Web Summit 2014: l’Irlande, les robots et la réalité virtuelle sont dans la place

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Si vous n’étiez pas au Web Summit, la conférence sur les nouvelles technologies qui s’est tenue à Dublin, en Irlande, du 4 au 6 novembre 2014, voici un rattrapage en 7 points et autant de tendances en vigueur dans la sphère numérique.

L’Irlande est dans la place

Signe du dynamisme de la place irlandaise dans le monde numérique, le Web Summit, créé il y a quatre ans par Paddy Cosgrave, un trentenaire irlandais, a réuni 22.000 participants, 614 speakers et 1.324 journalistes à Dublin. Autant dire une foule impressionnante. Oubliez la Silicon Valley, regardez l’Irlande, clament les entrepreneurs présents au Web Summit.

“Il n’y a pas de pays plus favorable aux entreprises en Europe”, prétend le premier ministre irlandais Enda Kenny, en s’offrant le luxe de sonner la cloche à l’ouverture du Nasdaq à New York. C’est aussi en Irlande que se situent les plus importants bureaux en Europe de Google et Facebook, qui révèle vouloir passer de 500 à 1.000 employés à Dublin.

La politique du “double irish”, cette technique d’optimisation fiscale qui permet à des entreprises d’échapper au fisc europeén en profitant d’une dérogation, n’y est pas pour rien. Même si le gouvernement irlandais a présenté un projet de loi qui veut y mettre un terme, Twitter, qui emploie 200 personnes à Dublin, assure que cela ne remet pas en question ses projets d’expansion en Irlande. Les panélistes du Web Summit l’ont martelé: le dynamisme irlandais en matière de numérique n’est pas qu’affaire de fiscalité, c’est aussi une question de talents.

Le pari de la réalité virtuelle

Quelle sera la prochaine grande révolution numérique? Bien malin qui peut le savoir. Brendan Iribe, le patron d’Oculus Rift, la société rachetée 2 milliards de dollars par Facebook en mars, parie sur la réalité virtuelle pour métamorphoser la façon dont on communique. “La plupart des gens voyagent, prennent l’avion ou la voiture, pour rencontrer leurs interlocuteurs. Imaginez que l’on puisse, dans le futur, mettre des lunettes de soleil pour rencontrer les gens en ayant l’impression d’être dans la même pièce, en pouvant regarder de près leurs yeux, voir bouger leur bouche, cela aurait un énorme impact” sur nos vies à long terme.

En attendant, le casque de réalité virtuelle d’Oculus, qui a fait l’événement à Austin, lors du festival South by South West, sera commercialisé dans quelques mois, sans que Brendan Iribe ne donne de date précise. “Nous sommes très impatients. Nous sommes très très près du but. C’est une histoire de mois, pas d’année. Mais de plusieurs mois quand même”.

Les stars hackent la scène

Eva Longoria, Lily Cole, Bono… Ils ont tous défilé au Web Summit. A qui profite leur venue? A la conférence d’abord qui voit son influence et son rayonnement démultipliés lorsque ces célébrités promeuvent l’événement – l’intervention d’Eva Longoria est celle qui a recueilli le plus de tweets (plus de 3.000) à l’occasion du Web Summit, loin devant celle de Tony Fadell, le président de Nest, cette entreprise de thermostats intelligents rachetée par Google 3,2 milliards de dollars (2,5 milliards d’euros) en janvier. Pour ces stars, c’est une formidable opportunité aussi. Car elles investissent désormais dans des projets numériques et/ou des fondations. Or accéder au Web Summit à un public d’investisseurs de cette trempe peut leur permettre de lever des fonds.

L’ombre de Steve Jobs

Steve Jobs est mort il y a trois ans, et pourtant, son nom a été cité par pas moins de trois intervenants du Web Summit. D’abord par John Sculley, ex-patron d’Apple, responsable de l’éviction de Jobs en 1985 avant que ce dernier ne revienne en fanfare en 1997. Sculley est «célèbre par association», remarque Techcrunch, et «c’est une étrange dynamique».

