Vis ma vie de «suggested user» sur Twitter

Sur Twitter, je m’appelle @alicanth. Je ne suis pas connue, mais je fais partie des «suggested users» français de Twitter. Comme le footballeur Nicolas Anelka, le groupe Depeche Mode ou encore… la société La Redoute.

twitter suggested user

«Suggested users», c’est le nom des utilisateurs recommandés sur Twitter. Une façon d’«aider» les nouveaux venus à «démarrer» sur le réseau, explique Evan Williams, co-fondateur du réseau. «Beaucoup de personnes s’inscrivent sur Twitter mais ne suivent personne, alors nous essayons de les mettre sur les rails». Concrètement, quand un néophyte arrive sur Twitter, il se voit proposer une liste de comptes à suivre. Pour les utilisateurs anglo-saxons, cette liste vient d’être subdivisée en 17 thèmes (infos, entreprises, humour, musique, etc.); pour les utilisateurs français, la liste n’est pas encore thématisée. Une «fonctionnalité en cours de développement», peut-on lire sur le blog Twitter France. Enquête à lire ci-dessous…

Une élection sans candidature

On ne candidate pas pour faire partie de cette liste, on est choisi par Twitter. «Twitter n’est pas payé pour inclure des comptes dans cette liste», tempère Biz Stone, l’un des patrons du site. «Les suggested users remplissent une fonction: faire de Twitter un outil plus pertinent pour les utilisateurs.» On n’en saura pas beaucoup plus, sinon qu’un programme informatique a été conçu pour repérer des comptes «potentiellement intéressants».

Les critères de cet algorithme? «Il y en a beaucoup, m’annonce Marc Maniez, salarié de Twitter et responsable de la version française. La popularité en terme d’abonnés mais aussi de ce qu’on appelle l'”engagement”. A savoir: est-ce que la personne tweete régulièrement? Est-ce que la personne interagit avec ses abonnés ou bien se contente-t-elle de poster des messages de manière unilatérale?». Outre les algorithmes, il y a le poids de la main humaine que Marc Maniez assume. «J’ai mon mot à dire sur la liste des Français recommandés (…) En France, Twitter est essentiellement peuplé, en caricaturant, de blogueurs et de journalistes. Ceux-ci étant plutôt bien représentés dans la SUL, il faut tâcher d’avoir un panel de suggestions variées, d’où l’ajout de comptes liés aux sports, la musique, des télés, des radios, etc. L’algorithme n’opère pas forcément ce type de distinction à lui tout seul.»

Face à ce flou, chacun y va de son hypothèse. Le compte de Monsieurdream, auteur et éditeur vidéo dans la vraie vie, fait partie des suggested users français. «Pas étonnant, me confie-t-il, je tweete souvent, je suis un gros utilisateur d’Internet, mais je ne fais pas de spam. Twitter prenait donc zéro risque en m’intégrant à sa liste». De fait, son compte figurait déjà, dès juin 2009, dans le top 10, selon le Telegraph, des meilleurs comptes Twitter internationaux.

Courbe d’abonnés en hausse

Ce que être sur la liste change? Avant tout un nombre de «followers» (les «abonnés» à ce que vous publiez) qui augmente à la vitesse de la lumière, comme en témoigne cette courbe. Selon les calculs de Twitter counter, mon compte gagne en moyenne 279 nouveaux abonnés par jour. Ce 1er février, il en est à 27.850 followers. Si je ne figurais pas sur cette liste, mon compte plafonnerait aujourd’hui à 2.000 abonnés. Peu ou prou ce que j’avais avant d’être «suggérée».

Sauf que, sur Twitter, le nombre d’abonnés compte autant que le nombre de mètres carrés dans lesquels logent les Parisiens. Ou le nombre de cartes de fidélité que possède George Clooney dans le film In the Air. C’est un boosteur d’ego, et un signe (supposé), sinon de puissance, d’influence. Cela génère de l’amour, de la haine, de la jalousie, de l’intérêt, du narcissisme, et du mépris. Sociologiquement, c’est fascinant. Aux Etats-Unis, les récriminations contre les «suggested users» ont pris de l’ampleur sur le Web: deux membres de Twitter, Allen Stern et Louis Gray, ont demandé à ce que le compteur des utilisateurs recommandés soit remis à zéro.

