«Où est passé le bon vieux temps où la substance de vos tweets était ce que vous disiez, et non ce sur quoi vous pointiez?», interpelle un étudiant américain qui a fondé FastBlink, une société de marketing sur les réseaux sociaux. Pour lui, trop de liens saturent l’espace en ligne, et ce, au détriment des «messages». Un phénomène qu’il qualifie, en anglais, d’«overlinkification».
Et si cette «overlinkification» ne concernait pas que les messages sur Twitter mais aussi les contenus journalistiques? Y a-t-il trop de liens sur les sites d’informations?
Regardons la colonne centrale de Le Huffington Post, lancé lundi 23 janvier en France. Elle comporte des liens, dès la page d’accueil, vers des actualités issues d’autres médias (voir ci-dessous). Comme ce contenu sur Jean-Claude Trichet remplaçant d’Arnaud Lagardère chez EADS, pointant sur lesechos.fr. Ou ce zoom sur trois projets de François Hollande, à lire sur lemonde.fr (le groupe Le Monde est actionnaire à 34% du projet Huffington Post en France).
Sur l’agrégation de contenus extérieurs directement sur la page d’accueil, il faut le voir comme un service rendu au lecteur – et un geste envers les médias cités. Ensuite, il y a l’enrichissement de liens à l’intérieur-même d’un papier. Oui, les contenus publiés en ligne gagnent à être enrichis de liens si 1. ceux-ci ne sont pas commerciaux et si 2. ils font l’objet d’un travail de sélection journalistique. A quoi bon diffuser un contenu sur le Net si celui-ci ne pointe pas vers les ressources, triées sur le volet, disponibles en ligne?
La recherche de liens pertinents fait partie intrinsèque du journalisme en ligne
Trouver un «bon lien», c’est-à-dire un contenu apportant un vrai complément d’informations, repéré à force de naviguer (Pierre Haski de Rue89 le fait à ciel ouvert sur Twitter cette semaine, en signalant un article du New York Times annonçant la victoire de Nicolas Sarkozy «à se garder sous le coude pour le 6 mai»), cela prend du temps. Parfois autant que d’écrire un article. Un article avec des «bons liens» = 10 ou plus contenus intéressants potentiels à portée de clic pour le lecteur.
Nombreux sont les sites d’informations qui pratiquent l’agrégation de liens comme sport national – dès le lancement du Drudge Report, en 1994, cela était déjà le cas. Ce «sport», Le Huffington Post le revendique, en se voulant une «combinaison de reportages originaux, commentaires, blogueurs, et… d’agrégation». Il s’agit de donner à voir «le meilleur du Web, pas ce que l’on produit, mais ce que les autres produisent», a insisté la fondatrice Arianna Huffington, lors de la conférence de presse.
Les liens automatiques
Sauf que…. les liens repérés dans les articles ne sont pas tous le fruit d’une recherche fouillée du journaliste. Certains sont des liens automatiques qui s’ajoutent sur des mots, au fil de l’écriture, comme c’est le cas sur le site du Christian Science Monitor. Cette publication utilise en effet, selon Poynter, un programme informatique qui insère des liens sur, par exemple, les termes Harvard et Twitter pour y lier de vieux articles du Christian Science Monitor. Mauvaise idée? Pour le référencement de la page et du site, non. Pour la progression de l’audience, priée de rester cantonnée à l’intérieur de ce même site, idem. Mais c’est le niveau 0 du journalisme en ligne.
Entre le trop et le pas assez
En outre, à partir de combien de liens estime-t-on qu’il y a trop de liens? Cela freine-t-il la lecture, voire la décourage? La réponse n’est pas écrite. Entre le trop et le pas assez, «il y a un équilibre à trouver pour les rédactions en ligne», reprend Justin Martin, de Poynter. «Offrir trop de liens peut conduire les lecteurs à s’interroger sur l’intégrité des références. Les ensevelir sous des liens qui ne ramènent qu’à son propre contenu est preuve d’amateurisme, et peut frustrer les consommateurs d’informations».
