MISE A JOUR 14 décembre 2012 (cet article avait été écrit en mai 2012): Le Guardian annonce vouloir tuer son social reader. La raison? L’envie de reprendre la main sur les interactions que le Guardian a avec ses lecteurs, plutôt que d’en laisser le contrôle à Facebook.
Cela vaut-il la peine, pour un média, de développer son «social reader» (lecteur social en VF), cette application conçue comme un navigateur à l’intérieur-même de Facebook qui propose aux lecteurs des articles du titre en fonction des recommandations de leurs amis et de leurs goûts? Le Washington Post en a un, le Wall Street Journal aussi, le Huffington Post de même. En France, Le Figaro, Le Monde, 20 Minutes, L’Equipe et L’Express en sont dotés. Or, selon le site américain Buzzfeed, les lecteurs fuieraient ces applications.
En témoigne la dégringolade, depuis avril, des courbes de connexion aux «lecteurs sociaux» du Washington Post, du Guardian et de Dailymotion. Une diminution qui pourrait résulter des changements opérés par Facebook sur sa plate-forme le mois dernier.
Le prix dans la balance
«Tant mieux, on n’aura peut-être finalement pas besoin de concevoir un social reader alors que l’on est déjà en retard sur d’autres développements», souffle un journaliste de sites d’informations. D’autant que la création d’un social reader pour un éditeur n’est pas gratuit. En France, il faut compter aujourd’hui entre 20 et 40.000 euros pour une interface comme celle du Washington Post, m’indique Matthieu Stéfani, consultant sur les nouveaux médias.
Mais peut-on en faire l’impasse? Pour Matthieu Stéfani, la «question n’est plus de savoir s’il faut faire ou non un social reader (cela reviendrait à se poser la question d’être ou non sur Google)» mais de comment le faire. Aucun doute selon lui, «le social reader a permis à plusieurs médias de faire exploser le trafic en provenance de Facebook, arrivant même pour certains à battre Google News».
«Les éditeurs dont la courbe de connexion baisse le plus sont ceux qui se sont lancés les premiers. Ils ont eu beaucoup de monde au début, un peu moins aujourd’hui, car il y a de plus en plus de concurrence sur ce créneau», m’explique Julien Codorniou, de Facebook. «Mais la baisse reste relative quand on voit que Dailymotion a recruté 27 millions de membres en un mois, et Deezer 250.000 personnes par semaine». Ce que confirme Martin Rogard, de Dailymotion: «Au final, on a gagné 25% de vidéos vues en plus chaque jour».
Boosteurs d’audience
Les «social readers» seraient donc de fabuleux «boosteurs d’audience». Pour en avoir le cœur net, regardons les chiffres des lecteurs sociaux des médias français et notamment, les lignes DAU (daily active users, les utilisateurs actifs quotidiens) et MAU (monthly active users, soit les utilisateurs actifs mensuels) sur le site AppData, qui traque les audiences des applications disponibles sur Facebook.
Concernant L’Express, les feux semblent au vert avec 220.000 utilisateurs mensuels et une progression quotidienne du nombre d’utilisateurs.
Idem, du côté de L’Equipe, les courbes sont en augmentation, même si le nombre d’utilisateurs mensuels n’atteint pour l’instant que 20.000 personnes.
Le lecteur social du Figaro, lancé en avril 2012, compte certes 40.000 utilisateurs actifs mensuels après un mois d’existence mais sa courbe d’audience au quotidien baisse.
C’est pourtant bien au-delà des 9.000 utilisateurs mensuels du social reader du Monde, dont les courbes à la fois mensuelles et quotidiennes fléchissent.
Néanmoins, pour des sites d’infos qui touchent des millions de visiteurs uniques par mois, l’impact peut paraître secondaire. «Le matin, les gens ne se lèvent pas en se disant “tiens, et si j’allais sur le social reader d’un éditeur”», reprend Julien Codorniou. «Certains médias partent de zéro pour acquérir leurs utilisateurs sur un “social reader”. Et il faut réussir à trouver un moyen de les retenir, via des techniques de réengagement…».
«Boucle de la viralité» facebookienne
Ce qui signifie, selon Facebook, que le «circuit» de lecture ne devrait pas souffrir de rupture. Accrochez-vous, voici l’explication:
Vous lisez un article sur l’application mobile du Washington Post et souhaitez le partager sur Facebook depuis votre mobile. Alors s’ouvre, toujours à l’intérieur de l’application mobile du Washington Post, une fenêtre vous demandant si vous l’autorisez à vous connecter sur le social reader du Washington Post sur Facebook, vous dites oui, et vous pouvez ensuite partager votre lecture sur Facebook sans quitter l’application mobile du Washington Post. Et si quelqu’un clique, depuis son ordinateur connecté à Facebook, sur l’article du Washington Post que vous venez de partager sur Facebook, cela le renvoie vers le «social reader» du Washington Post sur Facebook.
