Le direct de l’Assemblée nationale est une drogue médiatique dure

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Depuis le 29 janvier 2013, date d’ouverture des discussions sur le projet de loi concernant le mariage pour tous, le direct diffusé en vidéo sur le site de l’Assemblée nationale fait carton plein, week-end compris. Dimanche 3 février, il y a eu 29.021 connexions de plus de 30 secondes, pour une durée moyenne de 34 minutes, selon les chiffres de l’Assemblée nationale. C’est beaucoup, comparé à un jour de débat ordinaire, comme le jeudi 17 janvier, où le direct n’a alors recueilli que 1.417 connexions – ce jour-là était abrogée la loi sur la lutte contre l’absentéisme scolaire.

L’audience est là, mais le service est archaïque en ligne – un simple flux sans habillage ni intégration sur les réseaux sociaux. En outre, les saturations du streaming se multiplient, comme l’a relevé en séance le député UMP Patrick Hetzel, provoquant les soupirs de Claude Bartolone, le président socialiste de l’Assemblée nationale: “Monsieur Hetzel, sans vouloir être désagréable avec la majorité précédente, je fais avec le site que j’ai trouvé! Mais je vous rassure: j’ai demandé à l’administration et aux questeurs de me faire des propositions pour moderniser le site et le rendre plus accessible.” Depuis, un flux de secours a été mis en place pour suppléer le premier.


Comment expliquer cet engouement pour un service mis en place dès 2007 – le direct était disponible en 2008 au moment d’Hadopi et avait facilité la vie des journalistes qui couvraient le sujet alors qu’il n’y avait à l’époque ni prise électrique ni Wifi dans l’hémicycle? Il y a bien sûr l’intérêt suscité par le sujet, le mariage pour tous, mais s’ajoute à cela un faisceau d’autres raisons. Les voici.

  • comme au théâtre, il y a des personnages principaux, des seconds rôles et des citations qui restent

Parmi les protagonistes figurent Claude Bartolone, président de l’Assemblée nationale, chargé de distribuer la parole entre les camps, lequel ne rate pas une occasion de faire un bon mot et de s’amuser des facéties des députés ; Christiane Taubira, ministre de la Justice, la “gardienne” de l’esprit de la loi, sacrée “icône” par France TV Info, qui oscille entre crises de fou rire et élans poétiques ; et Christian Jacob, président du groupe UMP à l’Assemblée, avide de petites phrases bien plantées (il a qualifié le discours de Christiane Taubira de “Badinter aux petits pieds”). Dans les seconds rôles, on trouve des députés moins connus mais qui prennent soudain la lumière. Par exemple Hervé Mariton et Philippe Gosselin, députés UMP, qui relèvent sans relâche le “manque de préparation” du texte et exigent l’avis du Conseil d’Etat et dont on finit par savoir que le premier est daltonien et le second s’intéresse au numérique (il est membre de la CNIL, la Commission nationale de l’Informatique et des Libertés). Côté PS, le second rôle du moment est incarné par Thomas Thévenoud, pris en photo en train de jouer au Scrabble avec son confrère Jérôme Guedj, par tablettes interposées.

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  • comme dans les dîners de famille, il y a ceux qui monologuent et ceux qui se font chahuter

Avant de commencer les agapes, Christiane Taubira, érigée en mère des futurs mariés, a fait un discours inaugural de 40 minutes sans note. Christian Jacob se plaît à lui répondre depuis son banc, sans que l’on sache toujours sur le direct ce qu’il dit – il n’a pas de micro à ce moment-là, ce qui lui donne l’air de l’oncle bourru coincé au bout de la table. Hervé Mariton se fait, lui, chambrer sur la couleur de ses pulls, comme un enfant qui aurait mal assorti ses chaussettes. Et, puisqu’aux dîners de famille, mieux vaut éviter de parler de politique, Marc Le Fur, député UMP, fait un pas de côté pour s’émouvoir de la suppression du rôle de la belle-mère tandis que Jean-Pierre Door, UMP aussi, s’inquiète du sexe du Père Noël en clamant que “dire que l’institution du mariage peut concerner deux personnes du même sexe, c’est comme dire soudain que le Père Noël est une femme”.

