Nouvelle année oblige, la période est aux prophéties. Voici ce qui pourrait compter dans les rédactions en 2016. Au programme: l’impact des contenus journalistiques, la vitesse de chargement, le poids des pages, la multi-publication sur les diverses plates-formes américaines, la vague américaine des pure-players, la vidéo et… les doutes.
C’est le nouveau mot-clé dans l’écosystème numérique. “Nous ne construisons pas Buzzfeed pour obtenir le plus de clics, de partages, ou de temps passé possible. Nous construisons Buzzfeed pour avoir un impact positif sur la façon dont les gens vivent”, écrit son président Jonah Peretti à la fin de l’année 2015.
Autant dire que le visiteur unique, ce mètre étalon qui comptabilise les individus ayant cliqué au moins une fois sur le contenu d’un site sur une durée d’un mois, a du plomb dans l’aile. C’est aussi vrai pour les contenus publicitaires, pour lesquels “les clics ne sont pas très utiles”, confirme Jay Lauf, le directeur de publication de Quartz, un pure-player dont j’ai déjà parlé ici. “Les marques cherchent d’autres moyens de mesurer leur impact”.
L’impact, c’est donc un mélange sophistiqué entre l’influence, la notion d’engagement des lecteurs, et la capacité, via l’écriture de contenus journalistiques, à susciter le changement dans la société. Pour l’instant, personne n’a encore trouvé comment le mesurer.
Vous pensiez le temps de la décélération arriver? Que nenni ! Qu’il s’agisse des AMP (accelerated mobile pages) de Google ou des “instant articles” de Facebook, le mot “vitesse” est partout.
“En tirant parti de notre technologie qui permet d’afficher très vite photos et vidéos dans l’application Facebook, les articles se chargent instantanément, 10 fois plus vite que sur le Web mobile”, vante Facebook à propos de ses “instant articles”, ces contenus produits par quelque 350 médias dans le monde, dont Le Parisien et Les Echos en France, identifiés par un petit éclair en haut à droite du titre, et intégrés directement sur le réseau social lorsqu’il est consulté depuis une application mobile.
Google est sur la même ligne: “à chaque fois qu’une page prend trop de temps à charger, on perd un lecteur”.
On estime à 5 secondes le temps maximum supporté pour le chargement d’une page avant que l’internaute perde patience et fuit. C’est peu. Autant dire que la vitesse à laquelle on accède à une information est plus que clé. C’est la condition sine qua non pour que les lecteurs s’informent en 2016.
Pour obtenir des pages en ligne qu’elles s’affichent vite, il faut qu’elles soient légères. Or le Web en général souffre d’une grave crise d’obésité.
Il y a trop d’éléments qui clignotent dans tous les sens, des lignes de code qui sont très gourmandes en bande passante, des photos qui pèsent des tonnes, sans oublier les publicités bien grassouillettes, dénonce Maciej Cegłowski, un ingénieur basé à San Francisco. “Vous avez bossé dur pour créer un beau site, optimisé pour être performant (…). Une fois cela fait, vos annonceurs vous mettent des merdes par dessus (…) dont l’objectif est de casser votre belle esthétique et d’accaparer l’attention du lecteur au détriment de ce pour quoi il était venu sur votre site”. Bientôt venu le temps du minimalisme numérique?
Fini le temps où l’on publiait ses contenus uniquement sur son site ou son application mobile. Désormais il faut “irradier” et s’incruster chez les autres.
Buzzfeed diffuse sur… 30 plates-formes extérieures à la sienne, martèle encore Jonah Peretti dans son mémo intitulé “a cross platform, global network”.
CNN produit des contenus exclusifs adaptés à des applications extérieures à la sienne, comme The List App, ou Snapchat, dont la partie informations, Snapchat Discover, a été lancée il y a un an. Promesse d’une “portée immense” auprès des jeunes, l’application mobile aux 100 millions d’utilisateurs actifs quotidiens suscite l’intérêt de multiples médias. En France, Le Monde a, a priori, remporté le pompon et est en ordre de bataille pour y publier des contenus toutes les 24h.
