7 prédictions pour le journalisme en 2016

Crédit: Flickr/CC/nicksie2008

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Nouvelle année oblige, la période est aux prophéties. Voici ce qui pourrait compter dans les rédactions en 2016. Au programme: l’impact des contenus journalistiques, la vitesse de chargement, le poids des pages, la multi-publication sur les diverses plates-formes américaines, la vague américaine des pure-players, la vidéo et… les doutes.

* L’impact

C’est le nouveau mot-clé dans l’écosystème numérique. “Nous ne construisons pas Buzzfeed pour obtenir le plus de clics, de partages, ou de temps passé possible. Nous construisons Buzzfeed pour avoir un impact positif sur la façon dont les gens vivent”, écrit son président Jonah Peretti à la fin de l’année 2015.

Autant dire que le visiteur unique, ce mètre étalon qui comptabilise les individus ayant cliqué au moins une fois sur le contenu d’un site sur une durée d’un mois, a du plomb dans l’aile. C’est aussi vrai pour les contenus publicitaires, pour lesquels “les clics ne sont pas très utiles”, confirme Jay Lauf, le directeur de publication de Quartz, un pure-player dont j’ai déjà parlé ici. “Les marques cherchent d’autres moyens de mesurer leur impact”.

L’impact, c’est donc un mélange sophistiqué entre l’influence, la notion d’engagement des lecteurs, et la capacité, via l’écriture de contenus journalistiques, à susciter le changement dans la société. Pour l’instant, personne n’a encore trouvé comment le mesurer.

* La vitesse

Vous pensiez le temps de la décélération arriver? Que nenni ! Qu’il s’agisse des AMP (accelerated mobile pages) de Google ou des “instant articles” de Facebook, le mot “vitesse” est partout.

“En tirant parti de notre technologie qui permet d’afficher très vite photos et vidéos dans l’application Facebook, les articles se chargent instantanément, 10 fois plus vite que sur le Web mobile”, vante Facebook à propos de ses “instant articles”, ces contenus produits par quelque 350 médias dans le monde, dont Le Parisien et Les Echos en France, identifiés par un petit éclair en haut à droite du titre, et intégrés directement sur le réseau social lorsqu’il est consulté depuis une application mobile.

Google est sur la même ligne: “à chaque fois qu’une page prend trop de temps à charger, on perd un lecteur”.

On estime à 5 secondes le temps maximum supporté pour le chargement d’une page avant que l’internaute perde patience et fuit. C’est peu. Autant dire que la vitesse à laquelle on accède à une information est plus que clé. C’est la condition sine qua non pour que les lecteurs s’informent en 2016.

* Le light

Pour obtenir des pages en ligne qu’elles s’affichent vite, il faut qu’elles soient légères. Or le Web en général souffre d’une grave crise d’obésité.

Il y a trop d’éléments qui clignotent dans tous les sens, des lignes de code qui sont très gourmandes en bande passante, des photos qui pèsent des tonnes, sans oublier les publicités bien grassouillettes, dénonce Maciej Cegłowski, un ingénieur basé à San Francisco. “Vous avez bossé dur pour créer un beau site, optimisé pour être performant (…). Une fois cela fait, vos annonceurs vous mettent des merdes par dessus (…) dont l’objectif est de casser votre belle esthétique et d’accaparer l’attention du lecteur au détriment de ce pour quoi il était venu sur votre site”. Bientôt venu le temps du minimalisme numérique?

* La multi-publication

Fini le temps où l’on publiait ses contenus uniquement sur son site ou son application mobile. Désormais il faut “irradier” et s’incruster chez les autres.

Buzzfeed diffuse sur… 30 plates-formes extérieures à la sienne, martèle encore Jonah Peretti dans son mémo intitulé “a cross platform, global network”.

CNN produit des contenus exclusifs adaptés à des applications extérieures à la sienne, comme The List App, ou Snapchat, dont la partie informations, Snapchat Discover, a été lancée il y a un an. Promesse d’une “portée immense” auprès des jeunes, l’application mobile aux 100 millions d’utilisateurs actifs quotidiens suscite l’intérêt de multiples médias. En France, Le Monde a, a priori, remporté le pompon et est en ordre de bataille pour y publier des contenus toutes les 24h.

Sauf qu’à chaque plate-forme ses contenus, ses rythmes de publication, son écriture. Pas simple d’avoir des équipes compétentes pour chacune de ces plates-formes. Le Parisien, qui teste depuis quelques semaines les “instant articles” de Facebook, en revient. Pour l’instant, Guillaume Bournizien, directeur du marketing digital, s’est dit “déçu” lors de la conférence sur les nouvelles pratiques du journalisme organisée à Sciences Po, le 7 décembre 2015.

