A l’entrée de Buzzfeed, au 11ème étage d’un immeuble new-yorkais à la façade non ostentatoire, trône un immense badge jaune vif sur lequel est écrit en lettres noires «LOL». C’est ce même macaron qui orne le site, ainsi qu’une ribambelle d’autres, tels que OMG (Oh My God), geeky, cute, fail, etc. Ces badges au look très années 80 sont un moyen de classer les contenus en fonction des émotions de l’audience: alors que les lecteurs peuvent «badger» une vidéo, une liste, une image ou un lien avec l’une des catégories proposées, un algorithme répartit ensuite les contenus dans telle ou telle section.
Bienvenue dans les entrailles d’un drôle de site qui se considère moins comme une rédaction que comme une société de nouvelles technologies. A sa tête, Jonah Peretti, une star de la viralité et du mobile, et Scott Lamb, le directeur de la rédaction, à l’origine du compte Twitter moquant la jambe de grenouille d’Angelina Jolie lors des Oscars, et invité de la conférence sur les nouvelles pratiques du journalisme organisée lundi 10 décembre 2012 par l’Ecole de journalisme de Sciences Po (1).
Tout est fait maison
Ni l’un ni l’autre ne prétendent faire du journalisme, mais du «contenu social», oui. Pour alimenter la machine, une cinquantaine de producteurs de contenus, les «buzzfeeders», appelés aussi des éditeurs – «même si on se déteste de ne pas avoir trouvé de meilleur qualificatif», confie Ben Smith, le rédacteur en chef – plus une trentaine de développeurs, la «plus grosse équipe de dév’ qui existe sur le marché» de l’information en ligne, et, enfin, une équipe intitulée «Growth» dédiée à la croissance de l’audience. Celle-ci, dirigée depuis un mois par Dao Nguyen, une ancienne du Monde.fr, veut travailler davantage sur des ressorts technologiques que sur du marketing ou du SEO (search engine optimization, ou référencement) pour analyser le trafic et le «booster».
Car, à Buzzfeed, tout est fait maison, rien n’échoie à des prestataires de services. Les serveurs leur appartiennent, le CMS est développé en interne, les formats et applications aussi, et même les pubs…
«Les rédactions traditionnelles sont un peu ennuyeuses», soupire Ben Smith, qui a pourtant travaillé pendant des années au New York Observer, au New York Daily News puis à Politico, et, à chaque fois, pour y couvrir la politique américaine. Depuis qu’il a rejoint Buzzfeed en janvier 2012, il semble ne pas avoir encore posé ses valises. Dans le bureau en verre qu’il occupe, attenant à la rédaction, rien n’est encore installé, à l’image du média qu’il dirige. Des cartons non déballés stagnent dans un coin, et les fauteuils ont encore leurs étiquettes.
Après son arrivée, il a monté la section politique du site, présidentielle américaine oblige. S’il n’y a pas (encore) de section économie ni finance sur Buzzfeed, la culture Web y règne en maître, avec des «verticaux» pour la cuisine, la technologie, lifestyle, la musique, les animaux, et des intitulés inédits, comme «rewind» (en gros, des agrégats de souvenirs) et LGBT, l’acronyme de « lesbiennes, gays, bisexuels et transgenres».
Avec des bureaux à New York, Washington DC et Los Angeles, Buzzfeed s’attache les services de journalistes habitués à faire du terrain, dont Richard Rushfield et Kate Aurthur, venus du Los Angeles Times. De quoi étoffer les équipes centrées jusque-là sur l’agrégation de perles repérées sur le réseau, sur l’édition de listes, très prisées sur le Web, et la création de GIFS animés.
