Le pouvoir de recommander des infos sur les réseaux sociaux (étude Pownar)

POWNAR. Ce n’est pas le nom d’un nouveau jeu pour enfants, mais l’acronyme de The Power of News And Recommandation, une étude sur les informations diffusées sur les réseaux sociaux réalisée par CNN sur 2.300 sondés habitants dans 11 pays différents. Voici les chiffres clés de cette étude.

– Seuls 27% des utilisateurs (du panel?) partagent des informations. Sont comptés dans ces 27% ceux qui partagent plus de 6 contenus par semaine. Mais à eux seuls, ils diffusent 87% des informations partagées sur les réseaux sociaux. Là encore s’applique la loi de Pareto, autrement dit la loi du 80/20, selon laquelle environ 20 % des moyens permettent d’atteindre 80% des objectifs.

– 43% des informations partagées le sont par le biais des réseaux sociaux (Facebook, Twitter, YouTube, MySpace), 30% des infos le sont par email, 15% par SMS, et 12% par messagerie instantanée.

– En moyenne, un utilisateur partage 13 liens par semaine, et en reçoit 26, par recommandation sur les réseaux sociaux ou par email.

– Les contenus issus des rubriques «business», «international» et «technologie» sont ceux qui sont les plus partagés sur les réseaux sociaux.

Discover Simple, Private Sharing at Drop.io

AA

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Facebook, 6 ans et demi, 500 millions d’inscrits

W.I.P. demande à des invités de donner leur point de vue. Ici, Jean-François Fogel, consultant et Professeur associé à Sciences Po, en charge de l’enseignement du numérique à l’école de journalisme.

Le réseau social Facebook revendique un demi milliard d’inscrits alors que paraît sa première histoire (semi) officielle. Une success-story simple, presque simplette…

Comment fait-on pour passer d’un petit logiciel développé entre copains, sur le campus de l’université d’Harvard, à un site revendiquant un demi milliard d’inscrits? Le journaliste David Kirkpatrick répond à cette question dans un livre, The Facebook effect (éd. Simon & Schuster), empilé à profusion sur les tables des librairies américaines. L’auteur a eu accès à tous les responsables présents et passés de Facebook (FB). Il a partagé de nombreux moments avec Marc Zuckerberg, son inventeur et président. Il faut lire son ouvrage à la fois comme un travail indépendant et approuvé par une entreprise n’ayant en apparence qu’un message à diffuser: cliquez, il n’y a rien à voir.

David Kirkpatrick est reporter à “Fortune”, il donne donc une importance considérable à l’histoire capitalistique de FB. Son récit se répète dans une succession d’épisodes où Zuckerberg refuse de vendre sa création dont l’évaluation ne cesse de monter (ses employés vendent actuellement des actions en fonction d’une valorisation globale de l’entreprise à 15 milliards de dollars). Viacom, The Washington Post, Microsoft, MySpace, Google, etc.: la liste des prétendants est interminable et la ténacité de Zuckerberg ne l’est pas moins. Il a aujourd’hui verrouillé sa position de patron avec un dispositif juridique qui lui garantit un pouvoir de contrôle bien au-delà des 24% du capital dont il est propriétaire. Sauf accident financier ou crise personnelle (semblable à celle d’un rocker trop tôt touché par le succès), il pilotera durablement une entreprise dont les chiffres d’audience et de trafic sont si élevés qu’ils en génèrent, de bonne foi, l’incrédulité.

Crédit: Flickr/CC/Boetter

Crédit: Flickr/CC/Boetter

FB repose sur  une idée. Mais une idée si forte qu’il n’y en a qu’une dans son histoire: aider internautes et organisations à former des réseaux sociaux et rendre leur activité visible par une infinité de petits outils et d’applications. La faiblesse d’un livre consacré à l’histoire de FB est d’ailleurs là: il n’y a pas vraiment d’histoire à raconter, rien que l’irrésistible croissance d’un système de connexions amorcé entre quelques étudiants d’Harvard, le 4 février 2004, et qui s’étend peu à peu à d’autres universités américaines, aux collèges et enfin à des pays entiers. C’est simple comme la croissance des bactéries dans un fromage. Le processus va de soi, à condition de savoir le déclencher et l’entretenir. Là où Google connaît des échecs répétés, FB a, pour le moment, réussi avec une recette en cinq points.

