Fin d’année scolaire oblige, une nouvelle salve d’étudiants sortent diplômés de l’Ecole de journalisme de Sciences Po et commencent leur vie professionnelle en tant que journalistes. Après deux ans de travail intense, de veille acharnée à la recherche d’informations inédites, de revues de presse, d’enregistrements de flashs, d’écriture de reportages, d’enquêtes, d’animation de “lives”, de travail d’équipe, et d’interactions avec l’audience, une foule de petits détails trahissent maintenant leur profession.
Une fois n’est pas coutume sur ce blog, voici une note humoristique pour leur faire un clin d’oeil de fin d’année.
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Alice Antheaume
lire le billet“La télévision n’est pas morte. Tellement pas morte du tout!”. Ces mots sont ceux d’Henry Blodget, le fondateur et président de Business Insider, un site d’informations créé en 2007 qui compte aujourd’hui 65 journalistes, 2 millions de lecteurs par jour et produit 4 millions de vidéos par mois. Chargé de modérer une discussion sur les vidéos en ligne à la conférence DLD 2014 à Munich, en Allemagne, il montre sur une présentation les revenus générés par la publicité à la télévision depuis 2007 – 3,6 milliards de dollars devraient être investis dans des publicités télévisées en 2014. Des chiffres qui, selon le fondateur de Business Insider, prouve que la télévision a encore une quinzaine d’années devant elle avant de vraiment s’inquiéter, même si, dans le même temps, il y a de plus en plus de personnes qui paient pour consommer des vidéos en ligne. Netflix, la plate-forme américaine qui a produit House of Cards, propose ainsi un abonnement à 7.99 dollars par mois (moins de 6 euros) et a 40 millions d’abonnés. Pourtant, les éditeurs n’ont toujours pas trouvé la recette de la vidéo parfaite pour une consommation sur mobile, sur tablette ou sur ordinateur.
Les ratés des débuts de la vidéo en ligne
Henry Blodget a d’abord rappelé à quel point, à Business Insider, la production de vidéos a mal démarré. Au début, sa rédaction s’est enflammée en estimant qu’il suffisait “de faire venir un invité tous les jours à 8 heures, de se mettre en live à ce moment-là, et de poser des questions à cet invité”. Complètement raté, sourit aujourd’hui Henry Blodget, qui compare cette première à de la sous-télévision. Et “même si on s’était amélioré, cela serait resté de la mauvaise télévision”, continue-t-il, arguant que Bloomberg TV, en live tous les jours, a beau être “excellente” et disponible gratuitement, “personne ne la regarde!”.
Vidéos à la demande avant tout
Moralité, les internautes ne veulent pas regarder de la télévision en ligne. C’est aussi l’enseignement tiré par le HuffPost live, une plate-forme de vidéos en direct qui produit 8 millions de vidéos en streaming par mois. “Même si nous nous appelons HuffPost live, 75% de notre audience consomme des vidéos à la demande disponibles dans notre catalogue”, explique Jimmy Maymann, le CEO danois du Huffington Post. Pas en direct, donc, mais “après les faits”, une fois que ses équipes ont séquencé en petits clips le flux en direct. Ces clips sont ensuite réutilisés dans des articles publiés sur le Huffington Post.
“Nos utilisateurs ne se connectent à notre live vidéo que lorsqu’il y a un événement important, comme la cérémonie des Oscars, ou un breaking news, comme lors des attentats du marathon de Boston, ou lorsque nous avons un invité de marque”, reprend-t-il. Avant d’ajouter: “Les gens viennent pour voir Barack Obama mais ils restent pour les Kardashians”…
“Le numérique est aussi différent du print et de la télévision que le print est différent de la télévision”, dit encore Henry Blodget. Un média qui réussit à utiliser un storytelling efficace pour les vidéos en ligne, c’est un média capable de trouver des techniques de récit qui lui sont propres. Et qui sont forcément différentes de celles pratiquées à la télévision et dans les journaux. “Il ne faut pas essayer de les imiter, il ne faut pas chercher à préserver les traditions journalistiques. Nous n’avons pas de journal à imprimer, ni d’antenne à programmer”. Il faut donc faire du 100% numérique et recourir aux Vines et vidéos sur Instagram, des formats déjà bien installés.
