12 conseils pour les futurs journalistes

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Comment devenir journaliste en 2015? Et faut-il le devenir? A ces questions, Félix Salmon, l’éditeur de Fusion, passé par Reuters, répond que “la vie n’est pas belle pour les journalistes”. Il déconseille même aux jeunes de s’orienter vers ce métier.

“Si vous aimez faire autre chose (que le journalisme, ndlr), si vous êtes bons dans un autre domaine, vous devriez sans doute songer à changer d’orientation.”

Pas d’accord, et même pas d’accord du tout – mais comme on aime les débats à l’Ecole de journalisme de Sciences Po, on a invité Félix Salmon à donner la leçon inaugurale le 28 août prochain, et il a gentiment accepté. En attendant, voici 12 conseils destinés aux étudiants qui rêvent d’en faire leur profession. Et ils ont bien raison car c’est l’un des plus beaux métiers du monde.

1. Préparez-vous à ne jamais vivre la même journée

C’est le principal avantage de cette profession. Aucune journée ne ressemble à une autre quand on est journaliste puisque c’est l’actualité qui dicte l’emploi du temps et le volume des contenus produits. Le matin, on part sur un sujet dont on ignore souvent tout et, à la fin de la journée, on a publié un (ou plusieurs) contenu(s) qui en explique les enjeux. Au passage, on a appris plein de choses. Magique!

En outre, le journalisme constitue un poste d’observation formidable des mutations sociétales. Un paradoxe, estime un chercheur américain dont je tairai le nom, qui balance.

“Ce qui est incroyable avec les journalistes, c’est qu’ils sont censés raconter les évolutions de la société dans leurs articles, mais qu’ils sont incapables de voir sous leur nez le changement de leur propre métier.

>> Les questions que se posent les jeunes journalistes >>

2. Ne vous auto-censurez pas

Ne se sentant pas légitimes, beaucoup d’étudiants s’interdisent malheureusement de postuler à un stage en rédaction, voire à une école de journalisme. Or il ne faut rien s’empêcher, tout simplement pour ne rien avoir à regretter. Et si les aspirants journalistes n’ont pas obtenu de stage dans un média, même après les avoir demandés, ce n’est pas grave. L’expérience ne se résume pas au logo d’une organisation rédactionnelle posé sur un CV.

Ce qui compte, c’est d’expérimenter à sa mesure, de tester des petites choses en ligne, comme faire une photo par jour sur son compte Instagram avec une légende pertinente, monter un blog et apprendre à dialoguer avec les internautes, produire des vidéos sur Dailymotion ou YouTube en forme de zapping, apprendre le code, lancer un journal étudiant, une newsletter, monter une application, etc.

Tout cela a une valeur aux yeux des professionnels et prouve que vous avez déjà les mains dans le cambouis, et des idées en tête.

>> Découvrir le cahier de vacances pour apprentis journalistes >>

3. Ne pensez pas que “c’est bouché, comme métier”

Non, ce n’est pas “bouché”. En 2014, il y a, sur 36.317 cartes de presse octroyées en France, 1.748 “premières demandes”. Dix ans plus tôt, en 2004, les “premières demandes” s’élèvent à 2.090, sur 36.520 carte de presse octroyées. Ces chiffres – qui ne prennent pas en compte les journalistes qui exercent leur métier sans carte de presse – montrent qu’il n’y a pas eu de réelle dégringolade. Le marché est donc toujours capable absorber des nouveaux entrants.

Les statistiques de l’insertion professionnelle des diplômés de l’Ecole de journalisme de Sciences Po, l’une des quatorze écoles de journalisme reconnues par la profession, sont encourageantes: toutes promotions confondues, 95% des diplômés travaillent, soit en CDI (46%) soit en CDD (23%) soit en piges régulières (26%).

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4. N’ayez pas (trop) peur pour votre futur salaire

Félix Salmon évoque “un très grand nombre de journalistes au talent incroyable qui ont du mal à joindre les deux bouts” aux Etats-Unis. En France, le salaire moyen d’un journaliste en CDI est de 3.790 euros bruts par mois, d’un journaliste en CDD de 2.506 euros bruts par mois, d’un pigiste de 2.257 euros bruts par mois.

A noter, “un journaliste diplômé d’un cursus reconnu en CDI ou CDD gagne en moyenne 12% de plus qu’un journaliste diplômé d’un cursus non reconnu” selon le rapport de l’Observatoire des métiers de la presse.