Participer aux conversations
La ligne éditoriale de Buzzfeed? S’incruster dans les conversations sur les réseaux sociaux, voire créer de quoi y susciter le débat. Pour cela, cap sur des contenus qui valent la peine d’être partagés sur le Web. «On ne vient pas sur Buzzfeed pour lire, on y vient pour partager des contenus», martèle Ben Smith. Lorsque, dans des rédactions ordinaires, on surveille l’actualité avant de définir un angle, à Buzzfeed, on regarde 200 posts sur Tumblr chaque matin avant de trouver un sujet. «Le social est notre point de départ», reprend Ben Smith, qui estime que le contenu fonctionne d’autant mieux s’il est de la toute dernière fraîcheur.
«Créer un phénomène viral, ce n’est pas seulement faire en sorte que les gens cliquent sur des contenus. On veut les emmener plus loin et faire en sorte qu’ils partagent ces contenus sur les réseaux sociaux ou par email», explique Matt Stopera, l’un des éditeurs de Buzzfeed. Quant aux utilisateurs, ils sont encouragés à signaler tout élément intéressant à la rédaction via un formulaire assez strict. «Les lecteurs sont des auteurs et nous sommes l’agence de ces auteurs», dit encore Ben Smith.
Outre les histoires de chats et d’humour potache, Buzzfeed veut publier des longs formats, comme l’histoire du jeu vidéo Pong, créé en 1972, un format dont le site PaidContent se demande s’il ne devrait pas inspirer les magazines.
Pour l’instant, tout fonctionne comme sur des roulettes: le modèle Buzzfeed, avec ses 30 millions de visiteurs uniques par mois, fait l’objet de convoitises et embauche à tour de bras.
Autre spécificité notable: Buzzfeed n’a pas de scrupule à mettre les annonceurs en majesté et à mélanger publicité et rédactionnel – ce que les Américains surnomment «advertorial». Dans des rédactions ordinaires, la publicité est vue par la rédaction comme une quasi salissure. Chez Buzzfeed, parmi les informations mises en ligne, on trouve des contenus créés par des utilisateurs, par des éditeurs de Buzzfeed, et… par des marques, signalées par la mention «proposé par (nom de l’annonceur)», mais en réalité assez proches des autres productions de Buzzfeed, dont ces listes de Virgin Mobile. Alors que, sur d’autres sites, les espaces publicitaires sont bien définis, avec, par exemple, des bannières publiées en colonne de droite, Buzzfeed ne s’embarrasse pas de tant de cérémonie. Le site est allé jusqu’à altérer son nom et son logo (Buzzfaux) pour les besoins d’une campagne de publicité de Campbell Soup.
Alice Antheaume
(1) Je travaille à l’Ecole de journalisme de Sciences Po et, de ce fait, à l’organisation de la conférence du 10 décembre 2012.
lire le billetSi la technologie avait été au point lorsque Facebook est né, «Facebook aurait été une application mobile», et non un site pensé pour l’ordinateur, lâche Bret Taylor, directeur de la technologie de Facebook, lors du Mobile World Congress, l’immense raout annuel de la téléphonie organisé à Barcelone. Pendant quatre jours, plus de 60.000 personnes venues du monde entier se réunissent pour parler téléphones, tablettes, processeurs, écrans, applications, Web et usages.
De Facebook à Google, en passant par les opérateurs de télécoms et les producteurs d’informations, les avis sont unanimes: le mobile, considéré comme le nouvel eldorado de la consommation de contenus, serait sur le point de reléguer l’ordinateur au rang de brontosaure.
Revue des signaux, entendus pendant le Mobile World Congress, qui veulent faire du mobile (smartphone ou tablette) une extension du futur.
«La révolution du smartphone va être universelle», prédit Eric Schmidt, de Google, lors de son discours le mardi 28 février. Et elle ne ferait que commencer. Seul 1 milliard d’happy few possède un téléphone. Sur les 7,3 milliards d’habitants que compte le monde, cela fait beaucoup qui n’ont en pas. «Des milliards de gens n’ont jamais téléchargé d’application, jamais joué à Angry Birds, jamais utilisé le GPS depuis leur mobile pour rentrer chez eux», énumère Eric Schmidt.