1. Le leader

En dépit d’un récit plutôt hagiographique, il est difficile d’éprouver un véritable intérêt pour ce codeur introverti de Zuckerberg. Kirkpatrick  le présente comme une personnalité de premier plan, mais il paraît porteur d’une idée plutôt que d’une vision globale, ce qui, au fond, fait sa force. Il n’a qu’une conviction et il ne mène qu’une seule action. Tempérament travailleur, pas de fort désir de s’enrichir, une vraie capacité d’écoute, un bon sens stratégique pour accélérer les inscriptions d’internautes: le leader de FB ne fait qu’une seule chose, la même, depuis le début. Sa réussite, c’est d’avoir su mener l’affaire tout en s’auto-administrant sa formation de PDG au gré des rencontres. Conscient de ses limites, il n’a jamais refusé une rencontre avec un patron, avec ce que cela suppose de malentendu: le plus souvent, son interlocuteur vient pour lui proposer d’acheter FB, alors que lui veut seulement écouter un leader parler de son métier.

2. La méthode

Pourquoi FB est-il arrivé si haut quand les autres réseaux sociaux (Orkut, H5, Tuenti, etc.) marquent le pas? Une des réponses mérite d’être retenue: aucun site ne peut faire l’impasse sur la qualité de son service. FB a vécu dans l’obsession de ne pas répéter l’échec vécu par Friendster, parti pour tout gagner mais dont le trafic a flanché au gré des défaillance de ses serveurs. La clé du succès de FB, c’est le pilotage de la croissance de son trafic, avec ce que cela suppose de changements d’architecture et d’additions continues de nouveaux serveurs, sans crash majeur ni baisse de performance.

3. Le modèle

Le modèle de FB est le “social graph“,  la mise en réseaux de personnes physiques enregistrées sous leur véritable identité. “Vous avez une identité”, affirme Zuckerberg qui écarte toute idée d’offrir aux internautes des profils doubles (privé et professionnel). Le concept de “transparence radicale” est d’ailleurs une référence courante au sein de FB moment d’évaluer de nouveaux projets.  Le meilleur exemple de “social graph” reste le taggage des photos. Le chargement d’une photo n’a pas d’impact sur un réseau social, mais le taggage de cette photo avec le nom des personnes qui y figurent définit  un “social graph” mettant en jeu toutes les personnes nommées ainsi que les réseaux d’amis de chacune d’elles. Le taggage des photos est ainsi l’application qui met en jeu le plus de connexions sur le site. A la fin de l’année 2009, FB hébergeait déjà trente milliards de photos.

4. L’entreprise

FB se définit comme une entreprise de technologies (par opposition à Myspace, considéré comme un média). Son histoire a été vécue et reste vécue comme une aventure de codeurs partis à l’assaut du web avec PHP, HTML et Java pour tout bagage. Le “business model” poursuivi par FB est la publicité avec l’objectif de se placer en amont dans la chaîne du désir de consommation. Là où Google destine ses publicités aux internautes qui savent déjà ce qu’ils cherchent, FB voudrait les aider à découvrir ce qu’ils pourraient chercher. Exemple tiré du livre (p. 259): Google mène vers Canon les internautes qui recherchent un appareil photo numérique; FB en revanche veut convaincre les internautes que ce serait une bonne idée d’acheter un appareil photo numérique. Mais ce projet est mis en place avec une modération délibérée. Faire prospérer la mise en relation de personnes et le recrutement des inscrits sur le site FB a, pour le moment, toujours eu la priorité sur la volonté d’accroître la rentabilité. Au slogan interne de Google, “Don’t be evil” (ne sois pas diabolique, en VF), FB oppose une autre formule, “Don’t be lame” (ne sois pas nul).

