De l’état des pages d’accueil sur les sites d’informations français

Crédit: AA

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Les pages d’accueil des médias en ligne seraient-elles devenues des vitrines surannées? Chez Buzzfeed, 75% du trafic provient des réseaux sociaux, tant et si bien que “la home page de Buzzfeed, c’est en quelque sorte Twitter ou Facebook”, annonce Dao Nguyen, la directrice du développement de Buzzfeed. Toujours aux Etats-Unis, chez Quartz, le pure-player sur l’économie, c’est encore plus radical: la traditionnelle “home page” n’est plus. Et en France? Il y a quelques années déjà, feu lepost.fr avait constaté l’érosion de la home page avec 75% de ses pages vues sur des pages articles – c’est-à-dire des pages menant directement aux contenus.

Pour connaître l’impact des pages d’accueil sur le trafic des sites d’informations français en 2013, j’ai essayé de récolter, auprès de ceux-ci, des indicateurs provenant de leurs propres outils de mesure (Google Analytics ou Xiti): la part de la page d’accueil sur le trafic du site, ainsi que le trafic en provenance des réseaux sociaux et des moteurs – en l’occurrence Google News et le “search”.

Attention, les pourcentages sont proportionnels à l’audience des sites.

Ces données, déclaratives, forcément incomplètes, disponibles dans les infographies ci-dessous, montrent que la page d’accueil, si elle ne résume plus un site d’infos à elle seule, continue à compter.

Résultat: la page d’accueil compte surtout pour Liberation.fr, où elle est un carrefour primordial, avec 50% de ses pages vues. Même chose pour 20minutes.fr dont la page d’accueil, longue, aux titres bigarrés, a été, dès 2007, l’une des spécificités du site et compte pour 36% des pages vues. Sur Lemonde.fr et NouvelObs.com, la page d’accueil prime toujours, avec 35% des pages vues.

Poids lourd ou poids léger?

A l’inverse, elle ne pèse presque rien pour Le Plus (3% des pages vues), France TV Info (7% des pages vues) et Le Huffington Post (9% des pages vues). La jeunesse de ces derniers (Le Plus est né en mai 2011, France TV Info en novembre 2011, et Le Huffington Post s’est créée en janvier 2012) les aurait-elle affranchi d’un vieux modèle? Cette hypothèse n’est pas la seule explication si l’on regarde le score d’Atlantico, lancé en février 2011, dont la page d’accueil récolte 20% des pages vues. De même, Rue89, créé en 2007, voit sa “home page” générer 49% des pages vues, quand celle de Médiapart, un média né en 2008, fait 45%, et celle de Slate.fr, lancé aussi en 2008, 36%. Des scores bien supérieurs à ceux des pages d’accueil de lexpress.fr (20% des pages vues) ou du Parisien.fr (29%).

La page d’accueil incarne toujours l’image du site

“Même si ce n’est pas encore vraiment le cas sur BFMTV.com, on sait que de moins en moins de personnes passent par la page d’accueil”, anticipe Clémence Lemaistre, rédactrice en chef de BFM TV.com, dont la page d’accueil représente 34,6% des pages vues.

Tous les interrogés martèlent que la “home page”, si elle a perdu de sa superbe, demeure un élément clé de leur stratégie éditoriale. Elle “pose notre identité”, explique Celia Meriguet, rédactrice en chef de France TV Info. Elle incarne “l’image de la marque”, pour Eric Mettout, directeur adjoint de la rédaction de L’Express.

Elle est surtout le reflet de la hiérarchie journalistique pour Yann Guégan, de Rue89. C’est l’espace où l’on présente “ce que l’on a à raconter” avec des images choisies pour interpeller le lecteur et des titres ad hoc – qui ne sont pas forcément les mêmes sur la page d’accueil que dans la page article. “Tout se joue sur les titres”, longs voire très longs sur la une d’Atlantico, “et c’est là-dessus que nous mettons le paquet”, m’indique Jean-Sébastien Ferjou, directeur de la publication d’Atlantico.

Au final, toutes les pages d’accueil sont truffées de liens (près de 400 sur la seule “une” du Huffington Post) et ont tendance à s’allonger pour présenter les informations, non seulement de la journée, mais également des jours précédents.

La page d’accueil reste “statutaire”

La page d’accueil rassure les journalistes parce qu’elle met en majesté leurs choix éditoriaux. Elle rassure aussi les annonceurs pour qui c’est un espace “statutaire”. “Elle n’est pas systématiquement demandée par les internautes mais elle l’est très souvent par les annonceurs”, confirme Pierre Koetschet, rédacteur en chef adjoint de 20 Minutes.

