Cahier de vacances 2012 pour étudiants en journalisme

Crédit: Flickr/CC/Mel B.

Les étudiants de la promotion 2012 de l’Ecole de journalisme de Sciences Po viennent d’être diplômés – et ils l’ont bien mérité. Ceux de la promotion 2014 viennent d’être recrutés.

Que faire de l’été en attendant la rentrée? Alors que, sur subtainablejournalism.org, une cellule de réflexion sur le journalisme de l’Université de Kennesaw, près d’Atlanta, il est conseillé aux étudiants de travailler dur, de suivre des tutoriaux (pour apprendre à coder, par exemple?) et de ne surtout pas s’attendre à gagner des fortunes, voici, pour ceux qui s’impatientent, huit exercices en guise de cahier de vacances… sans obligation de rendu, bien sûr!

1. Se lancer

Pourquoi attendre de travailler dans une rédaction pour commencer à prendre des photos, filmer des manifestations, publier des liens vers les informations du jour? Souvent, les étudiants craignent de ne pas se sentir “légitimes” pour ce faire. S’il s’agit d’écrire un article sur la la crise de la dette, c’est très compréhensible. Mais il est possible de s’exercer avec des sujets plus accessibles: portraits des habitants de son immeuble, blog sur une série télévisée, live-tweets de matchs de foot, carnet de voyage sur une page Facebook, comparaison du prix d’une baguette de pain dans différents endroits géolocalisés sur une Google Map, photos de tous ses déjeuners, etc.

Exercice

Ouvrir un Tumblr, monter un blog, une chaîne sur YouTube ou Dailymotion, un compte Instagram, bref, un endroit où publier. Avant d’y déposer le premier contenu, déterminer la ligne éditoriale de cette publication: de quel sujet parler? Sur quel ton? A quelle fréquence? Et avec quel format (vidéo, photo, article, brève, citation, tweet)?

Résultat attendu

Trouver un “créneau” éditorial, s’y tenir, comprendre les impératifs d’une publication régulière et la responsabilité que cela suppose.

2. Questionner

Un bon journaliste n’a pas peur de poser des questions, y compris celles que personne n’ose formuler par peur du ridicule. Pour s’entraîner, n’importe qui peut servir de cobaye: les proches, un voisin dans le train, le marchand de légumes… L’idée n’est pas de tenir une conversation, mais de réussir à s’effacer derrière ses questions pour laisser l’interlocuteur raconter un élément susceptible d’intéresser le plus grand nombre.

Exercice

En regardant/écoutant une émission télé/radio avec un invité, se demander quelle serait la première question qu’on poserait à cet invité si on était à la place du journaliste qui l’interviewe. Si l’interlocuteur répond à côté, ou ne répond pas, ou pratique la langue de bois, réfléchir à comment la question pourrait être reformulée pour obtenir une meilleure réponse.

Résultat attendu

Comprendre quelle interrogation – et quelle formulation d’interrogation – mène à des réponses bateaux ou des réponses telles que Oui/Non, sans plus de discussion.

3. Aiguiser son regard

Il est indispensable de lire/écouter/regarder tous les jours les productions journalistiques des professionnels, sur quelque média que ce soit. Connaître l’actualité, c’est nécessaire, mais il convient de, peu à peu, développer un oeil professionnel sur la production de ses futurs collègues.

Exercice

Lire un article dans un journal ou un site d’infos et essayer de répondre aux questions suivantes: quelle est l’information principale de l’article? Combien de sources sont citées? Certaines d’entre elles sont-elles anonymes? Pourquoi? Est-ce qu’il y a, sur le même sujet, un traitement différent dans un autre journal paru le même jour?

Idem pour le reportage d’un journal télévisé: quelle est l’information? Combien de séquences contient le reportage? Combien de personnes ont été interrogées? Où se trouve la caméra?

Résultat attendu

Savoir pourquoi le sujet que l’on vient de voir/lire est bon ou mauvais en étant capable d’argumenter à partir d’une grille de critères crédible.

4. Tester des services en ligne

La technique doit aider les étudiants en journalisme, et non les paralyser. Applications, logiciels, services en ligne sont amenés à devenir des quasi collègues. Autant se constituer dès à présent une besace remplie d’outils simples pour faciliter la recherche, la consommation et la production d’informations.

Exercice

Tester différents outils pour “gérer” le flux de l’actualité en temps réel: Tweetdeck , Google Reader, Netvibes, Flux d’actu, News.me, Flipboard, etc. Et essayer de personnaliser les paramètres de chacun de ces outils pour l’adapter à sa consommation d’actualité personnelle.

Résultat attendu

Se familiariser avec l’interface de ces outils et rendre plus rapide la lecture des informations provenant de multiples sources en temps réel. Bref, devenir un “early adopter”, détaille le Nieman Lab.

