A cinq semaines de l’élection présidentielle américaine, c’était l’heure du premier des trois débats télévisés entre Mitt Romney, candidat républicain, et Barack Obama, candidat démocrate. Comment couvrir l’événement? Comment le raconter autrement que ses concurrents? Comment faire participer l’audience alors que la moitié des Américains utilisent désormais les réseaux sociaux? Panorama des innovations éditoriales mises en place à cette occasion.
Le live, c’est bien. Le «live-GIF», c’est mieux. Le Guardian et Tumblr ont ainsi décidé de s’associer pour produire, minute par minute, des GIFS animés tout au long des 90 minutes de débat. Gaffes, silences gênés, regards en coin, sourires email diamant… Chaque instant est ainsi mis en GIF et publié en temps réel sur GifWich et intégré au live du Guardian, qui maîtrise ce format à la perfection.
Aux platines, rien de moins que quatre créateurs de GIFS déjà zélés sur Tumblr, et un journaliste du Guardian, Adam Gabbat, pour contextualiser ces GIFS avec les informations de la soirée.
«Nous prenons très au sérieux le potentiel journalistique du GIF», résume Chris Mohney, le directeur éditorial de Tumblr, interrogé par le site journalism.co.uk. Il considère le «live-GIF» comme un nouveau moyen de décomposer l’action et le discours des politiques, et ce, en temps réel.
Autre nouveauté repérée dans le live du Guardian: la possibilité de créer des phrases chocs à partir des mots utilisés par les deux hommes politiques – rien que leurs mots.
Cela s’appelle Spin it! et se présente sous la forme suivante: en bas, une citation-clé de Barack Obama ou de Mitt Romney qui sert de «réserve» de mots et, au dessus, un espace vide dans lequel on peut juxtaposer des termes comme si on alignait des aimants sur un frigo virtuel.
«Pendant que vous regardez les débats entre Mitt Romney et Barack Obama, utilisez leurs propres termes pour construire quelque chose de complètement nouveau – ou juste une phrase plus succincte», peut-on lire dans les consignes de jeu.
Comme le GIF animé, la vidéo bénéficie d’un très fort taux de partage sur les réseaux sociaux. Ce que CNN a bien compris. Non content d’avoir lancé iReport en 2006 pour que les internautes alertent sur ce qu’il se passe près de chez eux, la chaîne américaine souhaite maintenant que ses spectateurs deviennent des «éditeurs de CNN» et «créent leurs propres vidéos virales» sur le débat.
«Bienvenue dans la télévision du futur », annonce la présentatrice, Brianna Keilar, qui renvoie sur le direct du débat, diffusé sur leur site, et le nouvel outil qui l’accompagne, une technologie appelée «clip and share». Objectif: que les spectateurs sélectionnent leur moment préféré, le coupent dans un logiciel de montage ultra simplifié et mettent ensuite en ligne leur vidéo ainsi découpée sur les réseaux sociaux.
Regarder la télévision, faire pause, retourner en arrière ou avancer, voir en même temps le flux de tweets, les photos sur Instagram, lire les articles des autres sites d’informations… Comment tout faire à la fois au moment des débats présidentiels? Le Washington Post a installé, depuis les conventions démocrates et républicaines, un format intitulé “The Grid”, qui permet de voir, sur une grille donc, sur toutes les plates-formes et «dans tous les temps» du débat, de l’instantané à l’analyse. Et, lors du débat qui s’est tenu à Denver, dans le Colorado, le résultat était plutôt bluffant, d’autant qu’on peut choisir si l’on souhaite ne voir que les vidéos, que les photos, que les articles, ou que les tweets, etc.
Cet article vous a plu? Merci de le partager sur Facebook et Twitter !
Alice Antheaume
lire le billetMort de Mouammar Kadhafi, G20 à Cannes, matchs de foot, débats politiques… Le «live», ce format éditorial qui permet de raconter en temps réel un événement en mixant textes, photos, vidéos, contenus issus des réseaux sociaux et interactions avec l’audience, est un appât à lecteurs. La preuve par (au moins) deux: 1. selon les estimations, il récolte minimum 30% du trafic général d’un site d’infos généralistes – un pourcentage qui peut augmenter très vite en fonction de paramètres décrits ci-dessous. 2. Le «live» est un facteur d’engagement de l’audience, les internautes restant plus longtemps, beaucoup plus longtemps, sur ce type de format.
>> Lire cet article en anglais >>
MISE A JOUR: Ce lundi 14 novembre, France Télévisions lance sa plate-forme d’informations en continu, disponible sur le Web et sur mobile (1). Le projet pousse la logique du «live» à son paroxysme. En effet, il repose sur un «live perpétuel» qui relate, de 6h du matin à minuit, l’ensemble des actualités du jour (la grève annoncée à Pôle Emploi, la nomination de Mario Monti, les derniers propos sur DSK, les otages libérés au Yémen, etc.) via vidéos, photos, textes… Le tout est réalisé par des «liveurs», c’est-à-dire des journalistes devenus des spécialistes du «live» numérique, qui répondent aux questions et réactions de l’audience sur l’actualité en temps réel.
Côté hiérarchie de l’info, la logique de ce «live permanent» est la suivante: si c’est une information secondaire, trois lignes suffisent, alors qu’une information essentielle fera l’objet de plusieurs entrées, voire plusieurs développements, dans et en dehors du «live» du jour.
