2013, c’est l’année de l’affaire Cahuzac, de l’affaire Snowden, des attentats lors du marathon de Boston, du typhon aux Philippines, de la série House of Cards sur Netflix, du rachat de Tumblr par Yahoo!, celui du Washington Post par Jeff Bezos, des débats sur le mariage pour tous, du décès de l’acteur Paul Walker, des journalistes otages et des journalistes morts dans l’exercice de leurs fonctions… De janvier à décembre, retour sur les événements, petits ou grands, qui ont non seulement marqué l’information en ligne mais aussi le journalisme en France.
Si vous souhaitez rajouter des éléments à cette frise, signalez-les dans les commentaires ou sur Facebook et Twitter, merci!
Alice Antheaume
lire le billetMort de Mouammar Kadhafi, G20 à Cannes, matchs de foot, débats politiques… Le «live», ce format éditorial qui permet de raconter en temps réel un événement en mixant textes, photos, vidéos, contenus issus des réseaux sociaux et interactions avec l’audience, est un appât à lecteurs. La preuve par (au moins) deux: 1. selon les estimations, il récolte minimum 30% du trafic général d’un site d’infos généralistes – un pourcentage qui peut augmenter très vite en fonction de paramètres décrits ci-dessous. 2. Le «live» est un facteur d’engagement de l’audience, les internautes restant plus longtemps, beaucoup plus longtemps, sur ce type de format.
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MISE A JOUR: Ce lundi 14 novembre, France Télévisions lance sa plate-forme d’informations en continu, disponible sur le Web et sur mobile (1). Le projet pousse la logique du «live» à son paroxysme. En effet, il repose sur un «live perpétuel» qui relate, de 6h du matin à minuit, l’ensemble des actualités du jour (la grève annoncée à Pôle Emploi, la nomination de Mario Monti, les derniers propos sur DSK, les otages libérés au Yémen, etc.) via vidéos, photos, textes… Le tout est réalisé par des «liveurs», c’est-à-dire des journalistes devenus des spécialistes du «live» numérique, qui répondent aux questions et réactions de l’audience sur l’actualité en temps réel.
Côté hiérarchie de l’info, la logique de ce «live permanent» est la suivante: si c’est une information secondaire, trois lignes suffisent, alors qu’une information essentielle fera l’objet de plusieurs entrées, voire plusieurs développements, dans et en dehors du «live» du jour.
Pour Nico Pitney, éditeur exécutif du the Huffington Post interrogé par le Nieman Lab, le «live» intéresse deux personnes sur trois. «Imaginons trois types de lecteurs», détaille-t-il. «Les premiers veulent les éléments-clés sur une information, une solide vue d’ensemble qui correspond à la lecture d’un article traditionnel. Cette catégorie n’est pas intéressée par le développement minute par minute ni par la couverture en “live”. La deuxième catégorie connaît déjà le résumé des informations mais veut aussi les éléments-clés et la couverture en “live”. Le troisième type de lecteurs – et nous considérons que c’est la majorité de nos utilisateurs – veut d’abord un aperçu de l’actu, mais une fois qu’ils ont vu le “live”, cela les plonge en profondeur dans l’histoire»…
Sous entendu, ils restent scotchés, pris dans les filets du «live», et de la promesse de ce format de leur délivrer les dernières informations disponibles sur l’événement «livé», au fur et à mesure que celui-ci se déroule.
Le live est la nouvelle télé
Pourquoi le «live» fascine-t-il tant, pour reprendre l’intitulé de l’un des ateliers organisés ce mardi aux Assises du journalisme à Poitiers (2)? En partie parce que ce dispositif permet aux utilisateurs de jouer un nouveau rôle, estiment la plupart des intervenants de cette conférence.
«Les internautes ont l’impression de faire l’info», explique l’une d’entre eux, Karine Broyer, rédactrice en chef Internet et nouveaux médias de France 24. «Lors des événements en Egypte, certains posaient dans le live une question pour notre envoyé spécial qui se trouvait alors Place Tahir au Caire, en l’interpellant par son prénom, Karim (Hakiki, ndlr)». Et, si la question était pertinente, Karim Hakiki leur répondait, donnant peut-être l’impression aux lecteurs d’avoir enfin leur mot à dire dans la construction de l’information…
«Lorsque ont eu lieu les débats télévisés des primaires socialistes, nous avons choisi de ne pas ouvrir de live sur le site – trop franco-français pour un média international comme France 24. Nous avons peut-être eu tort, je ne sais pas. Toujours est-il que nos utilisateurs nous ont hélés sur Twitter sur le mode “vous dormez ou quoi? Il faut vous mettre en live…”»
Typologie de réactions en live
«Les internautes sont acteurs», reprend Jonathan Parienté, journaliste de la cellule présidentielle du Monde.fr. Il note trois formes de commentaires lors des «lives»:
Alors que, par défaut sur lemonde.fr, aucun commentaire n’est publié dans un «live» avant validation par la rédaction, les règles du genre sont simples: le type de commentaire 1 est retenu si l’internaute développe un peu son jugement mais, pour être honnête, cela n’a pas d’intérêt journalistique. Le genre 2 constitue l’essentiel des réactions publiées dans les «lives» et sont utiles pour articuler le dispositif éditorial, en donnant une sensation visuelle de dialogue entre internautes et rédactions, lesquelles restent en position de magistère. Le genre 3, très rare, est très utile d’un point de vue journalistique, nécessite certes vérification avant publication mais renverse la vapeur (l’apport vient cette fois de l’extérieur de la rédaction).