5. Ne croyez pas que vous allez faire du journalisme assis

Il est vrai qu’il y a quelques années, les journalistes travaillant sur des sites de presse n’ont, au départ, pas été encouragés à sortir de leur rédaction, englués dans du bâtonnage de dépêche inutile. C’est heureusement de l’histoire ancienne. Car ces sites ont maintenant compris que leur plus-value tient à leur capacité à sortir des contenus inédits, que leurs concurrents n’auront pas, publiés dans des formats adaptés à la consommation d’informations en ligne.

Après, cela tient aussi à la force de proposition des journalistes. La règle est simple pour sortir, soufflent les rédacteurs en chef: il suffit de ne pas rester pas bras croisés lors des conférences de rédaction, à attendre que le “flux” tombe, et de proposer des sujets percutants. Si la proposition est bonne, c’est sûr, le journaliste peut sortir faire le sujet.

Crédit: Sciences Po

6. Acceptez d’évoluer en cours de carrière

Quel point commun entre un présentateur de JT, un journaliste de PQR et un journaliste travaillant pour un pure player? Le journalisme est une “profession très éclatée”, analyse Cyril Lemieux, sociologue à l’EHESS (Ecole des Hautes Etudes en Sciences Sociales), lors d’un séminaire à l’Ecole de journalisme de Sciences Po le 17 février. Une heureuse spécificité qui permet de connaître plusieurs vies professionnelles, au gré des employeurs, des réorganisations internes et, surtout, des changements de pratiques à l’ère numérique.

Guy Birenbaum, aujourd’hui à France Info, est un bon exemple: d’abord maître de conférences, il est devenu éditeur puis journaliste – sans carte de presse – et écrit toujours des livres. “Je ne suis jamais exactement ce que je suis censé être”, confie-t-il lors d’une master class. Avant d’envoyer une pique à ses confrères…

“Quand j’étais éditeur, je trouvais qu’il valait mieux déjeuner avec des journalistes que de lire leurs papiers.”

“Après 40 ans, il faut arrêter d’être journaliste”, m’avait prévenue un rédacteur en chef à mes débuts à Télérama. A l’époque, lui avait déjà la cinquantaine et, aujourd’hui, il travaille toujours.

Journaliste un jour, journaliste toujours? “Les journalistes ont le sentiment d’être liés par une culture commune et restent attachés à ce métier jusqu’à leur retraite, même s’il y a des sorties de la profession, vers la communication ou vers la politique”, observe encore Cyril Lemieux.

Et pour cause, il y a une interrogation légitime sur le rythme de vie imposé par ce métier, qui peut donner parfois le sentiment d’être comme un hamster dans une roue lancée à toute berzingue et qui peut lasser à force.

7. Sachez escalader les montagnes russes, entre adrénaline et grosse fatigue

Le vrai indice du bonheur chez journalistes? Selon Cyril Lemieux, c’est lorsqu’ils sont fiers de ce qu’ils produisent collectivement. Et c’est souvent le cas dans les périodes de breaking news intenses.

Mais cela provoque en contrecoup, comme après les attentats de janvier à Paris, un épuisement général qui “laisse des traces physiquement et moralement”, reconnaît Hervé Béroud, directeur de la rédaction de BFM TV, lors d’une conférence à Sciences Po le 12 février.

Et Céline Pigalle, la directrice de l’information de Canal+, surenchérit…

“L’extrême fatigue de ce métier est liée à l’impossible réplication de ce que l’on a appris dans une situation antérieure. On doit remettre en jeu nos choix et nos pratiques à chaque nouvelle situation.”

8. Comprenez qu’aimer voyager ne conduit pas forcément au journalisme

“Je veux être journaliste parce que j’aime voyager”, entend-t-on parfois de la bouche des étudiants. Or aimer les voyages n’est pas un argument suffisant pour faire ce métier. Contrairement à ce que vit Tintin dans ses “aventures”, le journaliste ne fait pas de tourisme. Il peut – et doit – aller sur un terrain parce qu’il y a un enjeu et une “histoire” à raconter, non pour se faire plaisir.

9. Aimer écrire non plus….

“Pratiquement tout le monde peut écrire. Le fait que vous puissiez écrire ne vous aidera sans doute pas à faire la différence”, note Ezra Klein, le co-fondateur de Vox Media.

En revanche, ce qui peut faire la différence, c’est la capacité à trouver des nouveaux codes narratifs, en faisant des reportages avec son smartphone, en plongeant dans des tableurs remplis de données pour réaliser des enquêtes, en jonglant entre temps réel et long format, en créant des graphiques interactifs, en sachant dialoguer avec l’audience, en collaborant avec des robots de l’information. Voire en créant sa propre start-up d’informations.