Pour Nico Pitney, éditeur exécutif du the Huffington Post interrogé par le Nieman Lab, le «live» intéresse deux personnes sur trois. «Imaginons trois types de lecteurs», détaille-t-il. «Les premiers veulent les éléments-clés sur une information, une solide vue d’ensemble qui correspond à la lecture d’un article traditionnel. Cette catégorie n’est pas intéressée par le développement minute par minute ni par la couverture en “live”. La deuxième catégorie connaît déjà le résumé des informations mais veut aussi les éléments-clés et la couverture en “live”. Le troisième type de lecteurs – et nous considérons que c’est la majorité de nos utilisateurs – veut d’abord un aperçu de l’actu, mais une fois qu’ils ont vu le “live”, cela les plonge en profondeur dans l’histoire»…
Sous entendu, ils restent scotchés, pris dans les filets du «live», et de la promesse de ce format de leur délivrer les dernières informations disponibles sur l’événement «livé», au fur et à mesure que celui-ci se déroule.
Le live est la nouvelle télé
Pourquoi le «live» fascine-t-il tant, pour reprendre l’intitulé de l’un des ateliers organisés ce mardi aux Assises du journalisme à Poitiers (2)? En partie parce que ce dispositif permet aux utilisateurs de jouer un nouveau rôle, estiment la plupart des intervenants de cette conférence.
«Les internautes ont l’impression de faire l’info», explique l’une d’entre eux, Karine Broyer, rédactrice en chef Internet et nouveaux médias de France 24. «Lors des événements en Egypte, certains posaient dans le live une question pour notre envoyé spécial qui se trouvait alors Place Tahir au Caire, en l’interpellant par son prénom, Karim (Hakiki, ndlr)». Et, si la question était pertinente, Karim Hakiki leur répondait, donnant peut-être l’impression aux lecteurs d’avoir enfin leur mot à dire dans la construction de l’information…
«Lorsque ont eu lieu les débats télévisés des primaires socialistes, nous avons choisi de ne pas ouvrir de live sur le site – trop franco-français pour un média international comme France 24. Nous avons peut-être eu tort, je ne sais pas. Toujours est-il que nos utilisateurs nous ont hélés sur Twitter sur le mode “vous dormez ou quoi? Il faut vous mettre en live…”»
Typologie de réactions en live
«Les internautes sont acteurs», reprend Jonathan Parienté, journaliste de la cellule présidentielle du Monde.fr. Il note trois formes de commentaires lors des «lives»:
Alors que, par défaut sur lemonde.fr, aucun commentaire n’est publié dans un «live» avant validation par la rédaction, les règles du genre sont simples: le type de commentaire 1 est retenu si l’internaute développe un peu son jugement mais, pour être honnête, cela n’a pas d’intérêt journalistique. Le genre 2 constitue l’essentiel des réactions publiées dans les «lives» et sont utiles pour articuler le dispositif éditorial, en donnant une sensation visuelle de dialogue entre internautes et rédactions, lesquelles restent en position de magistère. Le genre 3, très rare, est très utile d’un point de vue journalistique, nécessite certes vérification avant publication mais renverse la vapeur (l’apport vient cette fois de l’extérieur de la rédaction).
Les ingrédients d’un «live» réussi? Cela tient avant tout à «l’intérêt de l’actualité», assure Karine Broyer. «98% des lives que nous lançons sont issus de breaking news», autrement dit traitant d’actualités non anticipées.
Les accélérateurs de «live»
Outre la force d’une actualité, il y a des facilitateurs de réussite:
Sur un outil comme Cover It Live, utilisé par la majorité des sites d’informations en France (La Nouvelle République, Le Monde, Libération, France 24, etc.), le live n’a qu’une URL unique. Des outils développés en interne, comme celui du Huffington Post, attribue une URL par «post» et augmente le taux de partage sur les réseaux sociaux, chaque utilisateur pouvant citer l’un des contenus du live, une photo, un décryptage, une citation, plutôt que de pointer sur un titre très général du type «vivez en direct tel événement».
A l’Ecole de journalisme de Sciences Po, la construction de «live» sur le Web fait partie de la formation des étudiants depuis septembre 2010, au même titre que l’apprentissage d’un reportage télévisuel, ou d’un flash radio. Car raconter en instantané ce qu’il se passe, en apportant du contexte aux informations, en les mettant en perspective, en répondant aux questions de l’audience sur le sujet, et en pratiquant le fact checking, cela demande de la rigueur. Et de l’endurance. Surtout lorsque le «live» dure des jours voire des semaines – celui de Reuters sur Fukushima, entre le 11 et le 26 mars, a duré 15 jours et comporte 298 pages.
Trop de lives tuent-ils le live?
Et après? Si tous les médias «livent» aux mêmes moments les mêmes informations, quel intérêt? «Je ne vais pas m’arrêter de faire du “live” parce que tout le monde le fait», tranche Karine Broyer. D’autant que, selon la matière dont on dispose, les sources, les liens qu’on y met, le ton et le tempo, aucun live ne ressemble à un autre, complète Jonathan Parienté. Pas d’inquiétude, donc, il y a de la place pour tous sur ce format encore expérimental: «la pluralité des lives est la même que la pluralité des médias», conclut Florence Panoussian, responsable des rédactions Web et mobiles de l’AFP.
(1) Bruno Patino, le directeur de la stratégie numérique de France Télévisions, est également directeur de l’Ecole de journalisme de Sciences Po, où je travaille.
(2) Atelier auquel j’ai participé en tant qu’animatrice. Merci à Bérénice Dubuc, Jean-Christophe Solon, Karine Broyer, Jonathan Parienté, et Florence Panoussian, pour ces échanges.
Alice Antheaume
lire le billet