Les ingrédients d’un «live» réussi? Cela tient avant tout à «l’intérêt de l’actualité», assure Karine Broyer. «98% des lives que nous lançons sont issus de breaking news», autrement dit traitant d’actualités non anticipées.
Les accélérateurs de «live»
Outre la force d’une actualité, il y a des facilitateurs de réussite:
Sur un outil comme Cover It Live, utilisé par la majorité des sites d’informations en France (La Nouvelle République, Le Monde, Libération, France 24, etc.), le live n’a qu’une URL unique. Des outils développés en interne, comme celui du Huffington Post, attribue une URL par «post» et augmente le taux de partage sur les réseaux sociaux, chaque utilisateur pouvant citer l’un des contenus du live, une photo, un décryptage, une citation, plutôt que de pointer sur un titre très général du type «vivez en direct tel événement».
A l’Ecole de journalisme de Sciences Po, la construction de «live» sur le Web fait partie de la formation des étudiants depuis septembre 2010, au même titre que l’apprentissage d’un reportage télévisuel, ou d’un flash radio. Car raconter en instantané ce qu’il se passe, en apportant du contexte aux informations, en les mettant en perspective, en répondant aux questions de l’audience sur le sujet, et en pratiquant le fact checking, cela demande de la rigueur. Et de l’endurance. Surtout lorsque le «live» dure des jours voire des semaines – celui de Reuters sur Fukushima, entre le 11 et le 26 mars, a duré 15 jours et comporte 298 pages.
Trop de lives tuent-ils le live?
Et après? Si tous les médias «livent» aux mêmes moments les mêmes informations, quel intérêt? «Je ne vais pas m’arrêter de faire du “live” parce que tout le monde le fait», tranche Karine Broyer. D’autant que, selon la matière dont on dispose, les sources, les liens qu’on y met, le ton et le tempo, aucun live ne ressemble à un autre, complète Jonathan Parienté. Pas d’inquiétude, donc, il y a de la place pour tous sur ce format encore expérimental: «la pluralité des lives est la même que la pluralité des médias», conclut Florence Panoussian, responsable des rédactions Web et mobiles de l’AFP.
(1) Bruno Patino, le directeur de la stratégie numérique de France Télévisions, est également directeur de l’Ecole de journalisme de Sciences Po, où je travaille.
(2) Atelier auquel j’ai participé en tant qu’animatrice. Merci à Bérénice Dubuc, Jean-Christophe Solon, Karine Broyer, Jonathan Parienté, et Florence Panoussian, pour ces échanges.
Alice Antheaume
lire le billetMISE A JOUR: Oui, le mariage royal a battu tous les records de commentaires sur les réseaux sociaux. Le pic a été atteint, en ce vendredi 29 avril 2011, avec 15.000 tweets par minute dotés du hashtag #royalwedding dans le monde, selon ABC News (13.000 tweets par minute selon USA Today). En France, le visionnage de l’union princière sur les télévisions de l’Hexagone a généré plus de 13.000 tweets francophones lors de cette journée spéciale, concluent le cabinet Novédia et le site DevantLaTele.com.
Le mariage du Prince William et de Kate Middleton est-il le plus gros événement «live» que le Web connaisse? C’est ce que parie Rory Cellan-Jones, de la BBC, sur son blog. Ce mariage «pourrait surpasser l’impact de l’investiture de Barack Obama» sur Internet, prévient-il. «Espérons que Google aie un ou deux serveurs en réserve….»
Outre Google, les réseaux sociaux s’attendent à un volume extraordinaire de commentaires postés en temps réel, en ce vendredi 29 avril, jour de l’union princière. Plus que lors des révolutions arabes ou du tremblement de terre/tsunami/crise nucléaire au Japon? Sans doute.
D’après les estimations du Telegraph, plus d’1 milliard de personnes dans le monde vont regarder le «mariage du siècle» à la télévision, et le volume de messages postés sur Twitter devrait dépasser les 5.000 tweets par minute atteints lors de la mort de Michael Jackson, en juin 2009. A fortiori les 3.051 tweets par minute réalisés lors du but final de l’Espagne à la Coupe du Monde, en juillet 2010. Et les 1.200 tweets par minute au moment du tsunami au Japon, en mars 2011.
L’agence britannique Greenlight, qui a traqué le terme «royal wedding» sur les moteurs de recherche, les réseaux sociaux, les forums, les sites d’infos et les blogs, a vu l’apparition en ligne de 9.000 posts par jour concernant ce fameux mariage, lors de la semaine du 18 avril.