Pourtant, «si Google voit juste, il y a aura bientôt un téléphone Android dans toutes les poches», poursuit-il, citant 300 millions d’Android déjà en circulation, dont 850.000 téléphones seraient activés chaque jour. D’après une étude Cisco, le nombre de terminaux mobiles devrait atteindre 10 milliards en 2012, dépassant ainsi le nombre d’habitants de la planète (1). A ce rythme, Google va bientôt «fabriquer des gens» pour faire face à la croissance des mobiles, blague le dirigeant de Google.
Dans le futur, «la technologie doit disparaître», théorise Eric Schmidt. C’est-à-dire ne pas se voir, se fondre dans des outils de plus en plus petits, de plus en plus intégrés à nos vies. «Fini le temps où l’on devait chercher quel câble va avec quel ordinateur, le temps où l’on devait trouver pourquoi votre PC bugue. Désormais, la technologie doit juste être là. Le Web sera à la fois tout, et rien. Comme l’électricité. Toujours là.»
J’ai déjà parlé ici du volume de données auquel on est soumis, en ligne. J’ai moins parlé du déluge d’applications mobiles. Sur ce plan, il y a de quoi dresser un tableau vertigineux: 500.000 applications disponibles sur l’App Store, 400.000 sur l’Android Market. Plus de 19.000 nouvelles applications viennent s’y ajouter chaque semaine, d’après les chiffres de la société d’analyse Distimo.
Ingérable!, fustige Scott Jenson, directeur artistique de Frog, lors d’une conférence au Mobile World Forum sur l’évolution des applications mobile. Celui-ci note que, à cause de ce débordement d’applications, nous «jardinons dans nos téléphones». Métaphore pour montrer que nous y plantons des graines (télécharger des applications), nous arrosons (mettre à jour ces applications), faisons pousser des plantes (lancer ces applications), et désherbons (supprimer celles qui ne conviennent plus).
Pour Scott Jenson, si Google a su installer la recherche sur des pages Web, à l’aide d’un «page rank», le futur sera au classement des applications sur le même principe.
En attendant, et d’après Médiamétrie, les applications mobiles les plus consultées en France sont Google (10,4 millions de visiteurs uniques au cours du mois de janvier 2012), YouTube (8 millions de VU), iTunes (7 millions de VU), Google Center (3,8 millions de VU) et… Facebook (3,2 millions de VU).
Quelles informations sont calibrées pour le mobile? Celles qui sont faites pour être lues à l’instant T, en situation de mobilité, celles qui sont urgentes, celles qui sont produites tôt le matin et tard le soir, celles qui sont visibles sur de petits écrans, celles qui pensent social et référencement. Telle était la liste des critères définis dans un précédent WIP.
En 2012, il faut ajouter à cette liste un nouveau format: la vidéo. C’est ce qui a été répété, à maintes reprises, lors de cette édition 2012 du Mobile World Congress.
Et les chiffres l’attestent: en 2011, le trafic lié à la vidéo a représenté 52% du trafic Internet sur mobile, constate Cisco. «La vidéo, c’est la nouvelle façon des utilisateurs de communiquer», pense John Chambers, le président de Cisco. Et de rassurer ses homologues: à l’avenir, «nos revenus proviendront de ces vidéos».
Côté médias, même tendance à considérer la vidéo comme le nouveau parangon du contenu mobile. Safdar Mustafa, le directeur des activités mobiles d’Al-Jazeera, atteste que la vidéo, oui, ça marche, mais surtout la vidéo en live. «Le live stream de vidéos est un format primordial pour Al-Jazeera, sur mobile et sur d’autres plates-formes».
Les spécificités de ce live stream en vidéo? Image de haute qualité et flux disponible gratuitement, détaille-t-il. Et si, pour Al-Jazeera, le mobile compte tant, c’est que cette plate-forme correspond aux usages de tous ces particuliers qui ont, pendant les révolutions arabes, envoyé des informations, notamment vidéos, par ce biais. «Dans un contexte où il est très difficile, en ce moment, d’obtenir des informations, notamment en Egypte et en Syrie, les contenus que l’on reçoit d’amateurs sont envoyés par mobile. A nous d’intégrer ces usages dans nos applications mobiles».
