Une élection politique peut-elle se gagner sur les réseaux sociaux? La question fait l’objet d’une étude aux Etats-Unis, et suscite, en France, beaucoup d’interrogations à quelques jours du premier tour de l’élection présidentielle, ce dimanche 22 avril.
Et pour cause, les Français sont désormais connectés. 75% des Français sont des internautes, et 25 millions sont inscrits sur Facebook sur une population globale de 66 millions, dont 43 millions sont électeurs.
Problème: personne ne sait encore comment transformer un “like” sur Facebook en vote dans l’urne, a déclaré Fleur Pellerin, la responsable de l’économie numérique pour François Hollande, lors d’une conférence organisée à l’Ecole de journalisme de Sciences Po (1).
>> Ce WIP a été publié en anglais sur CNN, lisez-le ici >>
Pourtant, cette campagne 2012 marque un tournant dans l’histoire politique française. Car c’est la première fois que les candidats – de Nicolas Sarkozy (UMP) à François Hollande (PS), en passant par Jean-Luc Mélenchon (Front de gauche), Marine Le Pen (Front national) et Eva Joly (Europe Ecologie Les Verts) – ont intégré le Web et les réseaux sociaux à leur stratégie de campagne.
Des stratégies de campagne en ligne
Nicolas Sarkozy, le président sortant, mise sur Facebook, le réseau social le plus “populaire” en France, et a sorti en février une timeline remarquée pour conter, façon storytelling politique, sa stature de chef de l’Etat. Ses équipes de campagne ont aussi lancé une application sur smartphone reposant sur de l’open data pour proposer aux électeurs de découvrir le bilan du mandat de Nicolas Sarkozy, département par département.
Quant à François Hollande, favori des sondages, il possède le compte politique le plus suivi sur Twitter (224.000 abonnés au moment de rédiger cet article, 157.000 pour Nicolas Sarkozy).
L’humour en politique existe… sur le Web
Autre nouveauté de cette campagne: la production de Web séries et de sites, parfois drôles, pour tacler l’adversaire. C’est le cas du “kikadiquoi”, une série vidéo satirique réalisée par l’UMP qui tourne en dérision les mots de François Hollande et des socialistes. En guise de riposte, le PS a lancé un site, le Sarkolol, qui se présente comme le jeu Memory, pour rappeler, à chaque carte, les “affaires” de Nicolas Sarkozy.
Si ces candidats et leurs équipes de campagne se démènent pour être présents en ligne, c’est pour 1. y être visibles 2. mobiliser des sympathisants 3. court-circuiter les médias traditionnels.
“Chacun devient un média à part entière”, a dit Nicolas Sarkozy lors de ses voeux à la presse, le 1er février 2012. Façon de dire que chaque politique est désormais, à l’ère numérique, un média qui peut diffuser sur les réseaux sociaux un message sans passer par le filtre des rédactions. Et d’ajouter: “L’année 2012 verront les réseaux sociaux s’emparer de la sphère médiatique, c’est une modification profonde des relations entre les médias, la politique et le citoyen”.
Le numérique et la télévision
Modification profonde, oui, mais encore en cours. La majorité des Français (74%) s’informent sur l’élection présidentielle d’abord via la télévision, tandis qu’Internet constitue la 2e source d’information pour 40% d’entre eux, selon une enquête réalisée par l’Institut CSA pour Orange et Terrafemina.
Alors que la “Social TV” s’installe dans les usages, télévision et réseaux sociaux sont désormais complémentaires. Depuis la primaire socialiste, les émissions politiques à la télévision font l’objet de commentaires en très grand nombre sur Twitter, les téléspectateurs étant réunis sur un canapé virtuel géant pour disséquer les propos des politiques. La télévision diffuse les paroles des candidats, les réseaux sociaux hébergent les conversations autour de ces paroles de candidats. Et c’est là, sur les réseaux sociaux, qu’est jugée la crédibilité des candidats. Car leurs promesses et leurs chiffres sont “fact checkées” en live par des journalistes et des experts, faisant office de sous-titres éclairés lorsque les politiques déroulent leur discours.
Pour quel impact? Les candidats, se sachant scrutés, font davantage attention à ce qu’ils disent. “Mes propositions ont été commentées, chiffrées et diffusées par vous”, a confirmé François Hollande, lors de son meeting à Vincennes, le 15 avril 2012.
Mais rien ne permet de dire que les réseaux sociaux feraient changer d’avis les électeurs. Ceux-ci peuvent assister ou se livrer à des batailles d’arguments, mais restent le plus souvent confortés dans leur adoration ou leur détestation d’un candidat, dans une Webosphère où les militants sont avant tout à gauche, un peu à l’extrême droite, et moins nombreux à droite.
Le nom du prochain président sera d’abord écrit sur les réseaux sociaux
La réponse à la question initiale de cet article, “Une élection politique peut-elle se gagner sur les réseaux sociaux?”, est sans doute non en 2012, du moins en France. Mais la question “les réseaux sociaux peuvent-ils prédire le nom du prochain président de la République française?” appelle une réponse positive. Car la loi interdit aux médias de l’hexagone de donner les premières estimations de résultats avant 20h, heure à laquelle les derniers bureaux de vote des grandes villes ferment le jour du scrutin.
Sauf que, sur le Web, sur les réseaux sociaux, sur les médias non français mais francophones – et accessibles en un clic, donc, ces estimations vont fuiter dès 18h30, heure à laquelle les plus informés obtiennent les premières simulations issues des 100 premiers bulletins dépouillés dans des bureaux de vote ayant fermé à 18h. Loi oblige, les médias français vont donc s’empêcher de parler avant 20h du nom du prochain président de la République, alors que celui-ci sera déjà écrit depuis plus d’une heure sur les réseaux sociaux.
Alice Antheaume
(1) Conférence sur les enjeux de la campagne numérique, le 22 mars dernier, avec Fleur Pellerin, Nicolas Princen, responsable de la campagne Web et du programme numérique pour Nicolas Sarkozy, et Thierry Vedel, chercheur au CEVIPOF – conférence que j’ai animée.
(2) Enquête réalisée en ligne auprès de 1006 personnes âgées de 18 ans ou plus du 27 au 29 mars 2012.
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