10. Prenez l’habitude d’avaler des informations

Quelle est l’actualité du jour? Quel angle proposeriez-vous sur cette actualité? Quel sujet aimeriez-vous couvrir? Ces questions sont celles que les professionnels posent souvent aux étudiants. Une façon de vérifier, notamment lors des entretiens, leur appétence pour les informations.

Pour devenir journaliste, il faut être incollable sur l’actualité et montrer que vous la butinez sous toutes ses formes et provenant d’une multitude de sources (médias traditionnels, pure-players, réseaux sociaux, etc.)  – ne vous contentez pas du traditionnel triptyque trop souvent cité par les étudiants, à savoir France Inter/Rue89/France 2.

11. Acceptez de ne pas être très populaire

“Un journaliste est un homme qui vit d’injures, de caricatures et de calomnies”, a prévenu Delphine de Girardin, citée par Serge July dans son Dictionnaire amoureux du journalisme.

C’est en grande partie vrai, et notamment en ligne, où les journalistes font l’objet d’invectives de toute sorte, qu’ils encouragent parfois d’ailleurs, et du harcèlement des trolls.

Corollaire ou non, les journalistes ne sont pas très aimés, déplore Eric Mettout, le directeur de la rédaction adjoint de L’Express, citant un sondage “assassin” d’Ipsos pour Le Monde et France Inter selon lequel “23% des personnes interrogées font confiance (aux journalistes), 77% se méfient, dont 27% absolument”.

12. Quittez votre déprime

Certes, “le journalisme est une profession inquiète”, comme le constate le sociologue Gérald Bronner lors d’un séminaire à l’Ecole de journalisme de Sciences Po.

Et pour cause, la responsabilité des producteurs de contenus face à des dilemmes complexes est grande: faut-il par exemple parler des rumeurs, pour les démentir, au risque de leur donner de l’écho?

“Il faut vérifier les faits mais aussi se demander en toute honnêteté: quels sont ses a priori narratifs sur l’histoire que l’on s’apprête à couvrir?”, conseille Gérald Bronner.

Pas de raison de déprimer pour autant, puisque l’ère numérique permet d’explorer des voies journalistiques inédites et accélère les carrières.

“Il n’y a jamais eu autant de possibilités de grandir rapidement”, encourage Will Oremus, de Slate.com, citant les exemples de Ben Smith, le rédacteur en chef de Buzzfeed, qui, à 38 ans, vient d’interviewer Barack Obama, ou d’Ezra Klein, de Vox Media, âgé de 30 ans. “Ceux qui sont prêts, ou juste désireux de créer, doivent être jugés sur la valeur qu’ils produisent aujourd’hui plutôt que par les noms listés sur leur CV ou le nombre d’années d’expérience”.

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Alice Antheaume

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Le devenir des blogs et des micro-blogs

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L’immobilier, les régimes, la franc-maçonnerie font partie des marronniers les plus connus de la presse magazine. En ligne, un autre serpent de mer revient de façon cyclique: les blogs, et plus exactement, l’annonce de leur mort. Ces espaces d’expression personnels, popularisés dès 1999 avec Blogger, seraient condamnés aux oubliettes par la grande faucheuse du Net. Pourtant, on dénombre, en France, plus de 15 millions de blogs, et, aux Etats-Unis, près de 329 millions de personnes qui en consultent un au moins une fois par mois. Sans compter toutes les formes dérivées du blog, dont Twitter et Tumblr, qui font florès… Alors que Yahoo! s’appête à racheter Tumblr, une plate-forme à mi-chemin entre le blog et le réseau social, leur disparition n’est pas à l’ordre du jour. Mais, dans un futur proche, quel sort leur est-il réservé? Quel format et quels contenus va-t-on y voir? Quelle utilité les médias qui les hébergent y trouvent-ils encore?

Que lira-t-on sur les blogs et micro-blogs?

Des expériences narratives inédites comme le live-writing, des formats longs, de l’instantané sitôt dit sitôt écrit.

Il y aura à l’avenir deux catégories de lecteurs de blogs, présume Mars Dorian, un consultant américain. D’une part, les lecteurs d’extraits, qui aiment les contenus minimalistes, écrits aussi vite qu’on en parle, pour une consommation de type fast-food dont la richesse nutritionnelle n’est pas avérée, et d’autre part, les lecteurs de dissertations, friands de contenus à haute valeur ajoutée et atemporels, de quasi e-books, qui pourraient devenir des contenus payants, proposés entre 99 centimes et 2 dollars la pièce.