Aux étudiants de l’Ecole de journalisme de Sciences Po, à qui l’on enseigne comment éditer en ligne, on suggère de trouver un «bon lien» par paragraphe. La règle n’est pas figée, il s’agit avant tout de donner un repère.
Sur une seule page article de Le Huffington Post, il y a près de 100 liens. Sur les mots ou phrases écrits dans les articles, mais aussi sur l’auteur de l’article, dont on peut suivre l’activité journalistique sur Facebook et Twitter, et sur les utilisateurs du site, parmi lesquels nos amis, dont on voit ce qu’ils lisent et ce qu’ils commentent. Résultat, des contenus remontent par la mécanique de la recommandation sociale (je lis ce que mes amis lisent).
Le lien, enjeu économique
C’est le principe d’utilité du réseau, mentionné dans Une Presse sans Gutenberg, de Bruno Patino et Jean-François Fogel (éd. Grasset) et théorisé par Robert Metcalfe, l’inventeur de l’Ethernet: «L’utilité d’un réseau est proportionnelle au carré du nombre de ses utilisateurs».
Sous ses airs de ne pas y toucher, le lien est devenu une denrée en or dans des espaces où l’on joue à saute-mouton entre les différentes informations. D’après une étude menée par Borchuluun Yadamsuren, une post-doctorante de l’Université de Missouri, aux Etats-Unis, nombreux sont ceux qui s’informent sans même le vouloir, juste parce qu’un lien vers une information traînait sur leur chemin en ligne. Un lien, et qui plus est un titre, qui a retenu leur attention, pendant qu’ils faisaient une requête sur Google, lisaient leurs emails, ou sur les réseaux sociaux. Ce sont les informations qui trouvent les lecteurs, plutôt que l’inverse.
«Le lien est au coeur de notre stratégie», m’explique Julien Codorniou, de Facebook. «Facebook, comme Twitter, s’apparentent à des lieux de découverte qui mènent à d’autres endroits où consommer de l’information».
Reliés par le lien
Bref, le lien, c’est un peu l’appel du maître de maison pour passer à table. Autour de cette table, qui désigne le lieu où l’on consomme des informations, il y aurait, pour adapter la terminologie de la chercheuse Yadamsuren, quatre types de publics:
Tous réunis par le sacro-saint pouvoir du lien…
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Alice Antheaume
lire le billetThe death of Mohammar Qadaffi. The G20 Summit in Cannes. Soccer matches. Political debates. How to keep on top of the latest information? Today, these breaking news stories are all being reported instantaneously via liveblogging. This cutting-edge digital publication format enables real-time reporting of an event, by mixing text, photos, videos, social media content, and audience interaction. And it is an incredible lure for readers.
According to estimates, it accounts for at least 30% of the traffic to a general news web site, a percentage which is increasing rapidly. Moreover, since web-users remain significantly longer on news sites using this format, liveblogging has also become an important factor in audience engagement.
>> Read this article in French >>
UPDATE. On Monday, November 14, France Televisions launched its continuous news platform, available on the Web and on mobile devices. (1) This project advances the concept of liveblogging to the extreme – for now. Effectively, it is based on a continuous live blog which disseminates, from 6 am to midnight (stories such as the strike at the Employment Department, the nomination of Mario Monti, the latest on DSK, the hostages liberated in Yemen, etc.), via video, photos, and written content. All this is created by livebloggers, a new breed of journalists who have become specialists in digital blogging, and who answer the audience’s questions and comments about the news in real time.
In terms of the editorial slots for importance of news, liveblogging follows this structure: if the news is of lesser importance, three written lines will suffice. If it’s a major news story, it will be the object of several entries, with various angles of development of the story, either included in that day’s live blog on the topic or covered in a different thread.
For Nico Pitney, executive editor of the Huffington Post, in an interview by the Nieman Lab, two out of three web users are attracted to liveblogging. “We basically imagined three types of readers,” Pitney said. “One who just wanted the key facts from the story, a solid overview that’s basically a traditional news story. This person is not interested in the minute details and the live-blog coverage. Then there’s another type of user who already knows the overview and does want the key facts and live-blog coverage. And finally there’s a third kind of user — and we count this as a large percentage of our users — who wanted the overview, but then once they saw the live blog, it got them in deeper, and it made them more engaged in the story.”