Parmi les vidéos maison de Business Insider, des résumés d’une information en quelques secondes, des listes en vidéo (les 15 citations cultes de la série Breaking Bad), la recette du succès de Mark Zuckerberg ou Warren Buffett, des “how to” (Comment utiliser Vine? Comment faire cuire un steak parfait?) et des tests.
Et la réalisation?
Une vidéo en ligne réussie repose donc sur un format éditorial inhérent au numérique. Même la réalisation peut être repensée de A à Z en ligne. Comment filmer quelqu’un qui parle? John Wishnow, un réalisateur qui a travaillé pour les conférences Ted, avoue s’être posé la question cent fois. “Comment filmer pour que le discours de quelqu’un soit intéressant pour ceux qui ne sont pas dans la salle? Au début, nous n’avions aucune notion de l’esthétique en ligne, puis nous avons multiplié les caméras, les angles, et essayé de rendre l’ensemble plus théâtral, plus cinématrophique”. Aujourd’hui, certaines vidéos des conférences Ted font un carton sur le Web.
John Wishnow travaille désormais pour le site Edge.org, où il filme des rencontres intellectuelles. A priori, difficile de faire sexy avec une telle matière. Mais le réalisateur tente actuellement de filmer ces rencontres en faisant un split screen en cinq écrans. “Cela n’a jamais été fait”, détaille-t-il. La personne qui parle figure sur les trois écrans du centre, filmée de dos, de côté et de face, et sur les côtés, le public et les scènes extérieures.
Mobile + vidéo
Outre le format des vidéos en ligne, leur diffusion doit s’adapter à de multiples écrans (smartphone, tablette, et ordinateur), à plusieurs temporalités, et correspondre à une structure des coûts qui reste légère. “L’économie numérique ne saurait supporter les coûts de production d’un journal ou d’une chaîne de télévision”, écrit le même Henry Blodget sur le Nieman Lab. Même si l’essor du temps passé sur le mobile, seul endroit où la consommation de contenus continue à grandir, est un levier publicitaire de taille.
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Alice Antheaume
lire le billetEt si, en 2013, on se sortait la tête du guidon? C’est la tendance prônée par un mouvement américain intitulé “Slow Web”. Son ambition? Etre l’antithèse du temps réel en ligne, des moteurs de recherche et autres services Web qui répondent aux requêtes de façon instantanée. “En fin de compte, la philosophie derrière ce mouvement, c’est que chaque personne devrait avoir une vie” et “ne pas être esclave” du temps réel, résume le manifeste du Slow Web.
Jusqu’à présent, il n’y avait que deux possibilités:
1. je suis déconnecté, et donc en dehors du réseau.
2. je suis connecté et mon attention est mobilisée par le flux d’informations en temps réel.
La troisième voie serait donc:
3. je ne suis pas connecté tout le temps mais suis quand même au courant de ce qu’il se passe sur le réseau.
En ligne, quelques initiatives éditoriales surfent sur cette troisième option et montrent que le “live” n’est pas la seule Bible du journalisme numérique. Se développent ainsi des services qui donnent à voir le meilleur de l’actu, la “curation de la curation”, se développent, et ne référencent que les contenus les plus cités sur les réseaux sociaux. C’est le cas de News.me et de l’application Undrip, qui calme avec humour les ardeurs de ses utilisateurs (“bridez vos élans”, “gardez votre pull”) le temps que la sélection s’opère. Quant à The Atlantic, il a regroupé ses meilleurs articles de l’année 2012 dans un ebook, à lire au calme. Plus radicale, cette application gratuite pour Mac, Self Control, bloque l’accès à une liste de sites Web de son choix (mails, Facebook, Dailymotion, etc.), pendant une période limitée, de 15 minutes à 24h.
Calmez le jeu
En France, Slate (sur lequel ce blog est hébergé) veut réfléchir avant de faire de l’actualité chaude mais à J+1 ou plus. Le Huffington Post a lancé une newsletter appelée “on refait l’actu du week-end” pour ceux qui se seraient déconnecté en fin de semaine et auraient besoin d’un rattrapage. Rue89 proposait la même chose, jusqu’en juillet 2012: il s’agissait d’un long papier publié le samedi qui récapitulait les temps forts de l’actualité survenus dans la semaine, entre le lundi et vendredi. Etait-ce le jour de publication? Le format? Toujours est-il que cela ne marchait pas tant que cela, regrette Pascal Riché, rédacteur en chef de Rue89, qui pointe les chiffres: un peu plus de 6.000 clics par “rattrapage de l’actu” quand les autres contenus du site peuvent obtenir 50.000 clics.