5. Titrer

Un bon titre, c’est donner toutes les chances à une information d’exister et d’être lue. De phrases de type sujet/verbe/complément aux jeux de mots en passant par des citations, les possibilités de titres sont presque infinies. S’exercer à en imaginer des percutants est un exercice intellectuel qui mérite d’y passer quelque temps.

Exercice

Faire sa revue de presse en postant sur Twitter ou sur Facebook une sélection des meilleures informations du jour, en rédigeant, avant chaque lien, un autre titre que celui qui est affiché, si possible encore mieux…

Résultat attendu

S’initier aux rudiments de l’édition en ligne et à l’art de la titraille.

6.  Pitcher

Non seulement il faut apprendre à regarder autour de soi, dans la rue et sur le réseau, pour y déceler d’éventuels sujets à traiter, mais il faut aussi réfléchir à comment “pitcher” le sujet devant d’autres, exercice obligé des conférences de rédaction. Objectif: obtenir que le ou les rédacteurs en chef d’une future publication valide le sujet et ait envie de le lire tout de suite.

Exercice

Trouver tous les jours un sujet potentiel et être capable de formuler en une phrase claire et concise, à l’oral ou l’écrit, quel serait ce sujet. Celui-ci doit être faisable dans des conditions normales – en vue d’un sujet sur la présidentielle américaine, pitcher “ce que Barack Obama pense vraiment de Mitt Romney” est certes vendeur mais nécessiterait une interview de l’actuel président des Etats-Unis… Peu probable. Une bonne phrase de pitch peut aussi être le titre de l’article à venir.

Résultat attendu

Eclaircir ses idées et savoir les “vendre” en vue d’une publication ultérieure.

7. Faire attention…

A ce que l’on veut dire AVANT de le publier. La faute de carre – diffamation, insulte, publication d’une fausse information – est très vite arrivée en ligne et est considérée comme une faute professionnelle grave, même pour un étudiant. En outre, elle reste gravée dans les méandres du Web, dont la mémoire est infinie, et souille l’empreinte numérique de son auteur et de celui qui le relaie.

Exercice

Lire la charte d’une rédaction comme Reuters, celle de l’Ecole de journalisme de Sciences Po, en vigueur depuis la rentrée 2010, et prendre conscience des risques soulevés par l’usage des réseaux sociaux dans les médias.

Résultat attendu

Réfléchir avant de tweeter.

8. Se déconnecter

Au moins un peu, et c’était une tendance très présente lors de la conférence DLD Women, à Munich, en juillet. Face à l’hyper connectivité, au flux incessant d’infos, le nouveau pouvoir pourrait être à ceux qui défendent le droit de se mettre “hors du réseau” le temps d’une pause. 

Pas d’exercice

Résultat attendu

Recharger les batteries.

Très bon été à tous! Et n’hésitez pas à partager ce WIP sur Facebook et Twitter.

Alice Antheaume

lire le billet

Les 7 principes en journalisme de Bill Nichols, de Politico

Crédit: AA

C’est la rentrée à l’Ecole de journalisme de Sciences Po. Après Jay Rosen, l’année dernière, Bill Nichols, le directeur de la rédaction de Politico, a donné ce jeudi 1er septembre sa leçon inaugurale sur le journalisme politique, version américaine. En évoquant l’expérience de ce site, Politico.com, “qui a un journal, et non l’inverse”, il a listé sept principes, en guise de conseils aux étudiants en journalisme. Les voici.

1. Ne publier que des sujets intéressants

Ce premier principe peut paraître évident, et pourtant, assure Bill Nichols, “des articles inintéressants, les journaux américains en publient depuis des décennies, estimant que s’ils les écrivent, c’est que, bien sûr, leurs lecteurs vont les lire”. Sauf que… non. Le directeur de la rédaction de Politico insiste: “si vous ne donnez pas une bonne raison à vos lecteurs de vous lire, ils ne vous liront pas, et vous êtes morts”.

2. Ne permettre aucune division dans la rédaction

Bill Nichols n’en revient pas qu’en France, les journalistes d’un même titre soient le plus souvent répartis dans des rédactions différentes en fonction de leur support, avec d’un côté, le Web, et de l’autre, le journal papier. A Politico, “il n’y a pas – et il ne peut pas y avoir – une personne pour le Web, et une autre personne pour l’imprimé. Une seule personne fait les deux”. L’avantage, avance-t-il, c’est que l'”on se concentre tous sur le fait de faire du bon journalisme”, sans guerre de tranchées entre journalistes à l’ancienne et nouveaux geeks.

3. Ouvrir les portes

“La transparence a du bon”, reprend Bill Nichols qui se souvient de ce qu’il détestait tant dans les médias traditionnels: “the voice of God tone” – disons, en VF, “le ton de Dieu de père” avec lequel les journalistes, se sentant investis de cette mission “supérieure” d’informer le peuple, s’adressent parfois à leur lectorat. Avec le Web, cette façon de sélectionner les informations et de les diffuser du “haut vers le bas” a rendu “cette vision des choses impossible”, tranche Bill Nichols, et cette pratique journalistique aussi. “Tout le monde a le droit de savoir comment on prend nos décisions éditoriales, à Politico, et comment on couvre tel ou tel sujet, et… pourquoi on se trompe parfois”.