And, of course, readers remain glued to their screens, caught in the spell of the live blog, a and the promise of instant updates on a big story as it unfolds.
Liveblogging: the new TV
Why are live blogs so endlessly appealing? This was the key question at a workshop organized last week at a Journalism Conference in Poitiers, France. (2)
“Readers feel as though they are creating the news,” explained Karine Broyer, Editor-in-Chief for Internet and New Medias at France 24. “During the events in Egypt, some people were asking questions on the live blog for our special correspondent, who was on location at Place Tahir in Cairo. They addressed him by his first name, Karim. And if the question was relevant, Karim Hakiki answered on the spot, perhaps giving readers the impression that their comments had played a part in the creation of the news.”
“During the televised debates of for the French Socialist Party Primary, we chose not to have a live blog on the site – too France-centric for an international media source like France 24. Perhaps we made a mistake; I don’t know. Our viewers ranted on Twitter, ‘Are you asleep or what? You have to liveblog this…’”
Types of comments on live blogs
“Internet users are participants,” notes Jonathan Parienté, a journalist covering the presidential elections at LeMonde.fr. He cites three basic forms of comments on live blogs:
1. Basic comments such as “I like, I don’t like/ It’s good, it’s not good”
2. Comments that are questions
3. Comments that add information to the story.
Whereas by default on lemonde.fr, no comment is published in a live blog until screened and approved by the editorial team, in general the rules are simple: a type 1 comment is kept if the reader expands a bit on his or her opinion; but to be honest, it doesn’t have much journalistic interest. Type 2 forms the bulk of the comments that are published in live blogs and are useful in articulating the editorial position, giving a visual sense of a dialogue between readers and editors, the latter remaining in an ultimate position of arbiters. Type 3, quite rare, is very useful from a journalistic point of view, and naturally requires verification and fact-checking before it can be published. But it can sometimes change the course of the story, since the information is coming from outside of the editorial department.
What are the successful elements of a great live blog?
It is first and foremost a question of the interest level of the story, according to Karine Broyer. “98% of the live blogs that we launch are based on breaking news.”
In addition to the compelling aspect of the news item, there are several factors key to the success of a live blog:
On a tool like “Cover It Live“, used by the majority of news sites in France (La Nouvelle République, Le Monde, Libération, France 24, etc.), the live blog has only one unique URL. Other sites developed internally, such as the Huffington Post, attribute one URL per blog post and thus increases the rate of sharing on social networks, allowing any user to cite the content of the live blog, a photo, an explanation or a quotation, as opposed to linking to a general title such at “live coverage of such-and-such event.”
At the Sciences Po Journalism School, learning to build liveblogging format has been a part of the curriculum since September 2010, on the same level as training for television reporting or a radio news flash. The ability to report happenings instantaneously, to give context to the news, put events into perspective, respond to readers’ questions, and to fact check, requires professional acumen and ability. And stamina, especially when the liveblogging on a particular topic goes on for days or weeks, as witnessed by Reuters sur Fukushima, from March 11 -26, which lasted 15 days and covered 298 pages.
Do too many live blogs kill the live blog?
Let’s think about it: in the end, if all media liveblog the same topics at the same time, will it lose interest? “I’m not going to stop liveblogging simply because everyone else is doing it,” says Karine Broyer. Especially since — depending on the subject at hand, the sources, the links that are included, the tone and the tempo — no two live blogs are the same, according to Jonathan Parienté. So, not to worry: there’s room for all in this growing new medium. It is, after all, is still in the experimental phase. Florence Panoussian, who oversees Web and Mobile Editorial for AFP, looks at it this way: “Having multiple live blogs is like having multiple traditional media.”
(1) Bruno Patino, Director of Digital Strategy at France Télévisions, is also the Director of the School of Journalism at Sciences Po, where I work.