  • comme une radio, on peut se brancher au direct toute la journée sans l’image

L’action n’étant pas vraiment haletante sur le streaming, tout se joue sur le son et l’intensité des dialogues, l’idéal pour le spectateur étant d’avoir passé assez d’heures à écouter pour reconnaître le député qui parle à sa seule voix. C’est parfait pour “consommer” lorsque l’on est au bureau, à travailler sur un ordinateur. Une fenêtre de son navigateur ouverte sur le direct de l’Assemblée nationale et une autre sur le travail en cours, on peut rédiger une note – ou écrire cet article – sans regarder l’image. Un format adapté aux nuits d’insomnie – les députés se sont quitté dans la nuit de mercredi à jeudi peu avant 4h du matin.

  • comme à l’école, il y a des règles et des petits malins qui jouent avec

Le rappel au règlement est un droit des députés et a priorité sur la discussion en cours. “La parole est accordée à tout député qui la demande à cet effet soit sur-le-champ, soit, si un orateur a la parole, à la fin de son intervention”, stipule le règlement de l’Assemblée nationale. Et ce, pour une durée maximum de 2 minutes. Un rappel au règlement peut concerner des horaires jugés tardifs, des insultes proférées à l’encontre de l’un ou l’autre député, ou le besoin de discuter par groupe parlementaire. Souvent, et c’est devenu la spécialité d’Hervé Mariton, le rappel au règlement n’en est pas un, il consiste à couper la discussion pour faire une remarque hors sujet. Dans ce cas, le président de séance peut reprendre la parole. Surtout quand, comme lundi 4 février, on dénombre pas moins de 32 rappels au règlement pendant la discussion. Au final, c’est comme à l’école, il y a toujours des rigolos qui contournent les règles, et il est assez divertissant de découvrir quel curieux motif invoque parfois l’opposition en guise de rappel au règlement, où il peut être question de “champignons vénéneux” ou de “fréquentation prolongée du très subtil Georges Frêche“.

  • comme sur Internet, affluent les points Godwin

Sur Internet, la règle est simple: plus la discussion dure, plus la probabilité est grande qu’un internaute finisse par faire une comparaison impliquant le nazisme ou Hitler. C’est ce que l’on appelle le point Godwin, issu de la loi Godwin, énoncée en 1990 par l’avocat américain Mike Godwin. A l’Assemblée nationale, alors que les heures de débat parlementaire s’alignent au compteur, les points Godwin pleuvent aussi, avec des mentions de “triangle noir” ou de “triangle rose” pour parler des homosexuels, références aux symboles utilisés par les nazis dans les camps de concentration. Mercredi 6 février, Hervé Mariton a aussi évoqué la date du 6 février 1934, manifestation des ligues fascistes, “qui étaient un danger pour notre assemblée, pour la démocratie, pour la République”. Un appel, a-t-il dit, à “chercher, lorsque cela se peut, dans la vie de la démocratie des formes de rassemblement et de consensus”.

  • comme à la télévision, l’expérience du second écran apporte un supplément d’âme

322 députés sur 577 ont un compte Twitter, d’après Le Lab d’Europe 1. Plus d’un député sur deux est donc en mesure de publier sur le réseau des commentaires sur le débat auquel il participe dans l’hémicycle, racontant de l’intérieur ce que le public ne voit guère, provoquant les protestations de leurs collègues et même un rappel au règlement à cause du tweet suivant, écrit par le député socialiste Jérôme Guedj.


Marc Le Fur, député UMP, a même procédé à un photomontage d’une scène en coulisses avant de l’envoyer sur Twitter en se trompant de nom (il s’agissait de Thomas Thévenoud et non de Guillaume Bachelay, contrairement à ce qui mentionné par erreur sur la légende).