«Tout le monde veut savoir comment était Steve Jobs, et dans quelle mesure Sculley l’a poussé au départ. 30 ans après, nous voulons toujours en parler, disséquer les tenants et les aboutissants de la situation d’alors, en demandant à Sculley ce qu’il s’est passé.» On ne saura rien ou si peu des activités de Sculley en dehors d’Apple, qu’il a quitté en 1993.

Le patron de Dropbox, Drew Houston, qui n’a rencontré Steve Jobs qu’une fois en 2009, a aussi été interrogé sur la personnalité du gourou d’Apple. Même chose lorsque le chanteur Bono est arrivé au Web Summit, lui qui s’est autrefois ému auprès de Steve Jobs du look immonde d’iTunes, indigne d’un esthète du design comme il l’a été. Autant d’occurrences qui prouvent que l’ex-patron d’Apple garde une influence remarquable sur le monde de la technologie, même en 2014, même si, parmi d’autres figures titulaires ont été mentionnées lors des interventions du Web Summit, notamment Larry Page, de Google, et Mark Zuckerberg, de Facebook.

John Collison, la jeune pousse

A la conférence DLD 2014 à Munich, en Allemagne, était apparu, célébré comme un prodige, Nick d’Aloisio, 18 ans, venu présenter son bébé, l’application News Digest.

Au Web Summit, au rayon jeunes pousses prometteuses et déjà riches, figure John Collison, un Irlandais de 24 ans qui a co-fondé Stripe, une start-up de paiement en ligne basée à San Francisco et estimée à… 1,5 milliard d’euros. Sur la grande scène, le jeune homme aux visage encore joufflu, en chemise jean brut et chausses bateaux, rappelle qu’aujourd’hui “la plupart de nos achats s’effectuent hors ligne mais cela va s’inverser au profit des paiements en ligne, un marché immense”. Stripe teste un bouton “buy now” sur Twitter. Quant à l’Apple Pay, c’est aussi signé Stripe.

“Plus l’interface pour payer est simple, et intégrée, plus vous allez acheter des choses en ligne”, prévoit John Collison, plus à l’aise pour parler de sa société que de lui-même. “Quel genre de parents vous laissent lancer votre start-up alors que vous n’aviez pas fini vos études?”, interroge le journaliste David Rowan, de Wired, après avoir présenté Collison comme une “icône”. “C’est vrai que j’ai un parcours peu commun. Mes parents ont tous les deux lancé leur business, et comme on était à la campagne, l’Internet était très lent, ils ont donc pris une connexion par satellite”, répond John Collison qui, à l’époque, était en train d’apprendre la programmation informatique.

Les assistants robots

Autre star remarquée du Web Summit, Nao, un robot de 58 centimètre. Il a beau avoir été créé en 2006, il a fait une sortie remarquée à Dublin, à la fois sur la grande scène, et sur le stand, où se sont agglutinées les équipes de télévision, dont Médias Le Mag et CNN International.

“Il peut parler, danser – il fait partie d’une chorégraphie de Blanca Li, ndlr -, éviter les objets, sentir quand vous le touchez sur ses capteurs, et vous aider à apprendre”, m’explique Laura Bokobza, la directrice marketing d’Aldebaran, la société française qui a, cocorico, conçu cet humanoïde pour qu’il “accompagne des élèves dans leur apprentissage”, par exemple lors de cours dans des universités. Il peut même tweeter.

Nao, alias Jean-Mi, participe chaque semaine à l’émission Salut les Terriens avec Thierry Ardisson. Profitant du boom des robots de l’information, va-t-il remplacer les journalistes? Non, répond Laura Bokobza: “il n’est pas là pour remplacer les gens mais les assister”.