Se détourner de la page d’accueil, c’est aussi prendre le risque de dégrader le référencement des contenus dans Google News. “On sait que Google News est sensible à la place d’un papier sur la home page quand il lui attribue des points”, détaille Eric Mettout. Une règle qui n’est écrite nulle part mais que les spécialistes du SEO (search engine optimization) connaissent bien: plus le sujet est placé en “tête de gondole” sur la page d’accueil plus il aurait de chances de remonter dans Google News.

Prime aux nouveaux sur les réseaux sociaux

La provenance du trafic des sites d’informations tend à se modifier. Si les moteurs sont toujours, et sans doute encore pour longtemps, des vrais mastodontes (50% des visites en provenance des moteurs pour Le Plus, 48% pour Lexpress.fr, 41,1% pour leparisien.fr), ils font place à une autre source de trafic: les réseaux sociaux.

Le Lab a le plus fort pourcentage de visites (41%) en provenance des réseaux sociaux, avec 23% issus de Twitter et 18% de Facebook – un pourcentage à relativiser avec l’audience totale du Lab. Puis viennent Médiapart avec 35% de visites issues des réseaux sociaux et Slate.fr avec 30%.

Sur ce créneau, les sites d’infos traditionnels, de la presse magazine ou quotidienne, tournent en majorité sous les 10% d’accès via les réseaux sociaux, pas plus. Lemonde.fr fait 10% – ce qui est déjà énorme étant donnée l’audience du Monde.fr -, lexpress.fr récolte 10% aussi de ses visites par les réseaux sociaux, NouvelObs.com 9%, Leparisien.fr 7%, quand Lequipe.fr et lepoint.fr récoltent 4%.

Les derniers nés en ligne compensent la faiblesse de leur notoriété naissante en s’appuyant sur le partage. Il y a donc bien, ici, une prime aux jeunes médias et aux pure-players sur les réseaux sociaux.

Alice Antheaume

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La culture populaire à l’abordage des sites d’infos français

Crédit: M6

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Avant, c’était simple. Ce qui faisait de l’audience sur les sites d’infos français, c’était le 11 septembre 2001, le duel Chirac-Le Pen en 2002, les attentats de Madrid en 2004, ceux de Londres en 2005, ou encore l’élection présidentielle de 2007. Maintenant, les sujets qui se révèlent être les meilleurs pourvoyeurs de trafic pour les sites généralistes s’appellent Super Nanny (la star d’un show télé), Filip Nikolic (l’ex-leader des 2be3, un boy’s band des années 90) et Jocelyn Quivrin (un acteur décédé en novembre 2009 dans un accident de voiture). Sans exagération aucune, le jour de la mort de Super Nanny, alias Cathy Sarraï, le 20 janvier 2010, a été un moment historique pour plusieurs sites d’infos français.

20minutes.fr a reçu 1 million de visites sur la seule journée du 20 janvier, soit presque deux fois le nombre de visites comptabilisées en moyenne chaque jour. Si l’article annonçant le décès de Super Nanny est le plus lu de toute l’histoire de 20minutes.fr, un site dont l’ADN est de mixer des sujets légers et sérieux, ni LeMonde.fr ni Libération.fr, moins attendus sur ces sujets, n’ont échappé à l’engouement des lecteurs. Alors que le site du quotidien du soir s’est contenté d’éditer une dépêche AFP intitulée «Super Nanny est morte», celle-ci a figuré pendant deux jours parmi les articles les plus envoyés par email. Idem à Liberation.fr qui a fait, ce jour-là, sa plus grosse audience depuis les élections européennes (637.000 visites le 20 janvier).

Accident de parcours ou vraie tendance?

«Ce jour-là m’a déprimé, j’ai eu envie de rendre ma carte de presse», soupire Ludovic Blecher, rédacteur Ln chef de liberation.fr. «D’autant que c’était un mois où il y avait de l’actu, avec le tremblement de terre en Haïti, et la polémique autour de Georges Frêche».

Mais les internautes en ont décidé autrement. Et contraint les sites d’infos à s’adapter. Néanmoins, cela été un vrai cas de conscience pour les rédactions de sites d’infos dits «sérieux»: que faire d’un sujet ultra populaire? 1. Le zapper, au risque de passer à côté d’un événement qui intéresse les lecteurs et de se priver de l’audience qui va avec. 2. Le traiter, mais du bout des doigts, pour ne pas faire le grand écart entre le nucléaire en Iran et la dernière frasque de Britney Spears. 3. L’assumer, en faisant autre chose que donner l’information, par exemple en livrant une enquête poussée sur Cathy Sarraï.