Dans la même optique, Libération a mis en place, lors des élections régionales de décembre 2015, un live d’un nouveau genre sur WhatsApp, l’une des applications de messagerie instantanée les plus populaires au monde avec 900 millions d’utilisateurs actifs chaque mois. Il s’agit d’informer sur téléphone des lecteurs “sans passer par notre application mobile ou par les réseaux sociaux traditionnels”, explique l’équipe après coup.

The Guardian s’est aussi essayé à WhatsApp en couvrant sur l’application le débat télévisuel des candidats républicains, avec l’inénarrable Donad Trump, aux Etats-Unis en décembre dernier.

Objectif: toucher des audiences qui ne sont pas dans les radars habituels des médias en allant les chercher là où elles se trouvent déjà.

* La vague américaine

Après le lancement en France de Le Huffington Post en 2012, puis Buzzfeed en 2013, d’autres médias nés aux Etats-Unis viennent s’implanter dans l’hexagone, avec des lancements prévus en 2016.

Une vraie vague américaine, dans un pays dont le nombre de pures players par habitant est plus élévé qu’ailleurs, et alors que l’un des premiers pure player français, Rue89, est englouti par sa maison mère, L’Obs. C’est le cas du Huffington Post, de Buzzfeed, de Mashable, de Business Insider et d’autres encore.

Tous, conscients du désavantage d’avoir des noms imprononçables par la majorité des Français, ont fait le choix de s’associer avec des médias déjà implantés dans l’hexagone : Le Huffington Post, avec Le Monde, Mashable, rattaché au pavillon de la chaîne internationale France 24, et Business Insider sous la houlette du groupe Prisma.

Marie-Catherine Beuth, ex-Le Figaro, va coordonner le lancement de ce pure player sur le marché français. “Business Insider, c’est un gros site aux Etats-Unis qui couvre l’actualité économique, les nouvelles technologies et la politique”, explique-t-elle au micro de l’émission L’Atelier des médias sur RFI. “ Titres malins, photos accrocheuses… L’idée, c’est d’informer de façon pertinente et efficace les nouveaux consommateurs d’informations”, ces fameux «millennials» qui délaissent les médias traditionnels, et que les annonceurs veulent à tout prix toucher.

* La vidéo

Ce n’est pas vraiment nouveau mais, en 2016, les médias traditionnels comptent mettre le turbo sur la vidéo. Au Monde, à BFM TV, à l’AFP, tout le monde veut produire des vidéos, toujours plus de vidéos en ligne. Même pour ceux dont l’image n’est pas le premier métier.

“La radio filmée n’est pas l’avenir de la radio, mais la vidéo, oui”, glisse Fabien Namias, le directeur général d’Europe 1. A Buzzfeed, 1 milliard de vidéos vues par mois, ils produisent mêmes des séries, disponibles sur l’Itunes Store. Le format vidéo est plein de promesses: facilement monétisable – quoique parfois bloqué, il peut aussi être très partagé sur les réseaux sociaux.

Reste une équation pas si facile à résoudre sur la vidéo: quels formats définir? Qu’est-ce qui marche en ligne et sur mobile? Entre les partisans des vidéos sans le son, qui peuvent se regarder sans écouteur, ceux qui pronent le format vertical, et ceux qui veulent des vidéos animées pour Snapchat, une foule de possibilités s’offre aux médias, à la fois pour raconter l’actualité chaude, et pour proposer des rendez-vous décalés.

* Les doutes

Est-ce un symptôme ou une conséquence des attentats qui ont touché la France en 2015? Alors que les journalistes ont travaillé parfois comme des automates pendant des semaines, ils ont fait face à une multiplication des théories du complot en ligne, des photos montées, ou, pire, de faux témoignages sincères. Des témoins, réellement paniqués, racontent n’importe quoi, dans les rues et sur les réseaux sociaux, croyant vraiment avoir entendu ci, vu ça. Il n’en est rien. Mais en ligne, climat de psychose oblige, la rumeur est comme la panique: irrationnelle.

Les journalistes français s’en souviendront: il leur faut aussi vérifier la véracité des paroles de tous ceux qui, ébranlés comme jamais, ont été traumatisés par ces drames.

Excellente année 2016 à tous !

Alice Antheaume

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Le “pound”, le nouveau pèse-contenu de Buzzfeed

Crédit: AA

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Comment savoir si un article fait le tour du Web? Comment suivre son parcours et mesurer son effet sur l’audience? Pour répondre à ces questions, Buzzfeed vient de dégainer un outil de mesure, baptisé “pound“, l’acronyme de Process for Optimizing and Understanding Network Diffusion – processus d’optimisation et de compréhension de la diffusion en ligne, en VF.

