7 prédictions pour le journalisme en 2016

Crédit: Flickr/CC/nicksie2008

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Nouvelle année oblige, la période est aux prophéties. Voici ce qui pourrait compter dans les rédactions en 2016. Au programme: l’impact des contenus journalistiques, la vitesse de chargement, le poids des pages, la multi-publication sur les diverses plates-formes américaines, la vague américaine des pure-players, la vidéo et… les doutes.

* L’impact

C’est le nouveau mot-clé dans l’écosystème numérique. “Nous ne construisons pas Buzzfeed pour obtenir le plus de clics, de partages, ou de temps passé possible. Nous construisons Buzzfeed pour avoir un impact positif sur la façon dont les gens vivent”, écrit son président Jonah Peretti à la fin de l’année 2015.

Autant dire que le visiteur unique, ce mètre étalon qui comptabilise les individus ayant cliqué au moins une fois sur le contenu d’un site sur une durée d’un mois, a du plomb dans l’aile. C’est aussi vrai pour les contenus publicitaires, pour lesquels “les clics ne sont pas très utiles”, confirme Jay Lauf, le directeur de publication de Quartz, un pure-player dont j’ai déjà parlé ici. “Les marques cherchent d’autres moyens de mesurer leur impact”.

L’impact, c’est donc un mélange sophistiqué entre l’influence, la notion d’engagement des lecteurs, et la capacité, via l’écriture de contenus journalistiques, à susciter le changement dans la société. Pour l’instant, personne n’a encore trouvé comment le mesurer.

* La vitesse

Vous pensiez le temps de la décélération arriver? Que nenni ! Qu’il s’agisse des AMP (accelerated mobile pages) de Google ou des “instant articles” de Facebook, le mot “vitesse” est partout.

“En tirant parti de notre technologie qui permet d’afficher très vite photos et vidéos dans l’application Facebook, les articles se chargent instantanément, 10 fois plus vite que sur le Web mobile”, vante Facebook à propos de ses “instant articles”, ces contenus produits par quelque 350 médias dans le monde, dont Le Parisien et Les Echos en France, identifiés par un petit éclair en haut à droite du titre, et intégrés directement sur le réseau social lorsqu’il est consulté depuis une application mobile.

Google est sur la même ligne: “à chaque fois qu’une page prend trop de temps à charger, on perd un lecteur”.

On estime à 5 secondes le temps maximum supporté pour le chargement d’une page avant que l’internaute perde patience et fuit. C’est peu. Autant dire que la vitesse à laquelle on accède à une information est plus que clé. C’est la condition sine qua non pour que les lecteurs s’informent en 2016.

* Le light

Pour obtenir des pages en ligne qu’elles s’affichent vite, il faut qu’elles soient légères. Or le Web en général souffre d’une grave crise d’obésité.

Il y a trop d’éléments qui clignotent dans tous les sens, des lignes de code qui sont très gourmandes en bande passante, des photos qui pèsent des tonnes, sans oublier les publicités bien grassouillettes, dénonce Maciej Cegłowski, un ingénieur basé à San Francisco. “Vous avez bossé dur pour créer un beau site, optimisé pour être performant (…). Une fois cela fait, vos annonceurs vous mettent des merdes par dessus (…) dont l’objectif est de casser votre belle esthétique et d’accaparer l’attention du lecteur au détriment de ce pour quoi il était venu sur votre site”. Bientôt venu le temps du minimalisme numérique?

* La multi-publication

Fini le temps où l’on publiait ses contenus uniquement sur son site ou son application mobile. Désormais il faut “irradier” et s’incruster chez les autres.

Buzzfeed diffuse sur… 30 plates-formes extérieures à la sienne, martèle encore Jonah Peretti dans son mémo intitulé “a cross platform, global network”.

CNN produit des contenus exclusifs adaptés à des applications extérieures à la sienne, comme The List App, ou Snapchat, dont la partie informations, Snapchat Discover, a été lancée il y a un an. Promesse d’une “portée immense” auprès des jeunes, l’application mobile aux 100 millions d’utilisateurs actifs quotidiens suscite l’intérêt de multiples médias. En France, Le Monde a, a priori, remporté le pompon et est en ordre de bataille pour y publier des contenus toutes les 24h.

