Associated Press, l’agence devenue connectée

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Avec ses 3.700 employés dans le monde, Associated Press est à la fois une coopérative et l’une des plus grosses agences de presse de la planète (à titre de comparaison, AFP a 2.900 correspondants dans le monde). «Chaque jour, plus de la moitié de la population voit des informations signées AP», lit-on sur leur site Web.

Dans leurs bureaux de New York, le centre névralgique d’AP, le silence est notable. Surprenant pour une rédaction qui, sur le seul plateau new yorkais, voit se succéder 400 personnes jour et nuit. «Le jour de lélection présidentielle américaine, lorsque nous avons su qu’Obama était élu, il n’y a pas eu un bruit, sinon celui des doigts sur le clavier des journalistes qui écrivaient à toute vitesse des dépêches», me raconte Tom Kent, rédacteur en chef en charge de la déontologie.

Silence, on écrit

Pas un cri de joie ou soupir de mécontentement? «Peut-être qu’intérieurement, certains journalistes regrettaient ou se réjouissaient de la victoire d’Obama, reprend Tom Kent, mais ils ne l’ont pas exprimé ouvertement. Notre rédaction est neutre et objective, c’est la marque de fabrique d’AP.» Et ce, depuis 1846, date de création de l’agence.

Malgré le déluge de tweets et autres informations publiées sur le Web (en France, les infos AP sont accessibles sur Yahoo!), la tradition d’AP n’a pas bougé. Pas d’opinion personnelle, politique ou religieuse sur Twitter ou ailleurs. De même, interdiction pour un journaliste d’AP de faire un «breaking news» sur un réseau social avant que son agence ne la publie dans ses propres tuyaux.

Charte déontologique

Le travail de Tom Kent, c’est – entre autres – de gérer les questions éthiques à AP. «Je vérifie que les articles sont équilibrés, que les sources sont identifiées, et que les journalistes n’en écrivent pas davantage que ce qu’ils savent.» Pas de place à l’interprétation ni aux projections, donc. Des règles qu’AP a écrites dans une charte, disponible ici.

«Dans une dépêche de cette semaine, par exemple, on apprenait que, selon une étude, les Américains se marient plus tard. Le journaliste a interprété ce résultat comme étant peut-être une conséquence de la crise économique. Or si cela n’a pas été prouvé par une étude, on ne peut pas faire de conclusion hâtive.»

Comment faire pour vérifier la déontologie des centaines d’articles diffusés? «Nous avons une liste de mots-clés susceptibles de poser problème, liste que nous enrichissons de nouveaux termes en temps réel, m’explique Tom Kent. A chaque fois qu’un journaliste écrit un mot de cette liste dans une information, cela m’envoie un email d’alerte.» Dans cette liste se trouvent les mots «Dimitri Medvedev», parce qu’il est souvent mal orthographié, et… «Wikipédia». «Nous exigeons que nos correspondants n’utilisent pas l’encyclopédie en ligne comme source», reprend Tom Kent.

Sur le plateau, les rédacteurs ont devant eux quatre écrans. L’un pour Tweetdeck, le deuxième pour observer la concurrence, le troisième pour les mails et messageries instantanées en interne, et le quatrième pour publier, éditer et mettre à jour les dépêches de l’agence. Et cela va vite, très vite.

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Le temps de dire ouf, et l’éditrice en charge du desk d’Amérique du Nord, Maria Sanminiatelli, a des dizaines de messages en attente qui clignotent dans sa boîte, en provenance des bureaux de Phoenix, de Louisiane, de Californie, de l’Indiana, lui annonçant quels sujets seraient suivis et comment. Faire une pause de deux minutes? Impensable. Non seulement des centaines d’informations arrivent, mais en plus plusieurs versions d’une même histoire (pour l’international, pour le national, pour le local).

Métronome horaire

Partout dans la rédaction trônent des écrans affichant l’heure aux quatre coins du globe. A 16h29 pile, Tom Kent interrompt notre discussion et file à la «réunion de 16h30». Des représentants des services business, économie, international, infographie et social média arrivent toutes affaires cessantes. «Londres? Washington?» 16h30, une partie des bureaux de la planète AP sont réunis via le téléphone «pieuvre». A l’écran, sont affichées les infographies prêtes à être publiées.