La plupart ont choisi l’option numéro deux. «On a traité l’information avec deux heures de retard, me raconte un journaliste du Monde.fr. Et on ne l’a pas monté tout en haut de la page d’accueil mais mis dans notre liste d’articles sans photo en bas de la page d’accueil.» Même réponse du côté de Libération.fr: «70% du trafic sur Super Nanny est venu du “search” (par exemple en tapant Super Nanny dans Google et en cliquant sur l’article de Libe.fr dans la page de résultats, ndlr). Cela veut dire que l’essentiel de l’audience sur ce sujet ne s’est pas connectée “directement” sur liberation.fr mais est arrivée par des agrégateurs externes. Du coup, il n’y avait pas besoin de mettre Super Nanny sur la page d’accueil pour avoir du trafic.»

Série de morts d’icônes populaires

Avant la mort de Super Nanny, il y a eu celle de Filip Nikolic, de Jocelyn Quivrin et celle de Michael Jackson. Mais aussi les humeurs de Laure Manaudou, en 2007. Les sites qui ont publié ces informations ont vu leur audience augmenter de façon spectaculaire. Comment expliquer cette poussée de trafic sur le people? D’abord parce que le «marché», en ligne, a évolué. Quand l’accès à Internet était surtout accessible depuis les bureaux privilégiés que chez monsieur tout le monde comme c’est le cas aujourd’hui, les sites d’infos traditionnels publiaient en majorité des articles parlant de politique ou de diplomatie. Laissant à d’autres les faits divers ou la culture dite populaire, comme la télé, les loisirs, la culture Internet, le people. L’arrivée de nouveaux venus comme lepost.fr et 20minutes.fr a tout changé, en s’engouffrant dans ces thématiques. Et obligeant les médias traditionnels à les suivre sur ce terrain.

L’infotainment en vigueur

La tendance n’est pas que française. Au Brésil, en Angleterre, en Inde, ou aux Etats-Unis grandit l’appétit pour «l’infotainment», un néologisme issu de la contraction entre information et entertainment (divertissement). En Inde, les éditeurs parlent du «règne des 3C» dans les médias, à savoir le crime, le cricket, et le cinéma, les trois domaines qui recueillent le plus de suffrages.

«Il faut savoir qui vous regarde, rappelle un journaliste de TF1. Super Nanny a échappé à beaucoup de journalistes. Personnellement, je n’avais même jamais regardé l’émission. Mais à l’occasion de son décès, cela méritait que je change de lunettes, même si Super Nanny était sur une chaîne concurrente (M6, ndlr)». Tous les journalistes interrogés le disent: ils n’avaient pas mesuré l’attachement des Français pour cette femme. Ce qui pose avec acuité le problème de la déconnexion entre les rédactions et leurs lecteurs/auditeurs. «Même si la rédaction de Libe.fr avait bien senti que le sujet montait sur le Web (Super Nanny a fait partie des dix sujets les plus évoqués sur Twitter pendant une heure, une première pour un thème franco-français), je n’aurais jamais imaginé l’ampleur que le phénomène allait avoir», reconnaît Ludovic Blecher.

L’émotion avant tout

Interloquée, la rédaction du Monde.fr a aussi regardé de près le comportement de ses lecteurs en ligne. «Les rares fois où nous faisons des sujets people, nos internautes sont assez agressifs, arguant que Hubert Beuve-Méry, le fondateur du Monde, doit se retourner dans sa tombe en lisant ça, que nous violons la ligne éditoriale du journal, etc. Mais cette fois, pour Super Nanny, les commentaires ont été plutôt positifs.» La raison? «Les sujets people sont le plus souvent bâtis sur des rumeurs, reprend ce journaliste du Monde.fr. Or dans le cas d’un décès, il s’agit d’un fait.» Inattaquable, donc.

Alors quoi? La ligne éditoriale des sites doit-elle être déterminée par les goûts des internautes? Ou faut-il que les journalistes choisissent leurs sujets indépendamment de ce que plébiscite l’audience? Tout est question de curseur, et d’angles. L’art étant de doser entre informations essentielles — mais qui n’intéressent peut-être pas le grand public — et des sujets à visée populaire. Le risque, à terme, c’est que s’installe un journalisme à deux vitesses. Un journalisme d’élite, d’un côté, et un journalisme populaire, de l’autre. Sans que les deux puissent se rencontrer?

Pas sûr. Si la ligne éditoriale d’un site d’infos et les goûts des internautes ne coïncident pas toujours, il y a au moins une chose qui fait l’unanimité. C’est gagné quand l’article véhicule ou suscite une émotion, comme le montre cette étude sur les articles les plus envoyés du New York Times. Et cela reste valable même si l’article parle de cosmologie.

Alice Antheaume

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