Pourtant, la lecture en différé est une réalité pour les consommateurs d’informations, qui mettent de côté des contenus pour les lire plus tard grâce à des outils comme Pocket. “Il n’y a pas de problème à lire demain les informations d’hier”, tranche le journaliste américain Peter Laufer, cité sur Slow News Movement, un site lancé par la journaliste française Marie-Catherine Beuth, qui réfléchit à l’Université de Stanford sur la question suivante: comment “adapter les informations au temps que l’utilisateur a, ou n’a pas”?
Lecteurs et journalistes branchés sur du 5.000 volts
Mais pour la plupart des sites d’informations généralistes, retirer les doigts de la prise s’avère compliqué. Le tempo de l’information n’a jamais cessé de accélérer, et cela s’est encore amplifié à la naissance des réseaux sociaux, réduisant à un clignement d’oeil le laps de temps entre l’arrivée d’un événement et son écho en ligne. Or ce règne de l’information en temps réel n’est pas une création ex-nihilo des journalistes, c’est une demande de l’audience, habituée à prendre son téléphone en main, en moyenne, entre quarante et quatre vingt fois par jour, pour savoir ce qu’il y a de nouveau.
“Donner l’info quand elle arrive, cela fait partie de notre ADN”, rappelle Aurélien Viers, directeur ajoint de la rédaction du Nouvel Obs. Ce mardi 15 janvier, “les 7.500 postes supprimés de Renault, on ne peut pas en faire l’impasse. La mort du cinéaste Nagisa Oshima non plus.” C’est même un contrat tacite entre l’éditeur et l’audience: offrir les dernières informations disponibles au lecteur, au moment où celui-ci se connecte.
Mosaïque de temporalités
Or s’il y a une prime au premier sur l’info, il y a aussi une prime à l’originalité en ligne. En témoigne le salut unanime du projet du New York Times, Snow Fall, qui raconte l’aventure de seize skieurs pris dans une avalanche. Un contenu à la narration efficace, qui a obtenu en quelques jours 3.5 millions de pages vues, avec des lecteurs scotchés sur cette histoire pendant 12 minutes en moyenne. Une durée considérable.
De plus en plus, les rédactions s’organisent pour que le temps de la réactivité cohabite avec d’autres temps, plus lents. “On a deux jambes, une jambe droite, l’actualité chaude, et une jambe gauche, qui concerne des sujets plus magazines”, reprend Aurélien Viers. “On doit être suffisamment forts pour trouver l’équilibre entre couvrir une information urgente, rebondir sur l’information et l’expliquer. Bref, il y a en fait trois temps: le temps de la réactivité, le temps de l’explication de l’information qui vient de tomber, et enfin, le décalé”.
Piquer un sprint et courir un marathon à la fois
Il ne s’agit donc pas d’arrêter le temps réel mais de naviguer entre l’un et l’autre, et produire des types de contenus adaptés à des habitudes variées – et des connaissances de l’actualité différentes selon qu’on est très connecté, moyennement connecté, ou pas du tout.
En termes d’organisation rédactionnelle, cela signifie bénéficier d’une équipe assez grande pour qu’elle comporte à la fois des sprinteurs, des marathoniens, et des coureurs de relais. “Quand on essaie de décélérer, d’enquêter pendant une semaine sur les pilules de troisième ou quatrième génération, il ne faut pas se laisser déborder par les urgents”, dit encore Aurélien Viers. Or les urgents, et l’actualité en général, on ne la contrôle pas.
Autre problème, paradoxal: les journalistes, habitués à faire de la veille en ligne et à réagir au quart de tour, se sentent parfois démunis lorsqu’ils ont soudain la possibilité de passer deux jours sur un format plus long. “Au final, on reçoit assez peu de propositions de sujets qui nécessiteraient une semaine de travail en dehors du flux alors qu’on essaie d’encourager nos journalistes à le faire”, soupire un responsable.
