Lefigaro.fr a un service doté de sept journalistes et trois techniciens dont “la politique, c’est de mettre un maximum de vidéos sur tous les sujets”, reprend Julien Mielcarek. Avec une production actuelle de 50 à 60 vidéos par jour dont trois ou quatre zappings quotidiens, il veut atteindre les 100 vidéos par jour d’ici quelques mois. De son côté, BFMTV.com met en ligne jusqu’à 80 vidéos par jour, dont des “replay” comme l’interview matinale de Jean-Jacques Bourdin, et des séquences tirées de sujets diffusés à l’antenne. A France Télévisions, en dehors du million de vidéos vues par mois en télévision de rattrapage, la plate-forme d’informations en continu France TV Info produit une grosse vingtaine de vidéos au quotidien.
Le sport, chasse gardée
Il y a donc de quoi se servir. Pourtant, aucun média n’a encore intenté d’action en justice auprès des pirates de vidéos. Plutôt attentistes, beaucoup disent réfléchir sérieusement à taper du poing sur la table.
Il n’y a guère que dans le domaine du sport que personne ne se risque à ravir la vidéo d’un autre. La raison est simple: les droits sportifs sont si faramineux que le propriétaire de la vidéo n’hésiterait pas une seconde à mettre en demeure celui qui ripperait une telle vidéo, voire à lui demander des sommes astronomiques. Pour les vidéos de sport, au Figaro.fr, on se contente de reportages plus magazines produits par la rédaction et de faire un commentaire sur des images fixes d’agence, point.
Sur les sites d’informations appartenant à des groupes audiovisuels, cela se passe à un autre niveau. Le moindre écart sur une vidéo – sauf à créer un GIF animé ou à prendre les reconstitutions en 3D faites par l’AFP – montrant un but au foot se répercuterait, non au niveau du Web mais au niveau de l’antenne. En guise de représailles, outre la facture salée, Clémence Lemaistre sait que “Canal+ pourrait faire de la rétorsion d’images des matchs auprès de BFM TV, et ce serait très grave”.
Alice Antheaume
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