D’ailleurs, il a besoin de la programmation d’un technicien ad hoc avant de pouvoir réagir à ce qu’il se passe. Le temps réel de l’information est une donnée qui lui est difficile, pour ne pas dire impossible, à intégrer pour le moment.

A noter: il n’est pas encore à vendre pour les particuliers, même si Laura Bokobza pense qu’il pourrait être bientôt commercialisé au prix de 4.500 euros avec un an de maintenance garantie.

Streaming toute

Le futur est au streaming, pas au téléchargement. La preuve, le succès de Spotify, une start-up suédoise créée en 2008, avec 12,5 millions d’abonnés payants, dont les revenus titillent ceux diTunes au dernier trimestre en Europe. Une étape importante pour l’avancée streaming, se félicite Willart Ahdritz, de la société Kobalt. Pas de surprise, puisqu’en 2012, Sean Parker le fondateur de Napster a prédit que les revenus de Spotify dépasseraient ceux d’iTunes d’ici deux ans, rappelle The Independent.

L’expansion de Netflix en Europe va dans le même sens même si aucun chiffre officiel n’a été communiqué depuis son arrivée en France.

Transports numérisés

 

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Comment embarquer la technologie à bord des moyens de transport? C’est l’une des questions sur laquelle planchent de nombreuses marques, de Google avec ses voitures connectées à Audi qui prévoit un tableau de bord incluant Google Earth et Google Maps ainsi qu’une sorte de Siri permettant aux conducteurs de garder les mains sur le volant et les yeux sur la route tout en dictant leurs SMS à voix haute – un système qui ne serait pas sans danger, selon cette étude réalisée par l’Université d’Utah.

Aer Lingus, la compagnie aérienne irlandaise, a même installé sa nouvelle classe affaires avec écrans HD au milieu des stands dédiés aux start-up du Web Summit. C’est pourtant bien moins impressionnant que l’avion sans hublot que propose le Centre for Process Innovation (CPI), et dont la vidéo de démonstration a beaucoup circulé en ligne ces dernières semaines. Dans 10 ans, l’habitacle de la cabine serait alors recouvert intégralement d’écrans sur lesquels les voyageurs pourront voir des films, une vue panoramique du ciel, consulter leurs emails ou surfer sur Internet.

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Alice Antheaume

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Dans la boule de cristal du journalisme en 2014

Crédit: Flickr/CC/coniferconifer

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Nouvelle année oblige, la période est aux prophéties. Voici ce qui pourrait advenir et compter dans les rédactions en 2014. Au programme: déprimer, trouver la sortie, vivre avec le «brand content», cohabiter avec les algorithmes, voir la Social TV s’améliorer, et le journalisme de contexte émerger.

Déprimer

Rue89 en grève pour obtenir des garanties sur son avenir, 20 Minutes en grève pour protester contre un plan social supprimant son service photo, plan de 71 départs volontaires (sur 470) à L’Equipe, motion de défiance contre le directoire à Courrier International, perte nette de 2 millions d’euros au Monde, Libération en crise gravissime… Lors du seul mois de décembre 2013, les nouvelles émanant des rédactions françaises sont funestes. Malheureusement, dans un contexte où les modèles de la presse traditionnelle se morcellent, il n’y a hélas guère d’espoir que le moral ne remonte en 2014. Sauf à sauter sur les options ci-dessous.

Chercher de nouveaux leviers économiques

Renouveler le(s) modèle(s) économique(s) de l’information est devenu, sinon une priorité, une nécessité. Outre les paywalls, dont j’ai déjà parlé ici, outre la réduction du taux de TVA pour les éditeurs en ligne, l’idée de solliciter directement les lecteurs pour financer le journalisme se répand de plus en plus. Aux Etats-Unis, Jessica E. Lessin, ex-journaliste au Wall Street Journal, a fondé en 2013 The Information, avec un modèle unique: l’abonnement payant qui «attend beaucoup de ses lecteurs», note Mathew Ingram, de GigaOm. Il coûte 399 dollars par an ou 39 dollars par mois, «ce qui est plus cher que le tarif d’entrée d’un abonnement au Wall Street Journal».