“Le pound est une nouvelle technologie développée par Buzzfeed qui va nous permettre de suivre l’itinéraire d’un article partout”, m’explique Cécile Dehesdin, rédactrice en chef de Buzzfeed France. “Supposons que nous publions un article, que quelqu’un partage ensuite sur Facebook. Vous le voyez, vous likez, vous vous dites “j’ai envie d’écrire un truc dessus”, vous faites un post de blog à ce sujet, quelqu’un le voit, tweete l’article…”

L’itinéraire d’un contenu

Toutes les “propagations” d’un contenu vont ainsi être mesurées, y compris l’échange de liens dans les messageries instantanées et les emails.


Et c’est bigrement complexe. Car ces propagations ne sont pas linéaires. Elles suivent des chemins sinueux, qui ressemblent à des “forêts” sur le Web, décrit Dao Nguyen, la directrice de publication de Buzzfeed. L’itinéraire de chaque contenu est ainsi représenté par une forêt composée d’arbres de toutes formes et de toutes tailles – ils peuvent être grands, petits, gros, fins, etc. “La structure de la forêt et de ses arbres nous apprend de façon très détaillée comment chaque contenu se diffuse en ligne”.

Crédit: Buzzfeed

Crédit: Buzzfeed

Bien sûr, le pound correspond aux spécificités de l’audience de Buzzfeed, dont 75% du trafic provient des réseaux sociaux. Mais cet indice a surtout deux intérêts :

1. en analysant la radiation des contenus en ligne, les équipes vont engranger de l’expertise pour savoir comment toucher des cercles au-delà du cercle des “premiers lecteurs évidents”, sourit Cécile Dehesdin. Et donc déployer une toile encore plus étendue d’influence.

2. les statistiques recueillies vont aussi servir aux annonceurs, très preneurs de données de diffusion de leurs campagnes publicitaires, et de données sur la façon dont les utilisateurs consomment les contenus, notamment dans le cadre du “native advertising”.

Bref, pas de données, pas de chocolat. “Un média sans données pour les publicités ciblées n’a aucune chance de survie”, prévient Jeff Sonderman, le directeur adjoint de l’American Press Institute.

Le nouvel or noir des annonceurs

Autant dire que le visiteur unique, ce mètre étalon qui comptabilise les individus ayant cliqué au moins une fois sur le contenu d’un site sur une durée d’un mois, a du plomb dans l’aile. Pour les contenus publicitaires, “les clics ne sont pas très utiles”, confirme Jay Lauf, le directeur de publication de Quartz, un pure-player dont j’ai déjà parlé ici et qui fait appel à 15 collaborateurs pour produire des contenus sponsorisés. “Les marques cherchent d’autres moyens de mesurer leur impact”.

C’est vrai aux Etats-Unis mais aussi en France. Si L’Express et La Croix se dotent de leurs propres plates-formes d’analyse des données (DMP, Data management platform), toutes deux financées en partie par le fonds Google de l’innovation pour la presse, c’est pour se créer des “opportunités” commerciales, non seulement pour la publicité mais aussi pour des abonnements.

A terme, le risque est de voir cohabiter deux catégories de médias en ligne: les gros poissons, qui ont la technologie pour développer leurs propres indices de suivi de l’audience, comme le fait Buzzfeed, et les petits calibres qui devront se contenter des indices déjà existants et moins ciblés.

La mesure de l’impact

Outre Atlantique, ce type de journalisme porte même un nom, le “journalisme d’impact”. Un concept plus large que la simple mesure d’audience et du trafic, précise Dick Tofel, le président de Pro Publica, car elle recoupe aussi la notion d’engagement des lecteurs et la capacité, via l’écriture de contenus journalistiques, à susciter le changement dans la société.

C’est ce qu’a expérimenté, à son échelle, un étudiant en journalisme de CUNY (City University of New York), après avoir écrit un article sur Pedro Rivera, 48 ans, à la fois père et grand père, habitant dans le Missouri, qui risquait d’être renvoyé dans son pays d’origine, le Mexique, par les autorités américaines.

“Avant”, confie cet apprenti journaliste, “je mesurais le succès de mon travail en fonction du nombre de partages que j’obtenais sur les réseaux sociaux, du nombre de célébrités qui tweetaient mon article, et du trafic que cela drainait (…) J’ai découvert que l’on pouvait obtenir un bien meilleur résultat, un résultat qui n’a rien à voir avec les statistiques”. En l’occurrence, les services d’immigration américains ont décidé de laisser Pedro Rivera tranquille, sans doute parce que son histoire, publiée sur Quartz avec le titre “Obama avait promis d’expulser les traîtres, pas les familles – ce n’est pas ce qu’il se passe”, a été lue. Et entendue.