Et pour explorer des nouveaux territoires, le blog devrait être le laboratoire de nouvelles expériences d’écriture, comme celle-ci. Le comédien et écrivain Baratunde Thurston, également collaborateur du site parodique The Onion, a écrit des chapitres de son livre «How to be black» en se prêtant à ce qu’il appelle du «live-writing». En ligne, il a partagé son écran (via l’outil join.me) avec ses lecteurs et a écrit sous leurs yeux, ratures comprises. Un rendez-vous inédit qui a le mérite de repousser les limites du «live» – mais qui nécessite une bonne dose de confiance en soi de la part de l’auteur. Baratunde Thurston a précisé qu’il ne cherchait pas à interagir avec l’audience sur ce qu’il devait écrire ou non, mais plutôt à créer une nouvelle expérience qui le forcerait à terminer son ouvrage.

Les blogs hébergés par les médias vont-ils continuer à vivre une existence à part?

Cela dépend des cas.

Le blog «Media Decoder», alimenté par des journalistes du New York Times, a officiellement fermé ses portes le 26 avril 2013. Les contenus qu’on pouvait y lire sont désormais disponibles dans la section médias du nytimes.com.

Pourquoi ce rapatriement? 1. Une raison technique d’abord: le New York Times a un nouveau CMS, baptisé «scoop», dont la promesse est d’être aussi souple et simple que l’interface d’un blog 2. Une raison éditoriale ensuite: parfois, la même information a été traitée à la fois sur le blog et sur le site du média hébergeur, ce qui provoque des doublons et nuit au référencement des contenus en ligne. Selon Bruce Headlam, l’éditeur de la rubrique médias du New York Times, le problème est la «découvrabilité» des contenus sur le nytimes.com, un site immense sur lequel «trouver du matériel peut être ardu», surtout lorsqu’il y a «parfois deux versions de la même histoire, ce qui est source de confusion pour nos lecteurs (et pour les moteurs de recherche)».

Intégrer un blog au coeur du site qui l’héberge est possible lorsque le blogueur est un journaliste de la maison – car on ne donne pas accès au système de publication à des collaborateurs extérieurs -, lorsque le système de publication en question est refait de fond en comble pour proposer les mêmes fonctionnalités qu’un blog ou un micro-blog, et lorsque le blog couvre des sujets liés à l’actualité.

Les médias ont-ils toujours intérêt à héberger des blogs?

Pour l’instant, oui.

Sur lemonde.fr, les blogs les plus suivis sont Big Browser, un lieu de veille du Web géré de façon tournante par les membres de la rédaction, le blog du dessinateur Martin Vidberg, celui de l’éditorialiste Françoise Fressoz, et Passeur de sciences, écrit par un journaliste scientifique, Pierre Barthélémy. Volontiers en dehors de l’actualité, Passeur de sciences traite ici de la capture d’un astéroïde, là de la médecine regénératrice. Ce dernier permet au Monde.fr d’élargir son offre éditoriale à une thématique s’inscrivant dans une temporalité plus longue.

Même constat du côté de France TV Info: «avoir des blogs invités sert à donner la parole à des experts et à traiter des sujets au “long cours”», détaille Thibaud Vuitton, rédacteur en chef adjoint. «C’est particulièrement efficace quand le blog fédère une communauté et ce n’est pas un hasard si les cartons d’audiences sont les blogs de L’instit ou Mauvaise mère, des espaces identifiés, où de vraies communautés ont été fidélisées».

Enfin, l’utilité cachée des blogs dans une rédaction, c’est de faire prendre le virage du numérique aux journalistes traditionnels. «Quand ils tiennent un blog, ils font ainsi l’apprentissage du Web et de ses réflexes de manière très concrète. Ils voient leurs statistiques, comprennent qui clique sur quoi et quand, et observent les commentaires qu’ils récoltent», m’explique Nabil Wakim, rédacteur en chef du Monde.fr. Cette interaction, vécue in vivo, est plus efficace qu’un long discours.

A quoi bloguer sert-il à l’ère des réseaux sociaux?

Réseaux sociaux et blogs ne sont pas antinomiques, les premiers ne tuent pas les seconds, ils les complètent.

Twitter permet de faire du micro-blogging, Tumblr de mettre en scène images et GIFS animés, WordPress des plus longs formats. Chaque plate-forme peut donc servir une ligne éditoriale. Bloguer sur WordPress sert à développer une idée en plus de 140 signes, estime Matt Mullenweg, de WordPress, où un post compte en moyenne 280 mots.

