DLD14: Il faut trouver la voie des vidéos en ligne

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“La télévision n’est pas morte. Tellement pas morte du tout!”. Ces mots sont ceux d’Henry Blodget, le fondateur et président de Business Insider, un site d’informations créé en 2007 qui compte aujourd’hui 65 journalistes, 2 millions de lecteurs par jour et produit 4 millions de vidéos par mois. Chargé de modérer une discussion sur les vidéos en ligne à la conférence DLD 2014 à Munich, en Allemagne, il montre sur une présentation les revenus générés par la publicité à la télévision depuis 2007 – 3,6 milliards de dollars devraient être investis dans des publicités télévisées en 2014. Des chiffres qui, selon le fondateur de Business Insider, prouve que la télévision a encore une quinzaine d’années devant elle avant de vraiment s’inquiéter, même si, dans le même temps, il y a de plus en plus de personnes qui paient pour consommer des vidéos en ligne. Netflix, la plate-forme américaine qui a produit House of Cards, propose ainsi un abonnement à 7.99 dollars par mois (moins de 6 euros) et a 40 millions d’abonnés. Pourtant, les éditeurs n’ont toujours pas trouvé la recette de la vidéo parfaite pour une consommation sur mobile, sur tablette ou sur ordinateur.

Les ratés des débuts de la vidéo en ligne

Henry Blodget a d’abord rappelé à quel point, à Business Insider, la production de vidéos a mal démarré. Au début, sa rédaction s’est enflammée en estimant qu’il suffisait “de faire venir un invité tous les jours à 8 heures, de se mettre en live à ce moment-là, et de poser des questions à cet invité”. Complètement raté, sourit aujourd’hui Henry Blodget, qui compare cette première à de la sous-télévision. Et “même si on s’était amélioré, cela serait resté de la mauvaise télévision”, continue-t-il, arguant que Bloomberg TV, en live tous les jours, a beau être “excellente” et disponible gratuitement, “personne ne la regarde!”.

Vidéos à la demande avant tout

Moralité, les internautes ne veulent pas regarder de la télévision en ligne. C’est aussi l’enseignement tiré par le HuffPost live, une plate-forme de vidéos en direct qui produit 8 millions de vidéos en streaming par mois. “Même si nous nous appelons HuffPost live, 75% de notre audience consomme des vidéos à la demande disponibles dans notre catalogue”, explique Jimmy Maymann, le CEO danois du Huffington Post. Pas en direct, donc, mais “après les faits”, une fois que ses équipes ont séquencé en petits clips le flux en direct. Ces clips sont ensuite réutilisés dans des articles publiés sur le Huffington Post.

“Nos utilisateurs ne se connectent à notre live vidéo que lorsqu’il y a un événement important, comme la cérémonie des Oscars, ou un breaking news, comme lors des attentats du marathon de Boston, ou lorsque nous avons un invité de marque”, reprend-t-il. Avant d’ajouter: “Les gens viennent pour voir Barack Obama mais ils restent pour les Kardashians”…

“Le numérique est aussi différent du print et de la télévision que le print est différent de la télévision”, dit encore Henry Blodget. Un média qui réussit à utiliser un storytelling efficace pour les vidéos en ligne, c’est un média capable de trouver des techniques de récit qui lui sont propres. Et qui sont forcément différentes de celles pratiquées à la télévision et dans les journaux. “Il ne faut pas essayer de les imiter, il ne faut pas chercher à préserver les traditions journalistiques. Nous n’avons pas de journal à imprimer, ni d’antenne à programmer”. Il faut donc faire du 100% numérique et recourir aux Vines et vidéos sur Instagram, des formats déjà bien installés.

Parmi les vidéos maison de Business Insider, des résumés d’une information en quelques secondes, des listes en vidéo (les 15 citations cultes de la série Breaking Bad), la recette du succès de Mark Zuckerberg ou Warren Buffett, des “how to” (Comment utiliser Vine? Comment faire cuire un steak parfait?) et des tests.

Et la réalisation?