Avez-vous pris la résolution de tempérer votre addiction au temps réel? Dites-le dans les commentaires ci-dessous, sur Facebook et sur Twitter, merci!
Alice Antheaume
lire le billetIl y a aura, dans les médias, un avant et un après Dominique Strauss-Kahn, accusé de «crime sexuel», de «tentative de viol» et de «séquestration» contre une femme de chambre de l’hôtel Sofitel à New York. Envergure planétaire, pics d’audience inégalés, questions juridiques inédites, et frontières du genre repoussées. Cet événement pousse les rédactions françaises à redéfinir les limites de leur exercice. Retour sur les éléments médiatiques clés nés par et autour de ce scandale.
Ce n’est pas une première dans l’histoire médiatique de Twitter, dont les premiers «breaking news» sont apparus aux Etats-Unis dès 2007, lors de la fusillade à l’université Virginia Tech, en Floride (1), mais pour la France, cela devrait rester dans les annales. En effet, c’est sur le réseau aux messages de 140 signes qu’apparaît la première mention de la future affaire DSK.
Ainsi, le samedi 14 mai à 22h59, heure de New York, un étudiant français, Jonathan Pinet, poste le tweet suivant:
Il est le premier à annoncer ce qui va être devenir un scoop, bien avant les agences de presse et autres rédactions. «Ce n’est pas mon tweet qui a déclenché l’emballement de Twitter autour de cette information, explique-t-il après coup sur son blog, mais bien l’article du New York Post à 0h33», toujours heure new-yorkaise. Un article qui n’est plus dans les archives.
Lundi 16 mai 2011: l’ex-patron du FMI passe devant la juge américaine Melissa Jackson, qui lui refuse la liberté conditionnelle dans l’immédiat – elle lui sera accordée à l’audience du 20 mai, après quatre nuits de prison. Lors de ces audiences préliminaires, les rédactions françaises – télé, radio, Web – utilisent Twitter pour réaliser leur couverture en direct, en se servant des tweets envoyés par les journalistes – Français et étrangers – présents dans la salle d’audience.
«L’affaire DSK propulse Twitter au premier plan», annonce Le Figaro. «Twitter et ses “gazouillis” s’imposent dans les salles de rédaction», titre l’AFP.
Mais comment faire autrement? Comment relayer, en temps réel, ce huis clos partiel tel que celui du tribunal pénal de Manhattan, où seuls quelques journalistes peuvent pénétrer? Ceux-ci n’ont le droit ni de téléphoner ni de filmer pendant l’audience, mais peuvent envoyer SMS ou messages sur les réseaux sociaux. Depuis Paris, ceux qui animent des émissions, radio ou télé, en direct, ou des «lives» sur les sites d’infos, suivent donc chaque tweet, même lorsque ce tweet est écrit par un confrère d’une rédaction concurrente, abolissant ainsi des frontières longtemps en vigueur. «Heureusement qu’on a Twitter», confie cette journaliste d’iTélé, au moment de l’audience du 20 mai.
Quatre jours après l’arrestation de DSK, on apprend que la chaîne Canal+ interdit à ses journalistes de tweeter. Première fois, il me semble, qu’un média français prend une position «officielle» à propos de ce que ses journalistes publient ou pas sur Twitter. Conséquence: Laurence Haïm, correspondante à la Maison Blanche pour la chaîne cryptée, présente aux audiences de DSK au tribunal pénal de Manhattan, «réserve “ses” informations à (sa) rédaction» plutôt qu’au réseau social, explique Rodolphe Belmer, le patron de Canal+, pour qui «les journalistes professionnels doivent leurs infos à leur public» et «les grands médias ont tout intérêt à assurer les règles de contrôle de l’information (sans) (…) reprendre à son compte des tweets sensationnalistes quand ils ne sont pas erronés».
Laurence Haïm ne raconte donc pas en live, sur Twitter, comme son confrère Remi Sulmont de RTL, ce qu’elle entend et voit dans la salle d’audience, mais elle l’envoie par SMS aux journalistes d’iTélé (même groupe que Canal+) qui sont, au même moment à Paris, en direct en plateau. Et réalise ensuite des duplex, par exemple pour le Grand Journal de Michel Denisot.