Sauf qu’à chaque plate-forme ses contenus, ses rythmes de publication, son écriture. Pas simple d’avoir des équipes compétentes pour chacune de ces plates-formes. Le Parisien, qui teste depuis quelques semaines les “instant articles” de Facebook, en revient. Pour l’instant, Guillaume Bournizien, directeur du marketing digital, s’est dit “déçu” lors de la conférence sur les nouvelles pratiques du journalisme organisée à Sciences Po, le 7 décembre 2015.
Dans la même optique, Libération a mis en place, lors des élections régionales de décembre 2015, un live d’un nouveau genre sur WhatsApp, l’une des applications de messagerie instantanée les plus populaires au monde avec 900 millions d’utilisateurs actifs chaque mois. Il s’agit d’informer sur téléphone des lecteurs “sans passer par notre application mobile ou par les réseaux sociaux traditionnels”, explique l’équipe après coup.
The Guardian s’est aussi essayé à WhatsApp en couvrant sur l’application le débat télévisuel des candidats républicains, avec l’inénarrable Donad Trump, aux Etats-Unis en décembre dernier.
Objectif: toucher des audiences qui ne sont pas dans les radars habituels des médias en allant les chercher là où elles se trouvent déjà.
Après le lancement en France de Le Huffington Post en 2012, puis Buzzfeed en 2013, d’autres médias nés aux Etats-Unis viennent s’implanter dans l’hexagone, avec des lancements prévus en 2016.
Une vraie vague américaine, dans un pays dont le nombre de pures players par habitant est plus élévé qu’ailleurs, et alors que l’un des premiers pure player français, Rue89, est englouti par sa maison mère, L’Obs. C’est le cas du Huffington Post, de Buzzfeed, de Mashable, de Business Insider et d’autres encore.
Tous, conscients du désavantage d’avoir des noms imprononçables par la majorité des Français, ont fait le choix de s’associer avec des médias déjà implantés dans l’hexagone : Le Huffington Post, avec Le Monde, Mashable, rattaché au pavillon de la chaîne internationale France 24, et Business Insider sous la houlette du groupe Prisma.
Marie-Catherine Beuth, ex-Le Figaro, va coordonner le lancement de ce pure player sur le marché français. “Business Insider, c’est un gros site aux Etats-Unis qui couvre l’actualité économique, les nouvelles technologies et la politique”, explique-t-elle au micro de l’émission L’Atelier des médias sur RFI. “ Titres malins, photos accrocheuses… L’idée, c’est d’informer de façon pertinente et efficace les nouveaux consommateurs d’informations”, ces fameux «millennials» qui délaissent les médias traditionnels, et que les annonceurs veulent à tout prix toucher.
Ce n’est pas vraiment nouveau mais, en 2016, les médias traditionnels comptent mettre le turbo sur la vidéo. Au Monde, à BFM TV, à l’AFP, tout le monde veut produire des vidéos, toujours plus de vidéos en ligne. Même pour ceux dont l’image n’est pas le premier métier.
“La radio filmée n’est pas l’avenir de la radio, mais la vidéo, oui”, glisse Fabien Namias, le directeur général d’Europe 1. A Buzzfeed, 1 milliard de vidéos vues par mois, ils produisent mêmes des séries, disponibles sur l’Itunes Store. Le format vidéo est plein de promesses: facilement monétisable – quoique parfois bloqué, il peut aussi être très partagé sur les réseaux sociaux.
Reste une équation pas si facile à résoudre sur la vidéo: quels formats définir? Qu’est-ce qui marche en ligne et sur mobile? Entre les partisans des vidéos sans le son, qui peuvent se regarder sans écouteur, ceux qui pronent le format vertical, et ceux qui veulent des vidéos animées pour Snapchat, une foule de possibilités s’offre aux médias, à la fois pour raconter l’actualité chaude, et pour proposer des rendez-vous décalés.
Est-ce un symptôme ou une conséquence des attentats qui ont touché la France en 2015? Alors que les journalistes ont travaillé parfois comme des automates pendant des semaines, ils ont fait face à une multiplication des théories du complot en ligne, des photos montées, ou, pire, de faux témoignages sincères. Des témoins, réellement paniqués, racontent n’importe quoi, dans les rues et sur les réseaux sociaux, croyant vraiment avoir entendu ci, vu ça. Il n’en est rien. Mais en ligne, climat de psychose oblige, la rumeur est comme la panique: irrationnelle.