5. Le vieux débat

La protection des données personnelles n’est pas un débat au sein de FB. Les crises récurrentes sur la question de la visibilité des données personnelles n’ont en effet connu qu’une seule solution: Zuckerberg n’a jamais rien lâché en appliquant, plus de six ans durant, l’idée concoctée à Harvard. Il a surveillé ses courbes de trafic et pour autant qu’elles continuaient de monter, ce qu’elles ont toujours fait, il ne voyait pas de nécessité de changer de politique. D’ailleurs, un quart seulement des personnes inscrites sur Facebook utilisent les outils qui permettent de restreindre la confidentialité de leur profil. Rien à redire, FB est bel et bien un site dont les membres s’exposent.

J.-F.F.

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Liens du jour #29

C’est officiel: les téléphones servent de moins en moins à téléphoner, mais de plus en plus à agréger des données (New York Times)

Y a-t-il une vie après Facebook? (Bits)

Entre public et privé, la nouvelle guerre des médias sur le Net (AFP-Mediawatch)

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Liens du jour #25

Toujours plus de recherche (mais pas que sur Google), toujours plus de personnalisation, de réseaux sociaux, et d’emails: voici quelques unes des tendances marketing de 2010 (Etreintes digitales)

Le poids de la vidéo d’information en ligne (Nieman Lab)

Comment le New York Times et CNN se battent pour survivre en ligne (editorsweblog)

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Du bon usage des réseaux sociaux selon Reuters

Crédit: LoopZilla

Crédit: LoopZilla

Le New York Times a déjà édicté, à l’usage de ses journalistes, une charte interne pour l’utilisation des réseaux sociaux. C’est au tour de Reuters de s’emparer du problème. L’agence vient de rédiger un règlement à l’adresse de ses employés. «Nous voulons vous encourager à vous servir des réseaux sociaux dans votre métier de journaliste, mais nous voulons aussi être certains que vous connaissez les risques – notamment ceux qui menacent la réputation d’indépendance et d’intégrité de Reuters.» Pas de scoop sur Twitter, pas de liens intempestifs, pas de bagarre dans les commentaires en ligne… Voici quelques unes des recommandations relevées.

  • Réfléchir avant de poster

Le succès des réseaux sociaux tient à la facilité pour les internautes d’y participer, rappelle Reuters. Donc «résistez à la tentation de répondre par la colère» à ceux dont vous pensez qu’ils se sont trompés. Reuters insiste auprès de ses journalistes: «n’oubliez pas que, lorsque vous commentez quelque chose en ligne, votre commentaire peut être cité par un journal ou un blog comme une déclaration officielle venant de Reuters.» Enfin, «gardez votre distance critique, conseille l’agence. Il est très simple de partager un lien sur Twitter ou Facebook, mais si ce lien se révèle être un canular, vous engagez votre crédibilité et celle de Reuters.»

  • Ne pas montrer ses préférences

Très facile, sur les réseaux sociaux, de repérer les goûts de quelqu’un, le genre d’amis qu’il a, les sujets qu’il aime, et une foule d’autres indicateurs. Reuters le sait bien et conseille à ses employés de ne pas afficher leur bord politique sur leur profil Facebook et de rester neutre lorsqu’ils sont sur le point d’adhérer à tel ou tel groupe sur le réseau social. Car l’affichage de préférences entache la couverture – supposée neutre – de certains sujets politiques ou controversés. De la même façon, le New York Times a demandé à ses journalistes, lors de l’élection présidentielle américaine, de ne pas rejoindre la page fan d’Obama. A moins de s’inscrire, dans le même temps, à la page fan de John Mc Cain.