Bref, l’Assemblée nationale fait de la télévision sociale (Social TV en VO), cet usage qui consiste à voir un programme sur un premier écran et à utiliser un deuxième écran (ordinateur, tablette, mobile) pour réagir à ce même programme en allant le commenter sur les réseaux sociaux ou en cherchant, sur le Web, des informations complémentaires. Malgré la demande de Philippe Gosselin de stopper les messages sur le réseau qui “polluent” le débat, tous les tweets restent permis, facilités par l’installation du Wifi à l’Assemblée nationale à l’été 2012.

“Vous savez que vous êtes désormais très observés, par des photographes et sur les réseaux sociaux”, a averti Claude Bartelone mercredi 6 février. En effet, le hashtag #directAN a déjà été mentionné plus de 34.000 fois depuis le début des débats. Quant aux spectateurs non parlementaires, ils ne sont pas en reste. Ils ont créé deux Tumblr qui valent le détour et tournent en dérision les stratégies et mimiques des parlementaires, comme “Ciel mon égalité” et “Quand un député UMP“… MISE A JOUR 14h32: Ce nouveau Tumblr, lancé par le dénommé Monsieur Kaplan, agrège des GIFS animés sur les principaux personnages des discussions.

Crédit: quandundeputeump.tumblr.com


Alice Antheaume

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Liens du jour #32

Les liens hypertexte affectent-ils notre concentration? (20minutes.fr)

Nom de code? Atlantico, le nouveau pure player bientôt prêt à sortir (Electron Libre)

Entre murs payants et tablettes, le cahier de tendances printemps-été d’Eric Scherer (AFP Mediawatch)

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Mon terrain journalistique? Quelques pixels seulement…

«Home page producer», «front page editor», chef d’édition Web… Ces noms un peu barbares désignent l’un des métiers du journalisme sur le Web , celui que fait Ariane Bernard, au Nytimes.com. Celle-ci est venue à l’école de journalisme de Sciences Po donner une master class ce jeudi. Son travail? Organiser le «mix» des informations sur la page d’accueil du site du New York Times et faire tourner articles, reportages, diaporamas, vidéos, informations de dernière minute selon un rythme ad hoc.

  • Un Tétris d’informations

«Le home page producer doit veiller à mettre davantage en scène les contenus qui concernent l’actualité et les grandes enquêtes du New York Times, commence Ariane Bernard, tout en jonglant avec des dépêches qui viennent des agences de presse et des informations signées par les bureaux du New York Times à l’étranger», en l’occurrence des bureaux de Paris et Hong-Kong. Durée de vie d’une information sur la «une» du nytimes.com? Environ 6 heures, mais pas à la même place. En tout, il y a plusieurs espaces possibles sur une «zone de pixels assez limitée» (la surface de la page d’accueil) où placer un contenu. La place de celui-ci dépend de «la force» de l’information qu’il contient. C’est là toute l’ambiguïté. Qu’est-ce qu’une information forte selon vous?, demande une journaliste dans la salle. Réponse d’Ariane Bernard: une information qui va évoluer. Par exemple, une enquête sur la Maison Blanche qui va susciter des réactions du gouvernement américain, un attentat dont le nombre de morts évolue, etc.

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  • En rythme

Contrairement à la plupart des sites d’informations français, qui multiplient les «urgents» et autres «breaking news», le Nytimes.com s’excite plus rarement. Car la philosophie, tacite au New York Times, c’est de produire des informations pour l’histoire plutôt que pour servir les exaltés du temps réel. Sur le Web, pourtant, cela va forcément plus vite: «Je dois servir de l’actualité sur la home, insiste Ariane Bernard, même si cela n’arrange pas toujours le journal qui préférerait sortir tout cela le lendemain, le jour de parution du quotidien».