Aux Etats-Unis et en Angleterre, déterminer via une charte rédactionnelle quel journaliste tweete et sur quel sujet est très répandu. En France, ces chartes existent mais elles évoquent avant tout la déontologie, les droits et les devoirs du journaliste, sans s’attaquer de façon frontale aux questions soulevées par l’utilisation journalistique de Twitter – sauf l’AFP qui s’est dotée en 2011 d’une charte ad hoc, focalisée pour l’instant sur la vérification des informations repérées sur les réseaux sociaux.
Dans le flux de messages postés sur Twitter et retweetés des dizaines de fois, il y a des infos et des rumeurs, du vrai et du faux. Les contraintes du direct imposent aux journalistes de les trier en quasi temps réel, afin de les commenter.
Or, lors des premières audiences de DSK au tribunal, les journalistes français ont peiné à suivre le fil Twitter tout en en parlant à l’antenne, laissant souvent passer de longues minutes entre l’apparition d’un tweet, visible par n’importe quel internaute, et son évocation en plateau. A l’heure où commenter sur Twitter ce que l’on voit à la télévision devient tendance, ce décalage peut-il être assumé? D’un côté, il peut être rassurant, si l’on estime que cet écart temporel permet à l’information vue sur Twitter d’être vérifiée avant d’être annoncée à la télévision. D’un autre, il met les journalistes dans une situation de réceptacle de l’information, en même temps qu’un internaute lambda. Quel est l’apport journalistique dans ce cas?
De fait, il y a un deuxième problème, relevé par Benjamin Ferran dans son excellent article sur le sujet: l’interprétation, sur les télévisions françaises, parfois hasardeuse de tweets qui n’ont pas toujours vocation à être relayés. «Certains “tweets” rapportés n’avaient plus grand-chose à voir avec de l’information, écrit-il. “Le juge est en train de réfléchir, semble-t-il, si j’en crois ce que je lis sur Twitter”, a lâché un journaliste de BFM TV. “Il n’y a pas de tweet, on est dans un moment de flottement. Là c’est un peu la spéculation parce que je ne sais pas ce qui a pu se passer”, a-t-on pu entendre sur iTélé.»
A CNN, «la chaîne du live» par excellence, les animateurs de la matinale sont branchés en permanence sur le réseau social aux 140 signes. Même lorsqu’ils présentent les informations. Face à la caméra, ils pianotent sur le clavier d’un ordinateur portable disposé devant eux, consultent des tweets, et y répondent.
En France, il est interdit – sauf autorisation spéciale comme pour le documentaire de Raymond Depardon sur la 10e chambre, ou certains grands procès «historiques» – de filmer les audiences en vertu de l’article 38 ter de la loi du 29 juillet 1881 sur la liberté de la presse, qui stipule que, «dès l’ouverture de l’audience des juridictions administratives ou judiciaires, l’emploi de tout appareil permettant d’enregistrer, de fixer ou de transmettre la parole ou l’image est interdit».
Mais aux Etats-Unis, c’est permis – avec 15 minutes de différé. Les juges américains n’autorisent souvent qu’une seule caméra dans la salle d’audience, mais ils l’autorisent. Dans ce cas, les médias intéressés par ces images se constituent alors en «pool» et désignent la chaîne qui fera office de «pool caméra» pour l’événement, c’est-à-dire qu’elle filmera pour le compte de tous les autres les images, et les redistribuera à tous ceux qui les ont demandées. C’est ce qu’il s’est passé lors de l’audience du 6 juin, lorsque DSK a plaidé «non coupable». Et cette fois, c’était CNN qui filmait.
Que faire, quand on est une télévision française bardée de l’interdiction de filmer les procès, et que l’on voit les images filmées par CNN débarquer sur les sites d’infos français, sur les réseaux sociaux, bref, n’importe où sur le Web en un clic? Se mettre des oeillères pour respecter la loi? Ou prendre le risque de les diffuser, au nom du «droit» d’informer? «Il est impossible de cacher des images librement diffusées sur les télévisions du monde entier, a expliqué au Figaro Guillaume Dubois, directeur de l’information de BFM TV. À l’heure de l’audiovisuel planétaire, la notion de frontières médiatiques n’a plus de sens.»