(2) Workshop which in which I was a presenter. Thanks to Bérénice Dubuc, Jean-Christophe Solon, Karine Broyer, Jonathan Parienté, and Florence Panoussian, for these pour ces échanges.
Alice Antheaume (translated by Polly Lyman)
lire le billetMort de Mouammar Kadhafi, G20 à Cannes, matchs de foot, débats politiques… Le «live», ce format éditorial qui permet de raconter en temps réel un événement en mixant textes, photos, vidéos, contenus issus des réseaux sociaux et interactions avec l’audience, est un appât à lecteurs. La preuve par (au moins) deux: 1. selon les estimations, il récolte minimum 30% du trafic général d’un site d’infos généralistes – un pourcentage qui peut augmenter très vite en fonction de paramètres décrits ci-dessous. 2. Le «live» est un facteur d’engagement de l’audience, les internautes restant plus longtemps, beaucoup plus longtemps, sur ce type de format.
>> Lire cet article en anglais >>
MISE A JOUR: Ce lundi 14 novembre, France Télévisions lance sa plate-forme d’informations en continu, disponible sur le Web et sur mobile (1). Le projet pousse la logique du «live» à son paroxysme. En effet, il repose sur un «live perpétuel» qui relate, de 6h du matin à minuit, l’ensemble des actualités du jour (la grève annoncée à Pôle Emploi, la nomination de Mario Monti, les derniers propos sur DSK, les otages libérés au Yémen, etc.) via vidéos, photos, textes… Le tout est réalisé par des «liveurs», c’est-à-dire des journalistes devenus des spécialistes du «live» numérique, qui répondent aux questions et réactions de l’audience sur l’actualité en temps réel.
Côté hiérarchie de l’info, la logique de ce «live permanent» est la suivante: si c’est une information secondaire, trois lignes suffisent, alors qu’une information essentielle fera l’objet de plusieurs entrées, voire plusieurs développements, dans et en dehors du «live» du jour.
Pour Nico Pitney, éditeur exécutif du the Huffington Post interrogé par le Nieman Lab, le «live» intéresse deux personnes sur trois. «Imaginons trois types de lecteurs», détaille-t-il. «Les premiers veulent les éléments-clés sur une information, une solide vue d’ensemble qui correspond à la lecture d’un article traditionnel. Cette catégorie n’est pas intéressée par le développement minute par minute ni par la couverture en “live”. La deuxième catégorie connaît déjà le résumé des informations mais veut aussi les éléments-clés et la couverture en “live”. Le troisième type de lecteurs – et nous considérons que c’est la majorité de nos utilisateurs – veut d’abord un aperçu de l’actu, mais une fois qu’ils ont vu le “live”, cela les plonge en profondeur dans l’histoire»…
Sous entendu, ils restent scotchés, pris dans les filets du «live», et de la promesse de ce format de leur délivrer les dernières informations disponibles sur l’événement «livé», au fur et à mesure que celui-ci se déroule.
Le live est la nouvelle télé
Pourquoi le «live» fascine-t-il tant, pour reprendre l’intitulé de l’un des ateliers organisés ce mardi aux Assises du journalisme à Poitiers (2)? En partie parce que ce dispositif permet aux utilisateurs de jouer un nouveau rôle, estiment la plupart des intervenants de cette conférence.