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Alice Antheaume

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#Npdj11: «Connaître l’audience doit aider à faire du bon journalisme»

Crédit: Olivier Lechat

Innovation, audience, gestion des contenus créés par des utilisateurs, vérification en temps réel, télévision connectée aux réseaux sociaux… Tels ont été les sujets abordés lors de la conférence sur les nouvelles pratiques du journalisme organisée le vendredi 2 décembre par l’École de journalisme de Sciences Po, où je travaille, en partenariat avec la Graduate School of Journalism de Columbia. Résumé des interventions.

>> Revivre le live réalisé lors de cette journée marathon (merci à tous les étudiants de l’Ecole de journalisme de Sciences Po qui ont produit vidéos, photos, textes et tweets. Cet article a été rédigé en s’appuyant notamment sur leur live!) >>

Mesure de l’audience et ligne rédactionnelle

Emily Bell, directrice du centre de journalisme numérique à Columbia, ex-The Guardian

«L’audience n’est plus l’apanage du service marketing, elle est dans les mains des journalistes. En cours, à la Columbia, je pose la question à mes étudiants: “pour qui écrivez-vous?”. C’est une question nouvelle – avant, on ne le leur demandait pas car il y a encore ce syndrome, très ancré dans la culture journalistique traditionnelle, selon lequel il ne faudrait pas trop faire attention à ce que dit le public, car cela risquerait de contaminer la pensée des journalistes, et de leur faire croire que le public préfère lire des sujets sur Britney Spears plutôt que sur la crise de la Grèce.

Il faut donc connaître son public: qui est-il? D’où vient-il? Comment interagit-il avec les articles? On ne peut pas ignorer ce que dit l’audience, ni ce qu’elle pense, sinon on met en péril son activité journalistique. Il faut utiliser la connaissance et la mesure de l’audience pour faire du bon journalisme.»

>> Lire Et si les journalistes n’écrivaient que ce que les lecteurs lisent? sur WIP >>

Ce que les statistiques nous apprennent sur l’audience et sa façon de consommer des informations

Dawn Williamson, de Chart Beat

«Le journalisme d’aujourd’hui ressemble à l’industrie sidérurgique d’il y a 50 ans. Avant les années 60, la sidérurgie était exploitée dans d’immenses et coûteuses usines. Jusqu’à ce qu’apparaissent d’autres exploitations, plus rapides, plus petites et moins coûteuses. Au début, les grosses usines d’acierie refusaient de travailler avec ces nouvelles petites usines, de peur qu’elles produisent de la moins bonne qualité. On peut dire qu’aujourd’hui, des sites comme le Huffington Post sont comme les mini-aciéries des années 60. Ils produisent du contenu journalistique pour moins cher que les rédactions comme le New York Times.

Au départ, pour se lancer, le Huffington Post (mais aussi Gawker et Business Insider) ne s’est pas intéressé à la qualité mais à sa plate-forme. Le Huffington Post s’est d’abord créé une place, en révolutionnant le marché, puis est monté dans la chaîne de valeur, au point d’embaucher parfois des journalistes du… New York Times.

Pour prendre des décisions éditoriales, ces nouveaux sites donnent accès, pour leurs journalistes, aux données de mesure de l’audience. Et ce, via des outils, dans le backoffice, comme ChartBeat, et NewsBeat, afin qu’ils puissent voir, en temps réel, ce qui intéresse l’audience. Exemple aux Etats-Unis, concernant la députée américaine démocrate Gabrielle Giffords, qui a reçu une balle dans la tête lors d’un meeting, en janvier 2011. Fox News a pu voir, via l’analyse des termes de recherche liés à cette fusillade sur ChartBeat, que le public cherchait à en savoir plus sur le mari de Gabrielle Giffords. Surveiller les intérêts de l’audience, ce n’est pas une course vers le bas de gamme, ni un fichier Excel à lire, c’est un environnement dans lequel les journalistes doivent vivre.»