Avant, sur un blog hébergé par un média, on écrivait un billet, on le publiait, on envoyait le lien pour relecture à la rédaction, et on attendait que celle-ci le «remonte» sur sa page d’accueil pour obtenir des commentaires de l’audience. Désormais, la remontée d’un blog sur la page d’accueil du média hébergeur n’est plus une condition pour que l’audience y accède. Ce qui compte, c’est le référencement du blog dans les moteurs de recherche et sa recommandation sur les réseaux sociaux. «L’essentiel du trafic de mon blog provient de Facebook», m’informe Emmanuelle Defaud, journaliste et auteure de Mauvaise mère. Quant à ce blog, WIP, il obtient plus de 20% de son trafic via les réseaux sociaux et 50% via le référencement dans Google.

Pour Simone Smith, directrice du marketing de HubPages, c’est la preuve de la faiblesse du format blog, ringard parce que supplanté par les réseaux sociaux, plus puissants, plus actuels, et mieux référencés. Lors d’un discours de quinze minutes au festival South by South West 2013, cette dernière a tenté de prouver que le blog n’est rien sans béquille. «Qui blogue dans cette salle?», a-t-elle demandé. Les trois quarts des personnes présentes ont levé le doigt. «Qui ne publie que sur son blog et pas sur des réseaux sociaux?». Aucun doigt ne s’est levé.

Les journalistes écrivent-ils autrement sur un blog?

Oui. C’était déjà vrai avant, cela l’est toujours.

Loin des carcans de leur média, les journalistes trouvent sur les blogs une liberté éditoriale plus grande. Leur écriture y est souvent emplie de verve, d’humeur, voire d’humour; le ton est plus éditorialisant sinon partial; les formats utilisés plus variés, et les angles aussi. «Il y a un plaisir à raconter des histoires, à communiquer avec des personnes qui ont les mêmes centres d’intérêt, à donner son avis quand personne ne me le demande et à exister, au-delà de ma famille et de mon travail», me confie Emmanuelle Defaud, du blog Mauvaise Mère. Bloguer ou micro-bloguer permet un «regard personnel», note encore Thibaud Vuitton, de France TV Info, et «une écriture différente de l’écriture journalistique»…

Etes-vous consommateur de blogs? Aimeriez-vous y voir des expériences de live-writing?

Alice Antheaume

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L’union entre télévision et deuxième écran en question


«Il va y avoir de nouvelles interactions entre les écrans», prédit Cédric Mangaud, d’HTC, lors de la conférence UbiQ, organisée à Paris les 18 et 19 juin 2012. Une conséquence de l’émergence de la télévision sociale (Social TV en VO), qui consiste à voir un programme sur un premier écran (l’écran télé) et à utiliser un deuxième écran (ordinateur, tablette, mobile) pour réagir à ce même programme en allant le commenter sur les réseaux sociaux ou en cherchant, sur le Web, des informations complémentaires à l’émission visionnée.

Tandis qu’aux Etats-Unis, 52% du temps qu’un utilisateur passe sur mobile ou sur tablette se déroule pendant que cet utilisateur regarde la télévision, et qu’en France, les trois quart des internautes utilisent «au moins occasionnellement» un deuxième écran lorsqu’ils consomment des programmes télé, les questions affluent sur la connectivité de ces deux – ou plus – écrans.

Qui télécommande l’autre?

Comment relier ces écrans? Comment faire passer des contenus de la télévision au téléphone à la tablette – et vice et versa – en simultané? Qui, de la télé, du mobile ou de la tablette, télécommandera l’autre? Quelle série télévisée permettra au spectateur de faire pause pendant le visionnage sur le premier écran pour déterminer, sur le deuxième écran, la suite de l’histoire parmi plusieurs options, à la façon de ces petits «livres dont vous êtes le héros» d’antan?

Avant d’aller plus loin, observons ce que font au juste sur ce deuxième écran les utilisateurs quand ils regardent aussi un programme télé. La majorité (58%) d’entre eux se sert de ce deuxième écran (tablette ou téléphone) pour commenter, lire ou chercher des informations en rapport avec le programme devant lequel ils sont assis, selon une récente étude de l’Observatoire de la TV connectée.

Quant aux restants, ils s’adonnent à de toutes autres activités, comme lire leurs emails, en écrire, faire un tour sur Facebook et Twitter, regarder des photos ou des vidéos, ou encore faire des recherches qui n’ont rien à voir avec le sujet du programme.

Interactions entre le téléphone et la télévision

Et pourquoi l’utilisateur n’aurait pas soudain envie d’interrompre l’émission vue sur le premier écran pour y insérer une photo qu’il vient de retrouver sur son portable? Un scénario sur lequel travaillent nombre de fabricants de téléphonie, dont HTC, pour qui il suffit d’un geste de la main partant du téléphone en direction de la télévision pour y projeter un contenu issu de son mobile.