Dans le même esprit, le crowdfunding fait rage sur des plates-formes comme Kickstarter – sur lequel on dénombre plus de 870 projets journalistiques faisant appel à la générosité des curieux, ou Kisskissbankbank qui a une section réservée au journalisme.

Trouver une porte de sortie

Katie Couric, la présentatrice de ABC dont l’émission quotidienne ne sera pas reconduite, a été embauchée pour être la présentatrice internationale («global anchor») de Yahoo! David Pogue, le journaliste spécialiste des nouvelles technologies du New York Times pendant treize ans, rejoint lui aussi l’entreprise dirigée par Marissa Mayer.

C’est la grande reconversion pour les journalistes, peut-on lire sur Medium.com, la plate-forme créée par Evan Williams, le fondateur de Twitter. «Les journalistes ont commencé à déménager avec leurs compétences en storytelling dans le monde de l’entreprise, et particulièrement les entreprises des nouvelles technologies». Et si ce phénomène était promis à durer?

Vivre avec le «brand content»

Le «brand content», ce contenu de marque qui s’insère dans des formats éditoriaux en ligne, n’est plus un gros mot. Il peut prendre la forme d’une série de vidéos pour un opérateur téléphonique, d’une interview d’un expert sur les factures d’électricité pour EDF, ou d’une liste de conseils pour passer une soirée inoubliable pour une marque de vodka. Ces contenus, qui véhiculent des «valeurs» dans laquelle se reconnaît cette marque plutôt qu’ils ne font l’apologie de celle-ci, peuvent ainsi être likés, retweetés ou reblogués – alors qu’une bannière n’est jamais partagée sur un réseau social. Lexpress.fr, Lequipe.fr, 20minutes.fr, leparisien.fr europe1.fr, Le Huffington Post, en hébergent déjà, d’autres rédactions vont suivre en 2014.

Si ces nouveaux espaces publicitaires prennent le pas sur les bannières, c’est qu’ils rapportent beaucoup plus – jusqu’à 250.000 dollars pour une campagne sur Buzzfeed comprenant une dizaine de contenus. Du point de vue éditorial, que les médias prennent une partie du rôle des agences de pub ne va pas sans poser de questions éthiques. Le New York Times s’est fendu d’une note sur le sujet, précisant que ces publicités seraient distinguées des contenus journalistiques par une bordure bleue, un logo de l’annonceur, et une police d’écriture différente, ainsi que la mention «paid post» spécifiant que le contenu a été payé. Plus important encore, les contenus des annonceurs seront créés par l’équipe commerciale, et non par la rédaction, martèle le directeur de publication Arthur Sulzberger Jr.

Même règle à Buzzfeed: à New York, la rédaction ne produit pas les contenus de marques. Ceux-ci sont réalisés par l’équipe créative, qui travaille de l’autre côté du plateau, sur les mêmes formats éditoriaux.

Cohabiter avec les algorithmes

A quand un Netflix pour l’information? Cette question a été posée par Ken Doctor, l’auteur du livre Newsonomics. Cela supposerait d’avoir des algorithmes capables d’indiquer ce que les gens veulent savoir et comment ils s’informent et de… financer la production . Car tout le fonctionnement de Netflix, la plate-forme qui a financé la série House of Cards, repose sur la puissance de ses algorithmes, capables d’analyser avec précision ce que ses utilisateurs aiment regarder et comment ils le visualisent. Plus de la moitié d’entre eux finissent ainsi une saison d’une série télévisée (jusqu’à 22 épisodes) en une semaine, autant dire que le visionnage intensif est installé dans les chaumières.