A y regarder de plus près, le nytimes.com fait l’inverse de ce que font les sites d’infos français. Quand, sur 20minutes.fr, lemonde.fr, leparisien.fr, lefigaro.fr, les informations de dernière minute sont mises en tête de page d’accueil, parfois agrémentées de flèches clignotantes et de couleur rouge, le nytimes.com les met d’abord dans la partie inférieure de sa «home». «Je ne peux pas mettre un contenu qui fait un seul paragraphe en position numéro 1, explique Ariane Bernard. L’histoire débute donc assez bas sur la “une”, et plus on a d’éléments sur l’histoire, plus elle remonte sur la “home”.» Et de montrer l’évolution de la «une» du nytimes.com quand a eu lieu le tremblement de terre en Chine. Au début, c’était un petit article, mis dans la section «Asie», puis, au fur et à mesure que le nombre de morts augmentait, l’article a été étoffé et mis en position numéro 2 sur la home, puis il y a eu suffisamment de photos pour faire une galerie d’images («on ne peut pas faire de galerie flash si l’on a seulement trois pauvres photos», dit Ariane Bernard), publiée en première position.

  • Le «jet lag»

Les horaires d’Ariane Bernard? 4 h du matin/midi. En plein pendant le pic de lecture du nytimes.com, entre 6h30 et 10h du matin, heure de New York, les jours de semaine. C’est-à-dire «quand une partie des Américains arrivent au bureau». Sauf qu’il faut aussi assurer la production d’informations pour des lecteurs, domiciliés aux quatre coins du monde, avec des fuseaux horaires différents. Il y a des donc des «home producers» qui s’occupent de la home l’après-midi, le soir et la nuit. 24h/24.

  • L’art de la titraille

«Il faut “titrer actif” sur la home», reprend Ariane Bernard. Comprendre: faire des titres qui incitent les lecteurs à cliquer tout en permettant aux lecteurs de savoir, rien qu’avec le titre, «ce que le New York Times pense de cette information». Autre contrainte: le nombre de lignes sur lequel doit tenir le titre. «Parfois, on voit arriver des articles dont le titre fait sept lignes. Moi, je dois le faire tenir en trois lignes maximum.» Un vrai défi, qui se joue parfois à une lettre ou un signe de ponctuation près. «Les internautes ne lisent pas les titres fleuves, indique Ariane Bernard. Donc c’est inutile de raconter toute la Bible dans le titre. Le titre mène à l’article, et c’est l’article seulement qui racontera toute l’histoire.»

  • L’oeil sur la concurrence

«Je surveille huit sites rivaux, dont CNN et le Wall Street Journal», les deux médias qui sortent le plus d’informations susceptibles d’intéresser le New York Times, reprend Ariane Bernard. De la même façon, le présentateur du JT de TF1 a un écran branché sur le JT de France 2, de même que les journalistes de LCI gardent un oeil sur iTélé et BFM-TV. Pour Ariane Bernard, ce regard sur la concurrence est fondamental: «La hiérarchisation choisie par d’autres sites me conforte parfois dans l’idée que j’ai bien fait de donner de l’importance à telle ou telle information, mais cela peut aussi me faire douter.»

  • Du «people» sur le site du New York Times?

Oui, il arrive que le nytimes.com publie des informations «people». Mais c’est rare. La mise en ligne, le 4 juin 2007, d’un article sur Paris Hilton se rendant en prison, est restée dans tous les esprits. «Au New York Times, les journalistes en parlent encore», sourit Ariane Bernard. «Paris Hilton ne fait pas partie de nos clients habituels, mais au moment où elle s’est rendue au prison, et à ce moment-là seulement, c’était une information dont tout le monde parlait.» D’où sa publication sur le site. En revanche, dans le quotidien le lendemain, aucune trace de Paris Hilton. «Le New York Times pense ses “unes”  imprimées pour qu’elles restent dans l’Histoire. Sous cet angle, Paris Hilton n’a pas été retenue comme événement dont l’Histoire devait se souvenir.»