Les journalistes français s’en souviendront: il leur faut aussi vérifier la véracité des paroles de tous ceux qui, ébranlés comme jamais, ont été traumatisés par ces drames.
Excellente année 2016 à tous !
Alice Antheaume
lire le billetL’immobilier, les régimes, la franc-maçonnerie font partie des marronniers les plus connus de la presse magazine. En ligne, un autre serpent de mer revient de façon cyclique: les blogs, et plus exactement, l’annonce de leur mort. Ces espaces d’expression personnels, popularisés dès 1999 avec Blogger, seraient condamnés aux oubliettes par la grande faucheuse du Net. Pourtant, on dénombre, en France, plus de 15 millions de blogs, et, aux Etats-Unis, près de 329 millions de personnes qui en consultent un au moins une fois par mois. Sans compter toutes les formes dérivées du blog, dont Twitter et Tumblr, qui font florès… Alors que Yahoo! s’appête à racheter Tumblr, une plate-forme à mi-chemin entre le blog et le réseau social, leur disparition n’est pas à l’ordre du jour. Mais, dans un futur proche, quel sort leur est-il réservé? Quel format et quels contenus va-t-on y voir? Quelle utilité les médias qui les hébergent y trouvent-ils encore?
Il y aura à l’avenir deux catégories de lecteurs de blogs, présume Mars Dorian, un consultant américain. D’une part, les lecteurs d’extraits, qui aiment les contenus minimalistes, écrits aussi vite qu’on en parle, pour une consommation de type fast-food dont la richesse nutritionnelle n’est pas avérée, et d’autre part, les lecteurs de dissertations, friands de contenus à haute valeur ajoutée et atemporels, de quasi e-books, qui pourraient devenir des contenus payants, proposés entre 99 centimes et 2 dollars la pièce.
Et pour explorer des nouveaux territoires, le blog devrait être le laboratoire de nouvelles expériences d’écriture, comme celle-ci. Le comédien et écrivain Baratunde Thurston, également collaborateur du site parodique The Onion, a écrit des chapitres de son livre «How to be black» en se prêtant à ce qu’il appelle du «live-writing». En ligne, il a partagé son écran (via l’outil join.me) avec ses lecteurs et a écrit sous leurs yeux, ratures comprises. Un rendez-vous inédit qui a le mérite de repousser les limites du «live» – mais qui nécessite une bonne dose de confiance en soi de la part de l’auteur. Baratunde Thurston a précisé qu’il ne cherchait pas à interagir avec l’audience sur ce qu’il devait écrire ou non, mais plutôt à créer une nouvelle expérience qui le forcerait à terminer son ouvrage.
Le blog «Media Decoder», alimenté par des journalistes du New York Times, a officiellement fermé ses portes le 26 avril 2013. Les contenus qu’on pouvait y lire sont désormais disponibles dans la section médias du nytimes.com.
Pourquoi ce rapatriement? 1. Une raison technique d’abord: le New York Times a un nouveau CMS, baptisé «scoop», dont la promesse est d’être aussi souple et simple que l’interface d’un blog 2. Une raison éditoriale ensuite: parfois, la même information a été traitée à la fois sur le blog et sur le site du média hébergeur, ce qui provoque des doublons et nuit au référencement des contenus en ligne. Selon Bruce Headlam, l’éditeur de la rubrique médias du New York Times, le problème est la «découvrabilité» des contenus sur le nytimes.com, un site immense sur lequel «trouver du matériel peut être ardu», surtout lorsqu’il y a «parfois deux versions de la même histoire, ce qui est source de confusion pour nos lecteurs (et pour les moteurs de recherche)».
Intégrer un blog au coeur du site qui l’héberge est possible lorsque le blogueur est un journaliste de la maison – car on ne donne pas accès au système de publication à des collaborateurs extérieurs -, lorsque le système de publication en question est refait de fond en comble pour proposer les mêmes fonctionnalités qu’un blog ou un micro-blog, et lorsque le blog couvre des sujets liés à l’actualité.
