Les attentats de Boston, une nouvelle étape dans l’histoire de l’info en ligne

Crédit: Flickr/CC/thebudman623

Des centaines de milliers de photos et vidéos mis en ligne, une enquête géante menée par les internautes en même temps que celle de la police, qui par ailleurs tweete en temps réel, des erreurs et des rectificatifs, des tueurs dont l’empreinte numérique sert de premier élément pour écrire leurs portraits… Les explosions de Boston, survenues à l’arrivée du marathon le lundi 15 avril 2013, ont constitué un moment historique dans l’histoire dans l’information en ligne. L’audience s’est trouvée baignée, comme les journalistes, dans la grande marmite des informations contradictoires et a peiné à savoir ce qui était vrai ou faux. Il est temps désormais d’oeuvrer à la traçabilité des erreurs.

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1. Des yeux et des oreilles en série

Tout a commencé le jour-même des explosions, lorsque le FBI et la police de Boston ont demandé à quiconque avait photographié ou filmé le marathon de lui envoyer ses fichiers, qu’ils aient été stockés sur un téléphone, ou posté sur Instagram, Facebook, Vine, YouTube. Il y aurait eu, selon NPR, plus d’un million d’images ainsi récoltées, ainsi que plus de 1.000 heures de rushs en vidéo.

Que motive les internautes à s’investir de la sorte? Simple volonté d’aider? Envie d’aller plus vite que la police? Désir de vengeance? Psychothérapie collective en ligne? Un peu de tout cela sans doute.

Parmi les fichiers récupérés par la police, cette photo panoramique prise par Lauren Crabbe avec son iPhone, à l’exact endroit où les bombes ont explosé, 90 minutes avant le drame. Lauren Crabbe n’est pas vraiment une amateure: elle est photographe freelance et écrit de temps à autre sur les nouvelles technologies. Elle était déjà à l’aéroport pour repartir de Boston quand l’attentat est survenu. Elle a hésité à publier en ligne son cliché, détestant l’idée que cela puisse être la dernière photo des victimes, mais l’a envoyé au FBI, rassurée qu’ils sachent, eux, l’interpréter. Jour et nuit, des centaines d’enquêteurs professionnels ont travaillé pour faire parler les images recueillies – ainsi que les vidéos de surveillance – avec l’aide de logiciels de reconnaissance, qui peuvent par exemple traquer en quelques secondes toutes les tâches noires d’un paquet de photos – ici pour chercher la trace d’un sac à dos – ou la couleur du visage, claire ou foncée, d’un suspect.

2. Une enquête participative à grande échelle

Très vite, en ligne, les internautes se sont improvisés détectives et ont passé au crible chaque image du marathon de Boston pour tenter de trouver les auteurs des explosions et des informations sur les explosifs utilisés. Pour ce faire, ils ont listé toutes les pistes et hypothèses possibles, en public, sur les réseaux sociaux, sur les forums 4chan et Reddit notamment, et sur ce Google doc accessible à tous. Le travail ici réalisé est stupéfiant. Le tableur comporte comporte plusieurs feuillets, classés par sujets (informations sur les bombes, photos des scènes, revue des suspects, suspect à casquette blanche, suspect à casquette noire). Chaque feuillet fait l’objet d’une liste d’une trentaine d’items, autant de théories et déductions alimentées par des documents trouvés en ligne et sourcés. Cela «semble être la plus grande enquête participative en ligne jamais réalisée pour trouver le ou les auteurs de l’attentat du marathon de Boston», écrit lemonde.fr.

Avant cela, en France, les internautes avaient aussi, mais à moindre échelle, uni leurs forces pour enquêter sur le drame Dupont de Ligonnès, l’histoire de cette mère, Agnès, et ses quatre enfants tués et ensevelis sous la terrasse de la maison familiale en avril 2011. Le père a, lui, pris la fuite et demeure, à ce jour, introuvable. Des utilisateurs anonymes avaient alors retrouvé la trace de messages postés par Agnès qui racontait, sous pseudonyme, son mal-être en couple sur des forums.

3. Des faux suspects et un marathon d’erreurs

Problème, dans le cas de Boston, ces détectives amateurs ont accusé à tort des individus d’être les auteurs des attentats après s’être emballé sur une silhouette jugée en haut d’un immeuble qui n’était… qu’un policier. «Il y a des limites au crowdsourcing», juge Wired, qui rappelle que seules les données utilisées pour l’enquête proviennent de la foule, pas les résultats de l’investigation. «Nous sommes très doués pour mettre en ligne des images et provoquer l’emballement des amateurs, mais nous ne sommes pas doués pour respecter les règles qui protègent des innocents», regrette cette professeur de l’Université de Virginie, interrogée par le Los Angeles Times.