Ce qui est décrit ci-dessus serait, selon Facebook, une expérience réussie de lecture et de partage social, c’est-à-dire sans passer d’une application à l’autre et sans se perdre en cours de route.
Outre cette «boucle de la viralité» qui n’est que rarement «bouclée», déplore Julien Codorniou, les lecteurs sociaux ont d’autres avantages. 1. Toucher un public plus jeune 2. Capitaliser sur une partie du temps passé par les inscrits sur Facebook, à savoir 7 heures en moyenne par mois pour les Américains 3. Connaître les lecteurs, connectés via leurs profils Facebook.
«Cela permet de vraiment identifier quelqu’un, avec son nom, prénom, ses goûts (tels que renseignés sur Facebook, ndlr), son adresse email», dit encore Julien Codorniou. «Si un même lecteur se connecte sur le site du Monde.fr (sans s’identifier en tant qu’abonné, ndlr), Le Monde ne sait pas qui il est, alors que, sur son social reader, Le Monde peut le recontacter. La possibilité de transformer un lecteur en prescripteur, pour la presse, ça vaut vraiment le coup!»
Question de vie privée
Et si les utilisateurs rechignaient à voir s’afficher sur leurs profils Facebook leurs lectures, pas tant celles qui concernent la vie politico-économico-internationale du monde, mais au hasard la perte de poids d’une star?
En en discutant ici et là, je m’aperçois que je ne suis pas la seule à bloquer sur l’idée que tous mes amis puissent voir, en temps réel, ce sur quoi je clique. Parmi les utilisateurs potentiels des lecteurs sociaux, il y a:
A ceux qui implorent Facebook de leur permettre de choisir de partager (ou pas) les contenus lus sur un «social reader» sur leur mur, les équipes de Facebook répondent qu’il y a bel et bien un bouton on/off sur les lecteurs sociaux. «On pousse les développeurs à le prévoir». Sauf que ce bouton ne permet pas de choisir au cas par cas, et que, bien sûr, par défaut, on partage tout.
Le rapport annuel sur l’état des médias américains en 2012, réalisé par le Pew Project for Excellence in Journalism, avait prévenu: gestion de la vie privée et dépendance aux entreprises de nouvelles technologies figurent parmi les principales difficultés des éditeurs.
Utilisez-vous ou fuyez-vous les lecteurs sociaux des éditeurs sur Facebook?
Alice Antheaume
lire le billetOn croyait la pop-up condamnée à rester un format publicitaire de la fin des années 90 sur le Web. Voici qu’elle revient, en 2012, sur des sites d’informations tels que Rue89, lemonde.fr, Business Insider ou le New York Times. Et, cette fois, elle a des ambitions journalistiques.
«La pop-up, c’est le sparadrap du capitaine Haddock. On croit qu’elle a disparu, mais non!», s’amuse Julien Laroche-Joubert, rédacteur en chef adjoint au Monde.fr, qui a oeuvré à la refonte de la maquette du site, sortie en mars 2012, où figure désormais, en bas à droite de l’écran, une pop-up à contenus éditoriaux appelée en interne le «toaster».
De la pub à l’info
Si la pop-up s’offre une autre vie dans l’univers de l’information en ligne, c’est parce qu’elle a gagné ses galons dans l’univers de la messagerie instantanée. Sur Gtalk et sur Facebook, lorsque des utilisateurs conversent en temps réel, leurs échanges s’affichent par défaut dans… une fenêtre en bas et à droite de l’écran. Un usage installé par des années de pratiques et devenu un code de lecture, et même d’interaction.
«Personne n’aime les modes d’emploi», estime Julien Laroche-Joubert. L’intérêt de reprendre un code existant, c’est que «les gens comprennent tout de suite que la pop-up en question sera un lieu de dialogue avec la rédaction.»
De fait, en se connectant sur la page d’accueil du Monde.fr, ce dimanche 10 juin 2012, jour de premier tour des élections législatives, apparaît dans la pop-up la question d’un lecteur à la rédaction – question sélectionnée par celle-ci avant publication: «Avez-vous les résultats pour Mme Rosso Debord (membre de la cellule riposte pendant la campagne présidentielle de Nicolas Sarkozy et candidate UMP dans la 2e circonspection de Nancy, ndlr)?». La réponse tombe aussitôt, visible également dans la pop-up: «@Reno : Avec 33,57 % des voix, Valérie Rosso-Debord (UMP) arrive en seconde position derrière le socialiste Hervé Feron (39,51 %)».