Crédit: Sony Pictures Television

Crédit: Sony Pictures Television

Dans ce cadre, les robots aident à calibrer la production journalistique. Ils peuvent aussi aider à éditer un journal comme The Long Good Read, une expérience menée par le Guardian dont l’objectif est de réussir «à presser quelques boutons pour imprimer un journal» dont le contenu a du sens pour les lecteurs. Le principe? Un algorithme maison, baptisé Ophan, pioche dans les articles les plus vus, les mots clés cherchés par les lecteurs du Guardian et une somme d’autres critères pour sélectionner les contenus à imprimer.

Voir la Social TV s’améliorer

26 millions de Français ont un compte Facebook, environ 2,6 millions ont un compte actif sur Twitter – pour 85 millions de tweets échangés au cours de 2013 – selon Seevibes. Commenter les programmes télévisés sur les réseaux sociaux est désormais entré dans les moeurs. Pourtant,  jusque là, les expériences de second écran sont faibles, regrette KC Estenson, de CNN, lors de la conférence Le Web à Paris, en décembre 2013. «Ce sont des tentatives rudimentaires de mettre un peu de conversation à la télévision».

Si le lien entre nombre de commentaires sur les réseaux sociaux et nombre de téléspectateurs n’est pas encore prouvé, les tentatives d’animation éditoriale peuvent booster les réactions en ligne et redéfinissent la programmation traditionnelle de la télévision.

Trois exemples augurent de progrès à venir:

  • Le dispositif autour de la série Scandal 

Lors de la diffusion de la série Scandal, aux Etats-Unis, l’actrice Darby Stanchfield, qui joue le rôle de la détective Abby, a tweeté elle aussi en direct et retweeté les meilleurs commentaires publiés. Conclusion: le direct télévisuel n’est pas le seule programme à avoir du sens pour la Social TV.

Crédit: ABC studios

Crédit: ABC studios

  • Le principe d’écriture de la série What Ze Teuf 

Le scénario de la série What Ze Teuf sur D8 est écrit au jour le jour par les spectateurs sur Twitter, et tourné dans la foulée. En clair, les contributions des internautes ne sont pas là pour faire joli, elles participent du principe narratif.

  • Twitter et Comcast

Le partenariat entre Twitter et Comcast, qui a installé le bouton «see it», montre comment Twitter compte devenir la télécommande de la télévision. Moralité, les réseaux sociaux influent sur la programmation. Il y a, en ligne, des making of, des compléments, des pastilles créées pour la consommation de vidéos hors antenne.

Pratiquer le journalisme sécurisé

«Un bébé qui naît aujourd’hui grandira sans la moindre idée de ce que vie privée peut bien vouloir dire». Voilà ce que Edward Snowden, l’ex consultant de la NSA, l’agence nationale de sécurité américaine, réfugié en Russie, a déclaré en vidéo lors de ses voeux de fin d’année. Avant lui, Eric Schmidt, le patron de Google, Vint Cerf, ingénieur de Google, et Mark Zuckerberg, le fondateur de Facebook, ne disaient pas autre chose.

Mais les révélations de Snowden sur le système de surveillance généralisé mis en place par la NSA a servi de détonateur en 2013. Pour les citoyens bien sûr, mais pour les journalistes aussi qui, plus jamais, doivent enquêter sur des sujets sensibles en apprenant à sécuriser leurs communications, leurs documents et leurs informations. «Sans cela on lit en vous comme dans un livre ouvert», insiste Micah Lee, de l’Electronic Frontier Foundation, qui recommande de passer par le projet Tor, dont il assure que la NSA ne sait pas comment l’épier, et par la messagerie Off The Record – il y a aussi Crypto.cat.

S’adonner au journalisme de contexte

Nous ne cherchons plus les informations, elles viennent à nous était la devise en 2012. Nous ne cherchons plus les informations, les recommandations viennent à nous pourrait être la devise de 2014. Car, en ligne, la recommandation sociale est devenue la norme.