«Les internautes ont l’impression de faire l’info», explique l’une d’entre eux, Karine Broyer, rédactrice en chef Internet et nouveaux médias de France 24. «Lors des événements en Egypte, certains posaient dans le live une question pour notre envoyé spécial qui se trouvait alors Place Tahir au Caire, en l’interpellant par son prénom, Karim (Hakiki, ndlr)». Et, si la question était pertinente, Karim Hakiki leur répondait, donnant peut-être l’impression aux lecteurs d’avoir enfin leur mot à dire dans la construction de l’information…
«Lorsque ont eu lieu les débats télévisés des primaires socialistes, nous avons choisi de ne pas ouvrir de live sur le site – trop franco-français pour un média international comme France 24. Nous avons peut-être eu tort, je ne sais pas. Toujours est-il que nos utilisateurs nous ont hélés sur Twitter sur le mode “vous dormez ou quoi? Il faut vous mettre en live…”»
Typologie de réactions en live
«Les internautes sont acteurs», reprend Jonathan Parienté, journaliste de la cellule présidentielle du Monde.fr. Il note trois formes de commentaires lors des «lives»:
Alors que, par défaut sur lemonde.fr, aucun commentaire n’est publié dans un «live» avant validation par la rédaction, les règles du genre sont simples: le type de commentaire 1 est retenu si l’internaute développe un peu son jugement mais, pour être honnête, cela n’a pas d’intérêt journalistique. Le genre 2 constitue l’essentiel des réactions publiées dans les «lives» et sont utiles pour articuler le dispositif éditorial, en donnant une sensation visuelle de dialogue entre internautes et rédactions, lesquelles restent en position de magistère. Le genre 3, très rare, est très utile d’un point de vue journalistique, nécessite certes vérification avant publication mais renverse la vapeur (l’apport vient cette fois de l’extérieur de la rédaction).
Les ingrédients d’un «live» réussi? Cela tient avant tout à «l’intérêt de l’actualité», assure Karine Broyer. «98% des lives que nous lançons sont issus de breaking news», autrement dit traitant d’actualités non anticipées.
Les accélérateurs de «live»
Outre la force d’une actualité, il y a des facilitateurs de réussite:
Sur un outil comme Cover It Live, utilisé par la majorité des sites d’informations en France (La Nouvelle République, Le Monde, Libération, France 24, etc.), le live n’a qu’une URL unique. Des outils développés en interne, comme celui du Huffington Post, attribue une URL par «post» et augmente le taux de partage sur les réseaux sociaux, chaque utilisateur pouvant citer l’un des contenus du live, une photo, un décryptage, une citation, plutôt que de pointer sur un titre très général du type «vivez en direct tel événement».
A l’Ecole de journalisme de Sciences Po, la construction de «live» sur le Web fait partie de la formation des étudiants depuis septembre 2010, au même titre que l’apprentissage d’un reportage télévisuel, ou d’un flash radio. Car raconter en instantané ce qu’il se passe, en apportant du contexte aux informations, en les mettant en perspective, en répondant aux questions de l’audience sur le sujet, et en pratiquant le fact checking, cela demande de la rigueur. Et de l’endurance. Surtout lorsque le «live» dure des jours voire des semaines – celui de Reuters sur Fukushima, entre le 11 et le 26 mars, a duré 15 jours et comporte 298 pages.
Trop de lives tuent-ils le live?
Et après? Si tous les médias «livent» aux mêmes moments les mêmes informations, quel intérêt? «Je ne vais pas m’arrêter de faire du “live” parce que tout le monde le fait», tranche Karine Broyer. D’autant que, selon la matière dont on dispose, les sources, les liens qu’on y met, le ton et le tempo, aucun live ne ressemble à un autre, complète Jonathan Parienté. Pas d’inquiétude, donc, il y a de la place pour tous sur ce format encore expérimental: «la pluralité des lives est la même que la pluralité des médias», conclut Florence Panoussian, responsable des rédactions Web et mobiles de l’AFP.
(1) Bruno Patino, le directeur de la stratégie numérique de France Télévisions, est également directeur de l’Ecole de journalisme de Sciences Po, où je travaille.
(2) Atelier auquel j’ai participé en tant qu’animatrice. Merci à Bérénice Dubuc, Jean-Christophe Solon, Karine Broyer, Jonathan Parienté, et Florence Panoussian, pour ces échanges.
Alice Antheaume
lire le billetUn journaliste a-t-il le droit de publier sur Twitter une photo de sa rédaction presque déserte, en visant ses collègues qui ne sont pas au travail dès potron-minet? Peu de rédactions françaises l’interdisent. Ou disons plutôt: peu de rédactions estiment qu’elles ont besoin de l’interdire tant cela leur semble évident qu’on “ne balance pas sur les horaires d’arrivée des journalistes de sa propre maison devant la terre entière”. Certes, Twitter n’est pas la terre entière, mais c’est quand même plus de 3 millions de personnes, selon une récente étude de Semiocast.