Les détails les plus débattus sont – dans l’ordre d’importance – la robe de Kate Middleton, la liste des invités et les cadeaux pour les futurs mariés. Des sujets plutôt «positifs», donc. Cela tombe bien, les contenus porteurs de bonnes nouvelles bénéficient d’un plus fort taux de partage sur Facebook, comme décrit dans ce précédent WIP sur les critères d’un contenu facebookable.
Près de «800.000 personnes vont se presser dans les rues de Londres», peut-on lire sur le site the media on line, «tweetant et postant sur Facebook, tournant des vidéos aussitôt envoyées sur YouTube. Un “social networking” aux proportions épiques.»
Serveurs spéciaux
En annonçant avoir besoin d’un serveur supplémentaire, Twitter s’y prépare. Un travail de fond s’opère «afin d’assurer que nous soyons capables de gérer un tel volume», assure la compagnie de San Francisco. «Là où un mariage royal est facile à prévoir, un tremblement de terre suscitant un fort volume de tweets ne l’est pas toujours. Il faut donc être prêt à tout moment».
Outre servir d’outil pour diffuser les informations urgentes, Twitter se positionne sur un autre usage «journalistique»: rendre la télévision plus «live». Comment? En surfant sur cette nouvelle tendance qu’ont les internautes, lesquels commentent sur les réseaux sociaux les programmes télévisuels qu’ils regardent.
«Le mariage royal s’inscrit dans une campagne plus générale qui consiste à travailler avec les chaînes télés pour mieux intégrer Twitter à leurs expériences, notamment pour le direct», m’explique l’équipe du site des messages de 140 signes.
La télévision tweetée, c’est un créneau porteur, estime Robin Sloan, qui travaille sur les meilleures utilisations de Twitter par les médias. «La télé en direct et l’information en temps réel se renforcent l’une l’autre. A chaque fois qu’il se produit quelque chose d’important lors des Video Music Awards, diffusés sur MTV, nous constatons un pic massif et immédiat de tweets qui en parlent. Rihanna a fait une apparition surprise lors de la prestation d’Eminem, et aussitôt, son nom était cité dans 4.700 tweets par minute (…). Ce volume de messages permet aux gens de voir que les Video Music Awards se déroulent en ce moment-même et que le show a l’air excitant.»
La télévision qui fait tweet
Regarder la télévision (sur petit écran ou ailleurs), smartphone branché sur Facebook ou Twitter en main, c’est un usage qui se répand. Jean Yves Stervinou, 36 ans, ancien de Six Apart, la plate-forme de blogs, l’a bien compris. Il a créé, dès février 2010, DevantLaTele.com pour donner une nouvelle «dimension sociale aux instants télé». Le principe: agréger, par chaîne de télévision (française), les commentaires postés sur Facebook et Twitter en temps réel qui évoquent les émissions de ces chaînes. Uniquement les messages en français.
«J’en ai eu l’idée en visionnant des programmes qui encouragent les téléspectateurs à envoyer des SMS, mais ces SMS n’arrivent nulle part. Moi, j’avais besoin d’échanger avec les autres. Il y a bien les forums mais certaines discussions datent de plusieurs semaines. Je voulais une vraie conversation, à plusieurs, et surtout, en live.»
Résultat, en ligne, on peut suivre, comme dans le salon avec des amis, les commentaires des internautes sur l’émission qui est diffusée au même moment. La difficulté de l’exercice, lors des live tweets, c’est d’identifier les bons mots clés qui évoquent la conversation télévisuelle. «Un bon hashtag (un mot clé sur Twitter, ndlr) saisit en peu de signes l’essence d’un événement: on doit comprendre de quoi il s’agit un premier coup d’oeil», m’avertit Twitter. Exemples: #royalwedding, c’est simple et efficace, alors que #tele, c’est trop vague, reprend Jean-Yves Stervinou.
La crainte de celui-ci pour vendredi? Que «Twitter tombe en rade» sous l’afflux de commentaires. Mais il se rassure: «Parfois, même quand Twitter.com est down, l’API, une interface de programmation que j’utilise pour récupérer les tweets pour DevantLaTele.com, fonctionne toujours.»
Et si cette union princière ne générait pas autant de communi(cati)on? A contre-courant, Alexandre Hervaud, journaliste à Libération et assidu de Twitter, ne compte pas poster de commentaires sur le mariage et annonce qu’il «lira un livre à place».
«Commenter les commentaires, très peu de moi», dit-il. «Je subis les live tweets télévisuels. Je ne vois pas l’intérêt de “liver” un événement que tout le monde peut voir à la télévision. Les live tweets intéressants, ce sont ceux qui permettent de raconter ce que les gens ne peuvent pas voir ni entendre, par exemple, lorsque Lionel Tardy, député UMP, commente sur Twitter une commission qui se tient à l’Assemblée nationale à huis clos, et interdite d’accès au public. Sinon, et même si j’ai moi-même versé dans le live tweet de la Nouvelle Star en 2009, je trouve maintenant cela saoulant, ça paralyse le flux d’informations qui arrivent.»
Et vous, commentez-vous le mariage royal sur les réseaux sociaux? Entre deux messages, n’oubliez pas de liker cet article.
Alice Antheaume
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