  • Etre transparent

Pendant les «chats» ou autres discussions par messageries instantanées, les journalistes de Reuters doivent afficher qui ils sont. Et ne pas se faire passer pour quelqu’un d’autre, même par écran interposé. De la même façon, ils doivent indiquer qu’ils sont journalistes à Reuters lorsqu’ils se créent un profil sur les réseaux sociaux, ou lorsqu’ils tiennent un blog, ou lorsqu’ils écrivent un commentaire en ligne.

  • Deux comptes, un pro et un perso

Pour différencier les statuts et tweets qui relèvent du privé d’un côté et du professionnel de l’autre, Reuters préconise que ses journalistes se créent deux comptes distincts. L’un à usage professionnel, «pour agréger de l’information et construire un réseau», l’autre à usage personnel, où les journalistes doivent indiquer qu’ils travaillent à Reuters, mais que leurs messages ne reflètent pas l’avis de leur employeur et où ils n’écrivent rien qui puisse être dommageable à leur employeur.

  • Demander la permission à son chef avant d’avoir un compte professionnel sur les réseaux sociaux

Twitter ou Facebooker de façon professionnelle nécessite du temps, peut-on lire dans la charte, et cette répartition des horaires «doit être discutée avec votre supérieur». En outre, continue Reuters, puisque vous devrez y mettre des liens et des contenus, «assurez-vous que ce que vous mettrez en ligne sur votre compte professionnel ne sera pas contraire à nos objectifs commerciaux. Pour le savoir, discutez en avec votre chef.» Enfin, «prenez garde à ne pas mettre vos sources dans vos “followings” (ceux que vous suivez, ndlr) sur Twitter ou parmi vos amis sur Facebook, car elles pourraient être repérées par nos concurrents».

  • Ne pas publier de «breaking news» sur Twitter

Le scoop doit avant tout être publié sur le fil Reuters, à destination des clients de l’agence. Pas question de tweeter, donc, dans ce cas. Le règlement stipule néanmoins que, lorsqu’un scoop paraît sur Twitter, et qu’il n’est pas signé Reuters, les journalistes de l’agence ont le droit de le retweeter, c’est-à-dire citer le tweet de l’auteur en question.

Pour Reuters, il y a trois usages journalistiques possibles sur Twitter:

  1. partager des articles et construire une communauté, l’apanage de journalistes spécialisés (comme Ben Hirschler, journaliste scientifique pour Reuters)

  2. solliciter des réactions des lecteurs, le cas pour les les éditorialistes et les blogueurs de Reuters

  3. faire des live-tweets de certains événements, comme lors du forum économique mondial, réuni à Davos

Et vous, qu’en pensez-vous? Aimeriez-vous que les médias dictent des comportements à leurs journalistes quand ils sont présents sur les réseaux sociaux?

AA

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Liens du jour #13

La Tribune, Le Figaro, Les Echos… Quand la presse payante devient gratuite en catimini (Eco89)

L’AFP surveille qui lui vole des contenus sur le Net grâce à un logiciel ad hoc, “Attributor” (Monday Note)

Si Twitter = micro-blog, alors Google Buzz = micro-commentaires? (Gravity7)

La pub sur les réseaux sociaux n’explose pas (Cnet.com)

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Liens du jour #12

Comment les écoles de journalisme françaises s’adaptent-elles aux mutations, et à la nécessité d’apprendre aux étudiants à faire l’info sur les réseaux sociaux? (Telerama.fr)

Les JO d’hiver de Vancouver, du pain béni pour un site d’info hyperlocal à… Vancouver (OJR: The Online Journalism Review)

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Liens du jour #11

La vidéo en ligne ne tue pas (encore) la télé, mais tue Tivo (Etreintes digitales, un blog figaro.fr)

Combien seriez-vous prêts à payer pour un article? (Editorsweblog.org)

Tableau comparatif de réseaux sociaux: Google Buzz / Facebook / MySpace / Twitter (Web Strategy)

http://www.editorsweblog.org/newspaper/2010/02/how_much_does_an_article_cost.php
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Sortez moi de là, je suis un journaliste traditionnel

DR

W.I.P. demande à des invités de donner leur point de vue. Ici, Vincent Glad, journaliste, qui écrit sur Slate.fr et sur bienbienbien.net.