Autre option possible: le «grab magic» (l’attrapeur magique) imaginé par Aral Balkan, lauréat 2012 du TV Hack Day au Marché International des Programmes de Cannes. Avec ce système, il est possible de prendre avec sa main une capture d’écran de la télévision et la faire apparaître sur son écran de téléphone portable en une seconde.

 

Quel geste, avec les doigts ou avec la main, inventer qui ferait désormais référence? Pas si sûr, d’ailleurs, que cela soit un geste et non un clic ou encore la voix qui contrôlerait tous les contenus, option privilégiée par Apple pour sa télévision et décrite par Pete Cahsmore, de Mashable, comme étant une hypothèse «incontournable» en 2012.

Pour le reste, les hypothèses actuelles d’interaction entre les écrans prévoient que le mobile soit le centre nerveux de l’univers de contenus d’un particulier. Logique, reprend Ammar Bakkar, de MBC group, un autre intervenant présent à la conférence UbiQ. «Le taux de pénétration des smartphones dans le monde est actuellement de 30%. D’ici 2016, il sera de 60%».

La télé est morte, vive la télé!

Dans ce monde envahi d’écrans de toute sortes, la consommation de contenus audiovisuels continue d’augmenter. Ainsi, les Français regardent la télévision en moyenne 3h47 chaque jour, selon Médiamétrie. C’est plus que l’année précédente: 3h32 en 2010.

Ce qui a changé? «On consomme toujours des programmes télé, mais on les consomme quand et où on le veut, et on les consomme sciemment. En d’autres termes, on ne s’avachit plus devant sa télévision pour regarder “ce qui passe”», analyse cet article de Business Insider.

Hormis des moments d’actualité brûlante et quelques rendez-vous sportifs, le flux serait donc condamné au profit d’une consommation de programmes exponentielle sur tous les écrans (ordinateur, tablette, téléphone, téléviseur). Et Business Insider de rappeler que, d’après une étude Nielsen, le pourcentage d’Américains qui regardent des vidéos sur un ordinateur au moins une fois par mois (84%) est maintenant plus élevé que le pourcentage de ceux qui regardent la télévision.

Alice Antheaume

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Sortez moi de là, je suis un journaliste traditionnel

DR

W.I.P. demande à des invités de donner leur point de vue. Ici, Vincent Glad, journaliste, qui écrit sur Slate.fr et sur bienbienbien.net.

Huis Clos sur le Net, c’est terminé. Comme on pouvait s’y attendre, l’expérience n’a accouché d’aucune révélation fracassante sur les nouveaux médias. Je rappelle le concept: cinq journalistes francophones ont passé une semaine dans un gîte du Périgord (métaphore de l’isolement) en ne s’informant que par Facebook et Twitter (métaphores de la sur-communication).

>> A lire aussi: Huis clos trop clos?

Voici leurs conclusions sur l’expérience, recueillies sur le site officiel, leurs médias respectifs ou dans des interviews:

Nour-Eddine Zidane (France Inter)

«Sur la “twittosphère” francophone, […] la politique […] est surreprésentée par rapport à l’actualité internationale […] ou l’économie […]. Autre élément notable: la rubrique faits divers/justice est absente alors qu’elle est presqu’un produit d’appel sur les médias traditionnels les plus populaires: RTL, Le Parisien, TF1

Benjamin Muller (France Info)

«Le premier [enseignement] est la rapidité de relais qu’offre twitter. […] Le deuxième enseignement est que les médias traditionnels nous manquent pour comprendre et pour décrypter l’actualité qui nous parvient. […] Le troisième enseignement est la hiérarchie qui ressort de Twitter. […] Les petites polémiques franco-française (“Quoi? Michelle Alliot-Marie et Brice Hortefeux se détestent ?”) sont à la “une” de Twitter, quand sur France Info ou TF1 l’on parlera bien plus de la grève SNCF.»

Nicolas Willems (RTBF)

«Peut-être pas de véritable remise en question, mais une réflexion qui est restée la même pendant toute la semaine: nous devons toujours revenir vers les mêmes fondamentaux, vérifier l’information, la source. Il faut être très subtil, très vigilant. Ce sont des outils complémentaires à notre travail de journaliste au quotidien.»

Anne-Paule Martin (RSR)

«Les gens qui sont sur Twitter sont dans une logique de guerre, de concurrence entre les médias traditionnels et les nouveaux médias comme les réseaux sociaux.»

Janic Tremblay (Radio Canada)

«Pour le citoyen ordinaire, Twitter reste un formidable outil d’alerte. Récemment, le séisme en Haïti en a été un bon exemple. Aucun journaliste ne peut concurrencer un tel réseau. Mais sur une base quotidienne, c’est beaucoup plus facile de s’en remettre aux médias traditionnels pour savoir ce qui se passe dans le monde. Ce n’est pas une affaire de supériorité. Simplement de ressources et de temps.»