Sur lemonde.fr, les blogs les plus suivis sont Big Browser, un lieu de veille du Web géré de façon tournante par les membres de la rédaction, le blog du dessinateur Martin Vidberg, celui de l’éditorialiste Françoise Fressoz, et Passeur de sciences, écrit par un journaliste scientifique, Pierre Barthélémy. Volontiers en dehors de l’actualité, Passeur de sciences traite ici de la capture d’un astéroïde, là de la médecine regénératrice. Ce dernier permet au Monde.fr d’élargir son offre éditoriale à une thématique s’inscrivant dans une temporalité plus longue.
Même constat du côté de France TV Info: «avoir des blogs invités sert à donner la parole à des experts et à traiter des sujets au “long cours”», détaille Thibaud Vuitton, rédacteur en chef adjoint. «C’est particulièrement efficace quand le blog fédère une communauté et ce n’est pas un hasard si les cartons d’audiences sont les blogs de L’instit ou Mauvaise mère, des espaces identifiés, où de vraies communautés ont été fidélisées».
Enfin, l’utilité cachée des blogs dans une rédaction, c’est de faire prendre le virage du numérique aux journalistes traditionnels. «Quand ils tiennent un blog, ils font ainsi l’apprentissage du Web et de ses réflexes de manière très concrète. Ils voient leurs statistiques, comprennent qui clique sur quoi et quand, et observent les commentaires qu’ils récoltent», m’explique Nabil Wakim, rédacteur en chef du Monde.fr. Cette interaction, vécue in vivo, est plus efficace qu’un long discours.
Twitter permet de faire du micro-blogging, Tumblr de mettre en scène images et GIFS animés, WordPress des plus longs formats. Chaque plate-forme peut donc servir une ligne éditoriale. Bloguer sur WordPress sert à développer une idée en plus de 140 signes, estime Matt Mullenweg, de WordPress, où un post compte en moyenne 280 mots.
Avant, sur un blog hébergé par un média, on écrivait un billet, on le publiait, on envoyait le lien pour relecture à la rédaction, et on attendait que celle-ci le «remonte» sur sa page d’accueil pour obtenir des commentaires de l’audience. Désormais, la remontée d’un blog sur la page d’accueil du média hébergeur n’est plus une condition pour que l’audience y accède. Ce qui compte, c’est le référencement du blog dans les moteurs de recherche et sa recommandation sur les réseaux sociaux. «L’essentiel du trafic de mon blog provient de Facebook», m’informe Emmanuelle Defaud, journaliste et auteure de Mauvaise mère. Quant à ce blog, WIP, il obtient plus de 20% de son trafic via les réseaux sociaux et 50% via le référencement dans Google.
Pour Simone Smith, directrice du marketing de HubPages, c’est la preuve de la faiblesse du format blog, ringard parce que supplanté par les réseaux sociaux, plus puissants, plus actuels, et mieux référencés. Lors d’un discours de quinze minutes au festival South by South West 2013, cette dernière a tenté de prouver que le blog n’est rien sans béquille. «Qui blogue dans cette salle?», a-t-elle demandé. Les trois quarts des personnes présentes ont levé le doigt. «Qui ne publie que sur son blog et pas sur des réseaux sociaux?». Aucun doigt ne s’est levé.
Loin des carcans de leur média, les journalistes trouvent sur les blogs une liberté éditoriale plus grande. Leur écriture y est souvent emplie de verve, d’humeur, voire d’humour; le ton est plus éditorialisant sinon partial; les formats utilisés plus variés, et les angles aussi. «Il y a un plaisir à raconter des histoires, à communiquer avec des personnes qui ont les mêmes centres d’intérêt, à donner son avis quand personne ne me le demande et à exister, au-delà de ma famille et de mon travail», me confie Emmanuelle Defaud, du blog Mauvaise Mère. Bloguer ou micro-bloguer permet un «regard personnel», note encore Thibaud Vuitton, de France TV Info, et «une écriture différente de l’écriture journalistique»…
Etes-vous consommateur de blogs? Aimeriez-vous y voir des expériences de live-writing?