Sauf qu’à chaque plate-forme ses contenus, ses rythmes de publication, son écriture. Pas simple d’avoir des équipes compétentes pour chacune de ces plates-formes. Le Parisien, qui teste depuis quelques semaines les “instant articles” de Facebook, en revient. Pour l’instant, Guillaume Bournizien, directeur du marketing digital, s’est dit “déçu” lors de la conférence sur les nouvelles pratiques du journalisme organisée à Sciences Po, le 7 décembre 2015.

Dans la même optique, Libération a mis en place, lors des élections régionales de décembre 2015, un live d’un nouveau genre sur WhatsApp, l’une des applications de messagerie instantanée les plus populaires au monde avec 900 millions d’utilisateurs actifs chaque mois. Il s’agit d’informer sur téléphone des lecteurs “sans passer par notre application mobile ou par les réseaux sociaux traditionnels”, explique l’équipe après coup.

The Guardian s’est aussi essayé à WhatsApp en couvrant sur l’application le débat télévisuel des candidats républicains, avec l’inénarrable Donad Trump, aux Etats-Unis en décembre dernier.

Objectif: toucher des audiences qui ne sont pas dans les radars habituels des médias en allant les chercher là où elles se trouvent déjà.

* La vague américaine

Après le lancement en France de Le Huffington Post en 2012, puis Buzzfeed en 2013, d’autres médias nés aux Etats-Unis viennent s’implanter dans l’hexagone, avec des lancements prévus en 2016.

Une vraie vague américaine, dans un pays dont le nombre de pures players par habitant est plus élévé qu’ailleurs, et alors que l’un des premiers pure player français, Rue89, est englouti par sa maison mère, L’Obs. C’est le cas du Huffington Post, de Buzzfeed, de Mashable, de Business Insider et d’autres encore.

Tous, conscients du désavantage d’avoir des noms imprononçables par la majorité des Français, ont fait le choix de s’associer avec des médias déjà implantés dans l’hexagone : Le Huffington Post, avec Le Monde, Mashable, rattaché au pavillon de la chaîne internationale France 24, et Business Insider sous la houlette du groupe Prisma.

Marie-Catherine Beuth, ex-Le Figaro, va coordonner le lancement de ce pure player sur le marché français. “Business Insider, c’est un gros site aux Etats-Unis qui couvre l’actualité économique, les nouvelles technologies et la politique”, explique-t-elle au micro de l’émission L’Atelier des médias sur RFI. “ Titres malins, photos accrocheuses… L’idée, c’est d’informer de façon pertinente et efficace les nouveaux consommateurs d’informations”, ces fameux «millennials» qui délaissent les médias traditionnels, et que les annonceurs veulent à tout prix toucher.

* La vidéo

Ce n’est pas vraiment nouveau mais, en 2016, les médias traditionnels comptent mettre le turbo sur la vidéo. Au Monde, à BFM TV, à l’AFP, tout le monde veut produire des vidéos, toujours plus de vidéos en ligne. Même pour ceux dont l’image n’est pas le premier métier.

“La radio filmée n’est pas l’avenir de la radio, mais la vidéo, oui”, glisse Fabien Namias, le directeur général d’Europe 1. A Buzzfeed, 1 milliard de vidéos vues par mois, ils produisent mêmes des séries, disponibles sur l’Itunes Store. Le format vidéo est plein de promesses: facilement monétisable – quoique parfois bloqué, il peut aussi être très partagé sur les réseaux sociaux.

Reste une équation pas si facile à résoudre sur la vidéo: quels formats définir? Qu’est-ce qui marche en ligne et sur mobile? Entre les partisans des vidéos sans le son, qui peuvent se regarder sans écouteur, ceux qui pronent le format vertical, et ceux qui veulent des vidéos animées pour Snapchat, une foule de possibilités s’offre aux médias, à la fois pour raconter l’actualité chaude, et pour proposer des rendez-vous décalés.

* Les doutes

Est-ce un symptôme ou une conséquence des attentats qui ont touché la France en 2015? Alors que les journalistes ont travaillé parfois comme des automates pendant des semaines, ils ont fait face à une multiplication des théories du complot en ligne, des photos montées, ou, pire, de faux témoignages sincères. Des témoins, réellement paniqués, racontent n’importe quoi, dans les rues et sur les réseaux sociaux, croyant vraiment avoir entendu ci, vu ça. Il n’en est rien. Mais en ligne, climat de psychose oblige, la rumeur est comme la panique: irrationnelle.