Huis Clos sur le Net, c’est terminé. Comme on pouvait s’y attendre, l’expérience n’a accouché d’aucune révélation fracassante sur les nouveaux médias. Je rappelle le concept: cinq journalistes francophones ont passé une semaine dans un gîte du Périgord (métaphore de l’isolement) en ne s’informant que par Facebook et Twitter (métaphores de la sur-communication).

>> A lire aussi: Huis clos trop clos?

Voici leurs conclusions sur l’expérience, recueillies sur le site officiel, leurs médias respectifs ou dans des interviews:

Nour-Eddine Zidane (France Inter)

«Sur la “twittosphère” francophone, […] la politique […] est surreprésentée par rapport à l’actualité internationale […] ou l’économie […]. Autre élément notable: la rubrique faits divers/justice est absente alors qu’elle est presqu’un produit d’appel sur les médias traditionnels les plus populaires: RTL, Le Parisien, TF1

Benjamin Muller (France Info)

«Le premier [enseignement] est la rapidité de relais qu’offre twitter. […] Le deuxième enseignement est que les médias traditionnels nous manquent pour comprendre et pour décrypter l’actualité qui nous parvient. […] Le troisième enseignement est la hiérarchie qui ressort de Twitter. […] Les petites polémiques franco-française (“Quoi? Michelle Alliot-Marie et Brice Hortefeux se détestent ?”) sont à la “une” de Twitter, quand sur France Info ou TF1 l’on parlera bien plus de la grève SNCF.»

Nicolas Willems (RTBF)

«Peut-être pas de véritable remise en question, mais une réflexion qui est restée la même pendant toute la semaine: nous devons toujours revenir vers les mêmes fondamentaux, vérifier l’information, la source. Il faut être très subtil, très vigilant. Ce sont des outils complémentaires à notre travail de journaliste au quotidien.»

Anne-Paule Martin (RSR)

«Les gens qui sont sur Twitter sont dans une logique de guerre, de concurrence entre les médias traditionnels et les nouveaux médias comme les réseaux sociaux.»

Janic Tremblay (Radio Canada)

«Pour le citoyen ordinaire, Twitter reste un formidable outil d’alerte. Récemment, le séisme en Haïti en a été un bon exemple. Aucun journaliste ne peut concurrencer un tel réseau. Mais sur une base quotidienne, c’est beaucoup plus facile de s’en remettre aux médias traditionnels pour savoir ce qui se passe dans le monde. Ce n’est pas une affaire de supériorité. Simplement de ressources et de temps.»

Point de postérité

Toutes ces conclusions étaient déjà connues des utilisateurs avertis des réseaux sociaux et il n’était sans doute pas nécessaire de louer un gîte dans le Périgord pour cela. L’intérêt de l’expérience aura seulement été de communiquer ces réflexions à un large public. Le dispositif (des journalistes, un Loft, le Périgord) n’était qu’une manière spectaculaire d’habiller un simple reportage “embed” sur les réseaux sociaux qu’il était possible de réaliser à Paris, Montréal ou Bruxelles.

Si la science n’en retient rien, Huis Clos sur le Net aura au moins appris quelque chose aux reclus du Périgord: la nécessaire humilité du journaliste en milieu Web.

Les premiers jours des journalistes-lofteurs ont été un véritable enfer. Sur Twitter, les internautes ont multiplié les critiques et ont essayé de les piéger en tweetant de fausses informations. Anne-Paule Martin, la journaliste suisse, a ainsi parlé de «cabale» à leur encontre. Janic Tremblay, de la radio canadienne, balaye d’un revers les critiques: «Il y a eu évidemment des gens qui sont tombés dans la vulgarité mais je ne les regardais pas vraiment passer».