Aux Etats-Unis, nombre d’applications sont apparues pour faciliter la vie quotidienne des professionnels et faire office d’assistants personnels automatisés, prédit Amy Webb lors de l’Online News Association à Atlanta. Donna vous dit quand partir pour ne pas être en retard à votre prochain rendez-vous (en calculant votre itinéraire et en anticipant s’il y a des embouteillages sur la route). Tempo vous sort les documents dont vous avez besoin en fonction des intitulés des réunions inscrites dans votre agenda, et lorsque vous allez par exemple voir telle ou telle compagnie, les dernières informations concernant cette dernière vous sont proposées. Twist regarde votre calendrier, voit le nom des personnes avec qui vous avez rendez-vous et le lieu, puis géolocalise l’endroit où vous êtes, et prévient automatiquement vos hôtes que vous allez être en retard. Hunch vous propose des publicités recommandées en fonction de ce que vous aimé, retweeté, des marques auxquelles vous faites confiance sur les réseaux sociaux.

Les utilisateurs voient donc remonter, en push automatique, des recommandations qui les intéressent. Pour les rédactions, insiste Amy Webb, c’est une immense opportunité que de proposer des strates d’informations contextuelles, forcément indispensables, à partir des agendas des utilisateurs.

 Excellente année 2014 à tous!

Alice Antheaume

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DLD Women 2012: Plaidoyer pour hacker et… se déconnecter

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D’habitude, lors des grands raouts sur les nouvelles technologies, il y a, à vue d’oeil, 90% d’hommes et 10% de femmes dans le public. A la conférence DLD (Digital-Life-Design) Women, qui s’est tenue à Munich, en Allemagne, les 11 et 12 juillet, c’était l’inverse – et pour cause, c’est une déclinaison spécifique pour la gente féminine. Quels changements le numérique apporte-t-il à nos conditions de travail, à notre façon de consommer et à nos relations sociales? Eléments de réponse, avec du féminin dedans.

  • L’espace de travail de demain

Comment va-t-on travailler plus tard? A quoi ressemblera le lieu de travail du futur? A ces questions, Ursula Von Der Leyen, la ministre allemande du Travail et des Affaires sociales, répond qu’en 2020, c’est sûr, on travaillera surtout dans le cloud, c’est-à-dire dans un «nuage» informatique en ligne qui stocke des documents professionnels. «Les smartphones nous donnent une grande liberté. Avec eux, nous sommes libres de travailler de là où nous voulons, sans même dire où nous sommes, et sans personne pour regarder ce que nous faisons par dessus notre épaule». L’espace de travail du futur est donc en ligne, international, fait d’une armée d’experts que les sociétés peuvent solliciter dès qu’elles ont une question à résoudre et… qui ne savent pas toujours qu’ils sont des experts.

Fini le temps où la distinction entre travailleurs permanent et temporaire avait du sens. Fini le temps où les salariés étaient plus avantagés que les prestataires de service. «Les travailleurs du cloud passeront leur vie professionnelle en compétition les uns contre les autres, à postuler pour une mission ici, un travail là», reprend Ursula Von Der Leyen.

Fini aussi le temps où l’on travaillait dans un lieu défini. «La majorité des Allemands préfèrent travailler depuis chez eux avec leurs propres outils, et les trois quarts des Allemandes aimeraient travailler quelques heures voire la journée entière depuis chez elle», poursuit René Schuster, le président de Téléfonica en Allemagne, lequel rappelle la règle de chez Google, qui prévoit qu’un jour par semaine soit dévolu aux projets personnels des salariés – après validation par leur supérieur.

Autre exemple cité: le cas du moteur de recherche Ask.com qui ne donnerait pas de seuil limité pour les vacances de ses salariés. Ceux-ci prendraient leurs congés quand ils le souhaitent et quand ils le jugent nécessaires.

Selon René Schuster, la nouvelle mode n’est donc plus aux fêtes BYOB (bring your own beer, apportez votre bière, en français) mais aux réunions BYOD (bring your own devices, apportez vos outils de travail, donc).