Les journalistes français s’en souviendront: il leur faut aussi vérifier la véracité des paroles de tous ceux qui, ébranlés comme jamais, ont été traumatisés par ces drames.

Excellente année 2016 à tous !

Alice Antheaume

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Liens du jour #39 spécial The Social Network

Crédit: Sony Pictures Releasing France

Crédit: Sony Pictures Releasing France

A regarder The Social Network, qui sort en salles mercredi 13 octobre, le rêve est là, à portée de clic. Il se résume ainsi: “Depuis un simple ordinateur, la technologie te permet de créer quelque chose qui peut changer la société. Tu n’as pas besoin de secrétaire, ni d’immeuble remplis de bureaux, ni d’employés”, comme le résume cet article du New York Times, intitulé “La version filmique de Zuckerberg divise les générations“. C’est là le “génie” du fondateur de Facebook, s’enthousiasme la génération digitale, quand les plus âgés ne peuvent s’empêcher de le trouver “vraiment trop méchant”. Un film clivant, donc?

Entre ambition et honneur

Au-delà du débat sur la personnalité du plus jeune milliardaire de la planète, le film illustre une quasi guerre des religions, comme le note The New York Observer: celle qui voit s’affronter Zuckerberg, “juif à l’ambition impitoyable”, contre les jumeaux Winklevoss, purs WASP de l’Université d’Harvard, se décrivant eux-mêmes comme des “gentlemen” et prêts à tout pour faire respecter, disent-ils, la noblesse du “code de l’honneur”. Dans la vraie vie, comme dans le film, Tyler et Cameron Winklevoss ont porté plainte contre le fondateur de Facebook, qu’ils accusent d’avoir volé leur idée de réseau social, et d’avoir fait croire qu’il travaillait pour eux alors qu’il construisait à son propre site. En 2008, ils ont déjà obtenu en justice 20 millions de dollars de réparation et 45 millions de dollars en actions. Ils ont fait appel.

Et les femmes dans tout cela?

Dans le film, elles sont reléguées au rang des groupies, ou, pire, d’objets: on les voit via des photos mises en ligne sur Facebook, sur lesquelles leurs congénères masculins cliquent pour évaluer leur sex-appeal. Slate.com s’interroge: The Social Network est-il sexiste? La seule fille qui ait un rôle, c’est l’ex-chérie de Mark Zuckerberg, Erica Albright (incarnée dans le film par Rooney Mara), qui, sans le vouloir, est à l’origine de Facebook, projet monté par Zuckerberg par désespoir amoureux, si on lit le scénario entre les lignes. A ce titre, la scène d’ouverture s’avère édifiante: c’est une scène de rupture amoureuse articulée comme si le dialogue se faisait par chat sur Facebook.

Outre Mark Zuckerberg (joué par Jesse Eisenberg) et son acolyte Eduardo Saverin (Andrew Garfield), le héros du film, c’est Facebook (trombinoscope en français). Un réseau créé en 2004 qui a su développer “une addiction chronophage, décrypte Le Monde Magazine. En moyenne 23 heures par mois sont passées sur Facebook. Mais des temps d’utilisation de 40 à 60 heures mensuels n’ont rien d’inhabituel”. Pour parfaire le tableau, rappelons que Facebook détient plus de 500 millions de membres d’inscrits, et sa valeur est aujourd’hui estimée à 33 milliards de dollars (23,6 milliards d’euros). Reste que, même si l’on voit beaucoup de personnages du film “manger du code (html, ndlr)” pour construire les coulisses de Facebook, The Social Network n’est pas un documentaire sur le plus gros réseau social du monde qui décrirait par le menu l’histoire du poke ou les enjeux de la vie privée.

L’ode aux entrepreneurs

Oui, le vrai Zuckerberg a emmené sa vraie équipe voir une projection du film avec le fictif Zuckerberg. C’était “fun”, apparemment, rapporte Reuters. De fait, selon Pete Cashmore, le patron de Mashable qui en fait sa chronique sur CNN, le créateur de Facebook ne peut pas ne pas aimer ce film. Toute l’histoire sonne vraie pour les entrepreneurs des nouvelles technos: “les bonnes idées ne donnent rien sans un indéfectible investissement et des innovations permanentes”.

AA

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