Point de postérité

Toutes ces conclusions étaient déjà connues des utilisateurs avertis des réseaux sociaux et il n’était sans doute pas nécessaire de louer un gîte dans le Périgord pour cela. L’intérêt de l’expérience aura seulement été de communiquer ces réflexions à un large public. Le dispositif (des journalistes, un Loft, le Périgord) n’était qu’une manière spectaculaire d’habiller un simple reportage “embed” sur les réseaux sociaux qu’il était possible de réaliser à Paris, Montréal ou Bruxelles.

Si la science n’en retient rien, Huis Clos sur le Net aura au moins appris quelque chose aux reclus du Périgord: la nécessaire humilité du journaliste en milieu Web.

Les premiers jours des journalistes-lofteurs ont été un véritable enfer. Sur Twitter, les internautes ont multiplié les critiques et ont essayé de les piéger en tweetant de fausses informations. Anne-Paule Martin, la journaliste suisse, a ainsi parlé de «cabale» à leur encontre. Janic Tremblay, de la radio canadienne, balaye d’un revers les critiques: «Il y a eu évidemment des gens qui sont tombés dans la vulgarité mais je ne les regardais pas vraiment passer».

Leur surprise et leur désarmement devant l’avalanche de critiques est typique du journaliste issu des médias traditionnels qui descend pour la première fois dans l’arène Internet. Le rédacteur web est lui habitué au contact direct avec ses lecteurs: en-dessous de chacun de ses articles, un espace ouvert — les commentaires — soumet son travail à un examen critique. C’est souvent impitoyable mais cela apprend l’humilité et pousse à travailler davantage, afin d’échapper à l’impayable brigade du Web 2.0.

Le métier de journaliste est un des plus critiqués de France

En radio, en télé et en presse écrite, le rapport avec le public est beaucoup moins direct. Le seul vrai lecteur ou auditeur avec qui le journaliste peut échanger est son rédacteur en chef. Pour le reste, les réactions se réduisent en général à la portion congrue: un compliment des parents ou du conjoint, un coup de fil énervé d’un attaché de presse et à l’occasion une lettre d’insultes ou une demande en mariage qui arrivent par La Poste. Une erreur dans un article est bien plus souvent relevée sur le web, et ensuite corrigée, que dans les médias traditionnels.

En tant que journaliste Web, je sais que je n’échapperai jamais lors de la rédaction d’un article politique à la critique de «sarkozysme» (une fois sur 2) ou de «gauchisme» (une fois sur 2). Les journalistes des médias traditionnels ne le savent pas puisque la barrière à l’entrée pour critiquer leur travail — un timbre ou une communication téléphonique — est trop élevé pour qu’il y ait des réactions. Pourtant, ils savent que leur travail ne plaît pas à tout le monde: le métier de journaliste est un des plus critiqués de France. D’après le baromètre de la confiance politique réalisé en décembre dernier par TNS-Sofres, seul 27% des Français font confiance aux médias… alors que les banquiers, pour qui le fond de l’air n’est vraiment pas favorable, recueillent 37 % d’opinions favorables.

Reprenons la conclusion d’Anne-Paule Martin, l’une des participantes: «Les gens qui sont sur Twitter sont dans une logique de guerre, de concurrence entre les médias traditionnels et les nouveaux médias comme les réseaux sociaux». En fait, «les gens qui sont sur Twitter» sont juste des lecteurs/auditeurs normaux. Qui ont un avis. Un avis qu’ils expriment sur Internet.

Vincent Glad

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Huis trop clos?

Une «Ile de la Tentation Web», peut-on lire ici. Pire, une «farce», lit-on là. L’expérience Huis clos sur le Net, lancée par les Radios francophones publiques (RFP) lundi 1er février, suscite l’incompréhension des internautes et… des journalistes Web. Qui ne les ont pas pour savoir et montrer qu’on pouvait s’informer — aussi — avec les réseaux sociaux.

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Le principe? Cinq journalistes radio, «enfermés volontaires» dans une ferme du Périgord – moins enneigée qu’un chalet en Suisse et moins cher qu’une cabane au Canada – pendant cinq jours, allaient tester ce veut dire dire s’informer uniquement sur Twitter et Facebook (1). Sans autre source d’informations. Ni journaux, ni télé, ni radio, ni accès aux dépêches d’agences.