La vitrine du «live»
En réalité, plus qu’un espace d’interaction, cette pop-up sert un autre objectif pour lemonde.fr: montrer les «lives», ces formats qui permettent de raconter en direct un événement via mots, photos, vidéos et interactions avec l’audience, que les éditeurs français ont multiplié depuis les révolutions arabes, puis Fukushima, et a fortiori pendant la campagne présidentielle.
Or la réalisation d’un live nécessite des ressources journalistiques lourdes, comme expliqué dans un précédent WIP, «tous scotchés au live». Dans ces conditions, mieux vaut le mettre en majesté. Ce qui passe, sur lemonde.fr, par l’affichage dès la page d’accueil d’un aperçu du live dans une fenêtre ad hoc. Y remonte – c’est programmé par défaut – le message le plus récent posté dans le live qui se déroule au moment où l’utilisateur se connecte. «S’il n’y a pas de live en cours, il n’y a pas de pop-up. Et s’il y a deux lives en même temps, cela devient compliqué», reprend Julien Laroche-Joubert.
Clics et allergies
Un choix qui ne fait pas que des heureux. Certains utilisateurs râlent, estimant que les lives «ne sont que du bruit, et qu’ils n’ont rien à faire sur la page d’accueil du Monde.fr», une page qui, aujourd’hui encore sur ce site, concentre l’essentiel du trafic. D’autres s’énervent contre cette fenêtre jugée intrusive: «Moi qui suis vos lives avec grand intérêt, cette petite fenêtre persistante m’agace au plus haut point pendant la lecture et le choix des articles», peste une lectrice. En effet, cette pop-up, en bonne héritière de son ancêtre publicitaire, peut au mieux se réduire, mais pas se fermer, même lorsque l’on clique sur la croix.
Malgré les doléances, 70% des lecteurs qui rentrent sur un live le font par la pop-up de la page d’accueil, annoncent les équipes du Monde.fr. Le chiffre est d’autant plus signifiant que cette «pop-up éditoriale» n’est visible que depuis un ordinateur. Elle n’apparaît ni sur mobile ni sur les réseaux sociaux, lesquels devraient bientôt être les meilleurs pourvoyeurs d’affluence sur les sites d’informations.
Questions d’ergonomie
Entre tentative d’innovation et résistance au changement, le curseur est difficile à placer pour les éditeurs. Surtout quand il s’agit de s’attaquer à l’ergonomie des sacro-saintes pages d’accueil, symboles de la hiérarchie journalistique choisie par une rédaction.
Au festival South by South West 2012, à Austin, les professionnels ont rendu un diagnostic pessimiste: selon eux, non seulement l’interface de la majorité des sites d’informations n’a pas évolué depuis presque vingt ans, mais en plus les conventions journalistiques (titre, chapeau, etc.) freinent la création de nouvelles expériences.
Quant à la pop-up journalistique, elle a le mérite de bousculer un peu la façon de «rentrer» dans des contenus, mais cela reste une surcouche, posée par dessus le «rubriquage» traditionnel des informations.
Et… autres lectures recommandées
D’autres éditeurs ont aussi recyclé, dans un but éditorial, le format de la pop-up. Sur les sites du New York Times et Rue89, celle-ci vise à recommander des compléments de lectures, et ce, uniquement dans les pages articles – pas sur les pages d’accueil. Lorsque le lecteur arrive à la fin d’un contenu, surgit ainsi une fenêtre, toujours en bas à droite de l’écran, pour «rebondir» sur d’autres contenus de la même thématique que celle qui vient d’être consultée.
Si par exemple je parviens à la chute de l’article «Comment les députés gèrent leurs frais de représentation» sur Rue89, la pop-up me préconise ceci:
Si je lis un article sur le New York Times concernant Mitt Romney, ou Barack Obama, on me suggère de poursuivre en cliquant sur un autre article de la rubrique politique:
Les éditeurs en conviennent volontiers: copier le voisin pour récupérer ce qui marche constitue une recette éprouvée. Et reprendre, dans un but journalistique, un format installé par les géants de la technologie encore plus…
Alice Antheaume
lire le billetEt si l’iPad sauvait les fabriquants d”information? (OJR, The online journalism review)
Reste que les actuels lecteurs d’e-readers n’aident pas franchement les éditeurs (SFN blog)
“En France, on déteste les journalistes”, peste Arlette Chabot, directrice de l’information à France Télévisions (Lefigaro.fr)
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