Pour l’instant, cet article de loi n’a été modifié que pour faire apparaître le montant de l’amende en euros plutôt qu’en francs. Mais il y des autorisations spéciales qui se demandent, et s’obtiennent, comme cela vient d’être le cas pour le procès en appel d’AZF.
Le 1er juin, Lepoint.fr annonce que Ramzi Khiroun, ex-conseiller de DSK, va déposer plusieurs plaintes pour diffamation, dont l’une contre Arnaud Dassier, actionnaire du site Atlantico, «en raison d’un message publié sur le réseau Twitter le 14 mai» sur les activités de Khiroun.
Aux Etats-Unis, des plaintes nées d’un tweet, il y en a déjà eu. Pour la chanteuse Courtney Love, qui a insulté une styliste sur Twitter, l’affaire s’est soldée par le versement de 430.000 dollars (300.550 euros), un accord trouvé afin d’éviter le procès.
Qu’avez-vous retenu, médiatiquement parlant, de l’affaire DSK?
Et… N’oubliez pas de liker cet article, merci!
Alice Antheaume
(1) Au palmarès de Twitter, prem’s sur son rôle d’alerte, on se souvient aussi d’un autre scoop historique, fait en 140 signes, en janvier 2009, lors de l’amerrissage miracle d’un avion sur l’Hudson, à New York. Le premier à évoquer l’accident est un citoyen américain, qui s’appelle Janis Krums. Présent à bord d’un ferry juste à côté de l’endroit où vient d’échouer l’avion, il publie aussitôt sur Twitter une photo de la scène en la qualifiant de «crazy». Première photo disponible sur cet événement, celle-ci est immédiatement reprise dans les médias du monde entier.
lire le billetGawker, c’est le petit site Web d’infos qui fait peur aux grands. Lancé en 2003, il s’est fait connaître en publiant des articles sur les coulisses des médias new-yorkais et des potins sur les stars de Manhattan. «A chaque fois que le New York Times produit un document usage interne, celui-si se retrouve une heure plus tard en ligne sur Gawker», soupirent les journalistes du quotidien américain. Réponse de Gawker: «Les salariés qui en ont marre de leur boîte nous envoient les notes faites sur et par leur société. Chaque jour, on en reçoit des centaines, on trie puis on publie celles qui nous intéressent.»
Gawker.com n’a rien d’un site d’infos généralistes. On y trouve de «l’infotainment», avec des sujets peopolitique, people tout court, des sujets culturels, tournés vers les usages des Web et/ou les jeux vidéos, et des sujets sur les médias. En particulier la télé, «l’occupation préférée de 90% d’Américains», sourit l’équipe. Bref, des sujets très populaires voire potaches, dont le ton détonne. Chaque jour, une soixantaine d’articles sont publiés sur Gawker, sans compter les billets des blogs que le site agrège, comme Valleywag, spécialisé dans les nouvelles technologies, Citylife, qui zoome sur le quotidien des New-Yorkais. Le tout, financé par la pub, est gratuit et compte le rester.
Rotation permanente
Moyenne d’âge des journalistes de Gawker: 30 ans. A la rédaction, qui compte une cinquantaine de personnes — la «moitié sont des contributeurs extérieurs», l’emplacement des bureaux change tout le temps, et les chefs tournent tout autant. «On n’a pas encore trouvé la meilleure configuration possible», me confie Remy Stern, le nouveau rédacteur en chef.
Chaque rédacteur peut voir, sur un outil interne, le nombre de clics que ses articles génèrent. Et ce, en temps réel. Avec ses 4, 2 millions de visiteurs uniques par mois (chiffres Quantcast), Gawker reste petit — People.com fait, lui, 15,7 millions de visiteurs uniques par mois, et Slate.com 8,1. Le trafic, Gawker regarde ça de près, et publie même des articles sur son cas.
Pourtant, question notoriété, Gawker s’est fait sa place au soleil. Et pas qu’au figuré. Le rédacteur en chef m’emmène visiter la partie, dit-il, «la plus importante du site»: une terrasse sur le toit de plusieurs centaines de mètres carrés avec vue sur l’un des quartiers les plus branchés de New York. «On y organise des soirées une fois par semaine. Le service marketing invite ses clients à venir siroter des bières. Une fois qu’ils ont bu quelques verres, ils achètent des publicités.» La bonne vieille technique.