AA

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Dans les coulisses d’Elysee.fr (MàJ)

Crédit: Elysee.fr

Crédit: Elysee.fr

A priori, entre un site d’infos et le nouveau site du président de la République, rien à voir. Mais à y regarder de plus près, les outils et les formats utilisés, spécifiques au Web, sont les mêmes – le traitement de l’information, c’est une autre histoire. Ainsi, sur la nouvelle «home page» d’Elysee.fr, que j’ai pu voir en avant-première et qui doit être lancée après les élections régionales (UPDATE: le nouveau site a été mis en ligne dans la nuit du 29 mars 2010), des photos grand format, en pleine colonne — mais sans pub — pointent sur les sujets du jour. Plus bas, une partie «dossiers» et une colonne d’«actualités». Certes, l’url ne trompe pas sur la marchandise: il s’agit bien du site d’information du chef de l’Etat. Certes, le code couleur graphique (bleu, blanc, rouge) rappelle où l’on est, ainsi que la devise «liberté, égalité, fraternité». Certes, Elysee.fr, piloté par le conseiller présidentiel Nicolas Princen au sein de la cellule de communication dirigée par Franck Louvrier, est un site institutionnel, qui porte la parole du président. Mais en coulisses, la production d’Elysee.fr s’organise parfois comme celle d’un site Web d’infos: l’un et l’autre numérisent des contenus, organisent leur diffusion et créent le débat, en ligne, dans une sphère publique donc. Sans compter que certaines innovations technologiques d’Elysee.fr vont faire des envieux dans les salles de rédaction. Pour vous le montrer, je me suis livrée au jeu des sept points de convergence / divergence.

1. La ligne éditoriale

Quand nombre de sites d’infos dégainent des articles au rythme de l’agenda de l’AFP, sur Elysee.fr, c’est l’agenda du «PR» (président de la République) qui détermine le menu du jour. En clair, si Nicolas Sarkozy fait un discours, ou un déplacement, comme mercredi 24 février au Gabon, cela détermine le contenu de la page d’accueil d’Elysee.fr du jour. En revanche, s’il ne fait pas d’allocution publique sur la grève dans les raffineries, alors niet, Elysee.fr n’en parle pas. Et ce, même si le sujet faisait par ailleurs la «une» de tous les sites d’infos au mois de février. La ligne éditoriale, c’est donc de coller à l’action du président.

2. L’iconographie

Quelle image mettre sur la page d’accueil? Quelle photo donne envie aux lecteurs de cliquer? Comment illustrer ce dossier? Ces questions, ce sont celles que se pose une rédaction des dizaines de fois par jour. Or ce n’est pas parce que l’on s’appelle Elysee.fr que l’on déroge à la règle. L’équipe du site présidentiel se triture aussi les méninges sur l’iconographie, avec les mêmes contraintes que les sites d’infos pour les photos de Nicolas Sarkozy: que celles-ci soient d’actu (c’est-à-dire du jour, pas du mois dernier) et qu’elles soient de très grande qualité pour convenir au format.

La grande majorité des photos proviennent des photographes de l’Elysée qui, depuis 1958, mitraillent les scènes diplomatiques pour la postérité, à des fins d’archives. Cette fois, leurs clichés sont mis en ligne, façon pour l’équipe d’Elysee.fr de valoriser des contenus qui existaient déjà mais n’étaient jusqu’alors pas montrés si vite. La difficulté du service photo? Saisir le président quand il n’est pas caché par la dizaine de personnes qui assure sa sécurité et l’entoure en permanence. Ce qui rend rares les photos où Nicolas Sarkozy est seul, comme ce cliché où on le voit visiter le carré musulman du cimetière militaire de Notre-Dame de Lorette, le 26 janvier 2010, à Ablain-Saint-Nazaire.

Crédit: Πρωθυπουργός της Ελλάδας

Crédit: Πρωθυπουργός της Ελλάδας

3. Le temps réel

Le rush des lefigaro.fr, 20minutes.fr, lemonde.fr, qui publient des «urgents» et des «dernières minutes» en espérant être les premiers à sortir l’info, Elysee.fr ne connaîtra pas. La présidence ne court pas après l’actu car c’est elle qui la créée. La preuve, il n’y a qu’à compter, sur les sites d’infos français, le nombre d’articles rebondissant sur les annonces de l’hyper-président.

Reste que pour mettre en ligne les vidéos des discours de Nicolas Sarkozy, cela va être la course. La séquence sera récupérée au pool TV, qui filme les interventions du président, sitôt l’allocution terminée pour que celle-ci soit disponible en ligne entre 15 et 30 minutes «après le prononcé». Bref, des quasi «directs». Et de la diffusion sans coupure ni montage, a contrario des sujets des télévisions – qui puisent aussi dans les images du pool TV.