  • L’ultra-connectivité

Qui ne le sait pas? Les smartphones sont à la fois nos journaux, nos supermarchés, nos jeux, et la télécommande de notre vie sociale. Le chiffre du jour, entendu à DLD Women, c’est que 4.2 milliards de personnes dans le monde possèdent une brosse à dents quand 4.8 milliards ont un téléphone, d’après les chiffres du cabinet Deloitte datant de mai 2012.

Crédit: Deloitte, mai 2012

Aucun doute pour René Schuster: la carte bancaire sera morte dans cinq ans, remplacée par le paiement sur mobile. Il assure aussi qu’«un couple marié sur six s’est rencontré en ligne et… 48% des 13-34 ans se connectent à Facebook avant de dire bonjour le matin» via leur téléphone portable.

Dans ce monde ultra connecté, il n’y a pas que les humains qui se parlent en ligne. A terme, les objets aussi, comme le montre l’exemple de Botanicalls, cette société qui veut créer «un canal de communication entre les plantes et les hommes». En clair, on met un kit électronique sur la feuille de la plante, et lorsque celle-ci se dessèche, le kit envoie un tweet disant «j’ai soif» pour demander, par le biais de Twitter, que son propriétaire daigne l’arroser.

  • Le trop plein

72h de vidéos mises en ligne chaque minute sur YouTube. 12.233 tweets par seconde cette année au moment du Superbowl, quand, en 2008, cela tournait autour de 27 tweets par seconde en cas d’actualité, d’après les chiffres donnés par Karen Wickre, de Twitter. Chaque jour sur Facebook sont publiés 300 millions de photos en moyenne et 3.2 milliard de likes et commentaires. Je ne parle pas du nombre d’emails dans les messageries qui s’agglutinent.

Comment gérer ce flux? A DLD, les intervenants interrogés ont une technique peu orthodoxe, mais qui semble partagée: ils suppriment tous leurs emails de temps à un autre, sans même les avoir lus. «Si c’est vraiment important, les gens vont réécrire leurs emails donc nous les aurons au final». Une position qui ressemble à celle que l’on applique sur Twitter: si le tweet est vraiment important, il sera retweeté par les autres, donc nul besoin de remonter sa timeline pendant des heures.

Autre conséquence de ce trop plein: l’envie, parfois, de fermer le robinet. «Nous sommes toujours présents, toujours joignables. Impossible de mettre des limites aux nouvelles technologies», constate Ursula Von Der Leyen.


«C’est l’âge d’or de l’engagement en ligne», reprend Arianna Huffington, la fondatrice du Huffington Post, dans une vidéo diffusée à DLD Women. Et c’est très vrai de la France, dont l’enquête du Reuters Institute vient de montrer que les Français sont les Européens les plus actifs dans la construction de l’information en ligne.

Dans ce contexte, il devient exceptionnel – et le luxe suprême – d’avoir des moments hors du réseau. «Défendez votre droit à être déconnecté», conseillent en choeur Ursula Von der Leyen et Arianna Huffington.

  • L’émotionnel

Il aura fallu moins d’une journée à DLD pour entendre les mots «émotion» et «émotionnel» revenir une bonne centaine de fois dans la bouche des intervenants. L’émotion serait en fait, selon eux, une réponse au trop plein d’informations qui nous submerge à chaque instant. Et la question reste la même pour les médias comme les annonceurs: comment se distinguer dans ce flot interrompu? Et comment faire valoir ses contenus?

Si, pour Shamim Sharif, romancière et scénariste, c’est la façon de raconter les histoires qui fait la différence, d’autres entrepreneuses ont un avis moins romantique: «les marques doivent parler à l’audience en provoquant une émotion, sinon, c’est fichu», déclare Sarah Wood, d’Unruly, une société capable de prédire le potentiel viral d’une campagne de pub en vidéo avant sa diffusion.