Au Mobile World Congress, le mot «cloud» est sur toutes les lèvres. Le «cloud», ce nuage qui flotterait en permanence au-dessus des têtes et garderait à disposition toutes les données dont on pourrait avoir besoin, est «le nouveau paradigme», estime René Obermann, le président de Deutsche Telekom. Un état de fait, et non un privilège. «C’est perçu comme une commodité, qui doit être accessible tout le temps, sans faille», reprend René Obermann.
«On a vendu de la voix (au sens d’appels téléphoniques, pas au sens de contrôle vocal, ndlr) pendant des années, et maintenant, on vend de l’accès à Internet, en mobilité», résume Jo Lunder, de VimpelCom. Le smartphone, cordon ombilical, relie son propriétaire au Web et donc au monde. Tel est l’axiome sur lequel capitalise déjà toute une industrie. Un axiome qui offre aux producteurs d’informations une nouvelle lucarne.
Toujours selon Cisco, le volume de données échangées sur les réseaux mobiles mondiaux devrait être multiplié par 18 d’ici 2016. Difficile de renoncer, une fois que l’on y a goûté, à cette connexion permanente. Même l’eau n’est plus supposée être un obstacle à l’utilisation du mobile, à en voir ces tablettes et téléphones étanches, plongés dans un aquarium, sur le stand de Fujitsu. Le démonstrateur fait voir aux curieux que, même dans l’eau, le téléphone reçoit des appels – il n’a pas montré comment on pouvait parler à son interlocuteur, dans cette configuration.
Attention à ne pas transformer le téléphone en Frankenstein de nous-mêmes, éclate Andrew Keen, l’auteur du «Culte de l’Amateur», qui s’apprête à sortir «Vertige numérique». «Avec notre addiction croissante à nos téléphones portables, nous risquons de créer un monstre que nous serons de moins en moins capables de contrôler», écrit-il. «J’exagère? A quel point vous sentez-vous nu sans votre téléphone?».
Cette angoisse a désormais un nom: la «nomophobie», qui désigne la peur de perdre son téléphone ou d’être sans téléphone. Selon une étude réalisée au Royaume Uni, 66% des personnes interrogées souffriraient de ce nouveau mal.
(1) En France, selon le rapport Comscore intitulé Mobile Future in Focus, le taux de pénétration des smartphones, ces téléphones dotés de connexions à Internet, serait de 40% en décembre 2011 – moins que pour l’Angleterre (51,3%) et l’Espagne (51%).
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Alice Antheaume
lire le billetD’ici 2015, la majorité du trafic sur Internet pourrait se faire à partir d’un terminal mobile, et non plus d’un ordinateur fixe. En France, déjà 16,1 millions de personnes se sont connectées à Internet depuis un téléphone portable. «Le mobile n’est pas le prochain “gros truc”, déclare Ian Carrington, de Google . C’est déjà bien au delà de cela.»
En plein essor, le téléphone distribue des contenus d’actualité, sous une autre forme et une autre temporalité que celle pratiquée sur les sites Web. Une nouvelle donne qui change, pour les lecteurs, la façon de consommer des informations. Et qui change, pour les journalistes, la façon de les fabriquer.
Si, au début des années 2000, les rédactions se demandent «comment écrire pour le Web», en 2011, elles s’interrogent: comment écrire pour mobile? Quels formats sont adaptés à la consommation d’infos sur téléphone portable? Faut-il monter une rédaction spécifique pour ce support? Pour être mobile, un contenu doit-il lui-même être produit depuis un téléphone portable?
Premières ébauches de réponses.
Selon Jérôme Stioui, président de la société Ad4Sreen, qui donnera à la rentrée un cours sur les contenus mobiles à l’Ecole de journalisme de Sciences Po, «il faut se poser la question suivante: qu’est-ce qui fait que les utilisateurs vont éprouver le besoin de lire une information sur mobile plutôt que d’attendre d’être sur leur ordinateur?».