Les sujets sont passés au crible, les décisions pour mettre l’accent sur telle ou telle histoire se prennent quasi instantanément. «Nous n’avons pas de photo sur les inondations du Mexique. Les seules images dont nous disposons sont des vidéos tournées il y a une semaine!» Réponse du service international: «Un hélicoptère survole actuellement la zone, avec un de nos photographes à bord.» Tom Kent regarde la pendule, il est 16h39. «Il faut que cette réunion dure moins de 15 minutes», me confie-t-il. Le matin, celle de 8h45, idem. Seule la réunion de 10h30, la plus importante des trois, peut s’étendre pendant 30 minutes.

Quelle information mérite un «urgent» pour AP? «Avant, quand nous ne travaillions que pour les journaux imprimés, c’était simple. On se demandait “qu’est-ce qui pourrait faire la couverture des journaux demain?” Maintenant que nos informations sont publiées sur Yahoo!, sur Facebook, sur notre chaîne de vidéos YouTube, il faut tenir compte de l’audience. Les frasques de Lindsay Lohan intéressent le public, donc oui, on peut faire des urgents avec.»

A AP comme ailleurs, l’audience réagit aux choix éditoriaux. «Un lecteur mécontent nous a écrit un mail assez dur aujourd’hui. Il ne comprend pas pourquoi il reçoit des “pushs” sur son mobile à propos de, dit-il, “tout sauf ce qui le concerne, à savoir l’histoire de l’étudiant qui a ouvert le feu à l’Université au Texas et s’est tué“». Réponse du service incriminé: «Nous aurions dû envoyer un alerte sur cette info-là aussi». Fin du débat.

La transition

Le plus gros défi d’AP, estime Tom Kent, a été de passer aux informations multimédia (photos, sons, vidéos, infographies, etc). En interne, la transition ne s’est pas faite en douceur. Il y a d’abord eu ce discours du «board» d’AP en 2004, un discours dont les mots résonnent encore dans la tête des journalistes de l’agence.

«Notre avenir dépend du multimédia. Si on continue à ne faire que du texte, c’est simple, on ferme l’agence et on perd tous nos jobs.» Tout le monde a obéi à l’injonction, détaille Tom Kent. Bâtons et carottes ont complété le dispositif. Côté bâton, l’entretien individuel annuel dispose d’une case particulière: «est-ce que le collaborateur joue la collaboration avec les services multimédia? Oui/Non». Si la réponse est non, cela a un impact sur l’évaluation du salarié, et pénalise son augmentation salariale. Côté carotte, un système de récompenses a été mis en place. Chaque semaine, 500 dollars sont attribués à l’auteur ou aux auteurs de la meilleure information hebdomadaire. La «meilleure» information de la semaine n’est pas être une simple dépêche, il est préférable qu’elle ait été mise en scène de façon multimédia. A la fin de l’année, les comptes sont faits: le service qui a obtenu le plus de récompenses hebdomadaires gagne 2.000 dollars.

Une sorte de Google Analytics pour AP

Comme l’AFP, AP est tourmentée par le vol de ses contenus. Elle prépare donc la riposte avec un outil, baptisé «news registry», dont la sortie est prévue en décembre, qui permettra de traquer les contenus sur le Web, et d’avoir des données mises à jour en temps réel sur leur diffusion. Il s’agit de savoir quel site utilise quelles informations d’AP…

C’est donc une sorte de Google Analytics développé spécialement pour AP. L’objectif est double: 1. Mieux connaître les usages de l’audience et «nous améliorer en conséquence». 2. Obtenir des preuves que tel ou tel client doit payer son abonnement à AP car X contenus de l’agence sont diffusés sur sa plate-forme et lui apportent X trafic. «Nombreux sont nos partenaires qui disent qu’ils ne veulent plus nous payer puisque nos contenus sont indexés sur Yahoo!, en accès gratuit», assure l’un des journalistes. Une situation que connaît l’AFP, dont une partie des dépêches sont indexées par Google News. Et qui a aussi son outil, Attributor, pour repérer les contenus volés, comme l’expliquait Frédéric Filloux dans sa Monday Note. Oui, l’éthique avant tout.

Utilisez-vous AP en France? Faites-vous plus confiance aux contenus des agences que ceux des sites Web d’infos?