Lorsque le cas se présente, les directions se révèlent perplexes. A la rédaction du Nouvel Observateur, ce cas est survenu. “Je ne vois pas en quoi tweeter la photo du plateau, donnant l’impression que la rédaction est vide, alors qu’il y avait des journalistes qui travaillaient, aurait pu être drôle. Même au troisième degré”, me confie Aurélien Viers, rédacteur en chef du NouvelObs.com. “Cela peut être mal interprété, et a été mal interprété”. De fait, un autre journaliste du Nouvel Observateur a riposté aussitôt, également sur Twitter, en saluant la “pointeuse”. Ambiance.
“Je ne pensais pas que cela arriverait, nous n’avons jamais eu aucun souci”, reprend Aurélien Viers. “Aucun journaliste ne tweete sur son canard ou sa direction en les critiquant, c’est enfoncer des portes ouvertes, mais il fallait que cela soit précisé”. Il a alors envoyé un email à son équipe, rappelant quelques règles simples et de “bon sens” sur l’utilisation de Twitter par les journalistes, dont il s’explique dans cette tribune publiée sur WIP.
Or ce qui est le bon sens pour les uns ne l’est pas toujours pour les autres. Et c’est toute l’ambiguïté de l’appréciation de ce qui est “évident”. Alors faut-il l’expliciter via une charte, ou un “règlement intérieur”, comme l’appelle Eric Mettout, rédacteur en chef de lexpress.fr? “Comme si, parce que nous nous exprimons sur Twitter ou Facebook en notre nom, nous y oubliions notre carte de presse et les comportements qui y sont attachés et dont nous sommes abreuvés depuis l’école”, regrette-t-il. Faut-il aller jusqu’à demander aux journalistes de ne pas dénigrer leur direction en public? Lorsque Anne Lauvergeon a été annoncée à la présidence du conseil de surveillance de Libération, les journalistes de ce titre ne se sont pas privés de marquer leur désapprobation sur Twitter.
Journalisme et réseaux sociaux en ménage
Si les rédactions anglo-saxonnes ont la culture de la charte et documentent les droits et devoirs de leurs journalistes, les rédactions françaises n’ont pas ce réflexe, craignant sans doute d’entraver la liberté de ton de ses journalistes ou de devoir, pire, réactualiser les règles en permanence en fonction des cas rencontrés. Surtout, elles ne veulent pas freiner les enthousiasmes de ceux qui tweetent et participent ainsi à la visibilité de leur titre en dehors des pages et colonnes traditionnelles.
La véritable raison d’une charte sur les réseaux sociaux, c’est d’assurer le prolongement des devoirs journalistes (pas de diffamation, pas d’atteinte à la vie privée, etc.) prévalant sur les publications traditionnelles (sites Web, journaux) aux publications annexes (blogs, Twitter, Facebook, lorsque les comptes sont ouverts). Car un journaliste l’est 24h/24, quel que soit l’endroit d’où il parle.
France Télévisions a, de son côté, écrit une charte des antennes. “La charte de France Télévisions est plus subtile que ce que l’on a bien voulu en dire, détaille Bruno Patino, directeur général délégué au numérique, également directeur de l’Ecole de journalisme de Sciences Po. Twitter n’est pas au centre de la charte. Celle-ci prend seulement en compte un fait avéré: il n’est pas possible d’avoir sur les réseaux sociaux deux identités, une privée et une professionnelle, qui soient imperméables l’une à l’autre. En clair, il ne faut pas dire des choses sur tweeter que l’on n’assumerait pas à l’antenne. Notre crédo, c’est “think before your tweet”, réfléchissez avant de tweeter.”