Leur surprise et leur désarmement devant l’avalanche de critiques est typique du journaliste issu des médias traditionnels qui descend pour la première fois dans l’arène Internet. Le rédacteur web est lui habitué au contact direct avec ses lecteurs: en-dessous de chacun de ses articles, un espace ouvert — les commentaires — soumet son travail à un examen critique. C’est souvent impitoyable mais cela apprend l’humilité et pousse à travailler davantage, afin d’échapper à l’impayable brigade du Web 2.0.

Le métier de journaliste est un des plus critiqués de France

En radio, en télé et en presse écrite, le rapport avec le public est beaucoup moins direct. Le seul vrai lecteur ou auditeur avec qui le journaliste peut échanger est son rédacteur en chef. Pour le reste, les réactions se réduisent en général à la portion congrue: un compliment des parents ou du conjoint, un coup de fil énervé d’un attaché de presse et à l’occasion une lettre d’insultes ou une demande en mariage qui arrivent par La Poste. Une erreur dans un article est bien plus souvent relevée sur le web, et ensuite corrigée, que dans les médias traditionnels.

En tant que journaliste Web, je sais que je n’échapperai jamais lors de la rédaction d’un article politique à la critique de «sarkozysme» (une fois sur 2) ou de «gauchisme» (une fois sur 2). Les journalistes des médias traditionnels ne le savent pas puisque la barrière à l’entrée pour critiquer leur travail — un timbre ou une communication téléphonique — est trop élevé pour qu’il y ait des réactions. Pourtant, ils savent que leur travail ne plaît pas à tout le monde: le métier de journaliste est un des plus critiqués de France. D’après le baromètre de la confiance politique réalisé en décembre dernier par TNS-Sofres, seul 27% des Français font confiance aux médias… alors que les banquiers, pour qui le fond de l’air n’est vraiment pas favorable, recueillent 37 % d’opinions favorables.

Reprenons la conclusion d’Anne-Paule Martin, l’une des participantes: «Les gens qui sont sur Twitter sont dans une logique de guerre, de concurrence entre les médias traditionnels et les nouveaux médias comme les réseaux sociaux». En fait, «les gens qui sont sur Twitter» sont juste des lecteurs/auditeurs normaux. Qui ont un avis. Un avis qu’ils expriment sur Internet.

Vincent Glad

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Huis trop clos?

Une «Ile de la Tentation Web», peut-on lire ici. Pire, une «farce», lit-on là. L’expérience Huis clos sur le Net, lancée par les Radios francophones publiques (RFP) lundi 1er février, suscite l’incompréhension des internautes et… des journalistes Web. Qui ne les ont pas pour savoir et montrer qu’on pouvait s’informer — aussi — avec les réseaux sociaux.

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Le principe? Cinq journalistes radio, «enfermés volontaires» dans une ferme du Périgord – moins enneigée qu’un chalet en Suisse et moins cher qu’une cabane au Canada – pendant cinq jours, allaient tester ce veut dire dire s’informer uniquement sur Twitter et Facebook (1). Sans autre source d’informations. Ni journaux, ni télé, ni radio, ni accès aux dépêches d’agences.

«L’idée est née collectivement lors d’une commission des Radios Francophones Publiques (RFP), en avril 2009, où il y avait notamment les directeurs de France Inter et de France Info», me raconte Françoise Dost, secrétaire générale des RFP. «On se posait plein de questions sur l’importance grandissante de ces réseaux. Y trouve-t-on la même information que dans les médias traditionnels? Quelles informations émergent plus que d’autres? Comment se construit la perception de l’actualité par les utilisateurs de Twitter et de Facebook? Alors on s’est dit que, pour avoir des réponses, il fallait organiser une vraie expérience, grandeur nature, où les participants seraient à la fois coupés de leur monde professionnel et familial.»