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Les TimesCast, le nouveau show quotidien du New York Times

Crédit: New York Times

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C’est l’attraction de ce début de semaine à New York. Les «TimesCast», des vidéos de 6-8 minutes dans lesquelles on voit les débats internes autour des sujets couverts par le New York Times, sont depuis lundi mises en ligne tous les jours, du lundi au vendredi, entre 13 heures et 14 heures, heure locale (entre 18 et 19 heures en France, où ils cartonnent, m’a confié le responsable du projet). «On a testé le format pendant des mois avant de le lancer, me raconte Jigar Mehta, journaliste au pôle vidéo du New York Times. Le but est de montrer le fond de la boîte noire aux internautes, car s’ils voient ce qu’il se passe, ils comprendront mieux qui nous sommes et ce que nous faisons.» Une façon de maintenir – ou créer? – le lien entre les internautes et la marque du quotidien américain. «Cela montre quels sujets nous décidons de couvrir, et comment on décide de les raconter, avait dit Ann Derry, directrice éditoriale, dans un communiqué. Nous donnons à nos internautes un accès inédit à nos coulisses.»

Transparent

La tentative est louable: viser la transparence. Une valeur clé et un peu fantasmatique du Web. Sauf que, à y regarder de plus près, la spontanéité n’y est pas. Le «TimesCast» fait l’objet d’un savant agencement, en quatre séquences, dont la première est la plus percutante, car elle montre une partie de la réunion dédiée à la première page («page one meeting»). Dans les séquences qui suivent, plusieurs conversations entre journalistes et rédacteurs en chef, mais qui paraissent peu naturelles à l’écran. A tel point que le site Gawker a ironisé sur le format, en évoquant une saga télévisuelle rebaptisée «you-are-there newsroom web show».

Ce qui fait sourire le service vidéo du New York Times, parmi lesquelles quatre personnes (!) travaillent sur les «TimesCast». «C’est vrai que que c’est un show», dit le responsable de la séquence vidéo. «Mais on ne force personne de la rédaction à parler devant la caméra, seuls sont filmés ceux qui le souhaitent».

Pas de script, mais un conducteur

A la question «les discussions des “TimesCast” sont-elles scénarisées?», Jigar Mehta répond «non, il n’y a pas de script». En revanche, il y a bel et bien un conducteur qui établit, avant le tournage des séquences, les deux ou trois points principaux qui doivent être cités pour expliquer un sujet. «Quand le sujet le plus chaud du jour est le retrait de Google de Chine, comme c’était le cas ce mardi, nous n’allons pas ré-expliquer ce qu’est Google, mais nous allons donner des éléments de contexte, de diplomatie, d’économie, mais aussi revenir sur les usages des internautes en Chine

Une case monétisable

Impossible de connaître pour l’instant le nombre de personnes qui ont cliqué sur le bouton lecture des premiers «TimesCast»; les chiffres ne sortiront pas de l’enceinte du New York Times.

Parmi les réactions relevées sur Twitter à la sortie du premier numéro, certains se sont étonnés du costume-cravate que portent tous les participants de la conférence de rédaction. Remarque anecdotique, mais qui n’est pas infondée. «Les journalistes du New York Times ne vont pas à la “page one meeting”, ce sont leurs chefs qui s’y rendent, m’explique un journaliste du pôle multimédia. Lorsqu’ils en ont besoin, les chefs de service appellent leurs reporters (via un système qui permet à la table d’entendre la conversation, ndlr) pendant la conférence pour avoir des explications sur tel ou tel sujet. Ces chefs ont des responsabilités, ce qui les oblige à rencontrer beaucoup de monde toute la journée et assurer la visibilité du titre», d’où leur mise moins décontractée que ceux qui restent derrière l’écran du site Web toute la journée.

Au New York Times, le «TimesCast» mobilise. Jamais deux ou trois caméras n’avaient obtenu chaque jour leur entrée dans la réunion de la première page. Mais si le format intéresse, c’est aussi parce qu’il est pourvoyeur de publicités. Le transporteur FedEx le parraine, et les éditeurs du programme réfléchissent à insérer, au milieu de la vidéo, une autre «page» de pub. «C’est un rendez-vous quotidien, qui peut fidéliser», argue l’équipe chargée de monétiser le contenu. Des arguments qui devraient parler aux annonceurs.

Alice Antheaume

La service vidéo du New York Times a noté un pic de connections depuis la France sur les «TimesCast». Ils m’ont demandé pourquoi ça intéressait tant les Français. A votre avis, pourquoi?

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