Pas de conférence de rédaction
A Gawker, malgré l’apparente ambiance décontractée, le superflu n’existe pas. Aucun chargé d’édition ni secrétaire de rédaction pour relire les articles — «il y a très peu de différences entre la version écrite par le rédacteur et celle que l’internaute lit en ligne». Pas non plus de «front page editor» devant alimenter et animer la page d’accueil — «tout ce qui est mis en ligne est automatiquement sur la “une”». Et les titres? Et les photos? Et le circuit de la copie? «La journée, je passe derrière les rédacteurs pour changer ici un titre, pour mettre l’accent là sur un sujet, mais la nuit, ce sont eux qui s’en chargent.»
Pas non plus de conférence de rédaction tous les matins. «Toute la rédaction est connectée via Campfire (un outil qui permet de chatter à plusieurs, et échanger des fichiers de façon instantanée, ndlr), m’explique Remy Stern. C’est ici que l’on se demande “est-ce qu’on fait ce sujet?”, “qui le fait?”, “tu as vu cette vidéo? est-ce qu’on la publie?”, etc. Au lieu de prendre des décisions une fois par jour en conférence de rédaction, on en prend toutes les deux minutes par ce biais. De toute façon, on n’a pas mille ans pour décider.»
Surtout ne pas ressembler aux rédactions traditionnelles
La seule peur de Gawker, c’est de faire les mêmes choses – c’est-à-dire, pour eux, les mêmes erreurs – que les rédactions traditionnelles. «Les vieux journaux ont installé des circuits de la copie très établis, des processus de production sophistiqués, or on voit bien que ces mécanismes ne fonctionnent pas, tranche le rédacteur en chef. Si on met des avocats/relecteurs partout, on n’avance pas.» La théorie a du bon. Mais en pratique, cela met une sacrée pression sur les rédacteurs, qui n’ont pas de filet de sécurité. Et à qui il arrive de se tromper. «Notre communauté nous force à être vigilants. Les internautes nous signalent les fautes dès qu’ils en voient une, que les rédacteurs corrigent alors en indiquant qu’ils se sont trompés.» Un mode de production «work in progress» allègrement pratiqué ailleurs…
Des sujets sur la télé vitesse grand V
Autre point commun avec les jeunes rédactions en ligne françaises: la pratique du «breaking news» permanent et du «live». «C’est très important, souligne le rédacteur en chef. On est dans une monde ultra compétitif. Cela ne sert à rien d’être le troisième site à publier l’info, il faut être le premier.» Car c’est rentable, en terme de trafic. Quand Gawker a fait des «lives» en janvier pour raconter, à la minute près, les piques que s’envoyaient les animateurs de show télévisuels américains comme Jay Leno, Connan O’ Brien ou David Letterman, par émissions interposées, cela lui a rapporté des millions d’internautes, assure-t-il. «Tous les Américains parlaient de ce scandale, qui a même fini par faire trois fois la “home” du nytimes.com». Gawker a alors sorti l’artillerie lourde. Une vingtaine de boîtiers pour enregistrer tous les shows du soir, y compris quand ils se tenaient au même moment mais sur des chaînes différentes, et pas moins de 10 personnes pour veiller au grain. «Si un animateur en insultait un autre, on était ainsi sûr d’avoir le passage en stock. On pouvait le numériser et le mettre en ligne en quelques minutes».
La main à la pâte
De règles, Gawker n’en a guère. Y compris sur l’usage des réseaux sociaux. «Les rédacteurs savent ce qu’il est pertinent d’y publier ou pas», reprend Remy Stern. Même si Gawker ne règlemente pas l’utilisation de Twitter ou Facebook par ses journalistes — contrairement au New York Times et à Reuters, qui ont édicté des chartes, Christoper Marscari, le responsable du marketing, fait une différence entre les contenus mis sur l’un ou l’autre réseau. «Sur Facebook, on publie les articles qui vont susciter le plus d’interaction entre la rédaction et les lecteurs. Sur Twitter, on met avant tout les contenus les plus informatifs». Là non plus, pas de superflu.
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Alice Antheaume
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