Le tollé

Aussitôt Huis clos sur le Net inauguré, les membres du réseau Twitter — toujours prompts à se défouler comme dans une cour de récréation — se sont amusés à écrire que Michel Sardou était mort, pour voir si la fausse information parviendrait à être crédible auprès des cobayes. Lesquels ont repéré sans mal le piège, puisque les messages parlant du soi-disant décès du chanteur était accompagné du mot-clé #huisclosnet.

Ensuite, cela a été une succession d’incompréhensions. «Est-ce que les journalistes embrigadés dans l’expérience ont le droit de cliquer sur les liens postés sur Twitter et Facebook?» A cette question, la réponse a tardé à venir. «On peut par exemple cliquer sur un article du Monde.fr si le lien est posté sur Twitter, mais une fois sur l’article, on n’a pas le droit de naviguer sur le site du Monde.fr (ni aucun autre site d’info, le temps que dure l’expérience, ndlr)», m’a expliqué l’un des participants. Une règle qui en a surpris plus d’un. S’empêcher de cliquer sur les liens est une aberration: la toile constitue avant tout une formidable machine à «contextualiser», via des liens entre des pages, entre des sites, dans un espace connecté et interconnecté en permanence. Françoise Dost reconnaît que le projet est un «labo dont les conditions ne sont pas celles de la vie». Etrange laboratoire…

Tout dépend de qui l’on suit

L’autre limite de l’exercice, c’est que la qualité des informations recueillies sur Twitter et Facebook dépend de la communauté des cinq participants sur ces deux réseaux. Autrement dit, dépend de qui sont leurs amis sur Facebook, et leurs «followings» sur Twitter. S’ils ont par exemple des amis ou des émetteurs d’infos soucieux de donner sur ces réseaux des infos utiles et variées, qui datent de moins de 24h, ils auront un aperçu de l’actualité du jour. Anticipant cet aspect, les candidats ont «défollowé» (retiré) de leur Twitter les comptes de médias avant de débuter le programme, arguant qu’il «faut bien se donner une limite». «Sur Twitter, la perception et le décodage du monde dépendent beaucoup des membres du réseau, dit Janic Tremblay, l’un des cinq journalistes. Ceux que vous suivez influencent votre compréhension du monde. C’est comme la télé. On n’est pas informé de la même façon en regardant CNN que Fox News. C’est l’avantage et l’inconvénient de Twitter. Le choix. Infini.»

Un constat qui a dérouté les utilisateurs de longue date des réseaux, habitués à utiliser les réseaux pour deux raisons au moins: 1. pour avoir des informations avant les médias traditionnels, comme lors de la mort de Michael Jackson, en juin 2009, ou plus loin, pendant les attentats de Mumbai, en Inde, en octobre 2008. 2. Pour interagir avec les autres, en fonction de centres d’intérêts communs.

«Le but de l’expérience n’est pas de prouver que l’information que l’on trouve sur les réseaux est juste ou pas, reprend l’un des participants. Mais de juger de l’importance qui est donnée à telle ou telle info sur les réseaux sociaux. Maintenant, je sais ce que les internautes plébiscitent, quand avant, je savais seulement ce que les auditeurs plébiscitaient…»

Quant à Françoise Dost, elle assure vouloir tirer «sérieusement» les leçons – sociétales, journalistiques, etc. de cette expérience ultra médiatisée. On ne sait pas si, après cela, les journalistes des Radios Francophones Publiques seront incités à détenir des comptes Twitter et Facebook pour y faire de l’information autrement, comme c’est déjà le cas dans certaines rédactions, et bientôt à l’AFP. Mais Françoise Dost le promet: «Ce n’est qu’un début». Préparez-vous à Huis clos sur le Net 2. Avec le droit d’utiliser vraiment Internet, cette fois?

Alice Antheaume

(1) Selon une récente étude de Nielsen, le temps passé sur les réseaux sociaux a augmenté de 82% entre décembre 2008 et 2009. Rien qu’en France, les internautes consacrent en moyenne 4h04 chaque mois à surfer sur ces réseaux.

Image du studio du huis clos par David Abiker

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