«L’idée est née collectivement lors d’une commission des Radios Francophones Publiques (RFP), en avril 2009, où il y avait notamment les directeurs de France Inter et de France Info», me raconte Françoise Dost, secrétaire générale des RFP. «On se posait plein de questions sur l’importance grandissante de ces réseaux. Y trouve-t-on la même information que dans les médias traditionnels? Quelles informations émergent plus que d’autres? Comment se construit la perception de l’actualité par les utilisateurs de Twitter et de Facebook? Alors on s’est dit que, pour avoir des réponses, il fallait organiser une vraie expérience, grandeur nature, où les participants seraient à la fois coupés de leur monde professionnel et familial.»

Le tollé

Aussitôt Huis clos sur le Net inauguré, les membres du réseau Twitter — toujours prompts à se défouler comme dans une cour de récréation — se sont amusés à écrire que Michel Sardou était mort, pour voir si la fausse information parviendrait à être crédible auprès des cobayes. Lesquels ont repéré sans mal le piège, puisque les messages parlant du soi-disant décès du chanteur était accompagné du mot-clé #huisclosnet.

Ensuite, cela a été une succession d’incompréhensions. «Est-ce que les journalistes embrigadés dans l’expérience ont le droit de cliquer sur les liens postés sur Twitter et Facebook?» A cette question, la réponse a tardé à venir. «On peut par exemple cliquer sur un article du Monde.fr si le lien est posté sur Twitter, mais une fois sur l’article, on n’a pas le droit de naviguer sur le site du Monde.fr (ni aucun autre site d’info, le temps que dure l’expérience, ndlr)», m’a expliqué l’un des participants. Une règle qui en a surpris plus d’un. S’empêcher de cliquer sur les liens est une aberration: la toile constitue avant tout une formidable machine à «contextualiser», via des liens entre des pages, entre des sites, dans un espace connecté et interconnecté en permanence. Françoise Dost reconnaît que le projet est un «labo dont les conditions ne sont pas celles de la vie». Etrange laboratoire…

Tout dépend de qui l’on suit

L’autre limite de l’exercice, c’est que la qualité des informations recueillies sur Twitter et Facebook dépend de la communauté des cinq participants sur ces deux réseaux. Autrement dit, dépend de qui sont leurs amis sur Facebook, et leurs «followings» sur Twitter. S’ils ont par exemple des amis ou des émetteurs d’infos soucieux de donner sur ces réseaux des infos utiles et variées, qui datent de moins de 24h, ils auront un aperçu de l’actualité du jour. Anticipant cet aspect, les candidats ont «défollowé» (retiré) de leur Twitter les comptes de médias avant de débuter le programme, arguant qu’il «faut bien se donner une limite». «Sur Twitter, la perception et le décodage du monde dépendent beaucoup des membres du réseau, dit Janic Tremblay, l’un des cinq journalistes. Ceux que vous suivez influencent votre compréhension du monde. C’est comme la télé. On n’est pas informé de la même façon en regardant CNN que Fox News. C’est l’avantage et l’inconvénient de Twitter. Le choix. Infini.»

Un constat qui a dérouté les utilisateurs de longue date des réseaux, habitués à utiliser les réseaux pour deux raisons au moins: 1. pour avoir des informations avant les médias traditionnels, comme lors de la mort de Michael Jackson, en juin 2009, ou plus loin, pendant les attentats de Mumbai, en Inde, en octobre 2008. 2. Pour interagir avec les autres, en fonction de centres d’intérêts communs.

«Le but de l’expérience n’est pas de prouver que l’information que l’on trouve sur les réseaux est juste ou pas, reprend l’un des participants. Mais de juger de l’importance qui est donnée à telle ou telle info sur les réseaux sociaux. Maintenant, je sais ce que les internautes plébiscitent, quand avant, je savais seulement ce que les auditeurs plébiscitaient…»

Quant à Françoise Dost, elle assure vouloir tirer «sérieusement» les leçons – sociétales, journalistiques, etc. de cette expérience ultra médiatisée. On ne sait pas si, après cela, les journalistes des Radios Francophones Publiques seront incités à détenir des comptes Twitter et Facebook pour y faire de l’information autrement, comme c’est déjà le cas dans certaines rédactions, et bientôt à l’AFP. Mais Françoise Dost le promet: «Ce n’est qu’un début». Préparez-vous à Huis clos sur le Net 2. Avec le droit d’utiliser vraiment Internet, cette fois?

Alice Antheaume

(1) Selon une récente étude de Nielsen, le temps passé sur les réseaux sociaux a augmenté de 82% entre décembre 2008 et 2009. Rien qu’en France, les internautes consacrent en moyenne 4h04 chaque mois à surfer sur ces réseaux.

Image du studio du huis clos par David Abiker

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