Un média?

Mais que faire d’autant de followers? Pour un site Web d’info, comme 20minutes.fr, Slate.fr, ou LeMonde.fr, dont les comptes sont tous répertoriés dans la liste, cela représente de la visibilité supplémentaire. Mais qui n’apporte pas autant – pour l’instant? – de trafic que celui généré depuis Facebook, un réseau qui, en France, recense un internaute sur deux.

Mais pour un journaliste, ou un producteur / diffuseur de contenus? Toute la problématique est de réussir à produire et diffuser de l’information, en 140 signes, sur cette plate-forme. En fait, Twitter se révèle être le support rêvé pour y délivrer des infos de dernière minute. Ce que l’on appelle, dans le jargon journalistique, des «urgents», des alertes. On poste sur Twitter la nouvelle avant même de l’écrire pour son site, dont la mécanique de publication est généralement plus lente – même si infiniment plus rapide que celle d’un quotidien imprimé – que sur le site de micro-bloging. Ce qui fait d’un compte Twitter une potentielle agence de presse, capable de fournir des informations sous la forme d’alertes à une audience différente de celle du seul média pour lequel il travaille.

En outre, un compte Twitter, c’est, pour un journaliste, un espace de liberté éditoriale. Les tweets n’étant pas validés au préalable par les rédacteurs en chef des médias, contrairement aux articles, ils sont écrits de façon plus lapidaire – à cause des 140 signes, qui ne laissent pas de place à la réserve – et donc, plus «éditorialisants», plus personnels.

Perplexe

Quand j’ai découvert que j’étais listée par Twitter, j’ai traversé plusieurs phases. Dont une phase parano, où je me suis refusée à écrire quoique ce soit de personnel sur ce compte, et une phase ego-trip, où j’ai espéré pouvoir monétiser mon Twitter, en y programmant – pourquoi pas? — de la pub en fond d’écran, me convaincant qu’elle serait visible par une audience de la taille de la moitié du lectorat de certains magazines.

En pratique, je reçois surtout un nombre – relatif, n’exagérons rien – de messages de drague, comme aux débuts de Facebook, la dentelle en moins («Salut bella», «please contact me») et le versant qui va avec («dégage s…»). Autres spécificités de ces nouveaux venus: ils n’ont pas de photo de profil et, quand ils postent, écrivent souvent «@alicanth», sans autre mot.

Le paradoxe

C’est tout le paradoxe: avoir plus d’abonnés ne veut pas dire avoir plus de contacts avec sa communauté. Du moins, pour l’instant. Je ne suis pas plus souvent retweetée, ni plus souvent interpellée qu’avant. Comment l’expliquer? Il doit y avoir une phase d’adaptation à l’outil — souvenez-vous quand vous avez découvert Twitter, vous ne voyiez pas à quoi cela allait vous servir  — et le classique fossé lecteurs / producteurs. Par exemple, sur une plate-forme communautaire comme Dailymotion, 60 millions de visiteurs uniques mensuels (chiffre Dailymotion) regardent les vidéos disponibles, quand seulement 25 millions de personnes se sont inscrites pour écrire des commentaires et/ou produire elles-mêmes des vidéos.

«J’ai la même fréquence et le même volume d’interactions qu’avant», estime aussi Anil Dash, un blogueur qui vit à New York et compte parmi les «suggested users» américains de Twitter. «Je suis certain que les stars, qu’elles soient dans la liste ou pas, voient un nombre disproportionné de personnes essayer d’attirer leur attention, mais pour une personne normale, être recommandée lui apporte juste des abonnés, par de vraies connections.»

Reste que, pour Twitter, la liste de suggested users n’est pas optimale. «Nous pouvons très bien changer la façon dont nous faisons cette liste, ou arrêter de l’utiliser», avertit Biz Stone. «En n’étant pas dans cette liste, au moins, je m’évite le spleen du “suggested user” qui ne connaît plus sa vraie valeur», sourit Vincent Glad, journaliste à Slate.fr, dont le compte Twitter atteint plus de 4.650 abonnés… sans être listé.

Alice Antheaume

Image de une: CC Flick katmere

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