Une vidéo en ligne réussie repose donc sur un format éditorial inhérent au numérique. Même la réalisation peut être repensée de A à Z en ligne. Comment filmer quelqu’un qui parle? John Wishnow, un réalisateur qui a travaillé pour les conférences Ted, avoue s’être posé la question cent fois. “Comment filmer pour que le discours de quelqu’un soit intéressant pour ceux qui ne sont pas dans la salle? Au début, nous n’avions aucune notion de l’esthétique en ligne, puis nous avons multiplié les caméras, les angles, et essayé de rendre l’ensemble plus théâtral, plus cinématrophique”. Aujourd’hui, certaines vidéos des conférences Ted font un carton sur le Web.

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John Wishnow travaille désormais pour le site Edge.org, où il filme des rencontres intellectuelles. A priori, difficile de faire sexy avec une telle matière. Mais le réalisateur tente actuellement de filmer ces rencontres en faisant un split screen en cinq écrans. “Cela n’a jamais été fait”, détaille-t-il. La personne qui parle figure sur les trois écrans du centre, filmée de dos, de côté et de face, et sur les côtés, le public et les scènes extérieures.

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Mobile + vidéo

Outre le format des vidéos en ligne, leur diffusion doit s’adapter à de multiples écrans (smartphone, tablette, et ordinateur), à plusieurs temporalités, et correspondre à une structure des coûts qui reste légère. “L’économie numérique ne saurait supporter les coûts de production d’un journal ou d’une chaîne de télévision”, écrit le même Henry Blodget sur le Nieman Lab. Même si l’essor du temps passé sur le mobile, seul endroit où la consommation de contenus continue à grandir, est un levier publicitaire de taille.

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Alice Antheaume

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Journalisme et réseaux sociaux: 8 tendances venues des Etats-Unis

Deux semaines en «mission» aux Etats-Unis, une quinzaine de visites dans des rédactions dont le Washington Post, NPR, Fox News, CNN, Politico, Bay Citizen, et des rendez-vous auprès des entreprises de nouvelles technologies, dont Google et Twitter. Quel bilan? Quelles tendances relever? Quels sujets préoccupent les journalistes américains? Quels sont les nouveaux usages qui émergent? Résumé.

  • Le rôle de «social media editor», c’est fini?

En décembre dernier, le New York Times a supprimé ce poste créé un an et demi plus tôt, occupé par Jennifer Preston, qui est désormais retournée au pôle reportages. Pour Preston, interrogée par le site Poynter, la création d’un poste de «social media editor» est une étape dans la vie d’une rédaction, mais une étape temporaire. «Les réseaux sociaux ne peuvent pas appartenir à une seule personne. Cela doit faire partie du travail de tous les journalistes et faire partie du processus éditorial et de la production existante.»

Cindy Boren, social media editor dédiée aux sports pour le Washington Post, sait bien que cette phase n’est pas éternelle. «La suppression du poste de social media editor au New York Times signifie qu’il faut que tous les journalistes se mettent aux réseaux sociaux, pas seulement les “social media editors”. Car les réseaux sociaux, c’est de l’actu pour tous les reporters.» Et elle le prouve: «L’histoire des 400 spectateurs du Super Bowl qui n’ont pas eu de places assises a commencé sur Twitter. Et c’est devenu une polémique énorme, que l’on a racontée et qui a fait partie de nos “top stories”».

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  • N’écris pas sur Twitter ce que tu ne dirais pas à l’antenne

Il y a un an, les rédactions anglo-saxonnes complétaient voire rééditaient leur charte déontologique pour statuer sur la posture journalistique à tenir sur les réseaux sociaux. Le New York Times interdit alors aux rédacteurs du pôle «news» d’écrire des messages trop «éditorialisants» sur les réseaux sociaux, afin de ne pas empiéter sur le territoire du pôle «opinions». Reuters préconise que ses journalistes se créent deux comptes distincts sur Twitter. L’un à usage professionnel, «pour agréger de l’information et construire un réseau», l’autre à usage personnel, où les journalistes doivent indiquer qu’ils travaillent à Reuters, mais que leurs messages ne reflètent pas l’avis de leur employeur et où ils n’écrivent rien qui puisse être dommageable à leur employeur.

Désormais, l’unanimité est de mise dans toutes les rédactions américaines, qui appellent leurs journalistes au bon sens. Et répètent cette maxime: «Ne dites par sur les réseaux sociaux ce que vous ne diriez pas à l’antenne/à l’écrit.» Même chez Twitter, qui ne fait pourtant pas partie des éditeurs, on réfléchit avant de tweeter. En témoigne un tableau, accroché dans le hall du réseau social, situé à San Francisco, qui martèle «google before you tweet, think before you speak» (faites une recherche sur Google avant de tweeter, réfléchissez avant de parler).