>> Lire Accro aux statistiques sur WIP >>

Innover dans une rédaction, discours de la méthode

Gabriel Dance, éditeur interactif pour The Guardian US, ex-directeur artistique pour The Daily, l’application iPad de Rupert Murdoch, et ex-producteur multimédia au New York Times

«Les clés pour innover? D’abord être “fan” de quelqu’un qui vous inspire, un génie que vous ne perdrez jamais de vue. Le génie que je suis de près? Adrian Holovaty, fondateur du site EveryBlock. Ensuite il s’agit de surveiller ce que font les autres rédactions. Il ne suffit pas de copier les innovations des autres, car votre audience le saura et aura l’impression d’être trompée, il faut améliorer la copie en allant plus loin, en essayent d’imaginer ce que pourrait être l’étape suivante. Etre dans la compétition, ce n’est pas négatif, ce n’est pas mettre quelqu’un à terre, c’est faire monter son propre niveau.

Pour trouver l’inspiration, il faut regarder ce qu’il se passe en dehors du journalisme, comprendre ce qui excitent les gens et pourquoi. L’interface des jeux vidéos peut être une bonne source d’inspiration. Qu’est-ce qui fait que cela marche? Et comment pourrais-je adapter cette interface pour raconter une histoire journalistique? Telles sont les questions auxquelles il faut répondre pour réussir à inventer d’autres formats.

Autre clé pour innover: connaître ses limites (taille de l’équipe, temps, technologie, concurrence). Car oui, des contraintes peuvent sortir de la créativité. Et puis, l’innovation ne vient pas en une fois. Pour ma part, je fais des dizaines et des dizaines de brouillons avant de publier quoique ce soit.»

La TV sociale, ce que cela change pour l’information et la programmation

Mike Proulx, co-auteur du livre Social TV

«Nombreux sont ceux qui ont prédit la mort de la télévision, mais en fait, on ne l’a jamais autant regardée. Aux Etats-Unis, on la regarde en moyenne moyenne 35h par semaine, selon Nielsen. En outre, la convergence entre Web et télévision a une très grande influence sur la façon dont on regarde la télévision. C’est ce que j’appelle la télévision sociale, c’est-à-dire la convergence entre réseaux sociaux, comme Facebook et Twitter, et télévision. On regarde un même programme sur deux écrans, le premier (l’écran télé) pour voir le programme, le deuxième (ordinateur, tablette, mobile) pour commenter et réagir au programme.

C’est la force de Twitter. Au moment où Beyoncé a montré son ventre rond lors des MTV Video Music Awards à Los Angeles en août, il y a eu un pic sur Twitter avec 8.868 tweets par seconde, tweets liés à l’annonce de sa grossesse. Un record. Twitter, qui compte 100 millions de comptes actifs, a de l’impact sur la production des informations. Et ce, sur quatre tableaux:

1. Les “breaking news” de toute sorte arrivent d’abord – et de plus en plus – sur Twitter, de l’amerrissage en catastrophe de l’avion sur l’Hudson, au tremblement de terre au Japon, en passant par la mort de Ben Laden – au point que Twitter en a fait sa publicité avec ce slogan, “Twitter plus rapide que les tremblements de terre”.

2. Pour trouver des sources. Twitter est un outil très utile pour les journalistes qui cherchent à contacter des gens qui pourraient leur raconter des histoires, comme l’a fait Jake Tapper d’ABC.

3. Pour rester connecté en permanence, et faire du journalisme tout le temps.

4. Pour intégrer des tweets à l’intérieur des programmes télévisuels, comme l’a fait l’émission 106 & Park, dans laquelle les questions venant de Twitter sont posées aux invitées pendant le show. Twitter peut vraiment être considéré comme une réponse directe de l’audience à ce que s’il se passe à la télévision. Exemple avec le débat du candidat républicain Rick Perry qui a eu un trou de mémoire au moment de citer le nom de l’agence gouvernementale que son programme prévoit de supprimer. C’est “l’effet Oups”, aussitôt répercuté sur Twitter. Jusqu’à présent, on était habitués à regarder la télévision avec votre famille et vos amis, désormais, on la regarde avec le monde entier.»

>> Lire le mariage royal de la télévision et de Twitter sur WIP >>

Le fact checking en temps réel, comment ça marche?

Samuel Laurent, journaliste politique au Monde.fr, ex-lefigaro.fr

«Le fact checking doit se faire de plus en plus rapidement, c’est une réponse à la communication politique. Le fact checking publié une semaine après n’aura pas le même impact que s’il est réalisé très vite. Au Monde.fr, notamment via le blog Les Décodeurs, nous faisons du fact checking participatif. Non seulement les lecteurs peuvent nous poser des questions, mais nous faisons aussi appel à eux pour leur demander de nous aider à trouver des chiffres, ou au moins, des pistes.