Or les amateurs ne sont pas soumis aux règles qui incombent aux journalistes professionnels. Lesquels, même avec des règles ad hoc et l’expérience, se trompent aussi. CNN a annoncé mercredi qu’un suspect avait été arrêté. C’était faux. De même, le New York Post a mis en couverture la photo de deux adolescents innocents, en les faisant passer pour les responsables des explosions. Là encore, c’était faux.  Résultat, cela a été l’humiliation internationale, décuplée par la vitesse de diffusion sur les réseaux sociaux, «devenus les chiens de garde du quatrième pouvoir», peut-on lire sur Mediabistro. Après cette erreur, CNN a mis les deux pieds sur le frein, et le vendredi, quand le frère cadet a finalement été interpellé, c’est la chaîne NBC qui l’a annoncé la première, avant CNN, donc.

4. La traçabilité des corrections au centre du débat

Quand on se trompe, il faut le dire, et vite. C’est ce qu’ont fait quelques uns des investigateurs en herbe sur les événements de Boston. Après avoir accusé par erreur Sunil Tripathi, un étudiant américain de 22 ans, d’être à l’origine du drame, un utilisateur de Reddit prénommé Rather-Confused a ainsi présenté sans attendre ses excuses à la famille de ce faux suspect.

Toutefois les médias professionnels ont parfois du mal à faire amende honorable. Et ne mettent pas toujours au grand jour les corrections qu’ils font en ligne, quand ils les font. Pourtant, «à l’ère du reportage en temps réel et de l’information numérique, il est rare qu’il n’y ait qu’une seule et définitive version d’un article», rappellent Eric Price et son frère Greg, qui ont étudié la programmation au MIT, et ont créé Newsdiffs.org, un algorithme qui repère les changements faits, seconde après seconde, dans quelques articles de CNN.com, du New York Times, Politico et de la BBC. Tout est passé en revue: la correction d’une simple coquille comme la réécriture de pans entiers d’un article, de la même façon que ce l’on voit dans l’historique des articles de Wikipédia.

Je suis bien sûr allée voir comment CNN avait corrigé, en ligne, sa fausse information, publiée le mercredi 17 avril, selon laquelle un suspect aurait été arrêté, ce qui a été démenti ensuite. Newsdiffs.org indique que l’article qui fait le récapitulatif du 17 avril “what we know about the Boston Marathon bombing and its aftermath” (ce que l’on sait des explosions au marathon de Boston et ses conséquences”) a été repris à 14 reprises dans la même journée. Voici les changements les plus révélateurs – en rose, ce qui a été effacé, et en vert, ce qui est resté ou a été ajouté.

  • 14h13 (cliquez sur le texte pour l’agrandir)
  • 14h58 (cliquez sur le texte pour l’agrandir)
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  • 15h (cliquez sur le texte pour l’agrandir)
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En trois corrections, le cours de l’histoire a complètement changé.

Est-on entré dans l’âge de la rétractation? Pas si sûr, car les médias sont en général concentrés sur le fait de «tenir une info et de la développer, plutôt que de regarder dans le rétroviseur», a reconnu Margaret Sullivan, lors d’une conférence à South by South West 2013. Cette journaliste du New York Times n’a pas oublié que, lors de la tuerie à l’école primaire de Newtown, dans le Connecticut, le 15 décembre 2012, son journal a attribué la fusillade à la mauvaise personne, en l’occurrence un dénommé Ryan Lanza – qui a répondu sur les réseaux sociaux «ce n’est pas moi» – avant de rectifier: il s’agissait en fait d’Adam Lanza.

4. Le nouveau rôle des médias

Moralité, les utilisateurs de Reddit comme les journalistes de CNN ont échoué à comprendre leur mission à l’ère numérique. Les premiers ont cru qu’ils jouaient à faire une enquête entre eux sur un forum et que personne ne s’y intéresserait alors que c’était publié et lisible par n’importe qui, et les seconds ont oublié qu’ils devaient guider leur audience, exposée à un flot inouï de fausses informations sur le réseau. «Le nouveau rôle des médias est de fournir un grille de lecture et un contexte pour comprendre les spéculations auxquelles son audience est inévitablement exposée en ligne – pas de les ignorer», tranche Buzzfeed.

Car les internautes sont autant exposés aux informations venues des médias traditionnels que celles déversées sur les réseaux sociaux, et se déconnecter pendant deux jours, le temps que les erreurs soient commises et réparées, n’est pas une solution viable. «Si seulement je pouvais installer un filtre de vérité sur Twitter», rêve de son côté Lance Ulanoff, rédacteur en chef du site Mashable…

Alice Antheaume

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