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  • Facebook le mal aimé des journalistes

Dites Twitter et tous les journalistes s’enthousiasment. Dites Facebook et les mêmes regardent leurs chaussures. Pourquoi? Parce qu’ils négligent le second au profit du premier. «Il faut que je m’y remette», confient-ils le plus souvent. D’autant qu’ils voient bien qu’il y a beaucoup plus d’interactions possibles avec le grand public sur Facebook que sur Twitter. En effet, selon une récente étude d’eMarketer, un internaute américain sur deux est sur Facebook, soit 132,5 millions de personnes (42% de la population américaine), contre 20 millions d’Américains sur Twitter (7% de la population des Etats-Unis).

Andy Carvin, responsable des réseaux sociaux pour NPR, remarqué pour sa couverture des révolutions arabes sur Twitter, a cette formule: «Nous, journalistes, ne sommes nous-mêmes que des visiteurs sur Facebook. Nous n’avons pas de règles très précises, les commentaires affluent, nous ne les modérons pas.»

  • Les réseaux sociaux, les nouveaux référenceurs d’audience

Le Nieman Lab, le laboratoire d’Harvard qui décrypte l’impact de la révolution numérique sur le journalisme, l’écrit: et si les réseaux sociaux devenaient le nouveau SEO (search engine optimization, en VF)? Comprendre: après que les moteurs de recherche comme Google ont été les plus gros fournisseurs de trafic des sites d’informations, les réseaux sociaux se font leur place en tant que pourvoyeurs d’audience. Sur Politico, les réseaux sociaux apportent entre 10 et 15% du trafic général du site chaque jour. Sur NPR.org, le site de la plus grosse radio des Etats-Unis, 7% de l’audience est fournie par Facebook. Des chiffres qui devraient croître encore – d’ici 2013, il pourrait y avoir 62% de la population américaine sur le réseau fondé par Mark Zuckerberg.

«Je pense que nous serons bientôt arrivés au point où les réseaux sociaux fourniront plus de trafic aux médias que le “search”», écrit Joshua Benton, le directeur du Nieman Lab. Et cela pourrait modifier la façon de produire des informations. «Les journalistes vont changer, de façon subtile, le type de contenus qu’ils réalisent afin d’encourager le partage de ceux-ci». Comment? En s’appuyant sans doute sur des éléments qui poussent les internautes à recommander sur Facebook des articles, ou à les poster sur Twitter. D’après les premières observations, les informations provocantes, émouvantes, et «positives» ont plus de chance de circuler sur les réseaux sociaux que des contenus jugés neutres.

  • Infos en ligne = infos au bureau

Si la consultation des statistiques en temps réel est souvent considérée comme une pratique taboue dans les rédactions américaines, en revanche, savoir quelles sont les heures pendant lesquelles les sites d’infos génèrent le plus de trafic s’avère très répandu. Et est considéré comme fondamental.

Aux Etats-Unis comme en France, le trafic d’un site d’infos est calqué sur une journée de travail. Enorme audience en début de matinée et lente érosion jusqu’à la chute de 18h, heure à laquelle nombreux sont ceux qui quittent leur travail. «Sur le site du Washington Post, notre “prime time”, c’est 7h-17h, reprend Cindy Boren. Sauf pour le sport, qui marche bien les soirs, le dimanche et le vendredi, pile quand l’audience du reste du site plonge.»

Ainsi, «le temps de travail devient aussi le temps de s’informer», explique Pablo Bockowski (1), chercheur à l’Université de Northwestern et auteur de News at Work, cité par le blog AFP Médiawatch. Pour lui, il y a un lien entre la consommation d’informations en ligne et utilisation des ordinateurs de bureau. Quant aux infos consultées via mobiles, elles seraient surtout consultées avant et après les journées de travail, c’est-à-dire plus tôt le matin et plus tard le soir.

Puisque la consommation d’infos en ligne culmine le matin, l’obsession des rédacteurs en chef, c’est de ne surtout pas prendre de retard pour couvrir l’actualité, car un démarrage en retard ne se rattrape pas, et «plombe» la journée entière. Bill Nichols, le directeur de la rédaction de Politico, le sait: «Si nous avons la main sur une information dès le matin, nous la garderons toute la journée», avec les développements successifs publiés à l’heure (et l’audience qui va avec).

