Une heure après la diffusion de l’émission Les Effroyables Imposteurs, mardi 9 février sur Arte, on trouvait seulement 9 commentaires d’internautes sur le site de la chaîne. Sur Twitter et Facebook, au même moment, une centaine de messages parlant de l’émission affluaient.
En ligne, il n’y a plus, figée dans un seul et même endroit, ce que l’on appelait autrefois une «communauté». Celle-ci, éparse, se dilue ailleurs, sur les réseaux sociaux et sur d’autres sites que le seul site émetteur de l’information / émission commentée. Le phénomène n’est pourtant pas nouveau. Quand, en mai 2009, est publié l’article «Les forçats de l’info», sur la condition des journalistes Web, il fait l’objet d’une pluie de réactions de la part des intéressés. Mais pas dans l’espace prévu à cet effet sous l’article publié sur lemonde.fr — neuf mois après, il n’y a que 23 commentaires. Non, ce sont sur les blogs, sur Twitter, sur Facebook, que le débat s’est créé. Et même sur des médias concurrents, qui ont voulu donner à leur tour leur version du sujet.
Dilemme
La question en turlupine plus d’un: comment faire du participatif sur son site si celui-ci ne détient plus de communauté circonscrite? Comment pister les réactions des internautes si celles-ci sont délocalisées sur le réseau?
C’est tout l’enjeu de l’initiative menée par Europe 1. Alors que Jean-Pierre Elkabbach interviewe François Fillon à l’antenne, mercredi 4 février, une petite vingtaine d’internautes triés sur le volet commentent l’interview en simultané sur Twitter. «J’avais suivi l’émission Paroles de Français, sur TF1, avec Nicolas Sarkozy, à la fois devant ma télé et devant Twitter, me raconte Patrice Thomas, chef du service reportages à Europe 1. C’était une expérience très riche, comme si j’avais des copains sur mon canapé qui commentaient en temps réel ce que je voyais. Quasiment une télé en 3D dans l’esprit». «On a voulu tenter l’expérience sur Europe1.fr, faire naître une grande conversation que l’on suit en ligne si l’on veut. Une autre antenne, en quelque sorte. Mais si certains préfèrent, ils peuvent écouter seulement la radio.»
Sauf qu’Europe 1 n’est pas allé chercher ses copains parmi ses auditeurs: «Le but du jeu, c’est d’enrichir l’interview qui se déroule en faisant appel à des experts», reprend Patrice Thomas. Le rôle de ce panel – une vingtaine de personnes repérés sur le Net et gros utilisateurs des réseaux sociaux, dont Thomas Bronnec, rédacteur en chef adjoint de lexpansion.com, Maître Eolas, blogueur spécialiste du judiciaire, Emile Josselin, responsable des contenus Web du PS, Vinvin, blogueur et auteur de contenus vidéos en ligne: faire du «fact checking» en temps réel, c’est-à-dire de la vérification d’informations. «Un journaliste qui interviewe un membre du gouvernement en quelques minutes en direct est en speed total. Difficile pour lui de percuter immédiatement quand son invité lâche une énormité», m’explique Emile Josselin, l’un des participants. «Du coup, avoir des personnes qui questionnent le discours en temps réel, cela peut être d’un certain secours.»
Des commentaires de faits plutôt que des faits
Les contributions des «experts», ainsi triés sur le volet et sélectionnés à l’extérieur, sonnent-elles le glas de celles apportées par les lecteurs du site? Les internautes d’Europe 1 ne sont-ils pas à même de faire ce «fact checking»? La difficulté, répondent les éditeurs, est double: dans l’idéal, il faudrait que les internautes soient à la fois très réactifs ET capables de produire du contenu de qualité. Ce qui, pour l’instant, n’est pas le cas en France, même si, aux Etats-Unis, le Washington Post vient de lancer Story Lab, pour que journalistes et internautes travaillent ensemble à trouver des sujets, et se partagent des sources.
Coïncidence ou pas, tandis qu’Europe 1 se déplace vers un réseau social, en l’occurrence Twitter, pour sélectionner des «experts», quelques jours plus tard, lemonde.fr et lefigaro.fr – les deux plus gros sites d’infos français – mettaient en place un système inverse. A savoir créer une sorte de réseau social à l’intérieur de leur site. Ils ne sont pas les premiers à avoir eu l’idée: avant eux, le New York Times et le Guardian ont installé un «mini Facebook» dans leurs pages.
Labyrinthe d’identifiants
Avoir un réseau intégré permet de booster le temps passé par les internautes sur ledit site, une donnée qui peut avoir de l’importance pour les annonceurs. Le problème, c’est la masse de commentaires à modérer. Chaque mois, environ 100.000 commentaires sont postés sur 20minutes.fr, et près de 300.000 sur lefigaro.fr. «Avec notre nouveau système, il faut désormais être obligatoirement inscrit pour pouvoir commenter», détaille Luc de Barochez, le directeur de la rédaction du figaro.fr. «Le but? Avoir peut-être moins de commentaires mais de meilleure qualité pour animer ce que l’on appelle la «une plus» (la page d’accueil participative) du site». Que les internautes puissent relater des faits, Luc de Barochez n’y croit pas trop. «On ne compte pas remplacer les journalistes par les internautes. On est davantage dans l’idée d’avoir, de la part des contributeurs, des discussions autour de l’information, des témoignages, des réactions qui viennent des tripes, voire des analyses.» «Les gens adorent commenter l’actualité, alors autant qu’ils le fassent sur lefigaro.fr», ajoute Antoine Daccord, responsable du participatif sur le site.
Mais ce n’est pas si simple. Surtout pour l’internaute, avec ses identifiants multiples — et autant de mots de passe à gérer. Les internautes, dont on sait que la lecture est fragmentée, lisant ici un blog, là Slate.fr, plus loin nouvelobs.com et Liberation.fr, jonglent entre leurs inscriptions sur ces différents sites s’ils veulent commenter. Ce qui explique en partie pourquoi les réactions à l’actualité se font sur les réseaux sociaux, là où ils passent de plus en plus de temps, filtrent leurs lectures, et où ils possèdent déjà un profil avec un mot de passe dont ils se souviennent.
La solution serait de pouvoir réunir tous les commentaires, sur quelque site d’info qu’ils soient, dans un seul endroit. Google y a déjà pensé. Et lancé, en septembre 2009, Sidewiki, un plugin intégré à sa barre de navigateur, qui permet de laisser des commentaires sur n’importe quel site, le tout étant agrégé de façon universelle. De quoi faire définitivement voler en éclat la notion de communauté d’un site d’info? «Le community management externe, c’est indéniablement le prochain travail à faire en 2010», sourit Antoine Daccord.
Alice Antheaume
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