Le Nouvel Observateur a aussi une charte, créée en 2004, et révisée en 2010, qui concerne l’ensemble des devoirs des journalistes, et non l’utilisation spécifique des réseaux sociaux. Mais Aurélien Viers laisse la porte ouverte: “il faut l’envisager, d’autant que les 130 journalistes du titre vont davantage utiliser leurs comptes Twitter et Facebook” dans les mois à venir.
En ligne ou hors ligne, même combat
Quant à l’AFP, elle est en train d’en élaborer une, dont la première partie concerne la vérification du matériel trouvé sur les réseaux sociaux, la deuxième partie devant s’attaquer à ce que les agenciers peuvent publier, ou non, sur Twitter et Facebook. En préambule, m’explique François Bougon, journaliste à l’AFP, “on va rappeler que les journalistes sont encouragés à être présents sur les réseaux sociaux (veille, recherche d’infos, etc.) et que leur présence n’est pas différente de celle dans le monde réel et elle doit continuer à être guidée par les mêmes droits et devoirs tels qu’ils sont consignés dans des textes fondateurs comme par exemple la déclaration des droits et devoirs des journalistes, adoptée à Munich en 1971”.
De même, le SNJ, le Syndicat National des Journalistes, a également mis à jour, le 5 juillet 2011, son code de conduite et s’attaque à l’instantanéité: “la notion d’urgence dans la diffusion d’une information ou d’exclusivité ne doit pas l’emporter sur le sérieux de l’enquête et la vérification des sources.” Façon de calmer la course au premier tweet.
Enfin, à l’Ecole de journalisme de Sciences Po, où je travaille, nous avons écrit une charte, en vigueur depuis la rentrée scolaire 2010, pour que les étudiants suivent les mêmes règles journalistiques, qu’ils produisent des contenus pour un site Web d’infos, sur une page Facebook, sur un compte Twitter, dans un journal télévisé ou un flash radio.
Les règles des rédactions anglo-saxonnes
Pour finir sur ce sujet intarissable, voici quelques uns des mots d’ordre observés dans différentes rédactions à l’étranger.
“Le message est simple: ne soyez pas stupide”, demande Alan Murray, l’éditeur du Wall Street Journal. Si vous couvrez la politique, vous n’allez pas tweeter que vous venez de voter pour John McCain. Si vous êtes Bob Woodward et que vous allez rencontrer Gorge Profonde dans un garage, vous n’allez pas le fanfaronner sur Twitter. Le problème, dans les grosses organisations comme le Wall Street Journal, c’est qu’il y a inévitablement des gens qui font des choses stupides, et d’autres gens du titre qui estiment que, s’il y a des gens qui font des choses stupides, il faut tenter de codifier la stupidité.”
“Les journalistes du Washington Post doivent savoir que, quel que soit le contenu qui leur est associé sur les réseaux sociaux, celui-ci est considéré comme l’équivalent de ce qui peut apparaître à côté de leur signature, sur le site Web ou dans le journal.”
Dans ses règles à tenir sur les réseaux sociaux, la radio américaine NPR énumère plusieurs points, donc celui-ci: “tout ce que vous écrivez ou recevez sur un réseau social est public. Toute personne ayant accès au Web peut accéder à votre activité sur les médias sociaux. Et même si vous êtes attentif à essayer de séparer professionnel et personnel, en ligne, les deux s’imbriquent”. Et plus loin: “vous devez vous conduire en ligne en pensant à ce que votre comportement et vos commentaires (…). Autrement dit, conduisez vous en ligne comme vous le feriez en public.”
A la question “quand puis-je tweeter?”, répertoriée dans sa charte, Reuters répond: interdit aux journalistes de l’agence de poster un scoop sur Twitter. Toute information exclusive doit d’abord être publiée dans le fil de dépêches. Logique, puisque Reuters a un modèle économique qui repose notamment sur l’achat d’informations par des clients, lesquels verraient d’un mauvais oeil le scoop publié sur une plate-forme accessible à tous, sans abonnement. En revanche, il est possible de retweeter un scoop quand c’est celui de quelqu’un d’autre, reprend Reuters, dans son manuel.
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Alice Antheaume
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