La transparence, erreurs comprises, donc. De fait, Bill Nichols le reconnaît: sa rédaction a écrit des centaines de fois “nous sommes désolés” lorsque de fausses informations ont été publiées. La première erreur de Politico? C’était en 2007, seulement deux mois après que le site a été lancé, en janvier 2007. Politico avait alors annoncé que John Edwards ne serait plus candidat à la primaire démocrate, en vue de la présidentielle, à cause du cancer de sa femme. Information reprise par d’autres médias avant d’être démentie. L’auteur de l’article, Ben Smith, s’est fendu d’un billet pour présenter ses excuses. En vivant cette expérience, Bill Nichols a d’abord cru défaillir, avant de comprendre qu’il ne fallait écrire que ce que l’on sait, sans prétendre faire un article définitif, et compléter l’information au fur et à mesure.

4. Développer du journalisme de niche

Le plus difficile, estime Bill Nichols, c’est de “réussir avec un site d’infos généralistes”. Pour lui, le secret réside dans le journalisme de niche. “Vous devez convaincre vos lecteurs que vous allez leur offrir quelque chose qu’ils ne peuvent pas lire ailleurs” – or ils peuvent lire beaucoup ailleurs. Il vaut mieux couvrir en profondeur quelques domaines, assure le directeur de la rédaction de Politico, plutôt que de multiplier les sujets sans être spécialiste. “Sur nos sujets (La Maison Blanche, le Congrès américain, la politique à Washington DC), on peut vraiment rentrer dans les détails, et on offre aux lecteurs qui s’intéressent à ces sujets tout ce qu’ils veulent savoir”.

Cette ligne éditoriale ne va pas sans quelques frustrations. “En réalité, l’affaire Dominique Strauss-Khan ou l’ouragan Irène ne sont pas tout à fait au coeur de ce que Politico traite”. Et Bill Nichols de rappeler ce qu’il avait raconté en février lors d’un précédent WIP: au moment de la mort de Michael Jackson, c’est dur, pour un journaliste, de se dire que ce sujet ne sera pas couvert sur le média pour lequel il travaille. N’y tenant plus, Politico a finalement publié un diaporama du chanteur posant aux côtés de personnalités politiques américaines. Façon de ré-angler cette nouvelle vers la politique, comme le veut l’ADN de Politico.

5. Ne pas oublier la vitesse

Le temps réel n’est pas un mythe. Armés de leurs smartphones, les consommateurs d’informations veulent qu’on leur “dise maintenant/tout de suite ce qu’ils doivent savoir”. A ceux qui se demandent si l’instantanéité est une bonne ou mauvaise chose pour le journalisme, Bill Nichols refuse de répondre. Pour lui, ce n’est pas la question. “Le temps réel, c’est la réalité de ce qui arrive au journalisme, et qui doit pousser les journalistes à changer leurs usages”.

6. Utiliser les vieilles compétences journalistiques

Parmi les fondamentaux du journalisme, Bill Nichols tient à l’obligation d’objectivité. Selon le patron de la rédaction de Politico, c’est une évidence: oui, un article doit rendre compte des deux parties d’une histoire, sans privilégier l’une sur l’autre. De même, les journalistes ne doivent pas exprimer leurs préférences dans leurs écrits. Enfin, il faut faire la différence entre une opinion et un fait. Néanmoins, un article qui serait une succession de “il dit…”, puis “elle dit…” serait trop limité. C’est alors que Bill Nichols évoque le concept d'”objectivité 2.0″. Comprendre: une façon de raconter les faits qui soit juste, sans jugement de valeur, mais qui permette au lecteur de se faire une opinion dans l’univers de surabondance d’informations disponibles sur le Web.

7. Faire du reportage

L’agrégation, qui permet d’être connecté aux plates-formes, de faire du lien sur le réseau, d’entrer dans les conversations, et de sélectionner les histoires les plus pertinentes publiées par d’autres, c’est bien. Mais, selon Bill Nichols, cela ne saurait remplacer le reportage. “C’est ce que le journalisme oublie parfois.”

AA

lire le billet

Liens du jour #43

C’est (bientôt) la rentrée scolaire! 10 conseils pour les étudiants en journalisme (Journalism.co.uk)

Comment engager la discussion avec les lecteurs? Des réponses dans ce guide intitulé “The Talk” (Reynolds Journalism Institute, Université de Missouri, aux Etats-Unis)

Un autre guide, sur l’utilisation journalistique de Facebook, à l’usage des débutants et confirmés (Facebook)

lire le billet