4. Le circuit de la copie

Sur Elysee.fr, aucun contenu n’est publié sans validation. Idem pour les sites d’infos, où la plupart des articles des rédacteurs sont relus par des rédacteurs en chef et /ou des éditeurs. Dans ces conditions, le temps réel stricto sensu n’est pas possible, mais les «actualités» sur les déplacements du chef de l’Etat peuvent être préparées à J-48, avec la publication d’éléments de «contexte» des dits déplacements.

Or publier autre chose que des communiqués de presse, à propos du Président, c’est périlleux. Une simple faute d’orthographe peut faire l’objet de la risée des internautes. La polémique autour de la date exacte de la photo de Nicolas Sarkozy prise à Berlin en 1989 et publiée… sur sa page Facebook montre que le président est guetté en ligne.

5. L’audience

Sur Elysee.fr, les internautes s’appellent «les Français». Il n’est pas prévu qu’ils commentent directement sous les contenus publiés. Mais des boutons Facebook et Twitter sont visibles pour que «les Français» réagissent… sur les réseaux sociaux. Un choix qui coïncide avec les problématiques actuelles des sites d’infos, dont la communauté s’est exportée sur les réseaux. Pour l’équipe d’Elysee.fr, c’est aussi un souci: comment traiter / faire remonter les réactions des internautes? Alors que certains sites font des synthèses de réactions, ou des témoignages d’internautes, Nicolas Sarkozy consulte une sélection des commentaires laissés sur sa page Facebook. Façon baromètre de l’opinion publique numérique.

Sur Twitter, tout reste encore à faire et, comme dans les rédactions, l’équipe d’Elysee.fr s’interroge sur le potentiel de ce réseau encore réservé aux «happy few» (0,98% de la communauté de Twitter est française).

6. La technologie

C’est l’un des points de convergence le plus fort entre Elysee.fr et un site d’info: la nécessaire agrégation de nouvelles technologies. Mais sur Elysee.fr, il s’agit de mettre en valeur l’innovation technologique… française. Plutôt qu’une Google Maps sur les allers et retours de Nicolas Sarkozy, la carte des voyages présidentiels est donc signée IGN (Institut géographique national). Car IGN, c’est français! De même, point de YouTube (américain), place à l’INA (Institut National de l’Audiovisuel) et à Dailymotion, les plates-formes frenchy de vidéos.

Cependant, la vraie innovation du site réside dans la technologie de reconnaissance vocale des vidéos, conçue par deux sociétés – françaises! – Exalead et Vecsys. Un outil qui permet de chercher un mot dans les discours filmés de Nicolas Sarkozy, et rend traçable la parole politique dans le temps. De fait, le dispositif va sans doute plaire à Yann Barthès, dont Le Petit Journal de Canal+ excelle à traquer les répétitions et les bafouilles des hommes politiques. Et je prends le pari que les rédactions Web vont se bousculer pour l’acquérir.

7.  La politique

J’entends par là la politique au sens figuré. Car le lancement du nouveau site de l’Elysée pourrait bien faire évoluer le fonctionnement du Palais. En effet, la mise en ligne de données sur l’action de Nicolas Sarkozy qui, jusqu’à présent, étaient réservées à un usage interne, poussent à plus de transparence, l’une des valeurs clés du Web. Avec le risque, quand les données se multiplient dans le temps, de voir pointer d’éventuelles contradictions.

C’est peu ou prou ce qu’ont vécu – et vivent encore – les sites Web des journaux imprimés. D’abord ils ont retraité et numérisé des contenus existants (ceux du papier) pour les rendre accessibles en ligne – ce que fait Elysee.fr, au service du palais présidentiel; ensuite ils se sont constitués en rédaction spécifique, distincte du journal, et ont créé des contenus propres au Web.

Qui sait? L’Elysée pourrait aussi vivre sa révolution numérique…

Alice Antheaume

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