Autre moyen de faire du fact checking en temps réel: le live. Pour Fukushima ou pour des débats politiques, comme lors de la primaire socialiste. Le but est de vérifier la véracité de ce que disent les politiques sur le plateau télé. Par exemple, au deuxième débat de la primaire socialiste, 65.000 personnes étaient connectées à notre live. A la rédaction, nous étions quatre journalistes à animer ce live, dont deux uniquement sur le fact checking. Il faut vraiment se préparer en amont, avoir des fiches, des bons liens sur les sujets qui vont être abordés, et se nourrir de sites avec des chiffres comme vie-publique.fr par exemple. Le fact checking en temps réel est un vrai plus, et le sera encore davantage lorsque la télévision connectée sera installée dans les foyers.

Après, dire que l’on fait du fact checking en live, tout le temps, serait prétentieux. Parfois, cela nécessite un travail de fond que l’on ne peut pas réaliser en 3 minutes. Faire un vrai décryptage c’est ne pas se contenter de la parole politique. Mais en vrai, c’est un exercice sans filet, où le fact checking est parfois sujet à interprétation. Ce ne sont pas des maths, il y a parfois des zones grises (cf les “plutôt vrais”, “plutôt faux” du blog Les Décodeurs). Néanmoins, Nicolas Sarkozy a pu dire pendant deux ans qu’un bouclier fiscal existait en Allemagne avant que l’on vérifie et qu’on écrive que ce n’était pas le cas».

>> Lire le fact checking politique sur WIP >>

Comment vérifier les informations venues des réseaux sociaux?

Nicola Bruno, journaliste, auteur pour le Reuters Institute Study of Journalism d’un travail de recherche intitulé “tweet first, verify later”

«Maximilian Schäfer, du journal allemand Spiegel, l’a dit: le fact checking ne concerne pas la vérification des faits, mais la fiabilité des sources. Or il est de plus en plus difficile de s’assurer de la fiabilité de ses sources, parce que l’on a moins de temps pour cela, parce que les sources sont multiples et disséminées sur les réseaux sociaux, et aussi, parce que, sur Internet, personne ne sait que vous êtes un chien. Enfin, si, selon Paul Bradshaw, du Guardian, qui assure qu’on laisse tant de traces sur le Net que, même si l’on ne connaît pas la source, on peut déterminer son sérieux en fonction de son empreinte numérique.

Et dans les rédactions comme la BBC, le Guardian ou CNN, les approches sont différentes. Au Guardian, ils privilégient la vitesse, donc ils publient d’abord, ils vérifient après. A CNN, qui s’appuie sur iReport, une partie du site où des amateurs peuvent partager leurs infos (environ 10.000 iReports/mois), le contenu n’est pas vérifié tant qu’il n’a pas été sélectionné par la rédaction. Côté BBC, qui reçoit environ 10.000 contributions par jour de la part des utilisateurs, la vérification des contenus venus des réseaux sociaux est beaucoup plus stricte. Une équipe surveille les réseaux sociaux 24h/24, cherche et appelle des sources éventuelles. Leur principe? Vérifier d’abord, publier après. Twitter s’est révélé une très bonne source pour la couverture du tremblement de terre à Haïti. Ça, on peut le dire aujourd’hui, mais à l’instant T, comment en être sûr?

Concernant les outils, pour vérifier les contenus générés par les utilisateurs, il y a TinEye pour les images, et Exif pour savoir avec quel appareil celles-ci ont pu être prises, mais aussi Google Maps et Street View pour les lieux. Et pour savoir si une photo a été retouchée? Le site Errorlevelanalysis.com. Il n’y a pas de secret, on utilise toujours les mêmes principes de vérification, issus du journalisme traditionnel, le tout boosté par les nouveaux outils et les réseaux sociaux.»

>> Lire la présentation sur Storify de Nicola Bruno >>

>> Lire Information venue du Web, check! sur WIP >>

Internaute, mon semblable, mon frère?

Julien Pain, journaliste à France 24, responsable du site et de l’émission les Observateurs

«Notre force, à France 24, c’est d’avoir une base de données de 20.000 personnes dans le monde, dont 3.000 sont labelisées “observateurs” parce qu’on les a jugées fiables. Tous les contenus des utilisateurs sont vérifiés avant publication, mais le plus difficile à vérifier pour nous, depuis Paris, ce sont les vidéos. Dès qu’il se passe quelque chose dans l’actualité, la rédaction à Paris passe en revue les observateurs présents dans la région concernée et les appelle.

Que peut-on demander à des amateurs? Nous “alerter” sur des choses qui se passent, “capter” des bribes d’actu et “vérifier” des éléments. Que ne peut-on pas leur demander? Fournir des papiers clés en main avec le titre le chapeau et l’information présentée de façon concise, ou de se déplacer sur commande (et gratuitement). Mon travail est d’autant plus intéressant lorsqu’il concerne des pays où il n’y a pas de journalistes, surtout lorsque les amateurs nous montrent des images que les autorités ne veulent pas que l’on voit. Le problème, c’est que les bons contenus n’arrivent pas tout seuls sur le site de France 24, il faut aller les chercher.