«Les lecteurs en mobilité veulent des bouchées d’information qui vont leur servir à l’instant T», estime le site Mashable. Autrement dit, il faut imaginer que le contenu puisse être vu/lu dans une situation de mobilité, dans les transports, dans un café, entre deux rendez-vous.
Sans surprise, aux Etats-Unis, selon le rapport annuel du Pew Project for Excellence in Journalism, le mobile s’avère très consulté pour les infos locales. 47% des Américains disent obtenir des infos concernant leur quartier/ville/région sur leurs téléphones portables, ou d’autres appareils mobiles, comme des tablettes.
L’information locale, cela peut être de l’information de proximité, adaptée, donc à une situation de mobilité: je suis dans une ville, je suis géolocalisé grâce à mon portable, et j’ai besoin d’informations sur mon environnement immédiat, par exemple pour savoir ce que vaut le film qui commence dans 5 minutes dans le cinéma du coin, et je consulte la critique depuis mon smartphone.
Les Anglais dotés d’un smartphone le prendraient en main 18 fois par jour afin de consulter des contenus, sur l’Internet mobile ou via des applications, d’après l’étude «Mobile in the Media Day» d’IAB Research. En France, les chiffres sont moindres: 55,1% des «mobinautes» (personnes qui naviguent sur Internet depuis un appareil mobile) déclarent consulter un site sur l’Internet mobile au moins une fois par semaine. Et 33,4% au moins une fois par jour, apprend-on à la lecture de l’étude 2010 de l’Association française du multimédia mobile.
Pourtant, le mobile est une «tâche secondaire», reprend le site Mashable, c’est-à-dire que les utilisateurs utilisent leur téléphone pendant qu’ils font autre chose, qu’ils voyagent, qu’ils regardent la télé, ou qu’ils fassent la queue à la caisse du supermarché. Distraits et mobilisés en permanence, les consommateurs d’infos sur mobile peuvent à tout moment fermer leur session: parce qu’ils ont un appel téléphonique, ou un SMS, parce que l’ascenseur arrive, parce qu’il est temps de descendre du bus, etc.
En pratique, sont donc bienvenus des contenus où l’on voit dès le début, c’est-à-dire en haut, l’idée principale de l’article, l’info maîtresse, voire une série de tirets qui résume les éléments à retenir. Dans le cas d’une vidéo, mieux vaut indiquer la longueur de la séquence, afin que les utilisateurs décident s’ils ont ou pas le temps de la regarder.
Autre contrainte à prendre en compte: éviter un trop grand nombre de clics pour accéder au contenu requis, chaque page nécessitant un temps de chargement parfois rédhibitoire, surtout dans des zones mal couvertes par la 3G, comme dans les sous-sols du métro. Moralité, préconise Mashable: de la concision et de l’efficacité dans les mots, afin que cela tienne sur une seule page. Laquelle peut néanmoins être longue, si les paragraphes sont bien identifiés, indiquant au lecteur quelle information se trouve dans quelle partie.
Taille d’un écran d’iPhone? 3.5 pouces, soit 8.89 centimètres. Ce qui ne donne pas la même vision des images, des vidéos, et des textes, que sur un écran qui mesure plus du double (9,7 pouces pour un Ipad), le triple (ordinateur portable) voire le quadruple (certains ordinateurs fixes). «Il faut donc anticiper, reprend Elodie Drouard, éditrice photo à France Télévisions, professeur à l’Ecole de journalisme de Sciences Po, afin que les photos soient visibles sur ce petit format. Si la photo est un plan large, cela risque d’être difficile pour le mobinaute de la voir. Car une photo de 80 pixels de large, c’est un confettis.»
En revanche, des photos de visages s’avèrent identifiables, même sur un écran de téléphone portable. Et, puisque l’entrée par l’image est au moins aussi importante que par le titre, il faut penser à rendre la photo cliquable, dotée d’une légende en caractères adaptés à la taille de l’écran, et faire en sorte «que l’on puisse zoomer sur cette photo».
