Benoît Raphaël, le rédacteur en chef du Post.fr, a quitté ses fonctions. Deux ans et demi après le lancement de ce site ovni, filiale – pour l’instant – à 100% du Monde Interactif, c’est l’occasion de faire un rapport d’étape.
L’audience participe à l’élaboration des contenus, et ce, à hauteur de 40 % des articles publiés sur le site. «Jamais on n’aurait imaginé que l’audience allait produire autant», dit l’un des fondateurs du site. De fait, on dénombre sur lepost.fr environ 300 contributions d’internautes par jour, jusqu’à 600 les très bons jours. Pire (ou mieux, c’est selon), si la production des 14 journalistes de la rédaction augmente, elle est proportionnellement moins regardée par l’audience que celle des 40.000 utilisateurs inscrits – dont seulement 1.000 actifs (qui se manifestent une fois par mois) et 300 très actifs, souligne Alexandre Piquard, l’ancien rédacteur en chef adjoint qui assure par intérim la direction du site. Sans oublier qu’un tiers du trafic est assuré par des blogueurs stars comme Tian, ultra productif sur l’information régionale (17 posts sur la seule journée du 4 mars 2010, près de 9% de l’audience à lui tout seul), Bruno Roger-Petit et Guy Birenbaum, qui vient de partir du Post.
L’équipe du Post ne supporte pas qu’on lui dise qu’elle fait du journalisme citoyen, elle préfère le terme de «journalisme en réseau» façon crowdsourcing. Car certains articles (une vingtaine par jour) sont issus d’une coproduction entre les inscrits et la rédaction. «Les journalistes passent beaucoup de coups de fil pour vérifier les informations de la communauté, m’explique Alexandre Piquard. Même si c’est juste pour rajouter une phrase en fin d’article, on leur a inculqué la culture du doute, et on leur demande en permanence de “border” leurs informations». Comprendre: assurer la véracité de la publication. «Je préfère qu’on publie avec 5 minutes de retard plutôt qu’on publie une information fausse», dit encore Alexandre Piquard.
Au lancement du Post.fr, en septembre 2007, tout avait été conçu pour s’adresser à un public jeune, celui que sa filiale lemonde.fr ne parvenait pas à toucher. Olivier Lendresse, responsable du développement d’alors, s’en souvient encore: «On faisait des opérations marketing visant les spectateurs de la Star Academy et de séries télé comme Le Destin de Lisa (une télénovela diffusée sur TF1, ndlr), mais quand, quatre mois après, sont arrivées les premières études sur l’audience, on s’est rendu compte qu’on n’avait pas du tout affaire au public que l’on croyait. L’audience n’était ni jeune ni homogène. Non, on avait une multitude d’audiences de niche». Ici, des retraités, là des internautes fans de Ségolène Royal, ou encore, un enregistreur d’émissions télé, nommé Full HD Ready. «Lepost.fr est une sorte de monstre que l’on a appris à connaître», s’amuse l’équipe.

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Parmi les sujets très bien couverts par lepost.fr, le démontage des buzz, les faits-divers, la politique (parfois trash), le people, les lolcats, les programmes télé, les vidéos, etc. «L’idée de départ, c’était d’être populaire et local, reprend Olivier Lendresse. De faire des posts sur toutes les sujets dont on parle à la machine à café». Lepost.fr, pour beaucoup, est ainsi devenu un «média de discussion». D’où les photomontages, souvent grossiers. Et le ton, très oralisé. Loin des titres déclaratifs sujet/verbe/complément de son grand frère Lemonde.fr, les titres du Post.fr sont le plus souvent interrogatifs («La fiche judiciaire d’Ali Soumaré consultée près de 40 fois par des policiers?»; «Pécresse y croit encore: oui, mais à quoi?»; «Plus Belle la Vie: Boher a-t-il souci à se faire pour son couple?»). Pour certains, c’est le premier site Web d’info à faire du LOL.
Lepost.fr a souffert d’être considéré comme «la poubelle du Web», comme l’appellent ses détracteurs. Dans les propres rangs du Monde (papier), les critiques ont été, et sont toujours, vives. Auprès des médias traditionnels, cela a été l’incompréhension. Comment le prestigieux journal Le Monde pouvait-il laisser publier des contenus certes originaux mais éditorialement limités? La rédaction du Post a appris à se blinder, et a fini par faire sa place au soleil, obtenant 2,9 millions de visiteurs uniques en janvier 2010. Un succès d’audience, sinon un succès journalistique au sens traditionnel du terme. «Au début, les internautes eux-mêmes nous lynchaient dans les commentaires, mais ils cliquaient comme des malades sur les articles», rit l’un des membres de l’équipe. Aujourd’hui, les rumeurs de rachat du Post.fr, relayées par les journaux, montrent que le site — malgré un chiffre d’affaires étrangement bas — a de la valeur.
Obsédé par l’immédiateté de l’information, lepost.fr ne rate (presque) jamais l’occasion de traquer des «breaking news» sur le réseau. Sur ce créneau, le site a un rival, 20minutes.fr. Ces deux rédactions, formées à la réactivité maximale et à l’utilisation méthodique des outils du Web, sont pour l’instant les seules en France à savoir repérer en un temps record des informations. Résultat, lepost.fr, devenu concurrent des agences sur le «chaud», s’est désabonné très vite de l’AFP. Une façon de motiver la rédaction pour aller «chercher» les infos plutôt que d’attendre que ne «tombent» les dépêches de l’agence. Même si celle-ci traque, via son outil Attributor, les contenus qui lui sont «volés» et les signale au Post.fr – et à d’autres – régulièrement. «On explique très souvent à nos inscrits comment ne pas faire de copier-coller», sourit Alexandre Piquard.
C’est l’une de ses spécificités les plus intrigantes. Encore plus que sur les autres sites d’infos, les internautes ne visitent pas Le Post via la «page d’accueil» du site, mais consultent directement les articles qui les intéressent via les réseaux sociaux, les moteurs de recherche, dont Google actualités et Yahoo! News. De fait, 75% des pages vues du site sont des articles, ce qui laisse peu de place à la page d’accueil. «La navigation est horizontale, pas verticale, résume Olivier Lendresse. La page d’accueil du Post, c’est en fait une page article.»
Le Post, c’est enfin une machine bien huilée sur le SEO (optimisation du référencement sur les moteurs de recherche). «C’est un cercle vertueux, note Jean-François Fogel, l’un des fondateurs. Les internautes cliquent sur des sujets populaires qu’ils aiment, or plus ils cliquent, plus l’article remonte dans Google News, qui indexe les sujets chauds. Or plus il remonte dans Google, plus il est vu par d’autres internautes». Et voilà comment le jeu de ping-pong entre humain et machine aboutit à plus d’audience.
Et vous, que pensez-vous de l’expérience Lepost.fr? Qu’en retenez-vous? Merci pour vos commentaires ci-dessous…
Alice Antheaume
Créer ou agréger, telle est la question… (OJR, The Online Journalism Review)
Faire un effet boeuf sur un mini-écran (Cision)
Benoît Raphaël quitte lepost.fr, billet d’au revoir (lepost.fr)
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