Quant à la vérification, elle n’est seulement le fait des journalistes. Les amateurs peuvent nous aider à vérifier des images, et leur connaissance culturelle du pays est inestimable dans cette tâche. Les contenus amateurs explosent dans les lives, et s’entremêlent aux contenus professionnels. On l’a vu à France 24, et même à Reuters qui le fait dans ses lives. L’avenir? L’image amateur diffusée en live… Et le risque de commettre des boulettes.»

>> Lire Le type du Web répond au grand reporter, la tribune de Julien Pain sur WIP >>

>> Lire Information venue du Web, check! sur WIP >>

NB: Cette conférence a aussi été l’occasion de remettre le prix de l’innovation en journalisme Google/Sciences Po et des bourses de mérite aux étudiants. Félicitations aux lauréats!

Alice Antheaume

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Qui es-tu, visiteur unique?

Crédit: Flickr/CC/Brennan Moore

Crédit: Flickr/CC/Brennan Moore

Le terme «visiteur unique» est un faux ami. Car le visiteur unique (VU) n’est pas vraiment unique. Cette unité de mesure de l’audience, graal des sites Web pour le marché publicitaire, désigne un «individu qui a cliqué sur le contenu d’un site au moins une fois pendant la période mesurée (généralement un mois, ndlr)», m’explique Berit Block, analyste européen pour l’institut Comscore, qui évalue le trafic des sites Web. Alors pourquoi s’appelle-t-il unique? «Parce plusieurs clics faits par une même personne n’augmente pas le nombre de visiteurs uniques».

Rien compris? Je reprends. Un visiteur unique sera compté une seule fois même s’il surfe deux fois sur le même site dans la journée, la semaine ou le mois. Mesurer le nombre de VU, c’est le travail que fournissent plusieurs instituts de mesure de l’audience en ligne, comme Médiamétrie/Nielsen Net Ratings, Comscore ou At Internet (anciennement Xiti), voire Google Analytics. Pour ce faire, soit ils projettent ce que fait leur panel d’internautes sur la population internaute globale (on parle alors de «user centric», de mesure centrée sur l’utilisateur) soit ils repèrent par des tags mis dans les pages des sites mesurés les mouvements de leur audience (on parle alors de «site centric», de mesure centrée sur le site, moins précise pour connaître l’utilisateur).

>> A ce stade de l’article, j’ai peut-être perdu du monde. Accrochez-vous, c’est maintenant que ça devient concret >>

Sur plus de 35 millions d’internautes en France que compte Médiamétrie, 22,7 millions d’internautes (2 sur 3) ont surfé, en mars 2010, sur un site d’info au moins — un site d’info peut être un agrégateur (Google actualités, Yahoo! actualités), le site d’un journal imprimé (lemonde.fr, liberation.fr, leparisien.fr, lefigaro.fr), un pure player (mediapart.fr, lepost.fr, slate.fr), ou la rubrique «actualités» d’un site de radio ou télé (europe1.fr, TF1 news, France 24).

Mais qui est le visiteur unique moyen des sites d’informations français? La question est simple, la réponse complexe, car selon les instituts de mesure d’audience, les chiffres ne sont pas les mêmes. A la fois sur le profil socio-démographique des internautes et sur leur comportement en ligne. La faute à des méthodologies et/OU des panels d’internautes différents (voir plus haut, pour les débats sur le sujet, voir ici). Mais avançons.

43 minutes par mois

«Le visiteur unique type d’un site d’informations, en France, a un peu plus de 55 ans, répond pourtant Berit Block, de Comscore. Aucun indicateur ne montre qu’il serait plutôt de sexe masculin ou de sexe féminin. La plupart des visiteurs uniques du Monde.fr ont entre 45 et 55 ans, voire plus de 55 ans. Mêmes catégories d’âge pour leparisien.fr et pour lefigaro.fr. Quant à Liberation.fr et Slate.fr, ils ont, eux, la majorité de leurs internautes dans la catégorie des 25-34 ans.»

Allons voir chez Médiamétrie maintenant. En moyenne, chaque visiteur ayant surfé sur un ou plusieurs site(s) d’actualité au mois de mars 2010 y a passé 43 minutes. Voilà pour l’ensemble. Si l’on rentre dans les catégories (pure players, sites de presse, etc.), cela donne le tableau ci-dessous.