«Il y a des contraintes formelles sur un téléphone: tu es sur un écran vertical, sans colonne de droite, ajoute Thibaud Vuitton, rédacteur en chef adjoint de la plate-forme d’informations à France Télévisions. Tu proposes un flux de nouvelles, mais tu perds la contextualisation des informations que tu pouvais permettre en colonne de droite».
Une contextualisation qui s’effectue aussi, sur un site Web d’infos, dans l’écriture des articles, qui comportent des liens vers des suppléments d’informations. Or qui clique sur des liens sur un article sur mobile sachant le temps que prendra le chargement de la page «linkée»? «Même sur un téléphone portable, je ne m’empêche jamais de cliquer sur des liens, reprend Thibaud Vuitton, et je compte sur les prochains navigateurs à onglets sur mobile pour résoudre ce problème de lenteur».
Actuellement, les smartphones permettent certes d’ouvrir plusieurs fenêtres Web dans le navigateur, mais pas plusieurs onglets dans la même fenêtre, ce qui restreint les options de lecture, contrairement à une navigation sur ordinateur.
Parmi les applications les plus consultées sur mobile, Facebook arrive en tête. Parmi ses 750 millions d’inscrits dans le monde, 250 millions sont des utilisateurs actifs via téléphone portable. Leur activité préférée? Partager des contenus avec leurs amis. «En 2004, les gens partageaient 1 objet (photo, statut, article, vidéo, ndlr) par jour, rappelle Mark Zuckerberg, le fondateur de Facebook. Maintenant, 4 milliards d’objets sont partagés chaque jour». Et ce sont, à 60%, des liens vers des contenus publiés, d’actualité ou pas. En outre, sur Twitter, la majorité des messages postés sont écrits depuis un terminal mobile.
Conséquence: pour être adaptées au mobile, les informations doivent être «facebookables» et «twittables», c’est-à-dire susceptibles d’intéresser les membres des réseaux sociaux et de provoquer leurs réactions. Les utilisateurs ont un vrai besoin de communiquer avec leurs amis lorsqu’ils utilisent leur téléphone, qui est, avant tout, un outil de communication. Vagabonder sur le Net pendant des heures, comme on le fait sur ordinateur, n’est pas un usage très répandu sur un téléphone, utilisé avant tout pour être en liaison avec sa communauté.
C’est pourquoi chaque page et chaque application réalisées par un éditeur doivent intégrer les outils et notions de partage communautaire, les boutons Facebook, Twitter, bien sûr, mais aussi des possibilités d’envoyer des photos, du texte, de la vidéo.
En réalité, la spécificité de l’information sur téléphone est moins une question de rubrique qu’une question de format. Quel format permet de raconter telle histoire sur mobile? «Je ne suis pas sûr qu’une expérience de webdocumentaire de 15 minutes soit fascinante sur un mobile», pense Thibaud Vuitton. En effet. A l’inverse, les «lives» et autres directs (cf les applications radio), les listes, à la fois automatiques (les plus populaires, les plus récents, etc.) et les manuelles (les 25 meilleurs dessins animés de tout les temps, cf l’application du Time), et les options permettant de «sauvegarder» un contenu pour le lire plus tard (Business Insider, New York Times) sont adaptées à un usage fragmenté.
«Il faudrait réinventer la newsletter pour mobile et multiplier résumés et synthèses, ajoute Aurélien Viers, rédacteur en chef du Nouvelobs.com. Idem, les diaporamas de photos, lorsque l’on est connecté en Wifi sur son téléphone, sont efficaces. Il y a sans doute des postes d’éditeurs pour mobile qui vont se créer. Pour moi, c’est le métier de demain, sinon de cette année.»