Sauf que l’échantillon des émotions dites efficaces est restreint. Pour que le contenu sorte du lot, il faut qu’il fasse rire, qu’il rende heureux – ou triste – ou bien qu’il «scotche» le public. Exemple de vidéo qui reste? La publicité pour la chaîne TNT qui met en scène, dans une petite ville de Belgique, une ambulance, une fusillade avec des méchants, une fille qui passe en lingerie sur une moto, sous les yeux des badauds qui ne savent plus où ils habitent.

Toujours dans le registre de l’émotion, autre tendance observée à Munich: l’émergence de sites d’e-commerce nouvelle génération, reposant sur du «emotional commerce» (commerce émotionnel, en VF), comme Fab.com et AHAlife.com. Sur ce dernier figurent des produits plutôt luxe chinés dans le monde, de la montre en bois pour hommes à des chargeurs pour téléphone en édition limitée. Ces objets sont choisis par des «sélectionneurs» – célèbres ou pas – et l’utilisateur peut lire l’histoire de chaque produit, comme si un vendeur haut de gamme lui en faisait l’article.

Que vient faire l’émotion là-dedans? C’est le concept marketing de Shauna Mei, la fondatrice de AHAlife.com, qui dit que, trempée par la pluie lors d’un voyage à Tokyo, elle cherchait en catastrophe un parapluie. En rentrant dans la première boutique, elle est tombée sur des boucles d’oreille, qu’elle a achetées. Depuis, à chaque fois qu’elle porte ces boucles d’oreille, elle repense à ce moment tokyoïte. Et elle a voulu reproduire cette «connexion» entre les acheteurs et les produits sur son site, en comptant sur le fait que les premiers allaient «chérir» les seconds.

  • La culture du hack

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«Il faut repenser les méthodes habituelles», dit Angela Zäh, responsable des nouveaux marchés de Facebook, et adopter la culture des hackers. Impossible, sinon, d’avancer. Et de rappeler que le réseau social, aujourd’hui doté de plus de 860 millions d’inscrits, a commencé comme simple site estudiantin. Dès son lancement, en 2004, il avait néanmoins deux objectifs: «s’étendre à l’international et connecter le monde». En toute simplicité.

«Comme il n’y avait ni équipe chargée de l’international ni équipe marketing, il a bien fallu faire autrement…». Et Angela Zäh d’énoncer trois règles pour s’efforcer de «faire autrement»:

1. Que feriez-vous si vous n’aviez peur de rien, ni du ridicule, ni de poser les mauvaises questions?
2. Bougez vite et changez les règles.
3. Le mieux est l’ennemi du bien.

Bref, mieux vaut quelque chose de fait plutôt qu’une idée de la perfection qui ne sera jamais réalisée. «Essayons et remettons en question les principes établis»… des principes en vogue dans la Silicon Valley, estime Karen Wickre, directrice éditoriale de Twitter, passée par Google.

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Une philosophie que connaît bien Keren Elazari, «hackeuse professionnelle», qui travaille sur les systèmes de sécurité en Israël et a collaboré à la conférence internationale organisée par l’OTAN sur les cyber-conflits en 2011. «Il ne faut pas se mettre de barrière», argue-t-elle, fidèle à la culture du hack.

Le déclencheur de sa vocation? Angelina Jolie dans le film Hackers. Et, plus récemment, Lisbeth Salander, l’héroïne de la trilogie Millenium, une hackeuse invétérée qui accède aux données présentes dans les ordinateurs de n’importe qui. Devant une audience à très grande majorité féminine, Keren Elazari lance un appel: «Il faut qu’il y ait plus de femmes qui codent et deviennent des hackeuses, c’est très fun, je vous le garantis! Le but du jeu, c’est de manipuler le système pour qu’il fasse ce que vous voulez».

Une nouvelle forme de pouvoir, donc, et la langue vivante de demain. La conférence DLD Women de cette édition avait bien pour sous-titre «nouvelles règles, nouvelles valeurs».

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Alice Antheaume

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