Segments de la sous-catégorie Actualités

Audience (000)

Temps par personne

Sites de presse

17 210

00:31:41

Pure players / Web informations

6 814

00:08:59

Rubrique news des chaînes TV / Radio

8 450

00:09:58

Rubrique news des portails / Agrégateurs

15 984

00:18:05

TOTAL

22 720

00:43:07

Source: Médiamétrie mars 2010

Toujours selon Médiamétrie, les internautes de catégorie socioprofessionnelle supérieure «surconsomment» les pure players. «Les CSP+ représentent 37,1% de ces sites» alors qu’ils ne forment que 26,4% de la population internet globale. Mais sur l’information, cela ne veut pas dire grand chose: «Les jeunes de milieu défavorisé, personne ne sait où ils sont, dit un connaisseur. Ils semblent ne se connecter à aucun site d’info.

Boulimique et volatile

Autre enseignement: le VU français est gourmand — d’après Comscore, la population d’internautes a augmenté de 13% en France depuis un an, le nombre de VU sur les sites des titres de presse a augmenté plus vite, avec une moyenne de 30% d’augmentation — et, surtout, volage. Il y a un assez fort taux de duplication entre les VU des différents sites Web d’infos. Ils sont par exemple 2 millions par mois, selon les chiffres de Comscore, à aller à la fois sur lemonde.fr (6,9 millions de VU en mars) et sur lefigaro.fr (4,1 millions de VU). Côté Médiamétrie, on compte 5,9 millions d’internautes qui se sont rendus non seulement sur (au moins) un site de journal mais aussi sur (au moins) un pure player dans le même mois. «La plupart des VU consomme trois ou quatre sites d’informations par mois», reprend Julien Jacob, consultant.

Parmi les 17,2 millions de visiteurs de sites de journaux (une catégorie des sites d’infos) comptabilisés par Médiamétrie, seuls 20,6% d’entre eux ont uniquement visité ces sites de journaux, et ne sont allés ni sur les portails et agrégateurs (Google, Yahoo!…), ni sur les pure players, ni sur les rubriques «news» des chaînes TV/Radio, relève Estelle Duval, directrice du développement de Médiamétrie/Netratings.

Peu de visiteurs exclusifs

«La duplication des visiteurs sur les différents sites d’actualité est terrifiante et c’est aussi une formidable opportunité pour les sites Web d’infos de se refaire un style, une marque, un ton». Car ces statistiques ne servent pas qu’à appâter les annonceurs pour qu’ils achètent de la pub en fonction de la cible qu’ils visent. «En plus d’être une mesure pour le marché publicitaire, le VU est une mesure éditoriale, souligne Estelle Duval. Cela permet de mieux penser les rubriques d’un site, de savoir d’où vient le trafic, en accès direct sur la page d’accueil ou par moteur de recherche, par exemple, et qui sont les lecteurs».

Sans dire qu’il faille concevoir des contenus en fonction de ces chiffres, ceux-ci peuvent s’avérer très utiles pour piloter les sites d’infos. En regardant de près ces statistiques, «on découvre souvent le contraire de ce que l’on croyait savoir de son audience, s’amuse Julien Jacob. Il y a un vrai décalage entre le positionnement éditorial d’un média et sa perception par le public.» C’est bien ce qu’avaient expérimenté les fondateurs du Post.fr, au lancement du site en septembre 2007. Tout avait été alors conçu pour s’adresser à un public très jeune, celui que sa filiale lemonde.fr ne parvenait pas à toucher. Olivier Lendresse, responsable du développement d’alors, s’en souvient encore: «Quatre mois après, sont arrivées les premières études sur l’audience, on s’est rendu compte qu’on n’avait pas du tout affaire au public que l’on croyait. L’audience n’était ni jeune ni homogène. Non, on avait une multitude d’audiences de niche». Un constat qui calme ceux qui croient avoir construit une signature éditoriale unique sur leur site Web. La cause de ce taux de duplication? Probablement l’uniformisation des contenus sur les divers sites d’infos.

Cherche visiteur engagé

Désormais, avoir un grand nombre de visiteurs uniques infidèles, impersonnels et zappeurs — souvent venus via une requête dans un moteur de recherche, n’est plus une fin en soi pour les sites d’information. Il s’agit désormais de transformer ce VU en visiteur régulier et impliqué, qui se connecte souvent et le plus longtemps possible: après le «bigger is better», valse à trois temps entre éditeurs, mesureurs et annonceurs, voici venu le temps du «small is beautiful».

Alice Antheaume

Quel type de visiteur unique de site d’infos êtes-vous? A vous de raconter vos pratiques dans les commentaires…

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