Alice Antheaume
lire le billet«Nous avons un job de rêve, nous regardons des vidéos en ligne toute la journée», s’amuse à dire l’équipe qui gère les contenus de Dailymotion. En réalité, leur travail n’est pas que divertissant: il leur faut capter en quelques secondes ce que les vidéos valent – en termes de buzz, d’infos, ou de créativité; recruter des «partenaires» qui peuvent fournir des contenus de qualité; dégoter des exclusivités; et coller à l’actualité en vidéo.
Juridiquement, Dailymotion (9,7 millions de visiteurs uniques en France selon Nielsen, 65 millions de VU dans le monde) reste hébergeur de vidéos. C’est-à-dire que, d’après la LCEN (loi pour la confiance en l’économie numérique), il n’est pas responsable a priori des vidéos mises en ligne par les internautes, mais qu’il doit retirer une vidéo si une instance juridique l’ordonne. «Nous assumons ce double statut d’hébergeur et d’éditeur, assure Martin Rogard, le directeur général de Dailymotion. Nous avons besoin d’être hébergeur pour accueillir toutes les vidéos qui proviennent des “user generated content” (les internautes qui produisent du contenu, ndlr) et nous avons besoin d’être éditeur pour inventer un nouveau métier, celui qui occupe l’équipe éditoriale toute la journée».
Pour comprendre leur fonctionnement, je suis allée en «stage d’observation» dans les locaux de la plate-forme française de partage de vidéos, installée dans le 18e arrondissement de Paris.
Crédit: DR
Plus de développeurs que d’éditeurs
A l’entrée, sous des parasols (!), l’équipe technique, présente en force – plus de la moitié des 110 salariés. Plus loin, une quinzaine de personnes se concentre sur la partie contenus, répartis sur 17 chaînes (actu et politique, sport, musique, cinéma, jeux vidéo, art et création, high-tech et science, etc.).
«Ici, il n’y a aucune carte de presse», me prévient Antoine Nazaret, responsable des chaînes «news» et «sport». Et le président de Dailymotion, Cédric Tournay, y tient: pas question pour lui d’en recruter pour l’instant.
Pourtant, il se tient, deux fois par semaine, une réunion où les éditeurs de vidéos «vendent» à leur rédacteur en chef, Marc Eychenne, des vidéos, ici d’une petite phrase d’un politique, là d’un concert en live depuis un festival de musique. La réunion, plutôt calme, se révèle être un mélange entre conférence de rédaction où l’on débat des sujets d’actualité, et réunion de programmation, où l’on place sur un calendrier hebdomadaire les vidéos prévues (Nicolas Sarkozy en visite sur le Tour de France, le dernier conseil des ministres avant l’été, le nouveau clip d’Orelsan, etc.) pour les «monter» sur la page d’accueil ou en catégorie «vidéo star», VS dans le jargon dailymotionien.
Programmation et édition
L’impact de la mise sur la home page d’une vidéo? Entre 1.000 et 20.000 vus supplémentaires. Néanmoins, seulement 3% de l’audience de Dailymotion passe par la page d’accueil, quand plus de 50% du trafic se fait sur une «page player», c’est-à-dire une page sur laquelle se trouve une seule vidéo. En général, «80% de l’audience d’une vidéo se fait sur ses deux premiers jours de vie», détaille Marc Echeynne. Certains contributeurs pressent Dailymotion de mettre en avant leur vidéo. «Nous en avons même eu qui nous ont proposé 500 euros en cash», s’esclaffe l’équipe. Qui a retoqué l’offre.
Autre spécificité de cette plate-forme: la réactivation de vieilles vidéos en fonction de l’actu. Lorsque Brice Hortefeux veut faire appel de sa condamnation pour «injure raciale», l’effet est immédiat: la vidéo publiée par lemonde.fr en septembre 2009, est revisionnée en masse.