Faut-il pour cela que les journalistes eux-mêmes produisent des infos depuis un mobile? Pour la BBC, c’est une piste à explorer – et c’est avant tout une façon d’accélérer le processus de publication. Ils ont ainsi développé une application, non publique, pour que les journalistes de la BCC, pendant qu’ils sont en reportage, puissent mettre des éléments de leur reportage directement dans le système de publication de la BBC. Ces éléments sont ensuite plus vite exploitables pour diffusion.
Si l’on reprend la question posée par Jérôme Stioui – «qu’est-ce qui fait que les utilisateurs vont éprouver le besoin de lire une information sur mobile plutôt que d’attendre d’être sur leur ordinateur?», l’urgence d’une actualité peut constituer un autre élément de réponse. L’arrivée des ex-otages Stéphane Taponier et Hervé Ghesquière sur le tarmac de Villacoublay, le 30 juin, le coup de théâtre autour de l’affaire DSK, survenu le vendredi 1er juillet, sont des titres qui intéressent les lecteurs au moment où cela survient.
Vu le pic de connexions sur l’appli mobile du monde.fr le samedi soir à 23h, nombreux sont ceux qui veulent connaître le nom du gagnant, et le score, du match de foot qui vient de s’achever. Le succès des informations sportives – et notamment des résultats des matchs – vues depuis un téléphone n’est d’ailleurs pas un secret: l’appli lequipe.fr est la 3e application la plus consultée en France, selon le classement OJD de juin 2011 – après lemonde.fr et La Chaîne Météo.
Les informations de dernière minute sont donc de bons leviers pour le mobile, à condition que les éditeurs aient prévu, dans l’application, la possibilité d’envoyer des pushs, des notifications qui arrivent sur l’écran d’accueil du téléphone, en urgence, et que l’utilisateur les ait autorisés. Pour l’instant, le taux d’acceptation des pushs s’échelonne entre 50 et 80%, selon les chiffres fournis par Jérôme Stioui. Le taux paraît important, mais risque de baisser, les pushs pouvant vite être assimilés à une forme de spam. La limite du push? Gaver le lecteur.
Les pics de connexion sur l’Internet mobile? Tôt le matin, entre 6h et 9h, et le soir, après 20h. Pour beaucoup, le premier geste du matin, et le dernier geste du soir, c’est de consulter son téléphone portable. Selon une étude réalisée par Ericsson en mai 2011, 35% des propriétaires de smartphones (Android et iPhone) aux Etats-Unis se connectent à une application sur mobile avant même de sortir de leur lit.
«Après 20h, il commence à y avoir un transfert du Web au mobile», explique Jérôme Stioui. Plutôt que de relancer leur ordinateur, le soir, les utilisateurs préfèrent ainsi utiliser leur téléphone, déjà allumé.
Qu’est-ce que cela veut dire en termes de production éditoriale? Faut-il calibrer l’offre de contenus en fonction des horaires de consultation des lecteurs sur mobile en offrant, par exemple, un résumé des infos essentielles de la journée au moment de ces «prime times» du mobile? Difficile à dire, car aucune expérience de ce type n’a encore été menée en France. Pour l’instant, les éditeurs français ont dupliqué les contenus déjà publiés leurs sites Web, en adaptant largeur et hauteur pour que cela colle avec la taille de l’écran d’un smartphone, mais sans vraiment créer d’expérience spécifique à la consommation d’infos sur mobile.
Dans la mesure où, dans le monde, «50% des utilisateurs de l’Internet mobile se connectent en commençant par faire une recherche sur Google», assure Ian Carrington, de Google, il semble que la consommation d’informations depuis un smartphone soit dictée par la réponse à une requête, formulée avec des mots-clés, depuis un mobile. Dans ces conditions, afin que votre information remonte facilement dans les premiers résultats de recherche, mieux vaut avoir travaillé le SEO (Search Engine Optimization) de vos contenus. Et, cela va sans dire, puisque le mobinaute cherche à une réponse à sa question, le contenu doit l’y aider.
>> Sur l’impact du SEO sur l’écriture, voir ce WIP >>
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Alice Antheaume
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