  • Non aux contenus gratuits devenus payants

Faire payer des contenus produits par des journalistes, pourquoi pas? Dans les rédactions américaines, les journalistes n’y semblent a priori pas opposés. Sauf dans un cas: lorsque les contenus en question ont d’abord été en accès libre, avant de, «pour une raison ou une autre», devenir payants. «C’est ridicule de changer de stratégie en cours de route. Une fois que tu as relâché le génie de sa bouteille, tu ne peux plus l’enfermer à nouveau», résume l’éditeur Martin G. Reynolds, du groupe Bay Area News.

Sur le site de NPR, ses applications iPhone, iPad et Android, toute la production est en open source, outils, systèmes et contenus. «Tout le monde peut se servir de ce que l’on produit», insiste Andy Carvin, de NPR. La rédaction dit être fière de faire «l’exact opposé» de ce que font Rupert Murdoch et le New York Times, lesquels installent des murs payants.

  • L’alliance développeurs/journalistes

D’ordinaire, dans les rédactions traditionnelles, les équipes techniques et éditoriales vivent dans des mondes opposés, ne parlent pas le même langage, et ne sont parfois même pas dans les mêmes locaux. Ce qui ne facilite pas la communication et l’avancement des projets. Désormais, les nouvelles organisations ont compris qu’en ligne, il ne pouvait plus y avoir de barrière. Développeurs et journalistes doivent avancer de concert sur les projets, pour une alchimie innovante entre technologie et contenus.

Une formule que l’équipe de Bay Citizen, un site lancé l’année dernière, a fait sienne. Autour de la table, dans leurs bureaux de San Francisco, des éditeurs d’infos et de vidéo, des responsables de communauté, un rédacteur en chef et des développeurs. «Tout le monde ici est journaliste, lance l’un des membres de l’équipe. Les développeurs ne font pas que taper du code, ils jouent un rôle crucial dans l’éditorial. Il est capital pour nous que les liens soient très forts entre l’équipe technique et l’équipe éditoriale. Hors de question d’avoir un prestataire de services extérieur (à la rédaction, ndlr) qui ne comprendrait pas les contenus sur lesquels nous travaillons.»

  • Le «live», le roi du Web

Pour suivre l’actualité dans les pays arabes, les sites d’infos généralistes, en Europe et aux Etats-Unis, ont mis en place une couverture médiatique inédite, réactualisée en permanence via une nouvelle narration. Une narration qui agrège du texte, des photos, des vidéos, des messages sur les réseaux sociaux. Une narration interactive. Une narration qui évolue en temps réel. Les professionnels du numérique appellent cela des «lives», ces formats éditoriaux qui permettent de suivre, minute par minute, les derniers développements sur les soulèvements ou toute autre actualité à l’instant T.

C’est un changement de paradigme, pour les éditeurs et aussi pour les réseaux sociaux. Othman Laraki, le directeur de la géolocalisation et de la recherche sur Twitter, le constate aussi: «partout où notre croissance a pu débuter, c’est parce qu’il s’est passé, dans l’actualité, de l’instantané» qui se raconte en… «live».

Une nouvelle narration qui semble dicter la (nouvelle) donne au géant Google. Le modèle «un lien = une histoire est vieux voire dépassé. Maintenant, il faut comprendre qu’un lien = plusieurs histoires», décrit un responsable de Google News. Rude tâche pour le robot de Google, appelé «Crawler», chargé de scanner les pages Web pour savoir de quoi elles parlent et ensuite pouvoir les référencer. Le problème du Crawler, c’est de pouvoir photographier un format «live» alors que celui-ci, par définition, n’est pas statique, et évolue d’une minute à l’autre. «Nous essayons d’accélérer la vitesse du Crawler», assure-t-on chez Google, qui rappelle qu’à ses débuts, en 2006, l’algorithme de Google News n’était «rafraîchi que toutes les heures, quand maintenant, il l’est toutes les minutes, et qui sait? Demain, il le sera peut-être toutes les secondes.»

Alice Antheaume

(1) Pablo Bockowski donnera une master class ouverte au public à l’Ecole de journalisme de Sciences Po, jeudi 17 mars.

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