Dépendance aux autres
L’équipe vit l’actualité comme une rédaction Web mais ne produit pas directement des informations. «Nous ne sommes pas dépendants de l’actualité, nous sommes dépendants de ce que nos partenaires nous fournissent», reprend Antoine Nazaret, qui voit arriver dans la rubrique «news» entre 400 et 500 vidéos par jour. En cas de grosse actu, Dailymotion peut même suggérer à ses partenaires médias de produire telle ou telle vidéo. Cela a été le cas pour l’affaire Bettencourt/Woerth. Dailymotion a proposé à Médiapart de faire un édito sur le sujet en vidéo. Au final, Mediapart a réalisé une séquence où s’enchaînent les temps forts de l’affaire. Accro aux alertes et au urgents bombardés par les médias, Antoine Nazaret confie être «connecté tout le temps», y compris les week-ends et en… vacances. «Quand je suis en rendez-vous à l’extérieur, je vérifie sur mon Blackberry qu’il n’y a pas une urgence».
Lorsque Bernard Giraudeau meurt, un samedi en plein pic d’audience («nos primes times ont lieu les soirs et les week-ends»), l’équipe se désole de n’avoir pas préparé une «page hub» sur cet acteur, sur laquelle les internautes auraient trouvé huit de ses vidéos phares. Une page qui ferait office de nécrologie. Ni une ni deux, l’équipe décide de mettre à profit l’été pour mettre en place des «pages hub» sur plusieurs personnalités que l’on dit proche de la fin. Comme dans les rédactions, où les journalistes écrivent des portraits de ceux qui risquent de défaillir dans les prochains mois, pour ne pas être pris au dépourvu.
Organisation hors pair
En réalité, ce qui m’a le plus bluffée à Dailymotion, c’est leur quasi psychose de perdre une idée. «Toute idée à un numéro de ticket», m’explique Giuseppe de Martino, le directeur juridique (1). En clair, chaque salarié, qu’il soit apprenti ou dirigeant, inscrit dans Jira, un outil en ligne et partagé par toute la société, son idée pour améliorer le site. Il remplit un champ titre, une catégorie, définit l’idée et l’attribue à un ou des salariés étant capables de la mener à bien.
Certaines idées prennent deux minutes à être réalisées, d’autres, subdivisées en sous-tâches, nécessitent des semaines de travail. Quand l’idée voit le jour, le numéro de ticket apparaît barré sur le tableau de bord des salariés.
L’autre obsession de Dailymotion? Faire mieux, ou du moins différent, de YouTube, son concurrent américain, qui appartient à Google. En réunion, le mot a été prononcé des dizaines de fois: «Nous sommes en train de recruter la rappeuse Amandine. Cela tombe bien, elle se plaint de YouTube», dit l’un. «La home page de Dailymotion doit être construite de façon différente de celle de YouTube, dont les flux sont automatisés», ajoute un autre.
Déontologie
A force d’éditer la page d’accueil, surviennent des questions quasi déontologiques. Marc Eychenne se souvient qu’un membre du collectif Kourtrajmé a proposé, en octobre 2008, une séquence filmée lors de violences policières à Montfermeil. «Est-ce qu’il fallait montrer des images brutes comme cela sur notre page d’accueil, sans expliquer le contexte? Finalement, sans avoir l’histoire en détails, nous avons trouvé cela trop délicat.» L’internaute a alors proposé sa vidéo à Rue89, qui l’a contextualisée avec un article, avant de la poster sur Dailymotion, avec un lien dans la description de la vidéo menant à l’article explicatif en question.
De même, l’équipe assure veiller à ce que les plagiats de vidéos ne soient pas légion. «Nous respectons les scoops de chaque média, et les productions de chacun», et ce, même si certains sites se font une spécialité de reprendre les contenus des autres, en ajoutant leur logo par dessus, avant de les poster sur Dailymotion. «Nous prenons dans ce cas la vidéo d’origine, rassure Antoine Nazaret. Et au besoin, nous la faisons démarrer au moment de la phrase-clé grâce à un outil spécial.» Hébergeur et éditeur, donc.
Saviez-vous que la page d’accueil de Dailymotion était éditée ainsi? Et qu’y travaille une équipe éditoriale ad hoc? Qu’en pensez-vous?
Alice Antheaume
(1) Giuseppe de Martino rédige des chroniques sur Slate.fr.